À bout de souffle, le marchand mit ses mains en porte-voix.
« Maho ! »
Aucune réponse, à part un Roucool qui s’envola. Soucieux, il tira sur la longe du vieux Bélier pour reprendre ses recherches.
Le Rhinocorne l’avait traîné sur plus d’un kilomètre avant d’oublier la raison de sa fuite. Il s’était aussitôt assoupi dans une flaque boueuse, sans une pensée pour son maître. Ce dernier était couvert d’ecchymoses et de coupures. Son jinbei empestait la vase. Là où ses mains n’étaient pas écorchées, on trouvait une ampoule éclatée. Et pourtant, dès que son idiote de bête se réveilla, il fit demi-tour.
L’oncle se fraya un chemin à travers les étangs aussi vite que son pas boitillant lui permit. Le Divin Ho-Oh soit loué, il était assez familier avec le marais Fosmer pour retrouver son chemin jusqu’à la rivière.
Son cœur de marchand se serra en voyant le sang noir de sa charrette éventrée dans l’eau. Mais ce n’était pas le plus important. Plissant les yeux pour scruter la berge opposée, il appela encore une fois sa nièce. S’il l’avait perdue, si par sa faute ce monstre l’avait dévorée, il ne se le pardonnerait jamais.
Ses yeux s’embuaient déjà quand il décela une tache de couleur qui n’avait pas du tout sa place dans ce maudit marais.
« Maho ! »
Une forme se redressa entre les roseaux. Il crut s’envoler de soulagement en reconnaissant sa silhouette. Sa voix ne lui parvenait qu’en syllabes détachées.
« Ne bouge pas ! J’arrive ! »
Elle n’avait probablement pas compris son message, mais tant pis. Il se dépêcha de longer le cours d’eau en pestant contre l’indolent rhino qui n’avançait qu’à son rythme. Le pont le plus proche était en aval, qu’il atteignit après une heure de marche. Le vieux Bélier renâcla en s’engageant sur les planches, sans se souvenir pourquoi. Qu’importe, son maître ne lui aurait pas laissé le choix.
Enfin, après ce qui lui sembla une éternité, le marchand arriva en vue des vestiges du pont.
« Maho ! »
La tête de la jeune fille sortit prudemment de la rive en contrebas. Ses yeux gris s’écarquillèrent. Elle dut s’y reprendre à deux fois pour se lever, et se précipita dans les bras de son oncle. Il lâcha la bride pour l’enlacer. Elle enfouit son visage dans son habit crasseux. Des sanglots violents la saisirent, secouant jusqu’au vieil homme qui lui caressait doucement les cheveux.
Quand elle sembla se calmer, il s’écarta pour l’examiner.
« Tu n’es pas blessée ?
- N-Non mais j-j-je…
- Respire, prends ton temps. Tout va bien. Je suis là. »
Il prit une grande inspiration pour donner l’exemple. Elle l’imita sans réfléchir. Ses tremblements diminuèrent sans disparaître.
« Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment…? »
Il n’avait pas le cœur de prononcer les mots, mais sa nièce comprit son intention.
« J-j’ai pas fait e-exprès. »
Elle tendit ses mains hagardes et, avec une immense prudence, écarta les doigts.
La Poké Ball reposait entre ses paumes moites. Elle la tenait comme un insecte qu’elle ne voulait surtout pas laisser s’échapper. À ses phalanges blanchies, on devinait qu’elle l’avait gardée ainsi piégée depuis longtemps.
« I-il venait sur moi et, et j’ai jeté tout ce que je trouvais, et je savais pas que c’était ça, et il a disparu, et il a… »
Les mots s’enchaînaient sans qu’elle prenne le temps de respirer. Seul le souvenir de la gueule béante la fit soudain s’interrompre dans un gémissement étranglé.
« Maho, ce n’est pas grave.
- M-m-mais… Dame Otoha…
- Ne t’en fais pas pour ça.
- Et la charrette…
- Peste soit cette charrette ! »
Elle sursauta à son brusque éclat de voix. Il posa ses mains meurtries sur ses épaules, planta ses yeux dans les siens.
« Ce n’est pas la première fois que je perds de la marchandise. La charrette, le charbon, même cette Poké Ball, tout ça je peux le remplacer. Pas toi. »
Maho le dévisagea avec incrédulité. De grosses larmes roulèrent sur ses joues, emportant petit à petit sa terreur.
Blottie contre son oncle, elle pleura jusqu’à épuisement.
« Oui Ryûnosuke ? »
Pour que l’intendant se fasse connaître alors que la seigneur d’Écorcia se préparait dans ses appartements, cela devait être important.
« Veuillez pardonner mon intrusion, Dame Otoha, fit-il depuis l’autre côté du shôji. Une missive du marchand Sen’Ichi vient de nous parvenir à l’instant.
- Sen’I… Il aurait déjà atteint Rosalia ?
