Mes volets sont fermés depuis longtemps. Mais je tremble encore, de froid ou de peur, je ne saurai dire. Dehors le vent hurle avec toujours autant de rage et de férocité. J’entends gémir les ramures, qui agonisent sous les coups de boutoirs des éléments. Les branches se brisent, tandis que les écorces éclatent sous les effets du givre, les racines se tordent de douleur sous la morsure du gel ; en fait c’est tout toute la nature qui agonise. Je veux me percer les tympans pour ne plus entendre tous ces cris d’orfraie. Voilà, je ne sens plus rien, c’est à peine si la douleur me foudroie au moment où le monde s’assourdit. Le filet chaud d’un liquide, à l’odeur suave de métal, se répand dans ma nuque. J’en goûte les fruits doux et délicats, tout en savourant ce silence bienfaiteur. Mais alors j’aperçois ma main gauche maculée de sang chaud.
– Non ! Qu’ai-je fait ! Non ! Non, je ne veux plus voir ça !
Je hurle, je perds mon souffle et mes mains obéissantes s’en vont m’arracher à mes visions. Plongé dans un sceau de Ténèbres, je savoure ce monde nouveau, tout en silence et en noirceur.
Mais… mais… quelle est cette sensation, quel est ce vide qui me tire à lui ?
La terreur me paralyse. La peur me fige.
Où suis-je ?
Une voix ricane alors d’un rire dément :
– Bienvenu dans le Néant, Voyageur ! Ah, ah, ah, ah, ah !!!
Brusquement tout cet univers de cauchemars bascule et guidé par un simple lumignon, je me fraye un passage dans la terreur, jusqu’à… jusqu’à mon bureau, où j’émerge enfin. Je suis toujours dans mon fauteuil, le feu darde sa bienveillance et le vent semble s’être assoupi. Je regarde autour de moi, une sueur glacée coule le long de mon échine et mes mains tremblent encore. Je ne suis pas sûr de ce qu’il s’est passé. Mais en aucun cas je n’ai dû plongé dans l’Onirie, malgré certaines vibrations communes. Ne s’agit-il pas plutôt d’un voyage dans un souvenir. Mais… lequel ? Une chose est certaine quelqu’un a voulu me terrifier. Mais pourquoi ? Y aurait-il un secret que je m’apprête à découvrir dans ce second cabinet, que je n’ai presque jamais ouvert ? Mais avant de plein dans ce mystère, rien ne vaut un petit moment de paix. Je monte alors dans la cuisine pour en redescendre un quart d’heure plus tard, porteur d’un plateau fumant et apaisant. Délicatement, je déguste ce bouquet de printemps, pour le moins incongru en cette saison, et me plonge dans ce parterre parfumé qui chasse les noirceurs de mon esprit. Une fois mes nerfs un peu plus sereins, je m’approche de la fresque, dont je caresse avec tendresse les contours. Cette fois le jeu des constellations se fait plus subtile et complexe, car il me faut jouer à la fois sur les espaces et sur les temps. Tout d’abord il me faut étirer le Grand Fourneau et attirer le Dragon, qui le mettra à rougir. Puis amener la constellation de la table, sur laquelle je tracerai les plans de la Machine Pneumatique, à l’aide de la Règle et du Compas. Ensuite je la chargerai sur la Carène pour l’emmener vers le Fourneau. Et tandis que j’assemble les étoiles, les bas de la fresque commence à briller de mille feux bleutés ou rougeoyants. Il est temps de rassembler les constellations, avant que mon fourneau ne surchauffe. Brodant des voiles à l’arrière de la carène, j’invite Céphée à les gonfler, pour envoyer mon vaisseau vers la chevelure de Bérénice. À bon port, la machine se niche dans l’âtre brûlant, où elle ronronne de plus de plus en plus fort. À mesure que cliquettent les engrenages et les courroies, la fresque s’entrouvre. Elle dévoile alors, non pas mon cabinet avec ses théories de liqueurs, mais une nouvelle pièce dépourvue de fenêtres.
À ma gauche, je décroche une lampe éthérique qui s’allume dans un bruissement de feuilles d’automne. Elle révèle une alcôve, où se dresse une petite bibliothèque protégée par deux portes en verres, un bonheur du jour à la mécanique complexe et un grand coffre poussiéreux. Le bonheur du jour renferme les souvenirs de ma famille et le coffre les miens. De temps en temps, j’apprécie de pouvoir me retirer dans cette pièce. J’ouvre le coffre en bois, d’où je sors un train en bois, un ourson en peluche ou un livre d’image. Plus rarement je consulte la bibliothèque. Elle renferme des livres, plus ou moins rares, mais tous précieux à mes yeux. Le bonheur du jour… ah… que dire de ce meuble étrange et mystérieux. J’aimerai vous dire que j’en connais les moindres secrets, jusqu’à la plus petite anecdote à son sujet. Mais non, rien de tout cela, car ce meuble me fait peur. Je me glace d’effroi dès que je m’en approche. Alors je préfère le laisser là, dans son coin, retiré, inerte et froid. Pourtant ce soir, les choses sont différentes. Je sens encore le boulet de l’appréhension s’enchaîner autour de mes chevilles, sans que je ne ressente nulle entrave, comme si ce n’était qu’un écho. Mais détournons-nous pour le moment de lui, car nous avons un livre qui nous attend.
