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Galatée

Dans un restaurant des plus chics, là où il fallait plusieurs mois de réservation pour espérer une table, les serveurs habillés en queue-de-pie servaient les clients. Toujours dignes, le corps droit, les serveurs élégamment habillés avaient une démarche des plus rapides mais sûres sur la moquette de couleur rouge recouvrant le sol. La nuit était déjà tombée depuis quelques heures, les étoiles présentes dans le ciel. Le bâtiment perçant les nuages, la vue était sublime, permettant d’observer le ciel comme la ville. Assis à une table, une jeune femme aux longs cheveux noirs tombant jusqu’aux épaules, se tenait face à un homme d’environ vingt-cinq ans aux cheveux bruns ébouriffés. L’un comme l’autre semblait se fondre parfaitement dans le décor. Elle portait une robe de soirée blanche resplendissante, épaules nues, le tissu lui allant jusqu’au bas des cuisses. Lui n’était pas si différent des autres, une veste noire par-dessus une chemise blanche accompagnée d’une cravate rouge et d’un pantalon noir lui aussi. La jeune femme souriait tendrement au jeune homme, prenant la parole :

- Eh bien, j’avoue que je ne m’attendais pas à cela de ta part, Pygmalion.

- J’aime toujours surprendre la personne qui est chère à mon coeur. J’espère que le restaurant est à ton goût, Helena. Ce dernier est spécial à cause de sa vue dégagée. Il est magnifique, n’est-ce pas ? Vraiment … J’adore quand la nuit arrive.

- Bien sûr qu’il est magnifique … Vraiment … Mais quand même, tu t’es rappelé de nos six mois ? Je pensais que tu oublierais.

- J’avais oublié. Mais Hector m’a rappelé à l’ordre, avec plusieurs autres choses que je risquais de …

Il s’arrêta de parler en voyant le regard brun et confus de la jeune femme. Il pouvait même lire une pointe de tristesse dans ses yeux. Pour quelle raison ? Il n’avait normalement rien dit de déplaisant. Il ne faisait qu’à chaque fois dire la vérité.

- Ton androïde … Je vois … Mais ce n’est pas la première fois.

Bon, ce n’était pas grave.. Si elle commençait à se plaindre de tous les petits défauts de Pygmalion, elle n’en aurait jamais terminé. Les minutes passèrent, tous les plats aussi. Finalement, l’heure du dessert. Elle commanda un café gourmand. Pygmalion ne prit rien, préférant la regarder avec amour. Puis au moment opportun, il plaça une main à l’intérieur de sa veste, toussant un peu comme gêné avant de dire :

- J’ai encore une surprise pour toi.

Une autre surprise ? Leur dernière conversation avait-elle porté ses fruits ? Le jeune homme présenta un insecte métallique semblable à une coccinelle. Elle haussa un sourcil, appréhendant la suite. L’une de ses dernières créations ?

- Pygmalion, je pensais que nous avions décidé de ne pas parler de ton travail. Et qu’est-ce que je vois ?

- Attends un peu ! Attends !

Il tapota sur le sommet de la coccinelle mécanique qui se dirigea vers la jeune femme. A quelques centimètres du bord de la table, elle se retourna et déploya ses ailes. Un objet fut projeté hors de la carcasse du petit robot et tomba au sol. Le visage déconfit de Pygmalion témoigna du caractère imprévu de la scène.

- Qu’est-ce que…

La jeune femme se baissa et récupéra un anneau serti d’une pierre bleue. Elle se releva et regarda Pygmalion, un grand sourire aux lèvres.

- Merci beaucoup, il est subli…

- Oui, oui. C’est pour ça qu’Hector m’a aidé à le choisir.

Il avait complètement oublié la jeune femme, ayant reposé sa main à l’intérieur de sa veste avant d’en sortir un tournevis de petite taille. Récupérant la coccinelle, il la retourna pour la mettre sur le dos, sortant sa langue avant de jouer de son tournis sur sa création.

- Tu sais, Pygmalion, si seulement tu pouvais arrêter un petit peu de penser à tes androïdes … Tu serais vraiment parfait. murmura doucement Helena en souriant, gardant l’anneau dans sa main, la rapprochant du jeune homme.

Celui-ci était trop occupé avec sa création. Au bout de deux minutes, il releva son regard vers la jeune femme, semblant étonné avant de demander :

- Euh … Tu attends quelque chose ? Tu as ton anneau non ? Enfin, ton cadeau.

Le sourire d’Helena disparu avant qu’elle fasse une moue boudeuse. Elle détourna le regard, posant ses coudes sur la table tandis que Pygmalion continuait son travail. Elle n’existait plus … Elle le savait bien.

Les clients quittaient le restaurant les uns après les autres alors qu’Helena restait là, sans rien dire. Finalement, elle se leva de sa chaise alors que Pygmalion déniait enfin arrêter de s’occuper de sa coccinelle mécanique.

- Mais qu’est-ce que tu fais, Helena ? J’en ai juste pour deux minutes.

- Deux minutes ? De qui est-ce que tu te moques ? Ça fait plus de deux heures ! J’ai finalement remarqué que tu as fait ton choix ! Je suis désolée … Pygmalion. Mais entre nous, ça s’arrête là. Je t’aime … énormément mais tu es trop absorbé par ton travail. Non, tu es amoureux de ton travail. Adieu … Demain, je te donnerai ma démission. annonça la jeune femme avant de quitter le restaurant. Il s’apprêtait à se lever mais fit tomber un composant de la coccinelle mécanique. Il se pencha pour la récupérer, d’autres pièces tombant au sol. Une par une, il vint les mettre dans sa poche avant de chercher à rattraper Helena mais il était déjà trop tard. Il se gratta le sommet du crâne, étant désemparé avant qu’un serveur ne lui demande l’addition. Il paya, quittant le bâtiment à son tour.

Elle l’avait quitté … comme promis. Et elle avait démissionné … comme promis. Il était resté seul, ayant décidé de ne pas aller travailler. En tant que directeur et actionnaire principal des entreprises Créavenir, il pouvait décider de ne pas aller travailler quand il le désirait. C’était aussi simple que ça. Aussi simple … et tellement banal. Car oui, nul n’avait posé de questions après la démission d’Helena, elle n’était pas la première à démissionner après être sortie avec lui.

Pourquoi ? Il connaissait la raison justement. Il savait pertinemment pourquoi elle l’avait abandonné. Car il était trop occupé par son travail. C’était toujours ainsi … Même quand il était au repos, il préférait travailler sur ses androïdes. D’ailleurs, l’un d’entre eux s’approcha de lui, tenant un verre à la main. Il le lui tendit alors que le jeune homme le récupérait, murmurant :

- Merci beaucoup Hector. Tu as bien mis un peu de citron comme d’habitude ?

- Comme vous le demandez toujours, maître Pygmalion. répondit machinalement l’humanoïde fait de métal.

-Est-ce que tu peux retirer le citron, s’il te plaît ?

Il lui avait déjà dit de ne pas mettre ce terme de - maître dans ses phrases. Il poussa un soupir, regardant l’androïde devant lui. Complètement fait d’un alliage métallique, l’androïde portait néanmoins des vêtements de majordome ainsi que des gants et des chaussures pour camoufler ses mains et ses pieds. A part le visage, il était difficile de savoir qu’il était un androïde. Et encore, il n’était pas le seul à être ainsi, loin de là même.

C’était ce dans quoi il excellait. C’était dans quoi il était reconnu. Sirotant le liquide à l’intérieur de son verre, il se leva de l’épais fauteuil de cuir rouge avant de regarder le feu qui se consumait dans la cheminée. Autour de celle-ci, à une distance raisonnable pour éviter les risques d’incendies, de multiples étagères étaient présentes, contenant des livres par centaines, voire peut-être même par milliers. Il fallait dire que la pièce était gigantesque … et cela n’était que la salle de repos dans laquelle il décidait de s’octroyer un peu de plaisir culturel. Car tout cela n’était que du plaisir sauf quand il était abandonné par sa petite amie, comme d’habitude. Encore une fois … Encore une fois, on avait décidé de l’abandonner. Est-ce qu’il n’y avait pas une femme sur cette planète pour lui ? Ca ne servait à rien … Rien du tout même. Alors qu’il s’apprêtait à quitter la pièce, il s’écria :

- Mais bien sûr ! Pourquoi est-ce que je n’y ai pas pensé plus tôt ? Au lieu de chercher une femme qui puisse m’aimer pour ce que je suis, pourquoi ne pas la créer ?

C’était une idée plus qu’excellente ! Et avec ses connaissances et ses capacités, il était sûr d’y arriver ! Il était temps pour lui de faire comme à son habitude : une longue pause de plusieurs mois. Il n’avait laissé filtrer qu’une petite information aux journalistes à travers le téléphone, une information qu’il estimait capitale.

- Ce projet révolutionnera le monde de la cybernétique ! Attendez-vous à un événement majeur qui sera de la même ampleur que mes précédentes créations.

A partir de là, il n’avait plus donné aucune nouvelle à qui ce soit. Les actionnaires de ses entreprises ? Aucun n’était au courant. Les scientifiques qui l’épaulaient quotidiennement dans la perfection de ses recherches ? Personne ne savait ce qu’il faisait. Bien entendu, son conseil d’administration lui faisait confiance. Et son projet risquait de prendre du temps, beaucoup de temps. Mais pourtant, nul ne s’inquiétait à son sujet. La raison était simple : il était Pygmalion. Il n’était pas n’importe qui. Il était celui qui avait permis à Célestan de devenir la ville scientifique telle qu’elle l’était aujourd’hui.

Et en tant que tel, sa notoriété n’était pas volée. Capable du meilleur, jamais du pire, il avait été adopté à l’âge de dix ans par le fondateur du groupe Créavenir. Du moins, dans le temps, il portait un ancien nom … Mais à l’âge de dix ans, il avait fait preuve d’une intelligence remarquable, une intelligence comme on n’en voyait qu’une fois tous les cent ans, voir même les mille ans d’après ce que les gens autour de lui disaient.

Doué en génétique comme en chirurgie, il avait néanmoins fait ses preuves dans la cybernétique, ayant développé et créée les premiers insectes cybernétiques. Mais ce n’était pas cela qui avait fait sa célébrité et surtout la popularité des entreprises Créavenir. Non, ce qui lui avait permis d’être à la tête de Créavenir, ce fut sa plus belle création : les répliques d’animaux et poissons en tout genre.

Recouverts de fourrures ou d’écailles, ces créatures ressemblaient exactement à celles que tout le monde connaissait sauf qu’à l’intérieur, elles étaient totalement différentes. Mais voilà, avoir un animal de compagnie pour la vie, c’était une révolution qui avait été acclamée par la majorité des personnes dans le monde. Bien entendu, une minorité ne pouvait s’empêcher de dire que tout cela était faux, que ça n’avait rien à voir avec la création de Dieu mais qu’importe, les faits étaient là.

Mais encore, il ne travaillait pas pour l’argent bien qu’il avait une vie généreuse de ce côté, seulement pour son plaisir personnel. C’était ainsi qu’il pouvait progresser quotidiennement. Parfois, il aimait aussi sortir de son manoir, car oui, c’était un véritable château où il habitait. Eloigné du reste de la civilisation, il fallait bien une demi-heure voir une heure de route pour espérer apercevoir le domaine où il vivait.

Un domaine qui ne montrait d’abord que le manoir où il logeait … alors que derrière le bâtiment, à quelques kilomètres de là, un autre endroit s’y trouvait. Son endroit personnel et privé. Un endroit que nul ne connaissait … même pas Helena. La raison était simple : il n’avait jamais le temps de leur montrer. De toute façon, pour le moment, il n’avait pas à se préoccuper de cela.

Il avait son idée en tête et alors, il allait se pencher dessus le temps qu’il faudra. Un temps qui dura plusieurs jours puis des semaines pour finalement se terminer au bout de deux mois. Deux longs mois où il avait passé presque vingt heures par jour à confectionner sa création qu’il considérait comme une révolution. C’était son projet le plus abouti, encore plus qu’Hector ! Pièce par pièce, morceau par morceau, tout ce dont il eut besoin, il l’avait obtenu sans aucune difficulté. N’était-il pas connu pour être un génie de la cybernétique ? Mais aussi de tout ce qui est en rapport avec la génétique et la chirurgie ? C’était pour cela qu’il était si spécial.

Et elle allait voir le jour, elle allait naître. Celle qu’il serait sa plus belle création. Une chevelure blonde lui allant jusqu’aux épaules, des yeux verts, brillants comme des émeraudes et une poitrine de taille moyenne. Son visage était fin et droit. De même, contrairement à ses autres créations, il avait décidé de mettre de la peau pour recouvrir le corps de l’androïde. Au niveau de ses formes, il avait préféré une allure normale et non celle d’un mannequin. Il fallait dire qu’il n’appréciait guère les femmes avec des bras fins comme des aiguilles. Enfin, au niveau de la taille, il avait décidé de la faire bien plus grande que lui. Elle mesurait un mètre quatre-vingt-dix, donc vingt-cinq centimètres de plus que lui. Rien que ça, oui !

- Eveille-toi … Galatée.

Il avait murmuré ces mots avant de lui donner la vie. Dorénavant, il y avait plus la possibilité de l’arrêter. Elle était née … Elle était vivante … Sa création. Les yeux s’ouvrirent peu à peu alors que le corps de l’androïde féminisé se relevait. Elle était là, devant lui.

- Comment t’appelles-tu ? demanda le jeune homme.

- Galatée … C’est ainsi que vous avez décidé de me nommer, maître …

- Pygmalion. Et avec moi, pas de maître. répliqua aussitôt Pygmalion alors que l’androïde aux allures féminines penchait la tête sur le côté.

- Pourquoi ne pas dire maître ? Préférez-vous créateur ?

Il fit un geste négatif de la main. Non, non et non ! Ce n’était pas comme ça que ça marchait ! Pas du tout même ! Ah … Visiblement, ça n’allait pas être aussi simple que prévu avec l’androïde. Il aurait dû néanmoins s’en douter. Malgré les longues journées de travail qu’il avait abattues pour la concevoir, elle n’était encore qu’à son stade primaire. Mais avec tous ce qu’il avait mis à l’intérieur d’elle, sa marge de progression serait des plus grandes, voire peut-être même inégalée dans le domaine. Oui … Il devait être fier de ce qu’il avait accompli : la création d’un androïde parfait ! Un androïde qui remplacera les femmes humaines ! Une androïde … qui remplacera les femmes qui avaient brisé son cœur.

Maintenant, il était temps de passer à différents tests. D’abord ceux qui étaient physiques. De ce côté, il n’y eut aucun problème. Comme la majorité des androïdes, elle avait des facultés bien meilleures que celles d’un humain normal. Oui, elle pouvait le soulever avec facilité et sans aucun problème. Le problème … provenait des tests psychologiques. Rien à faire de ce côté, elle ne comprenait pas la moindre chose. Et pourtant, il faisait tout pour que ça soit le cas. Tout d’abord, il y avait un gros problème.

Son autonomie. Elle n’était pas autonome. Elle n’était pas capable de se débrouiller seule comme il aurait aimé que ça soit le cas. Ensuite, il y avait aussi le fait qu’elle ne faisait que l’appeler maître. Ce n’était pas ça qu’il avait désiré ! Quelle serait la réaction des autres personnes si sa création commençait à l’appeler maître ? Il lui avait fallu du temps pour que les androïdes de sa demeure ne l’appellent pas ainsi et encore, ce n’était pas toujours le cas comme avec Hector.