- Hélas non. Le Roucool provient de Mauve-la-Sacrée. »
Il sursauta quand la noble dame ouvrit le panneau coulissant sans prévenir, et détourna le regard au cas où sa toilette n’était pas complète.
« Eh bien ?
- I-il nous informe avoir été attaqué par un Aligatueur lors de sa traversée du marais Fosmer. Fort heureusement, ni lui ni sa nièce n’ont été blessés, mais ils ont perdu l’intégralité de leur marchandise durant l’attaque.
- Hum… Voilà qui est fâcheux. »
Bien que la confection des Poké Balls se soit améliorée maintenant que la famille entière de Maître Risaki avait appris à les créer, leur fabrication restait hasardeuse. Sans entrer dans le détail, la doyenne lui avait expliqué que bien des facteurs pouvaient donner lieu à une capsule défaillante. La maturité du Noigrume, une pièce mal ajustée, la qualité du fer. Mais même lorsque tous ces éléments étaient parfaits, il arrivait que la Poké Ball demeure inerte sans aucune explication. Aussi, même l’exceptionnelle grand-mère ne parvenait à compléter son ouvrage qu’une fois sur trois pour l’instant.
Or, l’automne était la dernière saison pour récolter les fruits. Ils ignoraient encore si des Noigrumes secs ou âgés donneraient un quelconque résultat. Maître Risaki comptait explorer cela durant l’hiver, mais en attendant, ils ne pourraient probablement fournir qu’une poignée de nouvelles Poké Balls à la capitale d’ici le Gin Matsuri.
« Enfin… L’essentiel est qu’ils soient sains et saufs.
- Il y a autre chose… Ils seraient apparemment parvenus à capturer l’Aligatueur.
- Vraiment ?
- Oui. Il s’excuse par ailleurs, car ils ont utilisé une Poké Ball par accident. Il dit pouvoir le livrer à Rosalia comme ce qui était convenu à l’origine, ou vous propose de plutôt le confier au clan Fusube en raison de la nature de la bête. »
Dame Otoha ferma ses yeux maquillés.
La question se posait, effectivement. D’un côté, porter l’Aligatueur à Rosalia était le plus logique, puisqu’elle honorerait ainsi sa commande auprès de l’Armée Impériale. Sans compter que le secret de la Poké Ball ne serait ainsi pas divulgué à d’autres clans, chose que la cour impériale souhaitait conserver.
D’un autre côté… Elle n’avait fait qu’envoyer des capsules vierges jusqu’à présent. Comment la Générale réagirait en recevant directement un Pokémon, qui plus est un tel monstre ? Peut-être prendrait-elle cela comme un affront, ou une tentative d’intimidation. Ce marchand n’avait pas tort de lui suggérer la deuxième option. Les seigneurs d’Ébenelle étaient les plus fervents apôtres du Culte de l’Écaille, habitués à respecter la Nature et les Dragons pour qui ils avaient érigé un sanctuaire. La place primordiale du Léviator Sacré dans l’enseignement de l’humilité promue par leur doctrine militaire leur avait d’ailleurs valu la charge du Seigneur Yatsuatari, alors qu’Acajou était plus proche du Lac Colère. Si quelqu’un devait réussir à maîtriser un Aligatueur, c’était eux.
« Soit, dis-lui de prendre la route d’Ébenelle. En revanche, qu’il nous prévienne une fois arrivé et qu’il attende mes instructions. Je souhaite vérifier auprès de Sa Majesté si elle nous autorise à leur dévoiler l’existence de la Poké Ball. »
C’était le choix le plus prudent. Surtout que la Générale était la petite sœur de l’actuel seigneur d’Ébenelle. Il y avait donc moins de risques que l’affaire ne s’ébruite, et cela pourrait aussi renforcer la loyauté du clan Fusube envers la couronne.
« Bien Dame Otoha. »
Ryûnosuke se retira comme la seigneur d’Écorcia quittait sa chambre pour rejoindre la cour principale. Son palanquin l’y attendait déjà. Elle n’eut même pas besoin de dire à ses gens où elle souhaitait se rendre : son escorte se mit en branle en direction du Puits Ramoloss dès qu’elle fut installée.
Malgré ses visites, la noble dame ne s’habituait pas à l’humidité de la caverne. Elle resserra les pans de son haori autour de ses épaules, espérant qu’elle n’aurait pas à le jeter lui aussi.
La jeune prêtresse se tenait déjà devant le torii menant au roi du puits.
« Bonjour, Dame Otoha, salua-t-elle en s’inclinant.
- J’imagine qu’il n’y a eu aucun changement…? »
La jeune femme secoua tristement la tête. Non, forcément. Elle aurait été bien plus gaie autrement.
En silence, elles descendirent jusqu’à la plateforme. Le vieux Roigada était assis au bord, la queue traînant dans l’eau souterraine. Il ne semblait pas avoir bougé d’un centimètre depuis la dernière fois.
Comme d’accoutumée, la seigneur d’Écorcia prépara son offrande, s’agenouilla.