Ouvrant d’une main nettement assurée la lourde porte en verre, j’approche ma lampe éthérique des rayonnages. Mon doigt courre sur les tranches jusqu’à l’objet de mes désirs ; un volume relié de cuir rouge et terni par l’âge. Je m’en saisis et, ayant refermé le battant, je retourne m’installer dans mon bureau.
-- Die Annale für Physics : « Erwägungen über die Energie, die Schwankung und die Menge der Welten. » C.G. Jung und M. Ebernezer, ai-je lu, tout en caressant d’une main distraite la couverture rugueuse. Il y a bien longtemps, que je ne t’ai pas ouvert.
J’en éprouve la musique en compulsant rapidement les pages qui glissent entre mes doigts. Arrivé à la dernière page, je m’apprête à me faufiler jusqu’à la table des matières, lorsque je remarque un très léger renflement dans la tranche. Intrigué, je penche l’ouvrage sous la lumière rasante. Habillement dissimulé, une fente a été aménagée dans la couverture, sans doute pour y glisser un document. Me saisissant d’une longue pince plate en métal, qui traîne dans l’un de mes innombrables tiroirs, je la glisse à l’intérieur. Très vite, je sens une résistance et je me saisis enfin de ce qui ressemble à un fragment de parchemin. Une fois extrait, j’examine enfin de plus près ma découverte. C’est une feuille de papier filigranée sur laquelle je distingue une écriture à peine lisible, tant elle était minuscule. En l’observant au travers de ma lampe, je reconnais des armoiries militaires du début de l’empire. Voilà qui me surprend, ce papier aurait donc plus d’un siècle d’existence, alors que le livre que je tiens entre les mains a au plus une quinzaine d’années. De plus, je ne suis entré en possession de cet objet seulement quelques années auparavant, dans des circonstances, qui aujourd’hui m’échappent. Je n’ai que deux hypothèses : ou ce billet est un faux, auquel cas le feu le dévorera, ou il est authentique et quelqu’un lui aura fait traverser le siècle, avant de le glisser dans cet ouvrage, sachant que je le remarquerai. De toute façon ma curiosité est souvent la plus forte et faux ou non, je meurs d’envie de l’assouvir. Délicatement, j’ouvre le précieux parchemin et le place sous ma lampe. Hélas, même ainsi je suis incapable les caractères, ils sont bien trop petits. Seule une armée de mouches serait capable de pareille prouesse. Qu’à cela ne tienne, armé de ma loupe éthérique, il ne pourra que me révéler ses secrets. M’emparant de mon instrument, cette fois bien rangé dans son étui plombé, je me mets en charge de déchiffrer les caractères. A peine en ai-je effleuré la surface, qu’une nouvelle surprise m’attend. Une image vient de littéralement jaillir du texte. J’ai ouïe de certaines illusions d’optique, qui ne se dévoilent que sous certains angles de vue, les anamorphoses ou encore la dissimulation d'une image dans un texte en jouant sur son agencement. Cependant je ne pensais pas le procédé aussi ancien. Pour en avoir le cœur net, je repose ma loupe dans son écrin et place le parchemin en face de mon regard, tout en le laissant dériver. C’est alors que de nouveau la magie opère et surgit cette image nettement familière. Hélas, les pliures du manuscrit ont altéré les contours et je ne peux qu’indistinctement discerner la chose. Reprenant ma loupe, j’examine une nouvelle fois l’étrange objet. Je reconnais le vieux bonheur du jour, en même temps que la curiosité pique de plus en plus mon esprit, malgré la répulsion que ce dernier m’inspire. Je me demande si ce meuble n’est pas un univers à lui tout seul. Je me souviens une fois seulement l’avoir examiné de fond en comble, sans jamais y avoir découvert quoique ce soit. En le voyant, je ne me départis jamais d’une certaine répulsion à son encontre, comme s’il renfermait un fragment de Ténèbres. Et la découverte de ce parchemin ne fait que renforcer un peu plus ma conviction à son sujet.
Mais ce ne sont ni les tisanes, ni les liqueurs qui me seront secourables cette fois. J’ai seulement besoin de courage pour découvrir ce qui se dissimule derrière ma peur. Par précaution, je sors de mon bureau vérifier que la maison est bien à l’abri de la moindre intrusion. En la traversant ainsi, je me donne l’impression d’être une âme en peine, à la recherche d’elle-même. Quand je reviens, je ne suis plus que l’ombre de moi-même, être funeste et lugubre. Je ferme à double tour la porte de mon bureau. Je vérifie encore une fois mes volets, avant de jeter une ou deux bûches dans la gueule avide de ma cheminée. Face à moi, dans la lumière spectrale, se détache le bonheur du jour, en bois d’acajou. Plongé dans cette sinistre lueur, il semble vivant, comme un cœur luisant et rougeoyant. Je m’en approche, tandis qu’un profond malaise prend possession de moi. J’ai encore à l’esprit le terrible et troublant avertissement, qui m’a été adressé. J’entends encore l’écho de cette voix abominable :
– … le Néééééaaaaaaannnnnnt… eur !