C’était triste de se dire que pour l’instant, Galatée n’était encore qu’au stade de base, celui qui la mettait au même niveau que les autres androïdes mais … Il était patient, plus que patient même. Avec du temps et de la confiance, il était sûr qu’il pouvait la rendre plus humaine … comme la femme qu’il désirait qu’elle soit. Mais pour cela, il fallait patienter. C’était ça … Être patient et aider Galatée à progresser.

Ici, il n’y avait pas de déesse grecque pour aider Galatée à devenir la femme parfaite ! Non, il n’y avait que lui et son génie cybernétique. Mais c’était amplement suffisant, il n’avait pas besoin de plus de toute façon. Peut-être qu’après le discours devant les journalistes et surtout après qu’elle avoir été au contact d’autres humains, elle commencerait alors à se développer ? C’est tout ce qu’il espérait car elle avait des capacités d’évolution illimitées.

- Galatée, il va falloir tout d’abord que l’on te trouve des habits convenables. annonça le jeune homme alors qu’il demandait ensuite à Galatée de le suivre. Il était temps de la préparer pour le discours qu’il allait prononcer d’ici quelques jours devant des dizaines voire des centaines de journalistes. Ils allaient être tous invités dans son manoir ! Il était sûr de sa réussite ! Il était sûr d’être acclamé comme à chaque fois !

Trois jours plus tard, réunis dans l’une des pièces du manoir qui servait pour les réunions, des hommes et des femmes de tout âge étaient réunis. Assis sur de nombreuses chaises, tous attendaient avec impatience la venue de Pygmalion et de sa nouvelle œuvre. En attendant, les serviteurs androïdes du jeune homme faisaient de leur mieux pour satisfaire chaque personne. Une pièce principalement s’il n’y avait pas eu les nombreux sièges pour accueillir les journalistes. Si on comptait l’estrade avec deux escaliers permettant d’y accéder, cette pièce n’était guère remplie. D’ailleurs, une double porte pouvait être ouverte au beau milieu de l’estrade, signe que c’était par là qu’allait venir le jeune homme aux cheveux bruns. Sur le côté droite de la pièce, de gigantesques fenêtres de la taille de la pièce étaient présentes, laissant voir un ciel ensoleillé bien que les vitres empêchaient la chaleur de pénétrer à l’intérieur et ainsi d’étouffer les journalistes et personnes de même science que Pygmalion, tous intéressés par les idées du jeune homme.

Puis la double porte s’ouvrit finalement, les journalistes poussant un - Oh ! de surprise en apercevant le jeune homme aux cheveux bruns. Celui-ci, habillé comme un maître de cérémonie pour une soirée de prestige, avait un grand sourire aux lèvres. Et la femme à côté de lui ? C’était la première fois que les journalistes la voyaient. Etait-ce une nouvelle conquête du jeune homme ? Il n’avait pas perdu de temps à remplacer celle qui avait fait battre son cœur pendant quelques mois.

Des cheveux blonds attachés en une queue-de-cheval, des yeux verts mais surtout un visage où aucun maquillage ou fard n’avait été posé : une beauté au naturel. Le vêtement qu’elle portait cachait une partie de son épaule. En y réfléchissant plus précisément, ce qui ressemblait aux premiers abords à une robe était en fait une toge d’un temps reculé : une toge grecque. Etait-ce la représentation d’un symbole que Pygmalion voulait montrer ?

- Bienvenue mes chers confrères, mes chers journalistes. commença à dire Pygmalion, gardant son sourire aux lèvres. A côté de lui, Galatée était immobile et stoïque, les deux mains posées sur son ventre pour montrer qu’elle ne comptait pas bouger tant qu’elle n’en n’aurait pas reçu l’ordre de la part de Pygmalion.

Voilà qu’il prenait la parole, faisant un long discours sur sa nouvelle création : une androïde féminine. Tout d’abord surpris par la nouvelle, les journalistes commencèrent à parler entre eux. N’était-ce pas déjà le cas ? Qu’est-ce que cette androïde avait de si différent par rapport aux autres ? Car là, à part la peau qui la faisait ressembler à une humaine, elle n’était pas sensiblement différente des autres. D’ailleurs, normalement, le jeune homme n’était pas assez fou pour savoir que c’était de très mauvais goût de faire une telle chose. Les androïdes utilisés pour la prostitution actuelle avait une telle chose … rarement aussi bien réussie que celle de Pygmalion mais quand même.

Pourtant, le jeune homme ne se laissa pas démonter par les regards suspicieux. Il expliqua qu’il avait déjà créé des androïdes ressemblant aux insectes et aux animaux, pourquoi pas des humains ? Le travail de précision accompli sur Galatée allait permettre une nouvelle ère de naître. Mais pour cela, il fallait passer outre les préjugés. Les androïdes n’allaient pas être totalement différent des humains, non, ils allaient leur ressembler, avoir leur propre personnalité, leurs propres idées ! Mais pour cela, il fallait oser ! C’était ça qu’il venait de faire ! Galatée était une androïde capable d’évoluer comme le ferait une femme humaine ! Après son petit discours, il répondit à diverses questions. Non, ce n’était pas un problème moral ou éthique, nullement. Pourquoi cela devrait-il l’être ? Le but de l’humain était d’évoluer, de devenir plus intelligent, de créer des inventions qui pourraient l’aider dans la vie de tous les jours. Pourquoi l’androïde ne ferait-il pas de même de son côté ?

Ayant terminé son discours, il invita les personnes présentes à se rendre dans la pièce à côté de celle-ci, là où un buffet les attendait pour les remercier de leurs présences. Galatée toujours à ses côtés, Pygmalion avait le sourire aux lèvres comme à son habitude depuis le début des festivités. Deux hommes s’approchèrent de lui, un verre à la main, un apéritif dans l’autre. Il les connaissait bien … très bien même. Malgré ses réussites, certaines personnes n’apprécient guère son travail et n’hésitaient pas alors à le rabaisser. Des personnes comme celles qu’il avait en face de lui en ce moment même.

- Oui ? Que puis-je pour vous ? demanda-t-il néanmoins sur un ton poli et amical.

- Eh bien, sincèrement, vous continuez de nous étonner d’année en année, Pygmalion. Comment croire que vous ayez encore de telles idées ? questionna l’un des deux hommes. Quarante ans environ, le crâne dégarni mais laissant paraître quelques cheveux noirs sur le côté, il était plutôt enveloppé alors qu’il terminait son apéritif après avoir posé la question au jeune homme aux cheveux bruns.

- Hum … Et bien … Merci bien. Si cela ne vous dérange pas, je vais …

- Nous aimerions savoir une chose : où avez-vous trouvé l’idée folle de construire une androïde telle qu’elle ? Ca ne doit pas vous être venu comme ça sur un coup de tête non ? interrogea alors le second homme, aussi âgé que le premier mais surtout bien plus mince que lui. Une fine moustache brune arborait son visage ainsi que des cheveux plaqués sur le crâne.

- Hum ? Bien entendu que non. Galatée est ma plus belle création, une réussite comme je ne pense pas en concevoir d’autres durant toute ma vie. Alors que j’étais au plus mal après l’abandon d’Helena, j’ai décidé de créer Galatée. Et je suis plus que satisfait du résultat … Du moins, je sais que d’ici quelques temps, elle sera encore plus … Hum ?

- Maître Pygmalion, ils sont partis pendant que vous parliez. murmura faiblement la femme androïde à ses côtés. Plongé dans ses paroles, il n’avait même pas remarqué que les deux hommes s’étaient éloignés, un sourire aux lèvres.

Le buffet se termina quelques temps plus tard, d’autres questions ayant été posées puis répondues par le - maître de cérémonie. Certains journalistes et hommes de science attendaient quand même avec impatience les futurs progrès de Galatée.

Mais le lendemain, il fut décontenancé par la majorité des articles qui parurent au sujet de son invention. Un fou transi d’amour, un homme mal dans sa peau, un être qui avait créé une androïde par dépit ? Qu’est-ce que c’était que ces blagues ? Il n’avait rien fait de tout ça ! RIEN DU TOUT ! Il avait créé Galatée pour créer la femme parfaite ! Non pas pour remplacer Helena ! C’était tout simplement n’importe quoi ! Qu’est-ce que ces … Tsss ! Ces deux journalistes d’hier ! Ils en avaient profité pour modifier ses paroles !

Mais la vérité éclaterait au grand jour. Ils verraient alors ce que Galatée allait devenir. OUI ! Comme auparavant, il montrerait à ces hommes jaloux de son ingéniosité ce qu’il savait faire. Et comme d’habitude, ils seraient alors obligés de s’incliner et de reconnaître son génie. Mais pour ça, ils allaient comprendre ce qu’il allait faire.

Dès le surlendemain, une autre nouvelle éclata dans les journaux : une nouvelle pause de la part du jeune homme avait été déclarée. A partir de là, nul ne pouvait prendre contact avec lui jusqu’à nouvel ordre. Son manoir était fermé et tous ses moyens de communication étaient coupés … enfin, la majorité d’entre eux. Il ne prendrait aucun appel, ne répondrait à aucune lettre, aucun coup de téléphone.

Et alors ? Qu’est-ce qu’il allait faire ? Tout simplement passer du temps avec Galatée. La femme androïde se trouvait en face de lui tandis qu’il tenait un livre à la main. Tendant l’objet de papier à Galatée, il lui désigna le fauteuil en cuir rouge pour qu’elle aille s’asseoir. L’androïde s’exécuta tandis qu’il prenait la parole :

- Dorénavant, si tu cherches une information, tu peux regarder dans cette bibliothèque. Normalement, tu as de quoi largement t’occuper pour les prochaines années. Personnellement, la majorité de ces livres, j’en ai lu une grosse partie d’entre eux. Mais je ne suis pas sûr d’avoir tout retenu. Néanmoins, dès que je recherche une information, je sais vers quel livre je dois me tourner. Est-ce bien clair pour toi ?

- Comme vous le désirez, maître Pygmalion.

- Je t’ai déjà dit quelque chose à ce sujet. J’en ai assez ! Relève-toi maintenant !

L’androïde s’exécuta aussitôt alors que le jeune homme semblait particulièrement énervé. Il lui demanda de proférer quelques paroles, tout simplement pour étudier son langage. Dès le départ, il l’arrêta : non, pas de maître ! Il fallait bien qu’elle se rentre cela dans sa tête ! Et le ton monotone et monocorde employé pour parler, hors de question qu’elle le garde. Elle avait toute une gamme vocale à utiliser.

- Tu peux t’améliorer sur le ton utilisé mais aussi ta diction, c’est compris ?

- Comme vous le désirez, maître Pygmalion. répondit Galatée avec neutralité.

BON SANG ! Non … Il devait rester calme. Rester calme car ça ne servait à rien de s’énerver. Il signala qu’il allait la laisser se débrouiller seule pendant quelques heures. Mais réellement, il allait tout simplement étudier ses réactions par rapport aux autres androïdes et ce qu’il vit … était bien différent de ce qu’il s’était imaginé. L’androïde était stoïque et immobile, le livre qu’il lui avait donné dans la main.

Finalement, l’un des androïdes de la maison, nommé Roland s’approcha d’elle. Muni du même style vestimentaire qu’Hector, il commença à parler avec elle, Galatée écoutant ses paroles avant d’hocher la tête. Il ne rêvait pas ou … alors … ou alors … Elle venait d’obéir à un ordre de la part de Roland ? Car oui, elle se leva avant de garder le livre dans sa main. Aussitôt, le jeune homme sortit de sa cachette pour se tenir face à elle.

- Je peux savoir ce que tu es en train de faire ? demanda-t-il sur un ton étonné.

- Messire Roland m’a dit d’aller nettoyer la salle de …

- Roland n’a pas à te donner d’ordre ! Et il ne t’en donnera pas ! Tu ne fais qu’obéir à n’importe qui ! Tu es quoi ? Une automate ? NON ET NON ! C’est compris ? Tu ne prends d’ordres de personne ! Tu réfléchis au pour et au contre de ce que les autres te disent ! Si tu ne veux pas le faire, tu ne le fais pas ! Roland a été plus malin que toi puisque c’était normalement à son tour de nettoyer la salle à manger ! dit le jeune homme sur un ton irrité.

- Vous ai-je mis alors en colère ?

Il ne répondit pas, visiblement agacé par les évènements. Elle se considérait encore plus bas que les androïdes de la maison. Elle se considérait … comme un robot de base. Elle se considérait comme … Non et non ! Ce n’était même pas ça. Elle ne se considérait pas. Elle n’était même pas capable d’une telle chose. Est-ce qu’il avait échoué ? Impossible. En même temps, les androïdes de son manoir n’étaient pas n’importe quels androïdes. Ils étaient des androïdes capables de raisonner d’une meilleure façon que ceux de base. Il en avait eu encore la preuve avec Roland actuellement. D’ailleurs, il avait demandé à Roland la raison d’un tel acte envers Galatée. L’androïde lui signala que les androïdes qui ne travaillaient pas ont besoin d’une tâche à accomplir. C’est pourquoi il a demandé à Galatée de nettoyer la salle de bain. C’est vrai … Les androïdes de son manoir étaient capables d’initiatives personnelles de la sorte. C’était pourquoi Roland avait envisagé ce qui était le mieux pour le manoir et donc son maître Pygmalion.

Alors, il n’avait pas le choix. Il avait décidé qu’il était temps de la sortir en plein air. Pour cela, il avait pioché dans la garde-robe de ses anciennes petites amies. Généralement, elles lui rendaient toutes les affaires qu’il avait offertes. Alors, il avait l’embarras du choix. Il avait opté pour une jupe de couleur rose, accompagnée d’un haut de couleur rouge et la recouvrant jusqu’au début des bras. Pour les pieds, des petits talons de couleur blanche. Elle avait fait quelques pas pour marcher convenablement, chose qui ne fut pas difficile. Enfin, elle portait un chapeau de paille, petite fantaisie qu’il s’était permis. A la voir ainsi, il était impossible de remarquer qu’elle était une androïde.

Et lui de son côté … S’il ne portait pas de blouse de scientifique ou de smoking et surtout s’il se coiffait convenablement, il serait méconnaissable. C’est pourquoi il avait opté pour des cheveux plaqués sur son crâne au lieu de l’habituelle coiffure hirsute. Ça lui allait plutôt bien non ? Lorsqu’il posa la question à Galatée, celle-ci lui répondit qu’elle ne pouvait pas avoir un jugement correct. Néanmoins, d’après ce qu’elle voyait, il n’était pas reconnaissable bien qu’avec l’ADN, il serait facile de le trouver.

- Tu dois te comporter normalement. Cela revient à te faire passer pour une humaine. Si je t’empêche de parler, cela voudrait dire que je t’empêche d’être humaine. C’est pourquoi je te fais confiance et te laisserait dire ce que tu veux, compris ?

- Comme vous le désirez … maître Pygmalion.