« Seigneur Kiu, je vous remercie de m’accueillir en votre domaine, et suis heureuse de vous voir en bonne santé. Je suis venue vous apporter… »
Elle s’interrompit brusquement. Un bruit léger venait de se produire, qui aurait pu se perdre dans le concert des gouttes si ce n’était pour son anormalité. Une sorte de… Succion.
Dame Otoha releva la tête.
La silhouette imposante du Roigada Sacré semblait immobile. Pourtant, un imperceptible mouvement se devinait au niveau de sa coiffe royale. Elle penchait. Lentement mais sûrement, elle penchait.
Le Kokiyas se décrocha. Il tomba lourdement sur la plateforme en éclaboussant jusqu’aux deux femmes horrifiées. Son joyau s’était éteint.
La prêtresse se précipita jusqu’à sa divinité. Dame Otoha, pétrifiée, ne pouvait détacher son regard du crâne nu, encerclé de plaies noires par lesquelles les crocs avaient instillé leur poison.
Le Seigneur Kiu n’était plus.
Avec l’âge venait l’expérience, chose que l’oncle mettait à profit. Comme il l’avait dit à Maho, il lui était déjà arrivé de perdre sa cargaison. Aussi, afin de ne pas se retrouver ruiné en cas d’incident similaire, il avait pris l’habitude de déposer une partie de ses gains dans plusieurs grandes villes du Johto. Mauve-la-Sacrée en faisait partie, ce qui lui permit de racheter une charrette et de payer leur séjour à l’auberge le temps que la réponse de Dame Otoha arrive.
« Nous allons devoir remettre notre visite à Rosalia à plus tard, » informa-t-il sa nièce après avoir reçu la lettre.
Elle se contenta de hocher la tête sans conviction.
Maho était ainsi depuis qu’ils avaient repris la route. Hantée par sa rencontre avec la mort, elle s’était renfermée sur elle-même. Son oncle ne se souvenait même plus à quand remontait leur dernière vraie conversation. Elle restait là, muette dans son coin, une main toujours posée sur la pochette de son jinbei. C’était là qu’elle avait mis la Poké Ball emprisonnant l’Aligatueur. Elle refusait catégoriquement de s’en séparer, terrifiée qu’il se libère si elle la sortait. Comme le marchand avait hâte de s’en débarrasser pour retrouver la jeune fille curieuse qui lui manquait !
Comme il consultait sa carte pour vérifier leur nouvel itinéraire, une idée lui vint.
« Tiens ! Si nous quittons Ébenelle après notre affaire, nous pourrons gagner Rosalia juste à temps pour le Gin Matsuri ! Ce serait parfait pour ta première visite ! »
Tout le monde ne pouvait effectivement pas se targuer d’avoir assisté à l’un des deux festivals majeurs depuis la capitale. Pourtant, son enthousiasme demeura sourd.
Malgré ses réserves, l’oncle put à peine remplir sa charrette à moitié. Le prix des vivres pour le voyage avait trop augmenté, impactant bien plus son budget que prévu. La marchandise achetée s’était aussi montrée plus chère que lors de leur dernier passage à Mauve-la-Sacrée. La sécheresse commençait vraiment à se faire sentir, et c’est avec regret qu’il renonça à engager une escorte pour leur périple. Il n’avait pas le choix : outre leur solde, il n’avait tout simplement pas assez pour subvenir à une seule bouche supplémentaire. Heureusement, il se referait une santé financière à Ébenelle !
Ils quittèrent Mauve-la-Sacrée par une matinée maussade. Le ciel était aussi gris et lourd que le vieux Bélier, mais aucun nuage ne semblait décidé à pleurer. L’oncle n’était pas étonné. Cela faisait des jours qu’un orage couvait sans jamais éclater. La raison en était connue : le Seigneur Kiu était mort. Sans personne pour le commander, le ciel en faisait à sa guise, sans se soucier des Hommes.
Dans la campagne, les visions désolantes se multiplièrent. Les rizières qui, à cette époque de l’année, auraient dû ondoyer d’épis dorés que les paysans s’affairaient à récolter, n’étaient que des amas de paille desséchée sur une terre craquelée par la soif. Une fumée noire s’élevait parfois au loin, causée par un feu ou un pillage, qu’ils prenaient soin d’éviter. Plusieurs fois, ils croisèrent des gens dont la carcasse décharnée flottait dans leurs haillons. Le marchand fut même soulagé que Maho soit encore trop troublée pour remarquer la femme qui portait dans ses bras un nourrisson inerte autour duquel les mouches tournaient. Par précaution, il préféra ne jamais s’arrêter dans les villages.
Ils étaient parvenus aux collines annonçant le massif de l’Antre Noir quand l’oncle arrêta le Rhinocorne. Il plissa les yeux en observant la route au loin. Elle rétrécissait en devenant un chemin de montagne. Un côté était bloqué par le versant, l’autre était avalé par une forêt aux feuilles jaunies. Il serra la bride dans ses mains abîmées.