Mais cela ne fait que renforcer ma détermination à en découvrir le secret et à m’opposer à ce mal-être qui m’envahit peu à peu. Je sers les dents jusqu’à ce que la douleur et la fureur refluent complètement. Enfin mon cœur s’apaise et le spectre noir s’éloigne. Je tire alors la chaise placée devant le meuble et m’y assois de bon aloi. Je le caresse du regard. En échange il me renvoie son chant palpitant. Je pose alors une main dessus et, fermant les yeux, je l’écoute chanter. J’entends les gémissements du bois qui craque, le cliquetis d’une mécanique, les stridulations du cuir qui soupire, les vibrations d’un nœud de dimensions. Voici ce qu’il me faut chercher, maintenant que je l’ai perçu. Et pour cela, une seule voie s’ouvre à moi : pénétrer dans le rêve de cet objet.
Toujours les yeux fermés, je pose ma main gauche sur le bonheur-du-jour, tout en me concentrant sur les harmoniques de son cœur. Autour de moi, je ne sens plus rien, en fait mon corps n’a plus de sensations, mon esprit est, lui, dans une forêt de Ténèbres, symbole de ce fragment, plutôt entraperçu. Néanmoins, ce n’est pas là que je souhaite me rendre, aussi reflue-je vers les strates supérieures du rêve. Je découvre un atelier de menuisier, un atelier d’horloger suisse et le laboratoire d’un chimiste. Je me saisis des trois tableaux et les superpose, mais rien ne se produit. Je les tourne alors sur eux-mêmes, attentifs aux moindres bruits. Le tableau final ressemble au Nu descendant l’escalier de Marcel Duchamp, revisité par Otto Dix. Au centre la toile, qui enfin se dévoile. Je l’attrape et la sors de son cadre, son cœur palpitant posé au-dessus et sa géométrie surdimensionnée. En effet ce qui se déploie sous mes yeux n’est autre qu’une version dépliée de ce meuble, à cheval entre les univers. Ceci n’est pas pour me rassurer, car cette configuration ne peut exister qu’ici, dans l’Onirie. Ailleurs elle s’effondrerait sur elle-même. Cependant il faut prendre son cœur avec moi, enfin ce qu’il contient, pour l’emporter avec moi dans le monde sensible. En soi ce n’est pas une chose fort contraignante, aux vus de la taille de l’objet. En revanche sa masse psychique est autrement plus colossale. Il m’en coûtera, mais ce n’est qu’à ce prix que j’en arracherai la vérité, encore plus si elle me concerne. Je détache alors le cœur du meuble. En soi il ne pèse rien, mais ce qu’il contient n’est presque que noirceur. Délicatement, je replie les dimensions du cœur jusqu’à n’en laisser que trois. Celui s’ouvre alors révélant un carnet en cuir tanné, à peine gâté par les ans. J’approche la main et m’en saisis vivement. J’ai envie de hurler de douleur sous l’effet de la morsure et de lâcher prise. Cependant je tiens bon, je ne peux céder maintenant face à l’Ombre qui s’échappent du carnet. Combien de temps a duré ce duel onirique ? Comment pourrai-je le savoir ? Mais la trace sanglante qui marque ma main me le rappellera pour longtemps. Désormais en possession de ce précieux objet, je peux enfin sortir de ce rêve. Je commence à comprendre pourquoi ma cliente tenait tant à me rétribuer autant.
Et voilà, je suis de retour. Devant moi le bonheur du jour a perdu de son aura. Ce n’est plus qu’un honnête meuble aux rouages savants. Dans mes mains, je tiens un carnet sur lequel goutte un peu de sang. Comme je ne tiens pas à voir la gangrène dévorée mes chairs, je cours dans ma salle de bain. Là, je plonge ma main dans un bassin contenant un mélange d’alcool et de phénol. Heureusement que j’ai reçu, comme tant de mes concitoyens, les préparations vaccinales de monsieur Pasteur et de ses collaborateurs. Je lave soigneusement ma plaie avec du savon, avant de la replonger une fois de plus dans la solution. Je l’enveloppe ensuite dans une gaze propre, que je ne garderai pas trop longtemps pour ne point laisser s’affaisser les chairs. Une fois pansée, je retourne dans mon bureau pour y examiner de plus près ma découverte. Installé dans mon fauteuil, j’observe le carnet. Sur sa couverture, en lettre d’or, je lis : Mémoires du Général Beaujard, directeur du Projet Persona. Je sursaute à la lecture de ce nom, car l’image d’un masque grimaçant vient de surgir du néant. S’agit-il d’une coïncidence ? Sans doute, néanmoins seule mon exploration de ce manuscrit m’en apportera la preuve. Sentencieusement je l’ouvre. À l’intérieur, d’une écriture souple et sèche, s’étalait un nom : Projet Persona ou les Fondations d’un Empire Maudit. Je comprends aussitôt les multiples précautions prises pour le dissimuler aux yeux du monde. Rien que pour sa détention, si j’étais dénoncé, ce serait le bagne ou l’asile. Dans le lointain l’horloge a égrainé onze, douze, puis un coup. Je ne l’ai de nouveau entendu que lorsqu’elle eut donné six coups. Le soleil se lève à peine et je viens de passer la nuit entière à lire, relire ces feuillets, jusqu’à les connaître par cœur. Bien que la chose politique ne soit pas de mon plus grand intérêt, je tiens entre mes mains une véritable bombe. Plus d’un siècle s’est écoulé depuis la grande bataille de Waterloo, qui avait vu la victoire de Napoléon. Nous avons su, bien que tardivement, qu’un engin révolutionnaire lui avait octroyé la victoire, sans que sa nature exacte nous en ai été révélé, pas plus que le machiavélisme et le cynisme, dont avait fait preuve l’empereur.