ASSEZ ! Pourquoi ça ne rentrait pas dans la tête de l’androïde ? BON ! De toute façon, il allait plutôt voir ça sur le terrain ! Il prit sa main, froide comme le métal bien que de la peau la recouvrait. Ils quittèrent le manoir, Hermès, l’androïde-chauffeur les conduisit à un kilomètre de Célestan. Ah … Célestan, la capitale de la science. A la pointe de la technologie, des avancées scientifiques, tous les bâtiments étaient faits de métal, la moindre parcelle de terre était recouverte par le béton. Oui, il n’y avait plus aucune trace d’espace vert dans la ville. Seuls les gratte-ciels pouvaient atteindre les nuages, aucun oiseau n’étant visible dans le ciel.

Les plus grandes compagnies, dont la sienne, y avaient installé leur siège. Mais pour l’heure, rejoindre son quartier général ne l’intéressait guère. Non, pour l’heure, la seule chose qui l’importait, c’était de se promener avec l’androïde. D’ailleurs, il savait qu’il avait au moins réussi quelque chose au niveau de la beauté. Car il la trouvait ravissante et d’autres hommes tout autant d’après les quelques regards qui se tournaient vers eux lorsqu’ils marchaient ensemble sur le trottoir. Heureusement, il n’était pas reconnaissable dans cette tenue. Il en était de même pour elle grâce au chapeau.

Pendant une bonne heure, ils se promenèrent sans pénétrer dans une seule boutique. Ils ne faisaient que regarder les vitrines alors que pourtant, il choisissait bien des endroits qui auraient pu plaire à n’importe quelle femme … sauf elle visiblement. Un peu décontenancé par son échec, il s’apprêtait à signaler qu’ils allaient rentrer avant qu’elle ne s’arrête.

- Qu’y a-t-il, Galatée ?

Elle continuait d’observer la modeste enseigne faite de métal blanc sur laquelle était marqué en lettres rouges - Jusqu’à plus soif. Est-ce qu’elle avait vraiment envie … Pourquoi pas ? Mais elle pouvait toujours parler non ? Elle était capable de s’exprimer correctement non ? Il attendit une réponse de la part de l’androïde, chose qui arriva sur un ton monocorde :

- La découverte de l’intérieur d’un bâtiment me permettrait d’approfondir mes connaissances et …

- C’est bon, j’en ai assez entendu. Rentrons à l’intérieur alors. annonça le jeune homme, un petit sourire aux lèvres. C’est cela qu’il voulait.

Même si le ton avait été neutre, il ne pouvait qu’apprécier les paroles de Galatée. Ils pénétrèrent dans le bar et aussitôt, une forte odeur d’alcool pinça le nez du jeune homme. Oui … Ils étaient bien dans un bar. Il suffisait de voir l’abondance d’hommes présents à l’intérieur. Bien entendu, le bar était aussi un point de rendez-vous pour de jeunes couples ou des lycéens qui n’avaient rien à faire entre les cours. Où pouvaient-ils s’installer ? C’était plutôt rustique comme endroit, très rustique même.

Des tables de métal, des chaises du même matériau, seul le comptoir était en bois. Il invita l’androïde à s’asseoir au comptoir avec lui. Il commanda une limonade alors que le barman demandait ce que voulait la jeune femme. Pygmalion se tourna vers elle, levant un doigt avant de dire :

- La même chose que moi, s’il vous plaît.

- Ben ma mignonne, on dirait bien que t’es tombé sur un type un peu trop autoritaire.

Hum ? Il tourna son visage vers un homme d’une trentaine d’années. Vu le nombre de bouteilles devant lui, il devait déjà être bien éméché. Néanmoins, il ne s’intéressa pas à cet homme qui avait tout d’un homme basique, avec un travail moyen et une existence moyenne. Il suffisait de voir son jean bleu et sa veste à carreaux pour comprendre à quoi ils avaient affaire tous les deux. Si on rajoutait quelques trous dans son jean et des taches de cambouis, ils avaient le parfait stéréotype de l’ouvrier moyen.

Galatée resta de marbre, l’homme se montrant un peu plus insistant en la prenant par le bras. Peut-être était-ce les effluves d’alcool qui remontaient chez lui mais Pygmalion le repoussa faiblement de la main. Le corps de l’homme tomba au sol en même temps que la perruque blonde l’androïde. Des murmures se firent entendre alors que l’homme se redressait, tenant la perruque dans sa main. Comme s’il avait repris ses esprits, il s’écria :

- Mais t’es une androïde ? Et en plus avec de la peau ? C’est à cause de trucs comme toi que j’ai un emploi aussi merdique ! Vous piquez tous les meilleurs boulots car vous êtes à ce qu’il parait plus « performants » que nous !

- Un anti-androïde … murmura faiblement le jeune homme alors que Galatée tendait sa main pour récupérer sa perruque, disant calmement :

- Veuillez me rendre ma chevelure. Merci bien.

Sa chevelure ? Elle parlait de sa perruque ? BIEN SÛR QU’IL ALLAIT LA LUI RENDRE ! Avec rage, l’homme lui envoya la perruque sur le visage avant de venir la frapper violemment de son poing droit. Un bruit métallique se fit entendre alors que l’homme s’écriait de douleur. Tout s’enchaîna à une vitesse folle. Certains se levèrent, s’approchant de Galatée et Pygmalion alors que d’autres venaient les arrêter.

Les coups commencèrent à pleuvoir de partout tandis qu’il demandait à Galatée de ne pas le quitter sous aucun prétexte. C’était beaucoup trop dangereux là, beaucoup pour elle et lui. A quatre pattes ou presque, ils commencèrent à se diriger vers la sortie alors qu’il entendait déjà des tirs lasers qui sifflaient de partout.

Plus de précision, plus d’efficacité mais surtout nul besoin de réelles munitions. Tout cela marchait à l’énergie et surtout … Il n’avait pas de temps à perdre avec tout ça ! Ils arrivèrent à la sortie, le jeune homme ouvrant la porte pour que Galatée puisse s’en aller la première.

- HEY ! J’AI UNE SURPRISE POUR TOI ! cria l’homme qui avait osé lever la main vers Galatée. Un pistolet pointé vers Pygmalion, il tira une seule balle … ou plutôt un unique rayon. Le jeune homme fut poussé sur le côté, le tir traversant l’épaule gauche de Galatée. Insensible à la douleur, elle resta d’un calme olympien et tira son créateur de ce traquenard avant de le tirer au-dehors du bar alors que les policiers pénétraient déjà à l’intérieur. Ces derniers ne vinrent pas s’intéresser à eux, plus préoccupés par les personnes qui tiraient que par celles qui voulaient éviter de se prendre une balle perdue.

Quelques heures plus tard, des policiers étaient venus dans le manoir, lui demandant s’il comptait porter plainte. Il signala que non et qu’il voulait plutôt tout oublier. Il avait … autre chose qui le préoccupait. Les policiers quittèrent le manoir alors qu’il se tournait vers Galatée. D’un geste lent du doigt, il l’invita à se rapprocher de lui. Elle s’exécuta, tandis qu’il relevait finalement le tissu qui recouvrait son épaule.

- Un vilain trou … Tu as mal, Galatée ?

- Je n’ai aucun problème de mobilité. Mais pourquoi une telle inquiétude, maître Pygmalion ? Il suffirait juste de me réparer.

- … Si c’était aussi simple que ça, Galatée. Viens, je vais voir ce que l’on peut faire pour ta blessure. Il vaut mieux s’en occuper le plus rapidement possible.

Elle ne lui répondit pas, ne faisant que le suivre comme il le désirait. Le jeune homme l’installa sur la table d’opération, là où il avait décidé de lui donner le jour. Différentes machines se trouvaient un peu partout dans la pièce qui n’était pas pourtant aussi grande que la bibliothèque du manoir. Il y avait aussi divers objets comme un grand réfrigérateur dont les portes étaient transparents et qui permettait de conserver de façon optimale divers composants … comme la peau synthétique qu’il avait réussi à mettre à l’androïde. Mais là, pour l’heure, c’était dans différents casiers qu’il venait piocher quelques matériaux.

- Voilà … Je pense que ça devrait être bon.

Avec un travail de précision et de minutie, il s’occupa de l’épaule de l’androïde jusqu’à ce que plus aucune trace du laser ne soit visible. Lorsqu’il eut terminé, il lui demanda si elle avait mal autre part ou si quelque chose était cassé. Elle hocha la tête négativement. Lorsque le jeune homme s’éloigna pour ranger ses ustensiles, elle passa une main devant son œil droit de verre. Celui-ci laissa paraître quelques petites fissures créées par le poing reçu de la part de l’homme au bar.

Finalement, il lui signala qu’il devait la laisser seule car il allait réfléchir à tout ce qui s’était passé. Elle ne fit rien du tout, attendant qu’il parte de la pièce avant de caresser son œil droit. Pourquoi avait-elle … fait une telle chose ? Peut-être était-ce parce que les fissures n’étaient pas considérées comme des cassures ? Et c’était pour cela qu’elle avait … menti à son maître ? Peut-être que les autres androïdes pourraient lui expliquer.

Elle posa la question aux androïdes du manoir. Oh … D’abord la première question qui consistait à avoir menti à son maître. Puis une autre … Pourquoi est-ce qu’il s’était préoccupé de savoir si elle avait mal ou non ? Finalement, elle eut le droit à de nombreuses explications. Comme quoi, leur maître était différent des autres humains.

Il avait toujours montré une préoccupation particulière pour les androïdes de cette maison, les considérant comme lui, un humain. Mais elle était encore plus spéciale, c’était cela qu’ils avaient remarqué et entendu dans le manoir. Le jeune homme s’occupait avec beaucoup plus d’attention de sa personne. Pourquoi ? Car elle avait une marge de progression bien plus grande que la leur. Elle était capable … d’avoir des sentiments si elle le désirait, si elle le voulait. Elle en avait les capacités. Eux seraient toujours bloqués par leurs algorithmes et l’architecture de leurs circuits internes. Mais si Pygmalion décidait un jour de s’occuper d’eux comme il s’occupait d’elle, ils pouvaient alors espérer évoluer eux aussi.

Elle ne comprenait pas … Elle ne comprenait pas pourquoi ces androïdes étaient si différents d’elle et qu’elle aussi … était si différent d’eux ? En même temps … En même temps, si elle ne posait pas ces questions à son créateur, peut-être qu’elle n’obtiendrait jamais de réponses. De l’autre côté, elle avait l’impression qu’elle ne devait pas les poser. Car son maître était actuellement occupé par quelque chose dont elle ne savait rien.

Pourtant, le monde entier ne tarda pas à savoir ce qu’il avait tramé pendant son nouveau - congé. Il avait écrit une longue liste, très longue liste même. Une liste qui fit murmurer bon nombre de personnes lorsqu’il vint dire son nom devant les caméras de télévision. Car oui, il se trouvait derrière un pupitre alors que derrière lui se trouvait un imposant bâtiment fait intégralement de pierre blanche. Pas n’importe quel bâtiment : un bâtiment administratif ! Et la raison était simple, très simple :

- Aujourd’hui, je vais proposer les règles et les droits des androïdes. Comme la déclaration des droits de l’homme, j’estime que les androïdes méritent le même traitement !

- Et pourquoi une telle chose ? demanda une journaliste d’une trentaine d’années, levant la main tout en tenant un crayon métallique entre ses doigts. Elle portait un chapeau qui cachait une partie de ses longs cheveux noirs.

- Pourquoi une telle déclaration ? C’est bien simple. Nous avons créé des réglementations au sujet des animaux ! Des animaux que l’on doit protéger car ils sont en voie de disparition ! Les animaux sont des êtres vivants, doués d’une conscience et capables de réfléchir !

- Mais les androïdes ne sont pas comme ça ! Pourquoi vouloir créer un androïde capable de raison ? Ne sont-ils pas que de simples morceaux de ferraille ? Ils obéissent uniquement aux ordres que l’on leur donne. cria un second journaliste sur un ton beaucoup moins sympathique que la première. Cela correspondait bien à l’allure antipathique qu’il avait … D’ailleurs, un bref regard sur lui et Pygmalion le reconnut facilement. Il s’agissait de l’un de ces deux hommes qui l’avaient questionné lors de sa réception.

- Des morceaux de ferraille ? C’est bien vous qui dite ça ? Pourtant, ce sont eux qui vous rendent service tous les jours ! Les androïdes sont capables de prouesses que nous, les humains, ne pouvons faire même après des millénaires d’évolution. Il n’est que justice que de donner une législation qui permettrait alors de les protéger !

- Les protéger ? Et de quoi ? Ce sont des machines sans âme. Autant vous parliez des animaux mais ce sont des êtres de chair et de sang. Là, ce ne sont que des assemblages de métal, rien d’autre ! C’est comme si aujourd’hui, on décidait de protéger les ordinateurs pour leurs services ! reprit le même journaliste qu’auparavant.

- En voilà une belle preuve de racisme primaire. Ce qui est - différent de vous ne doit pas être respecté alors. Je pense que mon discours est terminé pour l’heure. Si j’ai quelque chose à dire, je pense que ce n’est pas avec une personne possédant une telle mentalité que j’obtiendrai une réponse un tant soit peu réfléchie.

Malgré ses paroles plutôt insultantes, il ne se gêna pas pour se rendre à l’intérieur du bâtiment derrière lui. Il avait des personnes bien plus importantes à rencontrer. Son discours s’était terminé dehors et plusieurs journalistes tentèrent de pénétrer à l’intérieur du bâtiment mais des policiers bloquaient les issues.

L’échange verbal dura plusieurs heures et lorsqu’il en sortit, il fut plus qu’essoufflé. Il était sûr d’avoir réussi à convaincre les journalistes. Maintenant, ce n’était plus qu’une question de temps et de patience. Il retourna à son manoir, ne donnant aucune interview aux journalistes. Ce qu’il avait proposé … Il fallait juste attendre une réponse dans les prochains jours, le temps que tout soit bien pris en compte.

Pourtant, quelques jours passèrent et ce fut un véritable soufflet qu’il se prit en pleine face. Hector lui avait ramené différents journaux tandis qu’il se trouvait dans la bibliothèque, assis sur le fauteuil de cuir rouge. Ces journaux ! Ils osaient dire qu’il rabaissait les humains au niveau des androïdes ! Ce n’était pas ça du tout ! PAS CA ! Il pensait le contraire ! Il voulait que les androïdes soient au même niveau que les humains ! Mais voilà que les journalistes diffamaient à son sujet, lui prêtant des intentions qu’il n’avait guère. Il aurait dû s’y attendre !

Mais maintenant qu’ils avaient écrit ça, cela permettait de gagner l’opinion publique. Car oui, dire qu’il rabaissait les humains au lieu de considérer les androïdes comme des humains, cela permettait de flatter l’égo de la population. Voilà ce qu’était la désinformation de ses idéaux ! Car il ne pensait pas à mal ! Loin de là même ! Mais comment est-ce que le public allait le prendre ? Différemment, il en était certain !

Sa demande fut refusée. Il n’avait même pas été surpris par cela. Néanmoins, il devait faire changer l’opinion publique et pour ça, il n’y avait pas cinquante solutions. Il devait sortir avec Galatée Il demanda à l’androïde de l’accompagner mais avant de choisir un vêtement convenable. Bizarrement, elle prit les mêmes vêtements que la dernière fois, malgré le petit trou dans l’épaule gauche. Il voulut lui faire la remarque mais préféra s’abstenir. Peut-être avait-elle décidé de prendre une telle tenue car c’était celle qu’elle avait porté auparavant ? Cela montrait alors une certaine constance.