« Maho, appela-t-il d’un ton grave. Descends. »
Sa nièce, apathique, sortit de la charrette. Ses doigts effleurèrent la pochette par réflexe.
« Écoute-moi bien, dit-il sans la regarder, concentré sur l’horizon. Quand je te le dirai, tu devras courir. »
Devant son absence de réponse, il saisit son épaule pour lui faire face.
« Est-ce que tu as compris ?
- Qu… Hein ?
- Quand je te le dirai, tu devras courir. »
Ses yeux gris clignèrent pour l’ancrer dans la réalité.
« Mais pourquoi ?
- Je ne suis pas sûr. Une intuition. »
Il sortit de sa bourse des pièces enfilées sur une cordelette, les posa dans sa main.
« Est-ce que tu te souviens comment rejoindre Mauve-la-Sacrée ou Port Griotte ?
- Je… Je sais plus…
- Trouve une rivière et suis son cours. Évite les villages à tout prix, et ne montre à personne ni cet argent, ni la Poké Ball.
- Mais… Mais comment je te retrouverai ?
- Ne t’en fais pas pour moi, dit-il dans un faux sourire. L’important, c’est ta sécurité. Trouve des personnes de confiance et reste avec elles. D’accord ? »
Elle acquiesça, un peu sonnée. Elle rangea machinalement la corde de pièces dans sa pochette, caressa la balle au passage pour se rassurer. Après une grande inspiration, le marchand reprit la marche.
Maho implora silencieusement le Phénix d’Orcœur pour que tout cela ne soit que le fruit de l’imagination de son oncle. Mais, quand ils s’engagèrent sur la piste de montagne, elle comprit avec effroi que son inquiétude était fondée.
Une demi-douzaine d’hommes sortirent des fourrés pour encercler la charrette. Avec leurs armes de fortune, ils n’avaient rien de guerriers. Tout au plus des paysans que la faim et le désespoir poussaient sur cette voie. La jeune fille se pressa contre son oncle comme ils approchaient en leur bloquant la route, mais celui-ci les adressa d’une voix claire.
« Bien le bonjour, chers amis ! »
Ils s’arrêtèrent, surpris.
« B’jour, » répéta l’un d’eux, vers qui les regards convergeaient. Probablement leur chef. « C’belle charrette qu’t’as là.
- Ah, mais elle est presque vide. J’ai bien peur de n’avoir rien à vous offrir.
- L’camelots, y disent toujours ça. Mais y z’ont toujours des trucs chouettes. »
Un bandit fouilla sans ménagement la cargaison. L’oncle demeurait étrangement calme.
« Y’a que d’l’encre et des pinceaux là-d’dans.
- Vous voyez ? »
Le chef grogna. Sa langue passa brièvement sur ses lèvres gercées comme il pointa sa fourche vers l’indolent rhino.
« L’a l’air ben dodu.
- Qui, le vieux Bélier ? Oh non, ce n’est qu’une vieille carne ! Vous ne dinstingueriez même pas sa chair de sa peau.
- La fille l’est ben jolie aussi. »
Maho frémit en rentrant la tête dans les épaules. Son oncle écarta le bras pour la cacher derrière lui.
« Elle n’est pas à vendre, » déclara-t-il d’un ton sec.
Un sourire moqueur dévoila les dents manquantes du chef.
« J’jamais dit qu’j’allons payer. »
Les bandits resserrèrent leur étau dans des rires grinçants. Maho sentit son sang se glacer dans ses veines.
Elle vit alors son oncle sortir discrètement quelque chose de sa manche.
« Cours ! » souffla-t-il.
D’un geste vif, il planta son couteau dans la fesse du Rhinocorne.
Il bondit en barrissant de douleur. Les bandits devant lui sautèrent pour l’éviter mais l’un d’eux, pas assez rapide, fut piétiné par la bête affolée.
Maho se précipita sans réfléchir dans la direction opposée. Elle cria quand une main attrapa sa queue de Ponyta. Mais alors qu’il la tirait vers l’arrière, le malfrat la relâcha en gémissant. Le marchand lui avait entaillé le flanc de sa lame. Elle se remit à courir.
Elle n’eut pas besoin de se retourner pour comprendre qu’on la suivait. Elle entendait les pierres rouler derrière elle, les halètements d’un homme. Il aurait tôt fait de la rattraper sur le terrain dégagé des collines. Emportée par l’énergie du désespoir, elle bifurqua soudain pour pénétrer les bois.
La pente fut plus raide que prévu. Elle la dégringola en se raccrochant aux racines, s’écorchant contre les arbustes. Alors qu’elle atteignait enfin le bas, elle entendit un juron furieux au-dessus d’elle. Le bandit la suivait. Sa seule chance était qu’il descendait lentement. Elle s’enfonça entre les arbres.