Cependant ces considérations historico-politiques ne sont que des peccadilles, en comparaison du danger que représente ma découverte. En effet, il y a 110 ans une brèche s’est ouverte, offrant un passage vers les territoires les plus sombres de l’Onirie. La déchirure s’est depuis refermé, mais depuis la frontière entre nos mondes est fragilisée. Et même si l’ouverture n’a duré qu’une poignée de secondes, ce qui en est sorti est autrement plus inquiétant, tout autant que le sort des survivants. S’explique ainsi le malaise que je ressentais chaque fois que je m’en approchais. Cependant je ne m’explique pas encore le lien avec l’affaire qui m’occupe, du moins pas encore. Mais ce ne sera pas pour tout de suite, je n’ai plus la force de mener la moindre réflexion. J’ai besoin de repos. Mais avant de m’en remettre aux bras de Morphée, je range ce carnet dans son sanctuaire. Heureusement la chose m’est plus aisé maintenant que j’ai percé son secret. Une fois accompli, je referme la fresque et les constellations reprennent leurs positions respectives. Enfin, je peux m’octroyer ce repos fort mérité, en m’abandonnant dans le coton amidonné de mon lit. J’ai pensé ne dormir que quelques heures tout au plus, certainement pas faire un tour d’horloge complet et même deux tours, car lorsque j’ouvre les yeux, le soleil est dans la même position qu’à mon couché. Qu’à cela ne tienne, je mange un copieux petit déjeuner, avant de me rendre prestement à la mairie, où j’espère y découvrir quelques indices sur ce mystérieux général Beaujard.
Selon toute vraisemblance, il a vécu à Clamart. Sans doute pourrai-je aussi aller à l’église pour y consulter les registres de sa famille. Sait-on jamais quelles surprises peuvent s’y dissimuler. Néanmoins, je ne sortirai certainement pas dans un accoutrement d’aussi mauvaise mise. D’autant que certaines de mes affaires ne se sont pas empressées de se rendre chez le blanchisseur. Attrapant au hasard quelques vêtements propres, je descends promptement à la salle de bain pour y exécuter mes ablutions. J’en sors ensuite avec un sac de toile à l’abdomen rebondi sur le dos. Un quart d’heure plus tard, je suis dehors à faire la queue devant la devanture de la blanchisserie. Devant moi quatre ou cinq personnes attendent, visiblement fort irritées. Je ne peux m’empêcher de sourire de la situation, en voyant ces gens élever dangereusement le rythme de leur palpitant, pour quelques minutes d’attente. C’est ainsi que s’écoule le temps, rythmé seulement par les imprécations de gens qui s’impatientent. Bientôt mon tour arrive et je dépose mon sac sur le comptoir. La propriétaire, une femme chenue au visage parcheminé, le soulève lestement, comme s’il n’était s’agit que d’un sac empli de plumes. Elle compte les vêtements, les jetant au fur et à mesure dans une panière en acier numérotée. Enfin, elle me tend un reçu en échange de l’écot que je lui tends. Je la remercie et sors, en direction de la mairie et de sa place grotesque.
En chemin, je croise quelques personnes emmitouflées jusqu’aux oreilles, avec des bonnets de laine rouge, qui leur donne des allures de réclame, pour une boisson à base de coca. Avisant un kiosque à journaux, je m’en vais aux nouvelles. Voici plusieurs jours que je n’ai pas acheté le Canard Enchaîné, qui malgré une censure féroce, n’en continue pas moins inlassablement de paraître, contrairement à nombre de journaux qui ne circulent que sous le manteau. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait là pour le pouvoir, un moyen d’offrir un canal d’opinion à son opposition. Cependant ce journal affiche en l’occurrence une stricte neutralité politique, n’épargnant personne. Mais alors que je m’approche de l’étal, une chose me surprend. À la une de tous les journaux sans exception, à la formulation près, s’étale en gros et gras caractère : Le Vol des Visages, avec à l’appui de ce titre tapageur des photographies d’œuvres, où le visage avait été substitué par une chose, que je ne connais que trop bien. Si je n’avais pas sombré dans les bras de Morphée plus tôt, je crois que je lui aurai mandé audience sur le champ. Je bredouille quelques mots à l’adresse du kiosquier, qui me tend une épaisse liasse de journaux. Je lui tends de cinq francs, en le priant de garder sa monnaie. Je n’aurai pas assez de mes deux bras pour la ranger. Il me remercie avec un grand sourire, tandis que je me dirige vers la mairie. Je préfère être au calme chez moi pour les lire. Aux vues des événements ce ne sera pas de trop. Malgré l’impatience qui me gagne, je me rends d’un pas décidé vers mon but premier : la consultation des archives civiles et militaires du siècle dernier. Arrivé sur la place, je note une agitation inhabituelle au niveau de la Banque Impériale. Une foule réduite y vocifère des imprécations à l’encontre de son directeur. Mais je n’y porte que peu d’attention. Non que je sois particulièrement rétif aux contacts humains, plutôt aux contacts administratifs qui sont souvent tortueux, voire brutaux. Haussant les épaules, j’entre dans le bâtiment aussi hideux de l’intérieur que de l’extérieur. Je me demande si le proverbe : « L’habit ne fait pas le moine », n’est pas cette fois pris en défaut. Les murs sont d’un gris sans vie, des employés en tenu souris complète ce tableau bien triste, couvée par une lumière vive, qui projette des ombres sinistres. À l’accueil, il n’y a qu’une employée à l’air revêche et à l’entendre répondre au quidam devant moi, elle n’aurait pas volé son surnom de Cerbère. Mais à peine cette pensée m’a-t-elle effleurée, qu’un chien à trois têtes surgit de par-dessus le comptoir et s’évanouit aussi vite. Sans doute est-ce mon esprit qui me joue des tours, ou plus vraisemblablement un fugitif et éphémère assoupissement. En effet autour de moi, personne n’a eu la moindre réaction.