Il voulait parler aux gens de Célestan. Accompagné par Galatée, il quitta son manoir pour se diriger dans le centre-ville de Célestan. Cette fois-ci, il n’essayait même pas de cacher sa présence. Pourquoi faire ? Il n’était pas là en voleur, il n’avait pas à avoir honte de ce qu’il faisait. Peut-être que ces hommes et femmes n’appréciaient pas son travail mais cela, il ne s’y intéressait pas du tout.

Par contre, il ne s’attendait pas à avoir des mines de dégoût quand il marchait sur le trottoir, la main dans celle de Galatée. Oui, la majorité des personnes autour de lui préférait passer sur le trottoir d’en face. Il ressemblait presque à un paria. Comme quoi, la désinformation avait été parfaitement réussie et …

- AH ! cria-t-il subitement alors qu’il voyait un débris qui arrivait droit en direction de son visage. La main de Galatée se positionna devant lui, réceptionnant le morceau avant de le faire tomber tout simplement au sol.

- Vous allez bien, maître Pygmalion ? demanda-t-elle avec neutralité.

- Plus de peur … que de mal. Mais qui a fait cela ? se demanda le jeune homme avant de tourner sur lui-même. La personne qui avait fait ça était déjà partie visiblement. Hum … Bon, rien de bien grave non plus et …

Il se retrouva enlacé par l’androïde, celle-ci faisant rempart de son corps alors que d’autres gravats arrivaient sur lui. Aucune d’entre elle ne vint l’atteindre alors qu’il comprenait la situation. Une lapidation en public ? Et personne pour arrêter ces personnes ? Il n’arrivait pas à voir qui était à l’origine de cela et Galatée lui bouchait les oreilles, l’empêchant d’entendre alors ce qui se déroulait autour de lui.

Pourtant, malgré cela, il entendit les gyrophares de la police qui arrivaient ainsi que de nombreux cris. Lorsque Galatée arrêta son étreinte, il remarqua … que tout cela avait tourné à un règlement de comptes entre une bonne vingtaine de personnes ? A cause de lui ? C’était quand même … exagéré. Mais la haine de certaines personnes pouvait être tellement forte que… Que … AH ! Galatée ! La femme androïde était recouverte d’entaille sur la peau mais aussi sur ses vêtements. Cela avait été un véritable acharnement ! Ils étaient tous cinglés ou quoi ?

Il tenta de s’éloigner avec Galatée mais cette fois-ci, la police ne les laissa pas faire. Ils allaient prendre sa déposition, qu’il le désire ou non. Encore des heures perdues … mais surtout, il devait s’occuper de l’état de Galatée. Pendant sa déclaration pour expliquer ce qui s’était passé comme l’agression soudaine. Avait-il provoqué ces personnes ? Non ! Avaient-elles une raison de l’agresser ? NON ! Du moins, une agression raisonnable ! Il expliqua que c’était ainsi depuis que les journaux parlaient de lui après sa proposition. Bien que le policier ne fasse aucune remarque, il voyait parfaitement dans son regard qu’il n’en pensait pas moins. Bon, il en avait assez de toute façon.

Lorsqu’il revint chez lui, il vit une jeune femme aux cheveux noirs. Il la reconnaissait facilement : Helena. Elle lui fit un geste de la main, un petit sourire aux lèvres bien qu’elle semblait plus qu’inquiète. Elle ne jeta même pas un regard à l’androïde, signe de son désintérêt complet envers Galatée. Elle prit la parole :

- Je voulais te parler, Pygmalion. C’est important.

- C’est bien … la première fois que l’une de mes ex revient me voir. Mais je n’ai pas le temps, Helena. Je dois aller m’occuper de Galatée. Si tu n’as pas remarqué, elle a été agressée.

- Cela peut attendre un peu non ? Je voulais que l’on reparle tous les deux. Je me sens mal par rapport à ce que j’ai fait et j’ai dit.

- Ne t’en fait pas. Je ne t’en veux pas. Tu avais raison, nous sommes dans deux mondes bien différents. Je ne pense pas qu’à ma petite personne contrairement aux autres. Si tu veux bien me laisser tranquille … Je vais demander à Hector de t’appeler un taxi pour le déplacement. termina-t-il de dire avant de passer à côté d’elle.

Il referma la porte derrière lui, délaissant Helena avant de demander à Galatée de l’attendre dans la salle d’opérations. Ses vêtements étaient dans un triste état, son corps également. Cela faisait deux fois de suite qu’elle le protégeait. C’était quoi le problème avec ces hommes et ces femmes ?

C’était quoi le problème alors qu’il avait tout fait pour eux ? Est-ce qu’ils ne pouvaient pas accepter une telle chose ? Des idiots, ils étaient tous des idiots. Voilà ! Il l’avait pensé ! Ces personnes étaient des imbéciles ! Parce que les humains étaient imparfaits de nature, ils ne voulaient pas que les androïdes puissent être leurs égaux. Galatée … Galatée qui était sur la voie pour être parfaite. Ils ne voulaient pas qu’elle soit parfaite mais rien n’allait l’en empêcher ! Mais avant, il devait s’occuper d’elle.

L’opération avait pris plus de temps mais comme auparavant, elle avait décidé de ne pas le prévenir au sujet de son œil. Le jeune homme ne lui posait guère plus de questions, le visage maussade, signe qu’il était mécontent. Non pas envers elle mais envers le monde qui les entourait. De telles paroles … De tels actes … Cela exaspérait plus que tout le jeune homme.

Puis la nuit arriva mais il avait décidé de sortir, demandant à Galatée de l’accompagner. Il avait un endroit à lui montrer. Quittant le manoir, il marcha longuement derrière le bâtiment, pendant une dizaine de minutes. Comme la saison était l’été, le froid n’était pas si fort que cela et il n’eut pas besoin de se recouvrir grandement. Mais finalement, ils arrivèrent à l’endroit que voulait montrer le jeune homme.

Pas n’importe quel endroit. Une magnifique zone recouverte d’herbe et de forme circulaire. De nombreux arbres la parcouraient tandis qu’au milieu, un lac était présent. Plusieurs grésillements se firent entendre tandis qu’il observait le ciel. Aucun nuage à l’horizon, c’était pour cela qu’il habitait aussi loin. Cela lui permettait alors de regarder les étoiles sans aucun problème. Une petite voix féminine murmura :

- C’est un bel endroit. L’herbe est naturelle, le lac aussi. La vue est très belle.

- N’est-ce pas, Galatée ? Je …

Il s’arrêta dans ses paroles alors qu’il reposait son regard sur la femme androïde. Celle avait ses yeux verts dirigés vers le ciel elle aussi. Elle ne remarqua pas le petit grillon qui grimpait sur sa jambe tandis qu’il s’approchait d’elle. Il prit l’insecte tandis que Galatée tournait son visage vers lui. Il lui désigna le grillon, chuchotant :

- Tout ce qui est vivant ici … est fait par mes soins. Au fil des journées, des mois et des années, j’ai décidé de recréer un écosystème. Enfin, les arbres, je ne les considère pas comme vivants donc ils sont naturels. Mais les insectes, les poissons et les petits animaux … Sur cinq cent mètres de diamètre, c’est un petit coin que j’aime dire … de paradis.

- Est-ce que le fait que ça soit naturel est si important ? Parce que je ne suis pas une femme humaine comme vous le désirez, les autres personnes vous insultent.

- Oh … Ce que les autres pensent, je n’y prête même plus attention.

Sans prévenir, elle vint s’asseoir dans l’herbe. Un peu surpris, le jeune homme fit de même. Aussitôt, l’androïde posa sa tête sur l’épaule de Pygmalion. Elle regardait le lac, lui observait les étoiles. Il ressentait une émotion bizarre. C’était la première fois qu’il emmenait une personne ici. Même Helena et toutes les femmes qu’il avait connues, il n’avait jamais montré cet endroit.

Il appréciait grandement cette sensation. Du moins, lui qui voulait créer la femme parfaite, il savait qu’il y avait de gros progrès de la part de Galatée. Du moins, de gros progrès pas forcément visibles … mais là … Hum ? Il arrêta de penser à cela, fixant maintenant le visage de Galatée. Quelque chose clochait chez elle mais quoi ? AH !

- Qu’est-il arrivé à ton œil ?! Il est fissuré ! cria-t-il alors que Galatée cachait son œil avec rapidité. Tiens ? Pourquoi faisait-elle cela ?

- Ce n’est rien … Ce n’est qu’un œil de verre et ce n’est pas bien important. Les fissures ne m’empêchent pas de voir correctement autour de …

- Bien sûr que c’est important ! Qui t’a fait ça ? JE VEUX UN NOM ! cria t-il sur le coup de la colère.

Mais elle n’en avait aucun à donner. Elle ne connaissait pas qui était l’homme du bar … ou alors ceux qui les avaient agressés plus tôt dans la journée. Il lui prit la main, la forçant à se relever. Ils partirent de l’espace vert du jeune homme tandis que Galatée soufflait :

- Est-ce déjà fini ? La vue était belle pourtant.

- Comment est-ce que tu peux dire ça avec ton œil brisé hein ?! NON ! La vue n’est pas belle ! Je vais te trouver des yeux ! Et aussi des cheveux. Il faut que l’on arrête avec cette perruque ridicule ! On rentre et je te montrerai alors !

- Vous me montrerez quoi, maître Pygmalion ?

Lui montrer quoi ? Elle verrait ! Pourtant, lorsqu’ils furent dans le manoir, le jeune homme n’alla pas chercher de nouveaux yeux. Non, il signala à Galatée d’aller se reposer, de se mettre en veille comme le font les autres androïdes du manoir pour simuler le sommeil. Elle s’exécuta, restant néanmoins immobile pendant quelques instants en le regardant.

Et pendant les prochains jours, une ambiance malsaine régna dans le manoir. Le jeune homme demandait à ne pas être dérangé, qu’importe le prétexte. Les androïdes s’étaient chargés de repousser les journalistes et les membres du conseil d’administration de Créavenir. Le jeune homme ne voulait voir personne.

Galatée était restée immobile pendant le premier jour, puis le second. Il n’avait même pas cherché à prendre contact avec elle. Finalement, au troisième jour, elle avait décidé de se renseigner auprès des autres androïdes, de savoir ce que faisait le jeune homme. Comme elle s’y était attendue, les androïdes avaient accepté, comme s’ils obéissaient à Galatée. Bien que nul ne pouvait comprendre ce qui les réunissait tous à savoir ce que faisait le jeune homme, tous cherchaient à glaner la moindre source d’information concernant le jeune homme.

L’occasion ne tarda pas à se présenter lorsque Pygmalion sortit de sa chambre pour s’abreuver. Pourquoi était-il sorti ? Car aucun androïde ne lui répondait. Tous étaient trop éloignés pour écouter ses ordres. Il avait été alors obligé de sortir de la chambre pour savoir ce qui se tramait. Et pendant ce temps, l’un des androïdes pénétra dans sa chambre pour obtenir ce qu’ils désiraient connaître.

La chambre n’était pas éclairée. D’ailleurs, une forte odeur en émanait, comme si le ménage n’avait pas été fait depuis des jours. La seule source de lumière était celle de l’écran qui accompagnait l’ordinateur du jeune homme. L’androïde s’avança vers l’écran, commençant à le parcourir de haut en bas avant de cliquer plusieurs fois. Des sites de rencontres, des recherches de femmes spécifiques ? Des femmes aux yeux verts et aux cheveux blonds ? Pourquoi une telle recherche ? D’après ce que l’androïde remarquait, il avait aussi piraté les ordinateurs de ces personnes pour trouver leurs adresses précises.

Le problème n’était pas que le jeune homme aille sur des sites de rencontre, c’était plutôt les anecdotes macabres qu’il avait soulignées dans un bloc-notes. Yeux trop grands, yeux trop petits, chevelure trop sale, pas assez brillante, pas dans les tons. Là encore, cela pouvait paraître normal pour quelqu’un qui cherchait la perfection mais le problème continuait lorsqu’il y avait marqué à côté des noms : - bonne à utiliser, - à vérifier plus en détails. Divers calculs étaient présents, correspondant à la quantité de cheveux que chaque femme possédait ou au diamètre oculaire des yeux d’après les détails. Pour un humain basique, tout cela n’avait ni queue, ni tête mais pour un androïde, tout semblait concorder vers une unique chose : les cheveux et les yeux de chaque femme pour savoir s’ils pouvaient être implantés sur Galatée. Avec précaution, l’androïde remit tout en ordre comme auparavant avant de quitter la chambre, ne la refermant pas derrière lui puisque Pygmalion l’avait laissé ouverte.

Quand ce dernier retourna dans sa chambre, l’androïde alla prévenir tous les autres et Galatée de la situation. Pourtant, aucun ne réagit. Ils n’avaient pas à discuter des choix de Pygmalion même si ces derniers n’étaient pas moraux, loin de là. Peut-être aurait-il des démêlés avec la justice. Si tel était le cas, alors, ils l’épauleraient, comme ils le faisaient d’habitude. Mais allait-il leur demander de l’aide ?

Visiblement, ce ne fut pas le cas deux semaines plus tard, il signala simplement à Hermès de l’emmener à Célestan. Oh, il n’était pas seul. Plusieurs androïdes l’accompagnaient ainsi qu’un long et lourd objet qui avait été emmené dans le coffre de l’imposante voiture de plusieurs mètres de longueur. Aux autres, il leur demanda de dire si quelqu’un le recherchait, qu’il était occupé avec ses travaux. Même à Galatée, il resta parfaitement muet sur ses vrais objectifs. Portant un sac sur son dos, une cape pour camoufler son apparence, le jeune homme quitta son manoir pour se diriger vers la gigantesque ville, là où sa cible se trouvait. Pourtant, il avait demandé à des androïdes incapables de raisonnement de le suivre. Ainsi, il n’aurait aucun remord à les utiliser puisqu’ils ne feraient qu’obéir.

Une cible bien fragile. Dans un immeuble qui avait surement connu de meilleurs jours, il se dirigeait vers le cinquième étage. Une femme d’une vingtaine d’années qui vivait seule. Possédant une maigre bourse pour ses études, elle était à Célestan car elle avait été promise à un bel avenir grâce à ses capacités intellectuelles. Néanmoins, cet avenir devait passer par quelques années d’étude, c’est pourquoi la jeune femme était là.

Elle s’appelait Héloïse, elle avait vingt ans, des cheveux blonds lui allant jusqu’aux épaules et des yeux verts brillants comme de émeraudes. Les yeux et la chevelure parfaite pour Galatée. C’était pour elle qu’il faisait cela … C’était pour elle qu’il sortit un minuscule insecte robotique qui s’infiltra à l’intérieur de la serrure, la faisant tourner. Avec lenteur, le jeune homme s’infiltra dans l’appartement, refermant la porte derrière lui et les androïdes qui l’accompagnaient.

Il arriva jusqu’à la chambre où dormait paisiblement la jeune femme. Nuisette de couleur rose, une bretelle pendant sur le côté, elle avait une main posée sur le traversin et dormait de côté. La couverture lui allait jusqu’à la taille tandis qu’il remarquait les nombreux livres entreposés un peu partout.