Elle ignorait combien de temps elle courut. Elle ne savait pas si elle parvenait à distancer son poursuivant. Elle ne voulait pas le savoir. Chaque son derrière elle la persuadait qu’il était juste là.
Mais l’adrénaline s'estompait. Ses jambes fatiguaient. Ses poumons la brûlaient. Hors d’haleine, elle fut obligée de s’arrêter. Mais elle ne pouvait pas rester comme ça ! Il la trouverait !
Cherchant frénétiquement autour d’elle, ses yeux gris tombèrent sur un arbre au tronc épais. Elle s’y précipita et, mobilisant ses dernières forces, réussit à escalader ses branches jusqu’à un creux trop haut pour qu’on le voit d’en bas. Elle s’y recroquevilla et écouta.
Autour d’elle, la forêt se préparait à la nuit. Des cris de Pokémon retentissaient çà et là. Quand un frisson secoua un buisson, elle plaqua une main sur sa bouche, l’autre se refermant sur la Poké Ball comme un talisman. Mais ce n’était qu’un Fouinar qui regagnait son terrier.
Les secondes s’écoulèrent. Puis les minutes. La nuit s’installa. Maho resta aux aguets, mais pas une voix, pas un feu ne troubla le silence noir.
Les rumeurs allaient bon train au sein du dojo de l’Armée Impériale. Les soldats se demandaient bien ce qui se tramait dans la cour centrale, à laquelle on leur avait interdit l’accès quand le nouveau Régiment de Dompteurs s’y entraînait. Déjà, c’était quoi ce nom ? Et ces rugissements qu’ils entendaient parfois. L’un d’eux soutenait même avoir vu la silhouette d’un monstre, par-dessus le mur ! Mais ils avaient beau interroger leurs camarades quand ils retournaient dans leur bataillon d’origine, ils n’obtenaient au mieux que des réponses évasives. Tamotsu semblait particulièrement enclin à les faire tourner en bourrique.
En tout cas, une chose était sûre. Quoi qu’ils soient en train de faire, c’était du sérieux. Sinon, comment expliquer l’état dans lequel la Mackogneur d’Irisia s’était retrouvée ? Quel choc ça avait été de la voir ainsi blessée ! Dire que certains étaient convaincus qu’elle était même insensible aux plumes d’Airmure !
Mion était revenue sur le terrain d’entraînement après un repos forcé. Son corps portait encore les séquelles de son affrontement avec la Steelix : sa peau cuivrée était zébrée de marques blanches. Sa jambe gauche arborait désormais une longue cicatrice qui courait du mollet à la cuisse, et s’élargissait là où l’os avait percé la chair. Elle gardait une certaine raideur en s’appuyant dessus, mais rien de bien gênant.
En tout cas, elle était heureuse de pouvoir enfin se dépenser à l’envi !
Elle devait reconnaître que ces Poké Balls étaient incroyables. Maintenant qu’elle l’avait capturé, le serpent de fer était aussi doux qu’un Wattouat. À mesure que les séances progressaient, la Steelix, baptisée Muraille en dépit de son armure bosselée, s’habituait à ses ordres et était désormais capable d’exécuter des manœuvres complexes. Cela ne l’empêchait pas de se recroqueviller légèrement à chaque fois que Mion s’adressait à elle. C’est qu’elle s’aimait à lui rappeler qui avait triomphé lors de leur duel à la manière d’un regard, une remarque ou en brandissant son nouveau kanabo. La masse à pointes avait été forgée avec la pointe de fer que la Goliath rousse lui avait arrachée. Celle-là-même qui lui avait servi de béquille pour rentrer à Rosalia.
Ce jour-là, les guerriers s’échauffèrent avec enthousiasme. Et pour cause ! La Générale les avait prévenus qu’un invité de marque assisterait à leur séance d’entraînement. Aussi, lorsque les portes s’ouvrirent, ils étaient déjà tous alignés et inclinés.
« Sa Majesté ! »
L’Empereur Akiharu en personne s’avança sur le plancher surélevé accompagné de la Générale, et s’installa sur le coussin qui lui avait été préparé. Appuyé sur son accoudoir, ses yeux vairons examinèrent chacun des guerriers. Il s’arrêta plus longtemps sur Yuzuha, et réprima difficilement un sourire.
« Dame Kisara nous a dit le plus grand bien de vous tous. Nous sommes curieux de vous voir maîtriser des Pokémon. Yuzuha, accepterais-tu de commencer ?
- Bien sûr, Votre Altesse ! »
Elle invoqua sa créature.
Il n’y avait vraiment que Princesse Macronium pour réussir à dénicher un Pokémon pareil. Le Scarhino dressa fièrement sa corne fourchue, dans une attitude digne des grands héros de jadis. Force et élégance émanaient naturellement de lui, que la guerrière noble n’avait fait que sublimer. Il n’avait pas volé son nom de Vaillant.