M’approchant alors de ce gardien des enfers au féminin, je m’adresse à elle du ton le plus mielleux, dont je suis capable :
-- Pardon mademoiselle. Sauriez-vous m’indiquer où je puis consulter les registres militaires et d’état civil ?
Heureusement que j’ai noté l’absence de toute trace d’alliance à son annulaire gauche. Quel impair n’aurai-je pas commis là.
-- Tout à fait monsieur. Pour vous y rendre, prenez le couloir B3 sur votre gauche, tournez dans le deuxième couloir sur votre droite, prenez ensuite le couloir J8, qui vous conduira à l’escalier A4. Descendez trois étages, puis prenez le couloir F5, poussez le troisième porte sur votre gauche. Là prenez l’escalier D7, monter au cinquième étage jusqu’au couloir F9, première porte sur votre gauche, porte E43, cinquième bureau sur votre droite, bureau U87.
Je n’ose répliquer. De toute façon j’ai perdu le fil, dès le premier couloir. Devant ma moue dubitative, elle a pointé du doigt une affiche sur le mur :
-- Il y a un plan sur votre droite.
Je ne relève pas le ton hargneux avec lequel elle a achevé sa phrase. N’ayant rien retenu de ses explications abscons et absurdes, je m’éloigne discrètement vers le plan. Je passe de longues minutes devant un schéma guère moins obscur que ces précédentes explications, mais au moins me rends-je compte que j’allais me retrouver tout droit dans le bureau du Maire-Colonel. Je comprends mieux la réticence de la personne devant moi, qui sait où elle a été envoyée. Pour autant je ne suis guère rassuré, je connais mon superbe sens de la désorientation et cette mairie est digne du grand Dédale. Voudrait-on découragé les gens de toute entreprise administrative, que l’on ne s’y prendrait point autrement. Enfin l’heure n’est ni aux considérations cadastrales, ni architecturales. Après une ineffable parcours, entrecoupés de rebroussements, de détours et autres demi-tours, j’arrive enfin devant l’austère bureau des archives. Un employé, aussi gris que la poussière couvrant les étagères, ne me fait aucune difficulté pour m’indiquer les dossiers dont j’ai besoin. Il me désigne également une table, où je pourrai consulter à mon aise les précieux documents.
Quelques minutes plus tard je suis attablé devant une montagne de cellulose délicieusement parfumée. Je commence par son dossier militaire, qui s’avère être la liasse la moins épaisse.
-- Décidément le ministère de la Guerre porte définitivement fort bien son nom de Grande Muette.
Comme je m’y attends, il n’est nulle part fait mention de sa participation au Projet Persona, ni du rôle qu’il y a joué. Tout au plus, n’est retenu de lui que son parcours : École de la Grande Armée à Saint-Cyr, Polytechnique, spécialisation en physique éthérique. Ensuite un trou de cinq ans entre sa sortie de l’école Polytechnique en 1808 et l’année 1813, date à laquelle il se retire du corps des armées impériales. Mais jetons plutôt un œil à son dossier d’état civil. Sera-il plus bavard ?
– Auguste Beaujard né le 23 mai 1780, disparu le 30 avril 1823. Disparu et non mort, la nuance est de taille et fait écho au récit que j’ai la nuit précédente. Un récit dont la fin ne cesse de me hanter, tant elle m’intrigue.
« Ce jeune blanc-bec m'a tiré dessus à plusieurs reprises. Mais on ne vainc pas les Ténèbres, par elles-mêmes. Et tandis qu’il me braque, les ombres se sont emparées promptement de ses deux accompagnants, qui furent engloutis sans un bruit dans l’obscurité infinie. À la vue de ce spectacle réjouissant, je suis parti d’un éclat de rire démentiel. La noirceur obscurcit mon cœur et ma raison s’enfuie :
– Vous vous demandez pourquoi je ne meurs pas. Ah, ah, ah, ah. Je suis mort ! Mort depuis longtemps, dévoré par mes démons intérieurs. Et ce sont eux qui, aujourd’hui, animent ma chair. Voyez ! Ajouté-je, en arrachant le kriss hors de mon cœur.
Et ce n’est pas du sang qui en jaillissait, mais un fleuve d’ombre, furieux et rugissant.
– Et maintenant suivez-moi Lieutenant ! rugis-je en me précipitant sur lui.