Pas de temps à perdre. Le jeune homme leva sa main droite en direction de la femme, un autre insecte ressemblant à un ver mécanique glissant le long de son bras avant de se jeter sur le lit. Il se dirigea vers la jeune femme, grimpant sur son bras, remontant jusqu’à son épaule. Puis finalement, il s’insinua dans l’oreille de la jeune femme. Quelques secondes plus tard, elle fut prise de soubresauts, du sang s’écoulant de ses oreilles et de sa bouche alors que son corps ne se soulevait plus. Il venait de tuer une femme innocente.

Il demanda à ses androïdes de soulever le corps puis de l’emmener à côté de la voiture. Là-bas, pendant que deux androïdes soulevaient le lourd objet pour l’emmener à nouveau dans l’appartement, il déposait son sac au sol avant d’en extirper des outils de chirurgie. Il s’approcha du cadavre de la jeune femme, commençant son travail lugubre, accompagné par le reste des androïdes qui surveillaient les alentours ou l’épaulaient. Avec une petite roue dentée, il la passa sur le crâne de la jeune femme. Ensuite, il s’occupa des yeux, les extirpant de leurs orbites grâce à des petites pinces. Deux beaux spécimens comme la chevelure qu’il avait retirée en même temps que la peau. Il rangea le tout dans deux sacs plastiques différents pour éviter de laisser traîner du sang. Il en avait terminé. Il ne regrettait rien. Il venait de tuer une innocente pour une bonne cause : celle de Galatée. Et dire qu’elle n’avait aucun rapport avec la haine de certaines personnes envers les androïdes !

En rentrant chez lui, il était tard dans la nuit mais qu’importe, il n’avait pas sommeil. Le cadavre d’Héloïne avait été emmené avec lui, une androïde lui ressemblant parfaitement ayant prise sa place chez elle. Il demanda aux androïdes de s’en débarrasser discrètement près du manoir tandis qu’il allait chercher Galatée. Anxieux ? Il l’était … mais pas à cause du crime qu’il avait commis. Non. Du moins, pas autant qu’il ne le pensait. Il faisait cela pour Galatée mais aussi pour le monde entier ! Une telle avancée dans la robotique du côté des androïdes était nécessaire ! Il ne pouvait pas rater cela après tout ce qu’il avait accompli. La femme androïde vint s’installer sur la table d’opérations alors qu’il lui demandait de se mettre en veille. Néanmoins, pour bien représenter l’opération comme celle d’une femme humaine, il lui injecta un liquide de couleur dorée dans le bras, Galatée étant prise de soubresauts avant de s’immobiliser complètement. Si les humains avaient besoin d’anesthésie, lui-même avait inventé alors le même procédé pour les androïdes. Ils ne ressentiraient pas la douleur … d’avoir quelque chose de retiré.

Le travail dura bien moins longtemps que prévu. Il fallait dire qu’à force, il commençait à avoir le coup de main. Les yeux de verre furent retirés. A la place, il mit les yeux de cette femme … Héloïse d’après ce dont il se rappelait. Il avait déjà oublié à quoi elle ressemblait. Ensuite, il retira la perruque de l’androïde, faisant de même avec la peau qui recouvrait le sommet de son crâne. Il plaça la peau et la chevelure de la jeune femme sur Galatée. Tout cela allait être alimenté par différents circuits pour pouvoir assurer la nutrition.

Et c’était tout … Il en avait terminé avec cela. Maintenant, Galatée était réussie. Du moins, il avait réussi ce qu’il entreprenait. Il avait réussi … Il avait réussi. C’était ça qu’il voulait obtenir ! Il avait obtenu ce qu’il voulait ! Il avait tué quelqu’un pour la bonne cause. Une très bonne cause. Galatée avait maintenant de véritables cheveux et des yeux humains. L’androïde se releva, ouvrant ses yeux puis les refermant. Elle fit le même geste plusieurs fois à la suite avant de passer une main dans ses cheveux.

- Cela semble être … différent. murmura-t-elle.

- C’est normal. Dorénavant, il va falloir faire attention à tes yeux et à tes cheveux. Tes cheveux vont avoir besoin d’être nourris et lavés. Ne t’en fait pas, quel homme je serai si je n’avais pas pensé à créer une androïde capable d’aller dans l’eau.

Elle ne lui répondit pas, ne faisant que le remercier de ce qu’il avait fait pour elle. Il signala que ce n’était pas grand-chose mais que pour l’heure, il était fatigué, très fatigué. Demain, il avait prévu quelque chose avec elle. Elle haussa un sourcil en voyant le jeune homme qui s’éloignait. Autre chose ? Est-ce que cela consisterait à tuer quelqu’un … encore ?

Pourtant, ce ne fut pas le cas. Le lendemain après une longue et bonne nuit de sommeil, il avait demandé à ce que les androïdes préparent son télescope et le mettent dans un sac. Mais pas seulement. Il avait aussi prévu de quoi manger et boire. Enfin, vers la fin de l’après-midi, il demanda à Galatée de le suivre. Ils allaient retourner dans son espace vert et privé.

Là-bas, il installa le télescope dans l’herbe tandis qu’elle commençait à déballer de quoi préparer un pique-nique. Visiblement, il avait une idée en tête. A cette heure-ci, la nuit n’était pas encore tombée. Elle remarqua une couverture dans le sac, la sortant elle aussi. Puis soudainement, elle commença à se frotter les yeux.

- Que se passe-t-il ? Mes yeux semblent souffrir, maître Pygmalion. Je crois que …

- Hum ? Le pollen peut-être ? Si tu as une réaction allergique de la sorte, c’est qu’il y a de gros progrès, Galatée. Regarde dans le sac, normalement, tu as de quoi combattre l’allergie.

Elle s’exécuta aussitôt, plus pour soulager cette douleur aux yeux que pour obéir à son maître. Elle trouva ce dont il parlait tandis qu’il terminait de monter le télescope. Mais savait-il qu’elle n’avait pas besoin de manger ? Elle pouvait faire semblant, comme tous les androïdes mais ce n’était pas cela qu’il recherchait, n’est-ce pas ?

Néanmoins, elle fut obligée de manger comme lui, le jeune homme se montrant doux et prévenant à son égard. Il lui signala qu’ils allaient peut-être passer la nuit ici. Normalement, la température ambiante était telle qu’il n’y aurait pas de problèmes de ce côté-là. De toute façon, il voulait lui montrer les étoiles grâce au télescope.

Mais pas seulement … Pas seulement … Assis à côté d’elle, la nuit tomba rapidement alors que le jeune homme observait les étoiles. Elle-même, les yeux moins rougis grâce aux médicaments donnés pour combattre l’allergie, regardait le ciel.

- Qu’est-ce que tu en penses, Galatée ? Avec tes nouveaux yeux.

- La même chose qu’auparavant même si j’ai plus de difficultés à étudier le ciel.

- Hahaha … Bien entendu … Bien entendu. Tu sais, je n’étudie pas les étoiles car je n’ai pas de temps à leur consacrer. Mais un jour, j’aimerai tellement me rendre dans l’espace. Tu vois, il existe des vaisseaux gigantesques. Ils peuvent faire plusieurs kilomètres de longueur et parcourir des années-lumière ! On appelle cela des vaisseaux-mondes. Il est possible de vivre à l’intérieur et en même temps de coloniser de nouvelles planètes. En même temps, la programmation des androïdes chargés de travailler à bord de tels vaisseaux, elle provient de moi. Et en même … Ah. Je commence à mélanger un peu tout, désolé, Galatée.

- Ce n’est pas grave, Pygmalion. Même si vous vous embrouillez, je comprends parfaitement où vous voulez en venir.

- Enfin … J’aimerai tout simplement voyager un jour dans l’espace et parcourir l’univers. Mais tu vois, c’est un rêve idéaliste … comme mon projet pour la déclaration des droits des androïdes. Je ne peux pas m’en aller de ce monde, en laissant les autres seuls même … après ce qu’ils ont fait par rapport à toi. Les rêves … doivent rester des rêves. termina de dire le jeune homme, baissant la tête avec tristesse. Il regardait l’herbe et les petits insectes mécaniques qui la parcouraient.

- Si vous avez un tel projet, il ne faut pas l’abandonner, Pygmalion. Il faut croire en vos rêves. Un jour, vous trouverez un vaisseau qui vous emmènera là où vous le désirez. Il en est de même pour vos droits sur les androïdes.

- Tu sais … Avec toute ma fortune, un tel vaisseau, ça ne serait rien du tout. Je pourrai facilement m’en prendre un d’excellente qualité. Un de deux à cinq kilomètres. Mais en même temps, je ne peux pas tous les abandonner … Non …

Le jeune homme plongea dans son mutisme, se recroquevillant sur lui-même en ramenant ses jambes à hauteur de son corps. Galatée se leva, s’approchant du télescope pour être à une distance respectable du jeune homme. Pour elle-même, elle chuchota à voix basse :

- Les rêves peuvent être réalisés … si on trouve la force d’y arriver. Vous me l’avez prouvé en me donnant ces yeux et cette chevelure. Vous continuerez, j’en suis certaine.

Elle posa une main sur sa poitrine. Elle n’était pas parfaite … pas encore à ses yeux. Elle le savait comme lui. Mais il continuait de l’aider à ce qu’elle le devienne. C’est pourquoi elle allait garder cette soirée ancrée en elle, comme les paroles qui l’accompagnaient. Cela pouvait toujours servir pour plus tard.

Le lendemain, il se trouvait dans la bibliothèque alors que Galatée faisait de même. Il a demandé à ce qu’un bureau soit installé avec deux chaises dans la bibliothèque. De même, un second fauteuil en cuir rouge se trouve maintenant à côté du premier. La raison était simple : Galatée était en train de lire dans l’un d’entre eux. De lire ? C’était exact.

Elle avait une capacité d’apprentissage extraordinaire. Elle pouvait apprendre tellement de choses si elle le désirait … mais il n’avait même pas eu besoin de lui dire ce qu’elle devait lire. Elle avait décidé par elle-même. Il ne savait pas pourquoi elle avait pensé à faire une telle chose mais il la laissait tranquille car c’était la preuve de sa progression. Et après ce qu’elle avait dit hier … Il avait décidé de reprendre sa déclaration des droits des androïdes. Il allait la perfectionner comme son androïde en fait.

De son côté, Galatée lui jetait des petits coups d’œil discrets, l’étudiant pour être sûr que tout allait bien. Pendant qu’il travaillait sur sa déclaration, elle vérifiait qu’il n’avait pas de problèmes au niveau comportemental. En même temps, ce qu’elle lisait avait toute son importance puisqu’il s’agissait de livres sur l’aviation galactique. Le jeune homme avait été surpris lorsqu’elle avait commencé à lire à ce sujet mais elle avait signalé qu’elle voulait se renseigner sur les étoiles mais aussi les vaisseaux spatiaux.

Finalement, son projet de loi retravaillé, il avait décidé de donner une nouvelle conférence mais à Célestan. Dorénavant, personne ne viendrait dans son manoir. Au beau milieu d’une salle toute aussi belle que celle de son manoir, bien que les fenêtres étaient plus petites, il était derrière un pupitre. A côté de lui, Galatée était présente. Alors, il reprit la parole. Il énonça chaque point de sa déclaration des droits des androïdes.

Il prenait son temps, il avait confiance en ses idées. C’était grâce à Galatée qu’il était présent. C’était grâce à elle qu’il … Lorsque son discours fut terminé, de nouveaux murmures recommencèrent à se faire entendre. Quoi ? Qu’est-ce qu’il y avait encore ? Qu’est-ce qu’il avait fait encore ? Quoi ? Est-ce que ça ne leur plaisait pas ?

- Il est vraiment devenu illuminé depuis le temps. Il croit dur comme fer à tout cela. dit l’un des journalistes, Pygmalion ne pouvant l’entendre bien que ce fut le cas de Galatée.

Comment c’était ? Il se tourna vers Galatée, posant la question à l’androïde qui lui signala que c’était parfait, bien qu’il ait été assez hésitant. Il lui fit un petit sourire, la remerciant bien qu’il perdait déjà toute contenance. Aucun applaudissement, personne ne semblait vouloir comprendre ce qu’il avait dit.

Pire encore, de nombreux journalistes commençaient à lui poser des questions loin d’être pertinentes par rapport à son discours. Non, ils lui demandaient s’il avait perdu la tête, si le fait de ne voir personne pendant des semaines n’avait pas faussé son jugement. Il voulut rétorquer mais il se sentait si faible maintenant. Aucun n’était enchanté par son idée. Peut-être une ou deux personnes.

- Pourquoi est-ce que les androïdes auraient les mêmes droits que les humains alors qu’ils ne sont pas comme nous ? Qu’ils sont bien moins intelligents que nous et surtout dépendants de nous ? demanda l’un des journalistes. Pourtant, il ne vint pas lui répondre. Il s’apprêtait à partir mais ce fut Galatée qui s’approcha du piédestal.

- Bien moins intelligents que nous ? Cela resterait à prouver grâce à de nombreux tests. Depuis que je fus crée par Pygmalion, je me suis développée de la même façon qu’un humain ou un animal apprend au cours de sa vie. Pourquoi n’aurai-je alors pas la possibilité d’être pareille que vous ? Car je suis faite de métal ? Cela est une ineptie. Tout d’abord, l’humain a jugé son semblable sur son apparence physique et le racisme est né. Aujourd’hui, vous voulez reproduire l’histoire mais en jugeant maintenant sur l’apparence intérieure de la personne que vous avez en face de vous. Ai-je l’air si différent de vous ? Je ne crois pas. Vous ne cherchez pas à comprendre les androïdes, vous préférez les considérer comme des esclaves qui obéissent à votre bon-vouloir. Et c’est cela qui vous gêne dans les paroles de mon Pygmalion … mon maître Pygmalion. Ce qui vous gêne, c’est qu’il a décidé de nous mettre au même niveau que vous car nos capacités sont égales aux vôtres, voir même supérieures. Je pense que sa proposition est du gâchis. Je reprendrai l’une de vos expressions : - c’est donner de la confiture aux cochons. termina de dire l’androïde.

Des murmures se firent entendre alors que Pygmalion était décontenancé par les paroles de Galatée. L’androïde vint lui prendre la main, demandant s’il ne valait pas mieux rentrer. Il hocha la tête positivement, ayant du mal à saisir ce qui venait de se passer. Après les murmures, ce fut des cris de colère et de révolte.

- Galatée, comment cela se fait-il … que tu les as insultés, non ?

- Je ne considère pas cela comme une insulte. Je ne fais qu’énoncer la vérité. Pygmalion, vous ne devriez pas perdre votre temps avec eux. Tant que vous comprenez les androïdes, je pense que la majorité d’entre eux vous remercieront même si cela n’est pas dit directement.

Peut-être. Il était un peu gêné par les propos de la femme androïde mais bon … Elle semblait savoir ce qu’elle faisait. Ils rentrèrent au manoir bien qu’il avait perdu définitivement toute motivation pour ses droits des androïdes. Il ne voulait même pas y penser. Le problème ne s’arrêta pas pour autant car quelques jours plus tard, l’un des androïdes de son manoir annonça que les murs qui protégeaient la résidence avaient été tagués avec des propos anti-androïdes. Et les magazines n’arrêtaient pas de publier des articles sur la déchéance d’un ancien génie de la cybernétique.