Yuzuha débuta sa démonstration en effectuant diverses passes d’armes avec le coléoptère en partenaire. Leurs armes s’entrechoquaient magnifiquement, dans une danse martiale à faire pâlir d’envie les plus grands maîtres. La jeune femme virevoltait en évitant les coups. Le naginata glissait sur la chitine sans l’abîmer. La corne faisait vibrer l’air en attaquant.
Soudain, sur un geste, Vaillant déplia ses élytres. La guerrière sauta sur son dos, et voilà qu’ils s’élevaient dans les airs ! Le Scarhino chargea les cibles épaisses disposées dans la cour, les soulevant pour que son maître les lacère habilement. Alors qu’ils fonçaient désormais sur un tronc qui avait nécessité six serviteurs, la lance se positionna à hauteur de la corne. L’écorce se pulvérisa en une pluie d’échardes.
Des applaudissements polis saluèrent sa prestation, alors que le souverain souriait franchement désormais. Ah ! Comme elle en avait fait du chemin, cette petite fille qui lui avait promis de le protéger étant enfant !
« Magnifique, Yuzuha ! Tu n’as pas failli à ta réputation.
- Merci Votre Altesse. »
Elle irradiait tant de fierté que même son masque habituel de noble ne pouvait le cacher.
Dame Kisara se râcla la gorge.
« Nirei, à toi.
- Est-ce celui que l’on nomme l’Hypotrempe Embusqué ?
- En effet, Votre Altesse. L’un des meilleurs archers de l’Empire. »
Ignorant la conversation à son sujet, il appela son Pokémon. Ou plutôt, ses Pokémon. Dans son dos, un Octillery enroula ses bras autour de ses épaules et sa taille, tandis qu’à ses pieds, un Héliatronc tournait son sourire vers le soleil.
Nirei montra d’abord ses propres talents. Avec son arc long, il décocha flèche sur flèche qui toutes crevèrent les petits sacs de sable suspendus aux tuiles du mur du fond. Mais c’est quand il s’empara de son arme courte que sa performance débuta réellement.
Le tournesol agita ses feuilles, soulevant une tornade végétale qui encercla l’homme de petite taille. Les traits empalèrent les pétales, mais ils n’étaient pas les seuls. Des tirs d’encre en abattaient tout autant. Cartouche, la pieuvre rouge, surveillait les arrières de son maître de sorte qu’il n’était jamais inquiété par une attaque sournoise.
Quand la rafale fut dispersée, l’Hypotrempe Embusqué jeta un œil à la plante. Ses pétales éclataient de soleil. Il désigna un gros rocher.
« Radiance ! »
L’Héliatronc pencha sa tête vers l’avant. Son éternel sourire disparut dans un flash blanc en relâchant la puissance de l’astre. Le rayon atteignit la roche en un éclair, l’absorbant dans sa lumière aveuglante. Il n’en resta plus qu’une base fumante une fois les couleurs revenues.
« Impressionnant, s’exclama le souverain. Très impressionnant ! Et quelle aisance avec deux Pokémon !
- Merci Votre Altesse.
- Maintenant, Tamotsu va…
- Si j’peux me permettre, Votre Altesse. »
La Générale fusilla le Capidextre Affamé du regard. Ce n’était pas le moment pour ses problèmes avec l’autorité ! Mais l’Empereur était intrigué.
« Qu’y a-t-il ?
- Ça me dérange pas de vous montrer ce que je sais faire. Mais est-ce que ce serait pas plus parlant en situation réelle ?
- Qu’entends-tu par-là ?
- Il propose qu’on s’batte tous les deux, Votre Altesse, » répondit Mion, un sourire jusqu’aux oreilles.
La Générale se massa le front en soupirant. Elle aurait dû se douter que ces deux-là mijotaient quelque chose.
« Hum… Voilà qui semble juste, acquiesça l’Empereur Akiharu. Qu’en dites-vous, Dame Kisara ? »
Comme si elle était en position de refuser.
« Très bien. Mais ce sera un combat jusqu’au premier sang ou abandon. »
Ricanant comme des gamins, ils coururent se mettre en garde.
Le monarque laissa échapper un son de surprise en voyant Mion se jucher sur la tête de Muraille, si haut qu’elle devait voir au-delà du dojo. En revanche, il s’inquiéta soudain en regardant son adversaire. Lui aussi avait deux Pokémon. Des Pomdepik. Guet et Apens, ainsi nommés car il avait plus de ventre que d’idées, pendaient depuis ses poignets, chacun enroulé dans une chaîne.
« Ce combat nous semble loin d’être équitable.
- Ne sous-estimez pas Tamotsu, Votre Altesse. Ces deux-là s’affrontent depuis le jour où ils se sont rencontrés. Il n’a certes jamais gagné contre elle, mais cela lui a appris à s’adapter. »
L’Empereur hocha la tête, perplexe.
« Commencez. »
Aussitôt, l’homme ventru tendit un bras sur le côté. Guet fusa en déroulant sa chaîne. Sentant une tension, il s’ancra dans le sol avant de tourner dans l’autre sens. Son maître revint à lui comme un yoyo, évitant la gueule grise qui s’écrasa.