Un masque de démon grimaçant avait pris possession de mon visage, car je vis le sien se figer de terreur, tandis que mon ombre grandissante le dévorait avec la délicatesse d’un gourmet. »
Comment aurait-il pu écrire s’il n’avait été présent pour vivre ces événements. Voici un autre mystère qu’il me faudra éclaircir. Je lis également qu’il fut marié deux fois, sa première femme, Émilie Brinlieu est morte en couche en donnant naissance à des jumeaux. Il se remarie tardivement, deux ans après sa retraite, mais elle ne reste que quelques années avec lui. Ils divorcent en effet en 1818. Une note dans un coin parle d’instabilité chronique de l’humeur. Il serait à tout le moins difficile, que les choses fussent autres, d’après ce que j’ai pu lire. C’est à la suite d’un incident, dont la nature n’est pas mentionnée, que ses enfants lui sont retirés par la belle-famille de sa première femme. Néanmoins, il n’est nulle part fait mention d’un internement en asile ou en sanatorium. Et tout comme dans son dossier militaire, il est porté disparu le 30 avril 1823. Je fouille encore son dossier à la recherche de maigres indices, quand je tombe sur l’acte de décès d’Émilie Brinlieu. Dessus figure l’adresse du couple. En lettres gothiques s’étalent l’adresse de ma cliente, madame Obligay : 25 avenue Auguste Comte. Je ne sais quoi penser de ma découverte, tant elle me stupéfait, en même temps que s’ouvre dans mon esprit les portes d’une toile gigantesque, dont j’approche la structure. Cependant quelque chose me souffle que je devrais tout d’abord faire des recherches sur le devenir de ses jumeaux. Je m’en ouvre au préposé aux archives, qui, après avoir longuement compulsé son registre, me répond par la négative. Je lui demande alors s’il est possible d’obtenir une copie de ces dossiers. Pour toute réponse, ce dernier me tend trois feuillets, ainsi qu’une plume pour les remplir.
-- Revenez dans trois jours, vos documents seront prêts.
-- Merci !
Comme il serait trop difficile de me lancer dans plusieurs énigmes à la fois, à contrecœur je me résous à laisser de côté le devenir des enfants du général. Mieux vaut que je me concentre sur les événements du siècle passé et leurs liens avec mon enquête actuelle. Je remercie encore une fois l’employé, avant de sortir de la salle des archives, puis de la mairie. Dehors, j’ai l’étrange sensation que le ciel s’est brusquement obscurci, à moins que ce ne soit une simple illusion d’optique. Ne cherchant point à démêler le vrai des faux-semblants, je me dépêche de retourner chez moi pour me plonger dans les nouvelles fraîches. Mais je doute qu’elles soient de nature à me rassurer, après mes récentes découvertes.
Je suis si nerveux que je mets à peine dix minutes pour revenir chez moi, malgré la boue et les plaques de verglas, qui constellent le chemin. Rentré, j’ôte prestement mes chaussures et ma veste, pour mieux me précipiter dans mon bureau, des liasses froissées à la main. Je les jette sans ménagement sur le meuble, où elles heurtent l’assemblage précaire de mes dossiers. Je place ensuite un gros fagot de bûches dans le foyer, auquel je mets précipitamment le feu, manquant de peu de roussir les sourcils et d’enflammer ma cheminée, tant les flammes sont vives. Je suis si tendu, que je ne me sens même plus la force de me préparer un « Moment de Paix », qui serait pourtant le bienvenu. De plus le contenu des journaux instille dans mon esprit bien trop de curiosité pour que je puisse y résister. Comme le soleil était sur le point de se coucher dans un lit de nuages gris, je préfère fermer soigneusement les volets. Derrière moi, le feu crépite singulièrement dans l’âtre, il me semble l’entendre gronder de rage et de souffrance, comme s’il avait emporté avec lui cette part d’inquiétude qui me rongeait plus tôt. Aussi, avant de m’immerger dans mer d’encre et de cellulose, née au milieu du chaos de mon bureau, je prends quelques minutes pour méditer et m’entretenir avec mon oiseau de feu.
-- Tss, tss. Voulez-vous donc bien détournez le regard. Allez. Je vous prie. C’est une conversation, tout ce qu’il y a de plus intime, avec moi-même.
-- Non, non ! Inutile d’insister. Allez, ouste !
Assis dans mon fauteuil, je ferme les yeux et me concentrant sur les battements de l’horloge je glisse bientôt dans une seconde peau. Je rétrécis, je rajeunis, je retourne dans la matrice, je deviens l’avant-moi. Je ne suis plus qu’une étincelle de vie, qui s’envole jusqu’au nid. Là, l’Oiseau-tonnerre, mue actuelle de mon Phoenix. Au milieu d’un lac de lave et de larmes, où clapotent ventrues et charnues des bulles de soupirs, nous nous tenons et nous nous entretenons. Autour de nous, à mesure que se poursuit notre discussion, le paysage change. Nous traversons un océan de sable, des forêts impénétrables, des plaines gelées et désertées, avant de survoler une toundra lépreuse. Mais tout s’estompe, dévoré par les ombres de la lumière d’une lampe de chevet, qui crève la surface du rêve. Mon cœur est un peu plus léger, mais l’esprit empli d’encore plus d’interrogations. Je ramasse la pile de journaux, presque découragé. Mais plutôt que de me lancer à corps perdu dans une exploration sans fond, je sors de l’un de mes tiroirs les chemises en carton, qui accueilleront les futures coupures et autres notes. Sur la première j’inscris dossier Obligay, sur la seconde Carnaval au Louvre et sur la dernière : Secrets de famille. Dans cette dernière, je rangerai tout ce qui aura a trait au projet Persona et au général Beaujard.