Ça ne sert à rien … Rien du tout. Il ne sort même plus de chez lui. Dorénavant, ce sont les androïdes qui vont faire les achats nécessaires. Heureusement, il n’est pas possible pour les androïdes du domaine de se faire remarquer. En même temps, il sait qu’il sera obligé de sortir un jour ou l’autre de chez lui. Pourquoi ? Car il devait continuer à emmener Galatée dans Célestan. Pour qu’elle découvre du monde, qu’elle voit l’extérieur du manoir.

Pourtant, la femme androïde n’avait pas l’air satisfaite de cette proposition. Elle vint lui dire qu’elle préférait rester bien au chaud chez lui. Le reste de la population humaine n’était pas - intéressante à ses yeux. Pourtant, il arriva à la convaincre après plusieurs arguments. Lui-même avait décidé de s’encapuchonner pour que l’on ne puisse apercevoir que son visage et sans sa chevelure. Du côté de Galatée, il avait décidé que le mieux serait qu’elle reste naturelle, pour bien montrer qu’elle était une femme comme les autres dorénavant.

Etait-ce si important ? D’être une femme comme les autres ? Elle ne savait pas. Néanmoins, ils passèrent la journée à Célestan. Du moins, c’est ce qu’il avait prévu si aucun incident n’allait commencer une nouvelle fois. Il n’avait pas envie qu’une énième émeute ne commence alors qu’il était tout simplement présent.

Mais ce qui était sa plus grande victoire, c’était bel et bien le fait que personne ne reconnaissait Galatée. Personne ne remarquait qu’elle était une androïde. C’était alors sa plus grande réussite. Il pouvait être fier de lui. Néanmoins, son sourire de vainqueur disparut lorsqu’il remarqua une femme qu’il reconnut facilement. Celle-ci avait des cheveux noirs attachés en une queue-de-cheval, portait une blouse blanche et dégustait un sandwich à un café. La femme se tourna vers lui et Galatée, faisant un geste de la main. Il valait mieux pour lui qu’il se rapproche car si elle criait son nom, il était foutu … et Galatée aussi.

- Bonjour … Helena. Je vois que tu es en pleine pause. murmura-t-il faiblement, restant debout, murmurant à Galatée de faire de même.

- En parlant de voir, il était temps que tu sortes de chez toi .Tu donnes à peine de tes nouvelles. Comment est-ce que tu vas ? Tu as l’air si pâle … L’air doit te faire le plus grand bien.

- Je ne sors que parce que cela est nécessaire. Sinon, je ne compte pas me balader tous les jours dehors. répondit-il en cherchant à garder son calme. - Je fais cela pour Galatée.

- Ah oui … Galatée … Ta femme androïde. Pygmalion, je m’excuse … Je me suis sûrement emportée inutilement … Et je suis même prêt à renouer entre nous … Mais quand même, tu ne trouves pas que tu vas trop loin ? Donner des droits à des machines, c’est complètement fou. Elles ne sont pas capables de raisonner par elles-mêmes.

- … Je n’ai même pas envie de te répondre. De toute façon, visiblement, tu as choisi ton camp … Comme par hasard, il semblerait que tu as décidé de travailler pour Rotoubau, la plus grande entreprise concurrente de Créavenir, je ne vois même pas pourquoi je t’écoute. Surtout si c’est pour insulter Galatée de la sorte.

Il avait parfaitement remarqué la mine de dégoût en voyant Galatée. De même, il tentait de se garder une certaine contenance après avoir vu le blason d’une entreprise ennemie sur la blouse d’Helena. Vraiment … Aucune honte … Aucune honte … Et il ne se sentait pas bien du tout. Il avait besoin de rentrer. Vraiment besoin.

Besoin de prendre un peu l’air pour oublier Helena et sa … trahison. Si elle l’avait quitté et avait démissionné, elle n’était pas forcément obligée de travailler pour la plus grande rivale de son entreprise. Galatée posa son regard émeraude sur la jeune femme, sec et froid. Helena voulut prendre la parole pour voir si tout allait bien mais la façon dont Galatée la regardait la bloquait complètement. Avec lenteur, l’androïde murmura au jeune homme qu’il valait mieux rentrer et qu’au final, cela n’avait pas été une bonne idée, comme elle l’avait pensé avant même qu’ils ne partent.

Avachi sur le canapé de cuir rouge de la bibliothèque, il observait le plafond sans rien dire ou faire. Galatée est à genoux devant lui alors qu’il caresse tendrement son visage. Son visage si parfait … ou presque. Et ses bras, ses bras si menus bien que tout ce qui la recouvre est de très bonne qualité. Elle est une belle réussite, une très belle réussite. Mais il se sent vide, complètement vide.

- Est-ce que l’humain est condamné à trahir, Galatée ? Ce n’est pas la première personne à me poignarder dans le dos.

- Je ne peux pas vous répondre, Pygmalion.

Il n’attendait pas de réponses de toute façon. Il lui murmura de se lever, chose que la femme androïde fit sans aucune réticence. Il tendit ses deux mains vers elle, Galatée restant immobile pendant quelques secondes comme pour chercher ce qu’elle devait faire. Pourtant, elle s’approcha de lui, se penchant en avant de tendre ses mains. Elle vint se positionner dans ses bras, le jeune homme l’étreignant en tremblant un peu.

Contrairement à ce qu’il avait pensé, l’androïde avait commencé à développer un système de chaleur sur l’intégralité de son corps. C’était pour cela qu’elle était si chaude … et qu’il se sentait si bien dans ses bras. Il avait perdu l’habitude depuis l’abandon d’Helena. Tout le monde l’abandonnait, sauf ses androïdes, sauf Galatée. Galatée qui était toujours là pour lui. Il devait la récompenser pour ça. Il devait la rendre comme lui, la rendre encore plus humaine. Et il allait recommencer …

Il s’enferma comme auparavant dans sa chambre. Comme auparavant, les androïdes, guidés par Galatée, cherchèrent à se renseigner sur ce qu’il comptait faire. Ils n’avaient pas tardé à découvrir une nouvelle fois l’horrible vérité. Il allait recommencer … Recommencer à tuer. Et les annotations pouvaient donner un aperçu sur ce qu’il comptait faire exactement.

Il s’était renseigné sur des triplées âgées d’une vingtaine d’années, comme la précédente victime. Ces triplées avaient la chair et les muscles qui pourraient convenir à Galatée. Il n’avait pas hésité à pirater quelques serveurs pour obtenir ces informations. De toute façon, la police n’était pas encore au courant qu’Héloïse avait été remplacée. Il n’avait rien à craindre, rien du tout. Il faisait cela pour Galatée et personne d’autre.

Quelques jours plus tard, il avait déjà tout préparé pour commettre sa nouvelle aberration. Il avait demandé à Hermès de l’emmener vers Célestan. Il avait aussi ordonné aux androïdes de la dernière fois de l’accompagner mais avant qu’il ne monte dans le véhicule, une voix féminine s’adressa à lui :

- Pygmalion, je peux savoir où tu comptes aller avec des outils de médecine, des sacs plastique et divers autres objets ?

Il se retourna pour apercevoir Galatée, celle-ci portant une robe violette lui allant jusqu’aux genoux. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Et c’était quoi ce regard qu’elle posait sur lui. Il fit un petit geste de la main, souriant faiblement :

- Ne t’inquiète pas pour cela, Galatée. Ce n’est pas bien important.

- Tu comptes tuer trois personnes. répondit-elle aussitôt, le jeune homme s’immobilisant sur place. Qu’est-ce qu’il devait faire ? Comment réagir ? Si elle savait qu’il comptait assassiner, est-ce qu’elle savait alors qu’il faisait cela pour elle ? - Je t’accompagne.

- Il en est hors de question. C’est beaucoup trop dangereux.

- Je t’accompagne. répéta-t-elle avec neutralité alors qu’il remarquait finalement qu’elle venait de le tutoyer depuis le début. Un peu abasourdi, il la laissa rentrer dans la voiture sans même comprendre ce qu’elle tentait de faire.

Maintenant accompagné par Galatée, il se sentait un peu moins confiant dans son travail. C’était encore une androïde … Donc il n’avait pas forcément à craindre ce qui allait se passer. Cette fois-ci, la cible se trouvait à quelques kilomètres de Célestan. Les trois jumelles nommées Lisa, Lina et Lala habitaient une modeste maisonnette dans les environs. On ne leur connaissait pas de mère ou de père ou de relations extérieures. Elles travaillaient toutes les trois chez elles et vivaient paisiblement. Mais par mesure de précaution, il avait décidé de garder son masque doré et sa cape pour le camoufler. De même, avec tout ce qu’il allait prendre, il avait besoin de plusieurs conteneurs qui se trouvaient dans le véhicule, contenant les trois « remplaçantes » des trois femmes qu’il allait tuer. De toute façon, cela allait être vidé pour se remplir une nouvelle fois.

La maisonnette avait un étage, faite de pierre et de métal et ne semblait pas bien grande. Pourtant, le jardin qui l’accompagnait était très bien entretenu, signe que les triplées s’en occupaient correctement. Il murmura à Galatée de rester dans le véhicule mais elle vint le suivre. Avec précision, le jeune homme fit un nouvel appel à ses insectes mécaniques. La porte de l’entrée s’ouvrit alors qu’il grimpait à l’étage.

Les triplées dormaient toutes dans la même chambre bien que dans trois lits différents. Galatée les observa. Elles étaient si calmes et tranquilles. Pourquoi les priver de leurs vies ? Sans hésitation, le jeune homme releva sa manche droite et sa manche gauche, trois vers glissant le long de ses bras avant de se jeter sur chaque lit. Les vers pénétrèrent dans les oreilles de chacune des femmes, les mêmes symptômes recommençant. Les oreilles qui saignent, le nez ainsi que la bouche.

- Je ne perçois plus aucune activité chez ces trois femmes. Elles sont mortes.

Il évita de répondre à Galatée. Une telle indifférence de la part de l’androïde … et pourtant, lui aussi l’était tout autant. Il ne lui demanda même pas de s’en aller. Les androïdes autres que Galatée et Hermès vinrent prendre les trois corps, les emmenant au-dehors de l’habitation. Pendant qu’il sortait des outils, une partie des androïdes ouvrit les containers, récupérant les androïdes qu’il avait fabriqués pour ce jour précis. Cela allait salir, grandement salir même. Des couteaux, des pinces, une petite roue dentée. Son travail de boucher allait commencer.

Finalement, il termina tout ce qu’il avait fait et bien qu’il fut impossible pour lui de ne pas laisser de traces de son méfait, il évitait d’en mettre bien plus. Il était temps de rentrer … pour terminer Galatée, la rendre encore plus humaine. Durant toute la boucherie accomplie et le trajet, elle ne prit guère la parole.

Même lorsqu’il lui demanda de se coucher sur la table d’opération, elle resta muette, fermant simplement les yeux. Il allait lui donner tout ce qui allait la rendre plus humaine, la rendre proche de la perfection ! C’était ça qu’il allait accomplir avec tout ce qu’il avait récupéré ! Toujours dans ses habits tachés de sang, il commença à - opérer Galatée une nouvelle fois.

- Galatée. murmura le jeune homme alors qu’elle rouvrait les yeux, se relevant.

Complètement nue, du sang sur la majorité de son corps, elle posa son regard sur le jeune homme aux cheveux bruns. Celui-ci aussi avait du sang sur ses habits, mais c’était celui de ces trois victimes. Elle se positionna en face de Pygmalion, le jeune homme se mettant à caresses ses bras, les palpant avec douceur.

- Ces amas de chair … ne sont-ils pas un problème ? Tu as l’air d’avoir réussi à les insérer autour de mes organes cybernétiques mais je ne ressens aucune liaison nerveuse dans les muscles que tu as insérés en moi.

- Normalement, cela ne devrait pas te déranger plus que ça. Je finaliserai tout ça dans les prochains jours, comme ça, nous pourrons les connecter à tout ce qui est en toi et …

Et ? Qu’est-ce qu’il comptait dire ? Il recommença à caresser Galatée bien que cette fois-ci, il passait sa main sur le visage de la jeune femme. Celle-ci se laissait faire, immobile avant qu’il ne pince sa joue. Aucune réaction de la part de Galatée mais cela, il s’en doutait.

- Galatée … Tu es belle, vraiment très belle, tu le sais ? Je voulais te le signaler … Tu deviens de plus en plus humaine, Galatée.

- Je pense qu’il vaudrait mieux que tu ailles te laver avant de dormir. Je ferai de même de mon côté. annonça l’androïde féminin.

Il hocha la tête, répondant que c’était une bonne idée. Il quitta la pièce où il l’avait opérée, allant se laver. Quelques minutes plus tard, il lui demanda de faire de même pour laver le sang qu’elle avait sur le corps. Une nuisette rose sur le corps pour camoufler ses formes, elle se présenta à lui alors qu’il l’invitait à rentrer dans sa chambre. C’était la première fois qu’il invitait une femme dans cette tenue mais ce n’était pas le plus important. Il fallait dire qu’avec ses précédentes petites amies, il ne pouvait jamais aller très loin. Toujours à se préoccuper de ses créations, jamais à penser à ses conquêtes amoureuses. Le lit devait bien faire deux à trois mètres de longueur pour une même taille en largeur. Il y avait suffisamment de place pour deux personnes.

Il prit la main de l’androïde, l’invitant à s’asseoir sur son lit. Sans même qu’il lui demande quelque chose, elle vint l’enlacer, le jeune homme poussant un profond soupir de soulagement. Il se sentait bien auprès d’elle. Il était fier de ce qu’il avait accompli, il était fier de ce qu’elle était devenue. Il chuchota :

- Tu es tellement belle … Tellement belle Galatée. Et si spéciale … Tellement spéciale … Ne me quitte jamais, d’accord ? Ne me quitte pas … Sinon … Sinon … Je ne m’en remettrai pas.

Elle l’avait remarqué. Elle savait que ce que le jeune homme disait était vrai. Ce qu’elle avait vu … lors du massacre de ces triplées … Elle ne pouvait pas l’oublier. Le jeune homme était déjà plongé dans les abysses de la folie. Si elle partait, c’était laisser tout simplement un fou en liberté. De même, elle n’en avait pas envie. Finalement, elle souffla dans le creux de son oreille, d’une voix anormalement douce et tendre :

- Je resterai à jamais avec toi.

Il ne lui répond pas, elle l’entend tout simplement soupirer de joie. Ils restent ainsi pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce qu’elle sente que le poids du jeune homme devienne plus important. Alors, elle l’observe, elle l’observe dormir, le visage apaisé et serein. Ensuite, elle vint le mettre correctement dans le lit. Elle pense alors à l’éventualité de retourner dans sa chambre. Néanmoins, elle reste dans le lit, couchée à côté de lui pour l’observer. Pour le surveiller, se dit-elle pour trouver une explication raisonnable à son geste mais aussi à ceux du jeune homme, la raison qui le poussait à commettre ces crimes.

Pygmalion doit démissionner, la folie d’un homme, la déchéance d’un génie. Encore et toujours ces mêmes titres. Il ne savait plus quoi faire. Personne ne voulait de lui, personne ne voulait comprendre ses idéaux, personne … Personne … Pourtant, il essayait de montrer une mine joyeuse lorsque Galatée s’approchait de lui. Il avait fait tout ça pour elle. Il avait abandonné son existence aisée et tranquille pour elle, pour la créer, pour lui donner la vie … pour faire d’elle ce qu’elle était.

- Pygmalion ? Tu as une mine affreuse. chuchota-t-elle sur un ton inquiet.