Mion sourit alors que son serpent grinçait. Elle n’avait pas eu l’occasion d’affronter son rival depuis sa convalescence. Elle avait hâte de voir ce qu’il lui réservait avec ses toupies. D’un petit coup de kanabo sur la tête, elle déclencha la chasse.
Muraille fonça sur Tamotsu en soulevant des nuages de poussière. Mais il lui échappait toujours avec ses départs fulgurants et ses brusques changements de direction. Du moins… En apparence.
Utilisant son corps comme rempart, la Steelix avait petit à petit resserré ses anneaux pour réduire son champ d’action. Jusqu’à ce qu’il soit entièrement encerclé. Satisfaite, elle se redressa pour regarder sa proie.
« Alors, Tamotsu ? Qu’est-ce que tu dis de ça ? »
Elle ne trouva qu’un sourire de défi.
« Que je tiens enfin ma victoire ! »
Apens se propulsa dans les airs. Sa chaîne était à sa limite quand il retomba… En entourant l’une des pointes de la Steelix !
Le Capidextre Affamé escalada le serpent titanesque. Ses Pomdepik partaient et revenaient d’une simple pression sur les chaînes, lui assurant une ascension fluide et acrobatique digne de son surnom. Muraille avait beau bouger pour le déloger, elle n’était pas assez agile pour rivaliser avec lui.
Bientôt, Tamotsu atteignit la tête. Mais Mion l’attendait de pied ferme.
Anticipant sa trajectoire, elle balaya l’air de son kanabo.
La masse allait percuter son épaule quand il plongea brusquement pour disparaître sous la gueule. Surprise, elle se retourna immédiatement.
Elle n’eut pas l’occasion d’achever son geste.
Tamotsu surgit de l’autre côté pour la percuter au ventre.
Elle tomba.
Mion amortit sa chute en roulant au sol. Avisant son kanabo, que le coup lui avait fait lâcher, elle se rua dessus… Et sa main se serait faite écraser par Guet si elle ne l’avait pas retirée à temps.
À l’abri sur Muraille, son rival souriait triomphalement. Ah, comme il savourait ce moment ! Combien n’avait-il pas rêvé de prendre ainsi le dessus sur la Mackogneur d’Irisia ! Et voilà qu’elle était à sa mer…
La Steelix secoua brusquement la tête. Surpris, Tamotsu essaya de rester debout, mais il fut bien obligé d’obéir à la gravité quand elle se retourna complètement. Il envoya Apens s’accrocher à une de ses pointes… Mais la lourde queue de fer s’abattit sur la chaîne, projetant l’homme ventru au sol.
Muraille grinça. Elle était très irritée par ce drôle de bonhomme qui s’amusait de sa lenteur. Sa gueule béante plongea…
« Muraille ! »
Le nom tonna dans la cour.
Aussitôt, la Steelix se figea. Avant de se replier et revenir vers Mion.
Cette dernière posa son pied sur la tête plate dans une attitude dominante. Ses yeux fauves se plantèrent dans son œil rouge.
« J’peux savoir ce que tu fous ? Depuis quand t’es en position pour agir comme t’en as envie, hein ? »
Elle donna un petit coup de sa masse sur l’armure bosselée du serpent.
« Ou t’as p’têt besoin que je te rappelle qui de nous deux a tous les droits sur l’autre ? »
L’Empereur fronça les sourcils. Il était trop loin pour entendre les mots de la géante rousse. Heureusement pensa la Générale.
« Cessez le combat, ordonna-t-elle.
- N’est-il pas trop tôt pour déclarer un vainqueur ?
- Mion semble avoir un souci avec sa Steelix, Votre Altesse. Aussi, je préfère mettre fin à l’affrontement maintenant.
- Soit. »
Les guerriers revinrent s’aligner devant le souverain, qui les dévisagea tour à tour. Il ne manqua pas de remarquer l’amertume de Tamotsu.
« Nous vous remercions pour vos prestations. Cela fut très enrichissant. »
Ils s’inclinèrent respectueusement, restant ainsi jusqu’à ce que l’Empereur Akiharu quitte l’enceinte de la cour.
« Nous devons reconnaître que vous aviez raison, Dame Kisara. Ces Pokémon seront assurément un atout de choix au sein de l’Armée Impériale.
- Merci, Votre Altesse. »
Elle préféra garder ses doutes pour elle.
Ce n’est qu’en sentant les rayons du soleil sur sa peau que Maho constata avec surprise qu’elle s’était endormie. Elle était pourtant persuadée d’avoir passé la nuit aux aguets. Son corps protesta aussitôt de l’inconfort de sa position, qu’elle ne changea qu’après s’être assurée qu’elle ne craignait rien. Comme sa chair se calmait, les événements de la veille lui revinrent.