Voici, je peux enfin m’attabler et commencer à dévorer toute cette prose journalistique et cellulosique. Je commence par un magret de canard enchaîné, au titre pour le moins sobre : « Guignol au théâtre du Louvre ». En dessous s’étale une photographie de la Joconde que je ne reconnais que trop bien. Je passerai par le menu mes lectures, dont il ressort qu’il existe au moins autant de théories, qu’il y a de journalistes. Chacun y va de sa propre hypothèse de la plus farfelue à la plus poussée. En bref tout le monde se perd en conjectures et autres spéculations. Tout au plus apprends-je que le phénomène ne s’étend que sur l’ensemble de Paris et de sa petite couronne. Cependant ce n’est guère étonnant, la plupart des musées se concentrent dans cette zone géographique. Un article pointe néanmoins la présence d’un épicentre à ce phénomène, vers le sud-oust de Paris, avec une apparition jusque sur les affiches, phénomènes absents dès lors que l’on s’éloigne de la ville. En revanche, je ne sais si je dois me réjouir ou non de l’absence d’explications à propos de ces étranges et inquiétants événements. En outre, plusieurs journaux rapportent des témoignages pour le moins troublant. En toute autre circonstance, je ne doute pas qu’ils auraient été mis sur le compte de divagations, de nature éthylique, malgré un sarcasme larvé dans le texte. De plus, si je n’avais pas lu les mémoires du général Beaujard, je n’aurai pas été aussi inquiet. J’ai en effet la désagréable sensation que les Ombres surgie du néant, il y a de cela un siècle, ont parti lié avec ces formidables événements. Hélas, bien des éléments me manque encore, pour que je puisse reconstruire l’intégralité de ce puzzle. Arsène ne m’a-t-il pas conseillé une lecture approfondie de cet article : « Erwägungen über die Energie, die Schwankung und die Menge der Welten. »
-- Mais occupons-nous d’abord du reste de ces journaux !
Et ce n’est pas une vue de l’esprit, tant sur mon bureau règne le chaos. Non que le désordre m’importune, mais là je crois qu’il ne dépaillera pas avec un champ de ruines. Des colonnes de portemines renversées, des pierres de confettis, des mares d’encre noire, où flottent les débris d’un bataille littérale. Ainsi vu, je devrais avoir une furieuse envie de me saisir de la corbeille en métal, qui trône en majesté à mes côtés, et d’y jeter mon capharnaüm. Pourtant je n’en fais rien, transformant ces ruines en un temple antique. Ensuite, me saisissant une immense paire de ciseaux étincelants, je découpe soigneusement les articles, qui s’empile alors en une pile studieuse et consciencieuse. À mesure les pelures littéraires tombent comme des fruits trop mûres dans l’avide gueule métallique. Puis ouvrant le tiroir sous mon pupitre, j’en sors un pot de colle de maïs et des feuilles épaisses. Voilà, je suis fin prêt pour mes devoirs manuels. Une heure plus tard, alors que l’horloge sonne la moitié de la septième heure, je contemple l’étendue grisâtre qui s’étale devant moi. Je laisse mes collages séchés pour la nuit, je n’ai guère envie de me retrouver avec un comte Sandwich en guise de lecture. Ce serait franchement indigeste et mon estomac est là pour me rappeler que je n’ai pas encore dîné. Par précaution, je ferme le foyer, avant de monter dans la cuisine. De retour dans mon bureau, je sens les marches grincer sous mes pieds. Par la fenêtre la lumière crue de la lune se déverse en une pluie étincelante. Dans le couloir, je ne suis plus qu’une ombre dans la pénombre, invisible parmi les sombres. Je pose ma main sur la poignée de la porte de mon bureau. Un éclat de lumière, claquement sec, la sensation d’une brûlure vive dans la main. Curieux, la maison n’est pas si humide et froide. N’y prêtant plus attention, je pénètre dans la pièce.
— Tiens, aurais-je oublié d’éteindre ma lampe ?
En effet, une vive lumière jaillit de mon bureau, qui, je le réalise, provient de mon fauteuil.
— Quelle est donc cette diablerie ?
Mon fauteuil n’est branché que lorsque je reçois ma clientèle. De plus, il n’a jamais jusqu’à présent pris cette teinte d’arc-en-ciel chevauchant. Précautionneusement, je contourne le meuble pour en vérifier les branchements. L’interrupteur est abaissé. Je le relève et la lumière disparaît, comme prisonnière d’une motte d’étoupe. Sans doute est-ce là une maladresse de ma part. Seulement maintenant que je suis plongé dans le noir, c’est à tâtons et à quatre pattes que je pars en exploration, à la recherche de l’interrupteur de ma lampe. Ma tête heurte un peu trop souvent à mon goût, le bureau. Mais enfin je trouve triomphant l’objet de mes désirs. Seulement j’ignore toujours qui a pu mettre en route mon fauteuil.