- Le manque de sommeil … Galatée. J’ai du mal à dormir ces derniers jours.

- Je ne peux pas te dire de prendre quelques médicaments car ce n’est pas une pathologie. Néanmoins, je peux seulement te conseiller de ne plus penser à tout cela. Tu devrais quitter ton ordinateur et arrêter de lire les journaux.

- Ils me détestent, ils me détestent tous. Il n’y a que deux ou trois journaux et peu de monde qui apprécient ce que j’ai fait. S’ils savaient ce que tu étais … devenue, Galatée.

- Alors, pense à ces personnes plutôt aux autres. J’ai lu dans l’un de tes livres que l’humain note plus souvent les mauvaises remarques que les bonnes. Pourtant, sans occulter les mauvaises, il devrait plutôt penser à celles qui sont bonnes.

- Et est-ce que celle-ci est bonne ? demanda-t-il avec un peu d’ironie avant de tendre une lettre portant l’emblème de Créavenir. Elle prit la lettre, commençant à la parcourir alors qu’il bredouillait déjà quelques excuses. Il n’avait rien contre Galatée, rien du tout, c’était juste que tout … était en train de s’effondrer autour de lui.

Autour de lui … Il ne restait plus rien du tout … Ce que Galatée était en train de lire, c’était une demande de la part du conseil d’administration pour qu’il perde tous ses pouvoirs et ses droits pour la - sécurité de l’entreprise. C’était une demande … bien entendu. C’était plutôt un ordre car sinon, il aurait la justice sur le dos.

- Avant même que tu ne poses la question, je vais leur donner les pleins pouvoirs. Je ne peux rien faire d’autre. Mon ère est révolue, Galatée.

- Tout cela … est de ma faute … chuchota l’androïde avant qu’il ne vienne l’enlacer. Non et non ! Ce n’était pas de sa faute ! Loin de là ! Il avait décidé à la base de la créer, ce n’était pas elle la responsable ! De toute façon, il avait une fortune personnelle conséquente, de quoi lui acheter un gigantesque vaisseau-monde comme ceux dont il lui avait parlé auparavant.

Il arrêta son étreinte alors que la femme androïde avait le regard songeur. Elle avait de plus en plus d’émotions et sa gamme s’élargissait de jour en jour. Tout cela grâce aux livres de sa bibliothèque mais pas seulement … Il y avait aussi le temps passé avec lui, il le savait. Alors … Il devait la rassurer.

- De toute façon, ma seule préoccupation restera toujours toi, Galatée. Mais aussi les androïdes de mon manoir et ceux de mon espace vert. Les humains peuvent disparaître. Ce sont des lâches et des traîtres. Ce sont des êtres vaniteux qui ne méritent pas d’exister.

- Je pense que je vais retourner à la bibliothèque. Il faut que je m’instruise.

Il hocha la tête pour dire qu’elle pouvait y aller sans aucun problème. Pendant qu’elle s’éloignait, son visage laissait paraître son inquiétude à l’encontre de Pygmalion. Dans la bibliothèque, elle prit de nombreux livres dont les couvertures étaient bien différentes : psychologique, aviation spatiale, armement, la bibliothèque de Pygmalion était remplie de diverses choses mais seules quelques-unes d’entre elles l’intéressaient.

Lorsqu’elle retrouva le jeune homme quelques heures plus tard, celui-ci était dans l’imposante salle à manger, là où une table de plus d’une dizaine de mètres de longueur se trouvait, accompagnée par une trentaine de chaises. Un tissu blanc était installé sur la table et les fenêtres gigantesques permettaient au soleil d’illuminer la pièce mais vue l’heure tardive, le soleil était en train de se coucher. Pygmalion était assis sur une chaise, les coudes posés sur la table, la tête baissée, l’air en train de réfléchir.

Elle posa une main sur son épaule, le faisant sursauter légèrement. Elle lui murmura qu’elle avait envie d’aller voir les étoiles ce soir et qu’elle préférait qu’il vienne avec elle. Elle ne voulait pas être seule dans l’espace vert. Devant le sourire de l’androïde aux allures féminines, il se releva, prenant sa main avant de quitter le manoir avec elle. Si elle pouvait l’aider à penser à autre chose, elle ferait tout pour cela.

Mais après cette soirée, elle savait que le jeune homme était perdu. Elle le savait car cela se voyait dans le regard saphir du jeune homme. Il était perdu … Elle avait finalement compris comment il était réellement. Complexé et surtout affaiblit psychologiquement par la disparition de son père adoptif il y a de cela des années, il avait toujours cherché l’amour et l’appréciation d’autrui. Alors, avec ses nombreux déboires amoureux mais aussi le fait que de plus en plus de monde commençait à le détester voir à le haïr à cause de ses idées, il était maintenant sans défense … ou presque. Car elle restait auprès de lui pour le protéger. Aucune personne ne pouvait essayer de l’atteindre si elle le refusait. La tête contre le sein de Galatée, il restait ainsi pendant plusieurs minutes, les yeux fermés. Quelque chose le dérangeait dans tout ça. Quelque chose était perturbante par rapport à Galatée. Son cœur … Ce n’était pas celui d’une femme. Ce n’était pas celui d’une humaine. C’était juste un moteur, une machine. Ce n’était pas fini ! Il n’avait pas fini ! Il retira sa tête du sein avant de s’écrier :

- Il te manque quelque chose, Galatée ! Tu n’es pas parfaite. Pas encore ! Pas du tout ! Tant que tu ne possèderas pas un cœur, tu ne seras jamais parfaite, Galatée ! Jamais !

- Je possède déjà un générateur produisant de l’énergie à volonté en moi. Il fait office de cœur et je …

- Je parle d’un cœur humain. Sans ce cœur, tu ne seras jamais considéré comme une humaine, Galatée. Tu ne seras jamais parfaite. s’écria le jeune homme en retirant son doigt. - Il faut trouver une femme … Une femme qui possède le cœur que tu auras.

- Il vaut mieux s’arrêter là, Pygmalion. Est-ce que je ne suis pas assez bien pour toi ? Assez parfaite ? Tu veux encore commettre un crime ?

- Tu es parfaite à mes yeux mais seulement physiquement. Aux yeux des autres, tu pourrais l’être aussi mais il te manque ce cœur. Il te manque vraiment ce cœur qui résoudrait tous les problèmes qui nous attendent ! Il te faut ce cœur !

Aux yeux des autres ? Et alors ? Pourquoi accorder de l’importance à ces personnes qui n’en avaient rien à faire réellement de lui ? Pourquoi continuer sur cette voie ? Elle voulait l’arrêter … mais elle n’avait aucun moyen pour cela. Le jeune homme allait recommencer à plonger à cause de cette envie meurtrière … tout cela pour elle.

Peut-être était-ce le destin ? Mais alors qu’il vérifiait quelque chose en elle, il se blessa légèrement à cause de ses outils. Aussitôt, elle vit là une façon de le « sauvegarder. » Avec agilité, elle se redressa de la table d’opérations, venant prendre une bandelette pour soigner sa blessure. Il alla rougir faiblement tandis qu’elle observait avec discrétion le petit lambeau de peau tombé au sol. Après la vérification, alors qu’il l’a laissé se rhabiller en quittant la pièce, elle vint récupérer le morceau de peau pour le mettre dans un emballage stérilisé. Elle qui n’était qu’une androïde, croyait maintenant au destin, cette force invisible qui lui avait alors permis de mettre en place son plan.

Ce morceau de peau. Il allait voir à quel point elle était maintenant différente de ce qu’elle avait été auparavant. Elle allait lui montrer qu’elle pouvait se révéler bien plus parfaite que lui. Que sa création avait surpassé son créateur. Que sa priorité de le protéger était bien plus grande que celle du jeune homme à vouloir la rendre plus humaine. Elle n’avait pas besoin de l’être, elle était plus que satisfaite de ce qu’elle était actuellement mais le jeune homme ne l’écouterait pas.

Tant qu’elle n’agissait pas, tant qu’elle ne lui montrait pas qu’elle était aussi voire plus motivée que lui, alors, il n’en comprendrait pas. C’était à elle de le sortir de là et elle avait réfléchit longuement à tout cela. Elle savait quoi faire. Mais tout cela demandait du temps, de la préparation et des moyens, des moyens facilement accessibles contrairement aux apparences. Il fallait rajouter les connaissances qu’elle avait acquises au fil des mois. Ah ! Si seulement Pygmalion voulait bien ouvrir les yeux, il serait fier d’elle mais pas de la manière à laquelle il pensait.

Pourquoi ne veut-il pas remarquer la différence par rapport au premier jour ? Le fait qu’elle ait tellement changé ? Et cela grâce à lui ? Qu’elle est maintenant une autre … femme. Oui, elle se considère comme une femme et non comme une androïde. Elle s’est éveillée, elle a appris, elle a évolué … Elle est différente de ce qu’elle fut auparavant.

Alors qu’il était enfermé dans sa chambre, plongé dans le noir tout en travaillant sur son ordinateur, elle pénétra dans la pièce sans aucune hésitation. Le jeune homme se tourna vers elle, un peu étonné de la voir tandis qu’elle se ramenait vers les rideaux. Avec force, elle tira sur ces derniers, laissant paraître le soleil.

- Mais qu’est-ce que tu fais, Galatée ? AH ! Ça fait mal à mes yeux ! s’écria le jeune homme.

- Pygmalion, allons-nous promener dans l’espace vert. Il fait très beau.

- Désolé Galatée, peut-être plus tard, un autre jour, je dois travailler.

- Travailler ou te préparer à tuer quelqu’un ? demanda l’androïde aux yeux émeraude avec neutralité bien que ce ton était voulu de sa part. Le jeune homme se tourna vers elle, montrant son visage ridé par la fatigue. Il lui fit un petit sourire avant de murmurer :

- Ça sera ma dernière cible, je te le promets. Après, tu n’auras plus besoin de rien. Le cœur, c’est ce qu’il y a de plus important chez l’humain. Ça te permettra d’être une humaine.

- Un organe que je considère comme inutile, capable de s’arrêter brusquement sans aucune raison apparente, du jour au lendemain. Cet organe n’a que peu d’intérêt pour moi et … Pourquoi est-ce que tu es à nouveau en contact avec Helena ?

Elle s’était arrêtée dans ses propos avant de jeter un regard sur l’écran de l’ordinateur du jeune homme. Celui-ci cacha aussitôt l’écran, bredouillant quelques mots avant de lui dire de partir car il devait travailler. C’était la première fois … qu’il ne voulait pas d’elle. Cela devenait problématique … bien trop problématique.

Et le fait qu’il reparle avec Helena n’inaugurait rien de bon. Ses données dans sa mémoire interne, conjuguées aux événements qui se sont déroulés depuis le début de sa mise en marche, tout cela lui permettait de mettre une chose en évidence : Pygmalion allait commettre la pire des bêtises : tuer son ex-petite amie. Il était donc temps de terminer cette aberration le plus rapidement possible. Mais pour cela … Elle ne pouvait pas y arriver seule.

Elle s’était adressé aux androïdes du manoir, leur expliquant ce qu’ils allaient faire. Même s’ils avaient été créés par Pygmalion, la femme androïde semblait se faire respecter et obéir de la même manière que le jeune homme. Alors que Pygmalion restait enfermé dans sa chambre pendant des jours, préparant sa sombre affaire, les androïdes se montraient distants, plus que distants même. Certains se dirigeaient dans la bibliothèque, prenant quelques livres pour apprendre ce qu’il y avait à l’intérieur. D’autres allaient vers l’espace vert, créant une délimitation tandis que Pygmalion ne se doutait de rien. Toutes les connaissances qu’elle avait acquises depuis le début allaient enfin lui servir. Elle allait lui montrer quelque chose de grand, très grand. Plutôt le contraire dans ce cas précis. Le jeune homme était tellement absorbé par le futur acte criminel qu’il allait commettre, il ne voyait rien, rien du tout.

Sauf une seule chose : nul ne lui adressait la parole. Il était devenu un étranger pour ses propres créations. Il avait essayé de dialoguer avec Galatée, de lui expliquer que tout cela était pour son bien … mais elle ne s’était même pas arrêtée devant le jeune homme. Elle lui expliquait tout simplement qu’elle avait quelque chose à faire de son côté. Et les autres androïdes ? Ils s’étaient rangés du côté de la femme aux cheveux blonds. Même … ses propres créations l’abandonnaient, le détestaient, le haïssaient.

Le jeune homme eut un petit rire nerveux alors qu’il était rentré dans sa chambre pour s’y enfermer. Tout ça serait bientôt terminé, tout ça serait bientôt fini, après, il arrêterait. Après, il passerait tout son temps avec Galatée et les androïdes. Oui … Il allait donner rendez-vous à Helena. La jeune femme ne pourrait refuser de le voir. Oui, il ne faisait même plus attention à ses actions. Les policiers le suspecteraient en premier mais ça n’avait aucune importance. Rien du tout même. Il voulait juste récupérer son cœur comme elle avait brisé le sien. Alors … Alors … Galatée possèderait alors un magnifique cœur, un cœur humain. C’est tout ce qui importait. Le reste … Le reste n’avait aucune importance.

Les jours passèrent et il avait décidé de lui donner rendez-vous en pleine nuit, lui prétextant que c’était quelque chose de très important. Il n’avait pas prévenu Galatée et les autres, il avait simplement pris avec lui les androïdes qui lui obéissaient aveuglément. Le jeune homme s’était encapuchonné, tenant son sac sur son dos. Il était l’heure … Il quitta le manoir quelques heures auparavant avant le rendez-vous. Il ne devait prévenir aucun de ses androïdes. Pourtant, alors qu’il quittait le manoir, une ombre se déplaça à partir d’une fenêtre à l’étage. Une demi-heure plus tard, un véhicule quittait le manoir à son tour.

Elle est là … Il la voit au beau milieu du trottoir, sous un lampadaire. Elle s’est faite belle, portant néanmoins un épais manteau de fourrure synthétique noire. Mais il devine à ses talons noirs à ses pieds qu’elle porte une tenue plus légère sous ce manteau, sûrement une robe. Elle espérait sûrement se faire pardonner, réussir à renouer un lien entre eux mais il était trop tard. Beaucoup trop tard, il ne reculerait pas dorénavant. Les rues étaient désertes à cette heure, à part quelques rares personnes mais ça ne le concernait pas. Il suffisait juste de la tuer !

Il commença à se rapprocher d’elle, demandant aux androïdes de l’accompagner. Il ne remarqua pas qu’aucun ne le suivait, tous prenant des chemins différents. Elle se tourna vers lui, le reconnaissant malgré son allure. Elle murmura son nom dans un petit sourire. Un sourire qui disparut au moment où elle le vit faire sortir un ver mécanique de sa manche. Il suffisait simplement de la tuer et tout serait terminé, tout serait enfin fini. Il ne regretterait rien, rien du tout. Pas après ce qu’elle lui avait fait, pas après ce que les autres lui avaient fait.