Ses dents se serrèrent. Son front se posa contre ses genoux. De grosses larmes roulèrent sur ses joues.
Son oncle savait ce qui l’attendait. Il savait, et pourtant, il avait préféré assurer sa survie à la sienne. Pourquoi, oh pourquoi n’avait-elle pas compris plus tôt ! Pourquoi n’avait-elle pas essayé de le convaincre de prendre une route plus sûre ? Pourquoi…
Ses sanglots se poursuivirent de longues minutes.
Quand enfin elle sécha ses larmes, elle se remémora les derniers mots de son oncle. Ses doigts tremblants s’enfoncèrent dans sa pochette pour serrer la cordelette de pièces. Il lui avait confié le reste de sa fortune. Mais avec l’explosion des prix, elle risquait d’en venir à bout rapidement si elle ne faisait pas attention. Elle sortit les écus pour les compter.
Sa main accrocha la Poké Ball. Le temps qu’elle s’en rende compte, la balle de bois s’échappait du tissu. Elle rebondit sur une branche, puis deux, en se soustrayant aux efforts de la jeune fille pour la rattraper.
Soudain, elle s’ouvrit dans une explosion lumineuse.
Le sang de Maho se glaça.
Au bas de l’arbre, l’Aligatueur ébroua ses écailles. À quatre pattes, il vagit légèrement en observant la forêt alentour. Ses narines humaient l’air avec curiosité. Peut-être sentait-il l’odeur de celle qui avait été sa proie ? Heureusement, il n’avait pas l’idée de regarder en haut…
Le ventre de Maho gronda furieusement.
Elle plaqua aussitôt ses bras dessus pour couvrir le bruit, mais trop tard.
Le saurien tourna la tête dans sa direction. Il se redressa sur ses pattes arrière, les griffes appuyées contre l’écorce de l’arbre, le cou étiré pour mieux voir la jeune fille recroquevillée sur son perchoir. Le cœur de Maho battait à tout rompre. Ses yeux gris étaient envoûtés par les iris vermeilles. Elle n’osait détourner le regard, comme s’il s’agissait là de la seule chose empêchant la bête de sauter pour la happer.
Les deux êtres restèrent ainsi immobiles pendant un temps indéterminé.
Puis, un grognement roula dans la gorge de l’Aligatueur.
Sans plus d’explications, il retomba au sol. Et s’éloigna en rampant.
Maho ne quittait pas des yeux le buisson dans lequel la queue du saurien avait disparu. Les fourrés avaient cessé de frémir depuis longtemps, indiquant qu’il n’était bel et bien plus dans les parages. Alors seulement la jeune fille décida de profiter de cette occasion.
Elle descendit de son arbre aussi doucement que possible, prête à remonter au moindre bruissement. Elle se figea quand son pied toucha terre. Mais rien ne perturbait la vie de la forêt. Elle récupéra la balle de bois peinte coincée entre les racines, et courut dans la direction opposée à celle empruntée par le monstre.
Peu lui importait où elle allait du moment qu’elle parvenait à mettre de la distance entre eux deux. Mais peut-être aurait-elle dû prêter davantage attention où elle mettait les pieds.
La jeune fille trébucha contre une racine tordue, et dégringola une pente camouflée par des arbustes. Sa chute prit vite fin dans des broussailles desséchées… Et déclencha un concert de cris.
La terre trembla alors qu’une harde de Donphan s’enfuyait devant elle en emportant leurs petits. Seule la matriarche, à la défense cassée, lui fit face en grondant. Un barrissement tonitruant retentit de sa trompe dressée comme elle creusait furieusement la terre de sa patte.
Comprenant l’avertissement, Maho voulut se relever pour s’éloigner…
« Aïe…! »
Une douleur aiguë traversa sa cheville enflée. Elle avait dû se la fouler en tombant.
Son cri ne plut pas à la Donphan, qui l’interpréta comme une menace. Se roulant en boule dans son armure éraflée, elle la chargea.
L’éléphante allait la percuter… Quand un geyser l’atteignit au flanc.
Elle barrit en déraillant sur plusieurs mètres. Le temps qu’elle se redresse, une masse bleue avait déjà fondu sur elle.
L’Aligatueur referma ses puissantes mâchoires sur sa gorge.
Il serra, ignorant les cris terrifiés comme ses crocs s’enfonçaient dans la peau grise. Il secoua violemment la tête, tirant tant et si bien que la chair finit par céder. Dans un râle ignoble, la Donphan s’effondra.
Son corps était encore parcouru de spasmes quand le saurien tourna son museau ensanglanté vers la jeune fille. Il l’observa à nouveau, alors qu’elle n’osait toujours pas bouger.
Dans un grognement perplexe, la bête avala la viande arrachée qu’il avait toujours dans la gueule. Puis, il poussa la carcasse vers elle.
Il dut recommencer son opération plusieurs fois pour que Maho comprenne enfin son intention. Il ne la mangerait pas. Il lui offrait au contraire de quoi manger.
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