Il était à quelques mètres d’elle, s’arrêtant subitement alors que des bruits stridents venaient percer ses oreilles mais aussi ceux de la femme aux cheveux noirs. C’était quoi ça ? Les forces de l’ordre ? Pourquoi est-ce qu’elles étaient là ? POURQUOI ? Il ne devait pas perdre de temps ! Il devait la tuer avant qu’il ne soit trop tard ! Ça ne devait pas se passer comme ça ! Ce n’était pas prévu ! Qui avait prévenu la police ? Les sirènes étaient de plus en plus proches alors que des cris se firent entendre, hurlant que des androïdes commettaient le chaos dans la ville. Des androïdes ? Encore des androïdes ? N’importe quoi ! C’était n’importe quoi ce qui se passait autour de lui. Où étaient ses androïdes ? Ce n’était quand même pas eux ?! Il ne devait pas reculer, il ne devait pas abandonner maintenant. Helena arriva à sa hauteur, lui prenant le bras tout en disant :

- Il faut que l’on aille se mettre à l’abri, Pygmalion ! Tu vois ? On ne peut pas faire confiance aux androïdes. Un jour, ils deviennent fous et …

- Je suis là pour te tuer … Helena. murmura faiblement le jeune homme. Helena s’arrêta, le regardant avec stupeur alors que le ver mécanique avait grimpé sur son épaule, prêt à s’insérer dans son oreille. Un tir fusa, détruisant le ver alors que la jeune femme poussait un cri. Elle vint s’évanouir tandis qu’il se retournait. D’où venait ce tir ? Qui avait été au cour … Un violent flash qui l’aveugla complètement puis un autre tir fusa en sa direction, venant se loger dans son torse. Du sang s’écoula de ses lèvres. Il posa une main sur sa blessure, commençant à courir à travers une ruelle. Il percuta de nombreuses poubelles, ayant beaucoup de mal à voir clairement.

Ca ne devait pas se passer … Ca ne devait pas se passer comme ça. Il avait juste voulu récupérer le cœur d’Helena. Juste récupérer … Il avait fait à peine quelques mètres qu’il fut obligé de s’asseoir contre un mur de la ruelle. A côté de lui, de nombreuses ordures étaient déposées mais son odorat n’y tenait guère compte. Fatigué, il était vraiment fatigué, très fatigué même. Il devait rentrer au manoir … mais personne n’était au courant qu’il était parti. Personne ne s’intéressait réellement à lui, même ses … androïdes … l’avaient abandonné. Même Galatée, sa plus belle création … l’avait quitté.

Dans l’incapacité de voir correctement à cause de sa perte de sang, il put néanmoins sentir qu’il était soulevé avec aisance. Il chercha à se débattre jusqu’à ce que sa tête soit posée contre quelque chose de chaud et doux. Il avait du mal à voir qui était-ce cette personne qui avait décidé de le sauver, lui. Ou alors, était-ce … un policier qui l’emmenait en soins avant de l’emprisonner ? Il ne voulait pas, il ne voulait pas être seul. Il voulait revoir Galatée, il voulait revoir ses androïdes. Il ne voulait pas être seul. Il ne voulait pas être abandonné. Une main se posa sur la sienne, à l’endroit où il avait été touché.

- Tiens bon, Pygmalion. Ca ne sera pas très long. murmura une douce voix.

- Ga … Galatée ? Pourquoi est-ce que tu es là ? Je pensais que … tu m’avais laissé seul.

- Je ne te laisserai seul, jamais. répondit la femme androïde aux cheveux blonds.

Elle lui retira sa cape alors qu’elle courait à travers les ruelles. Les objets tombaient au sol, accompagné d’une arme. Adossé contre une benne à ordures, un corps sans vie était visible, un trou au niveau du torse s’y trouvant. Si on l’avait étudié de beaucoup plus près, à l’intérieur même, on aurait pu deviner qu’il ne s’agissait que d’un clone. Mais pour les enquêteurs et les policiers, même l’analyse ADN de la peau et du sang allait les induire en erreur et faire croire qu’il était mort. L’arme ? Celle du crime … Celle utilisée pour blesser le jeune homme. Mais dorénavant, Pygmalion était mort et cette réplique était parfaite. Elle l’avait créée pendant que le jeune homme perdait son temps à chercher comment tuer Helena. Mais il n’y avait pas que ça. Elle quitta la ruelle, un véhicule l’attendant sur le côté. A l’intérieur, Hector, l’un des androïdes de Pygmalion était au volant. Le jeune homme couché sur ses genoux, Galatée le surveillait pendant que le véhicule quitta Célestan pour retourner au manoir. En chemin, le jeune homme bredouilla :

- Pardon … Pardon Galatée … Pardon. Je voulais … Je voulais vraiment … Je voulais vraiment te rendre parfaite. Je voulais te rendre humaine, tellement humaine … pour qu’ils voient qu’ils se sont trompés. Mais, mais, mais, je n’y suis pas arrivé. Désolé, désolé.

- Arrête de parler, tu te fatigues. Reste avec moi encore quelques minutes, le temps que nous rentrons, d’accord ? lui chuchota la femme androïde, passant une main dans ses cheveux alors que le jeune homme était en sueur.

Hahaha … Galatée … Galatée était si douce et tendre. Cette androïde était plus humaine que les humains, plus femme que les femmes. Il avait réussi sans même s’en rendre compte. Il avait réussi là où il pensait avoir échoué de nombreuses fois. Elle était devenue ce qu’il désirait depuis déjà tellement de temps. Mais il avait été trop aveuglé par son idée de perfection, cette idée de créer une humaine. Il eut un petit rire nerveux, des larmes s’écoulant des yeux alors qu’il murmurait en tremblotant :

- J’ai froid … J’ai vraiment froid … mais je suis bien, Galatée. Je suis heureux, très heureux. J’ai réussi en fin de compte. J’ai …

Elle posa un doigt sur ses lèvres tout en lui disant de se taire. La respiration du jeune homme se fit plus lente. Même si sa main était tachée de sang, l’androïde ne la retira pas du torse du jeune homme. Cela avait été nécessaire … Elle avait été forcé d’agir de la sorte … pour l’arrêter. Pour qu’il puisse voir la réalité et non SA réalité. Finalement, ils arrivèrent au manoir mais il était déjà trop tard, le corps du jeune homme fut sans vie, ayant poussé un dernier soupir lorsqu’ils furent à portée du manoir.

Pourtant, elle ne désespérait pas. Gardant Pygmalion contre elle, elle pénétra dans le manoir, se dirigeant aux étages supérieurs. Accompagnée par les androïdes du manoir, tous se retrouvaient après quelques instants dans une pièce bien connue de la femme androïde : la salle d’opérations … Là où étaient déposées de nombreuses caisses dont certaines étaient froides, la température étant parfaite pour garder certains - objets en bonne condition.

- Je vais avoir besoin de votre aide … De même, il faut que cela soit rapide car il se peut qu’Helena vienne prendre de ses nouvelles assez rapidement. Si c’est le cas, que l’un d’entre vous aille la prévenir que Pygmalion est indisponible.

Et pendant ce temps, du travail les attendait. Un travail plus qu’important et qui allait nécessiter de lourdes connaissances … mais n’était-ce pas pour cela que chaque androïde avait décidé d’apprendre quelque chose de spécifique ? Même s’ils étaient limités par rapport à Galatée, chacun avait fait bon nombre d’efforts pour ce moment.

Ce moment plus que spécial … Car ils devaient réussir. Si elle échouait maintenant après ce qu’elle avait, la création de ce faux Pygmalion, cette attaque, prévenir les policiers, elle ne s’en remettrait pas. Elle sentirait que quelque chose défaillirait en elle si elle se ratait maintenant. Le cœur du jeune homme fut ouvert tandis qu’elle commençait son travail, accompagnée par les androïdes qui avaient toujours été à côté du jeune homme.

Les yeux saphir du jeune homme s’ouvrirent sur une lumière aveuglante au plafond. Pourtant, il n’avait pas si mal que ça aux eux. Puis quelque chose vint obstruer sa vue. Il eut le temps de voir deux lèvres avant qu’elles ne se posent sur les siennes. C’était bizarre … Elles furent froides une seconde avant de devenir douces et chaudes.

Deux yeux bleus le fixèrent longuement avant que le visage de Galatée ne se relève, lui permettant de la voir. Elle avait un petit sourire aux lèvres tandis qu’elle restait penchée au-dessus de lui, son visage à quelques centimètres du sien. N’était-il pas mort ? Pourquoi est-ce qu’il … la voyait encore ? Quelques larmes s’écoulèrent du visage de Galatée tandis qu’elle murmurait :

- Les glandes lacrymales … Je n’arrive pas à les contrôler. Pourtant, je n’ai pas de poussière dans les yeux. Mais je crois que c’est parce que je suis heureuse que tu ailles bien.

- Je vais … bien ? Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Tu peux m’expliquer s’il te plaît ?

- Dorénavant, nous sommes pareils, Pygmalion. Il n’y a plus besoin de devenir comme les autres … tant que nous sommes tous les deux pareils. répondit-elle en gardant son sourire. Elle retira son visage pour lui permettre de se redresser.

Qu’est-ce qu’elle voulait dire par là ? Il ne comprenait pas … pas du tout même. Mais en bougeant ses doigts et ses pieds, tout commença à être saisi dans son crâne. Il avait été … modifié ? Modifié complètement, de la tête aux pieds.

Il sentait qu’à l’intérieur de son corps, une grande majorité de son être avait été changé. Pourtant, il se rappelait de ce qu’il avait été et de ce qui s’était passé. Cela voulait dire que son cerveau était toujours opérationnel mais que la majorité de son corps avait été retiré pour être remplacé par des composants électroniques.

Comment est-ce qu’elle était capable de faire ça ? Les connaissances requises étaient encore plus importantes que celles qu’il possédait. Elle lui répondit qu’elle avait passé la majorité de son temps à la bibliothèque, lui permettant alors d’acquérir toutes les informations qu’elle nécessitait. Mais elle n’avait pas été seule, les androïdes s’étaient eux aussi spécialisés dans un domaine et ils avaient écouté la femme androïde aux cheveux blonds. Mais pas uniquement … Loin de là, elle avait aussi créée des choses dont il n’avait aucune idée.

C’était grâce à elle … et à ses androïdes … qu’il était encore vivant ? Et cette modification … Il comprenait pourquoi elle avait fait cela. Il n’avait pas à la forcer à devenir humaine pour être comme lui. Au final, c’était elle qui avait réussi à prendre l’ascendant et à le faire devenir comme elle.

Il n’était pas en colère, non. Il était heureux de savoir qu’elle avait dépassé toutes ses espérances pour devenir ainsi. Une femme androïde aussi grande et magnifique. Elle était devenue son égale … Elle était même supérieure à lui, il le reconnaissait amplement. Il lui fit un petit sourire avant qu’elle ne reprenne :

- Ce n’est pas terminé … Pygmalion. Il est temps pour nous de partir.

- De partir ? Qu’est-ce que tu racontes donc ? Qu’as-tu prévu ? demanda-t-il, étonné alors qu’elle lui demandait de la suivre au-dehors du manoir.

Où est-ce qu’ils allaient ? Hum ? Mais il connaissait le chemin. Elle l’emmenait … vers l’espace vert ? Mais même à cette distance, il voyait autre chose. Ce n’était pas l’espace vert qu’il apercevait mais … un imposant vaisseau ? Il devait bien faire un bon kilomètre de longueur, ce qui était tout simplement énorme. Et il ne fallait même pas parler de la hauteur, une bonne vingtaine de mètres.

Mais son espace … vert ? Il n’était plus là ? Il se tourna vers Galatée, celle-ci lui signalant que tout avait été déplacé à l’intérieur du vaisseau-monde mais aussi qu’il n’avait presque plus aucune fortune. Tout avait été dépensé dans l’acquisition d’un tel objet ou plutôt … sa création. Pourquoi est-ce qu’elle avait fait ça ? Pourquoi ?

- Tu voulais voyager dans l’espace, non ? Je t’en donne la possibilité.

- Toute ma fortune … disparue en un seul objet. Enfin non … C’est autre chose, c’est différent, c’est bien plus grand et merveilleux. Mais pourquoi ? questionna le jeune homme androïde.

- C’est un peu différent de ce que tu crois, Pygmalion. Ce vaisseau n’a pas été acheté mais l’argent dépensé a servi à créer ceux qui ont bâtis. Mais pourquoi j’ai fait cela ?

Pourquoi ? Car elle ne pouvait pas oublier les instants qu’ils avaient passés ensemble dans l’espace vert. Elle aussi voulait voir les étoiles. Elle invita Pygmalion à pénétrer dans le vaisseau, là où déjà de nombreux androïdes provenant du manoir s’y trouvaient. Ils étaient une bonne quarantaine de « personnes » présentes à l’intérieur, quantité plus que suffisante pour pouvoir faire décoller le vaisseau.

Bien entendu, il n’y avait pas que cela et elle lui fit visiter l’intérieur même du vaisseau tandis que les androïdes se préparaient déjà à quitter la terre ferme. L’espace vert avait été intégré voire même agrandi. Des pièces qui constituaient les salles de repos, la cuisine, la salle de création et … Le jeune homme s’arrêta dans cette pièce. Des machines, de nombreuses machines, comme sa pièce où il avait créé Galatée mais aussi ses androïdes. Sans même besoin qu’elle lui explique, Pygmalion savait ce qu’il allait devoir faire pendant ce long voyage qui allait durer une éternité : créer de nouveaux androïdes, créer une communauté entre l’homme et le robot. Finalement, elle lui tendit une paire de lunettes avant de reprendre la parole, l’emmenant dans une pièce qui semblait complètement vide. Pourtant, peu à peu, des objets se formaient devant ses yeux, majoritairement faits de métal. Elle murmura doucement alors qu’il apercevait des milliers de minuscules créatures au sol.

- Des nano-robots. Si tu as été capable de donner la vie, cela ne fut guère difficile de faire de même de mon côté. Ces nano-robots sont capables de construire à une vitesse prodigieuse et ce vaisseau que tu as aperçu le fut en quelques heures grâce à ces derniers. Capables de se reproduire et de se réparer en cas de détérioration, ils ne répondent qu’à mes commandes. Pour le moment, je leur ai demandé de concevoir tout ce qui s’avère nécessaire pour notre survie dans l’espace, que cela soit au niveau de l’oxygène, objets matériels ou « alimentation » bien que nous ne soyons plus vraiment humains. De même, ils sont capables d’aider à ce que l’écosystème que tu as créé dans ton espace vert soit en parfaite santé. Nous reproduirons ce qui nous plaît à l’un ou à l’autre … ou alors aux androïdes de cette communauté. A nous deux, nos inventions nous permettrons de créer un monde meilleur, un monde bâti selon nos idéaux. Qu’en penses-tu ?

Ce qu’il en pensait ? Il lui tapota avec douceur le sommet du crâne tout en la félicitant. Si seulement il avait su bien plus tôt ce dont elle était capable … Mais le passé était le passé et maintenant, Galatée avait ses propres compétences. Des compétences qui pouvaient se joindre aux siennes pour améliorer le vaisseau dans lequel ils se trouvaient.

Pendant qu’ils visitaient le vaisseau, celui-ci s’était mis à trembler brièvement, signe qu’il avait quitté le sol. Quelques instants plus tard, il traversait l’atmosphère pour le dépasser. Les deux personnes s’arrêtèrent devant un hublot, chacun tenant la main de l’autre. A travers la vitre, les étoiles étaient visibles, signe qu’ils avaient quitté la planète Terre. Dorénavant, une nouvelle vie s’offrait à eux, membres d’une nouvelle espèce.


Texte publié par ShiroiRyu, 28 mars 2024 à 15h48
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