Sur le bureau, tout est en ordre, ou plutôt dans un désordre savamment organisé. Soulagé, je m’installe et je me saisis de la précieuse revue. Je plonge alors dans les arcanes de la psychologie et de la physique. Bien que je ne puisse tout appréhender, bien des événements récents prennent une tout autre allure, s’éclairant sous un jour nouveau. Surtout, il m’est possible de poser un nom sur la nature des entités que j’ai récemment croisées : Les masques, le voleur, les ombres du général Beaujard et très certainement l’entité qui possède ma cliente, madame Obligay. Cependant, si je connais leur nature, je ne peux encore les nommer véritablement, encore moins comment les renvoyer dans leur plan. Surgit alors un second problème, tout aussi épineux : je ne puis aller voir les autorités de Police Impériale et leur expliquer qu’un rêve s’est échappé d’un carnet, avant de s’incarner dans notre réalité. Sans doute devrai-je envisager une approche, plus artistique dirons-nous. Enfin, il se fait tard et j’ai besoin de coucher toutes ces réflexions, avant de pouvoir tout ranger. Deux heures plus tard, je monte dans ma chambre, mon carnet de notes à la main. Retiré dans mon lit, je le compulse :
-- Les masques sont-ils des reflets de l’archétype de la Persona. Le raccourci est facile, mais il résonne comme un tambour lancinant dans ma tête. La Persona est propre à chacun, mais le motif sous-jacent est commun. Y a-t-il dissimulation du véritable archétype ? Et si oui, à qui « appartient »-il ?
-- Le voleur serait-il lui aussi un archétype ? Existe-t-il un lien avec les ombres entrevues par le général Beaujard et ses compagnons d’infortune.
-- Présence d’un portail chez madame Obligay ? Ancienne maison du général B. Toutes les entités seraient-elles alors échappées par là.
-- Se renseigner sur la théorie des archétypes de C.G. Jung
-- Selon M. Ebernezer, les archétypes sont des entités multidimensionnelles, capables en certaines circonstances de projeter leurs ombres dans d’autre plan, dont le nôtre. D’autre part, elles sont en un sens des reflets de notre propre psyché. Elles tirent leur pouvoir et leur puissance, non seulement de la richesse de l’inconscient collectif, mais aussi de notre inconscient personnel.
Je vais reposer le cahier sur ma table de chevet, quand un détail troublant me revient à l’esprit. Jamais mon fauteuil n’a dans mes souvenirs pris pareil teinte. Mais au fond de ma tête, une voix quasi-inaudible me dément. J’essaye d’ouvrir la porte de mon esprit, mais celle-ci s’y refuse, envahit que je suis par le sommeil. Aussi ne tardé-je pas à fermer les yeux, en route vers un nouvel odyssée. Dehors la nuit rôde et la lune veille. Il fait nuit, il est minuit, un chat miaule dans la nuit.
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La Science et la Vie
n°76, Octobre 1923
Tirage clandestin sur linotype
Précédemment nous avons évoqué la construction des centrales éthériques, exploitant l’énergie contenue dans la matière, ainsi que l’a brillamment démontré le professeur A. Einstein. Matière et énergies sont interchangeables. Toute perte de masse, même minime, se traduit par une libération d’énergie proportionnelle, à la vitesse de la lumière élevé au carré près. Mais là n’est pas notre propos et intéressons-nous à la chambre réactionnelle de ces usines. Nous l’avons souligné, leur taille est assez modeste, de l’ordre d’une grande armoire normande. Mais dans les faits, rien ne s’oppose à leur miniaturisation, la seule limite étant alors l’énergie délivrée. Cependant ce problème peut être en théorie contourné, en compressant plus fortement les matériaux soumis à la fusion éthérique. Seulement, la chambre réactionnelle devient alors beaucoup plus instable.
Conceptuellement la chambre de réaction est une cuve en acier de plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur, tapissé d’une épaisse couche de lithium. Cette dernière assure un recyclage des particules neutres émises lors de la réaction, en nouveau combustible. À l’intérieur se trouve un mélange appelé hydrogénium, plongé dans un bain d’éther fluctuant sous pression. En sa présence, l’hydrogénium change d’état et devient métallique, ce changement facilite la fusion des éléments du mélange, entraînant un dégagement colossal de chaleur, accompagné de noyau d’hélium capturé par l’eau circulante et des particules électriquement neutres. L’eau portée à ébullition se change en vapeur et entraîne les turbines des dynamos géantes, produisant de l’électricité. En même temps, l’eau sert de fluide caloporteur pour refroidir la chambre réactionnelle, qui sans cela fondrait et exploserait. Non, faute à l’emballement des réactions, mais à cause du dégagement gigantesque d’énergie, qui vaporisera tous les matériaux présents et fera se dissocier l’eau en hydrogène et oxygène, mélange des plus explosifs. Cependant si l’on coupe le circuit d’éther fluctuant, les réactions de fusion ne peuvent plus avoir lieu et la présence d’eau devient inutile. Néanmoins par mesure de sécurité, la circulation de l’eau est permanente.
Nous le voyons pour qu’une explosion ait lieu dans ce type de centrale, le circuit de refroidissement doit être interrompu, sans que ne le soit celui de l’éther fluctuant. Or les chambres sont construites de telle manière que l’éther ne puisse circuler en l’absence d’eau au sein de la chambre. En outre, les points critiques de ces circuits sont scellés de manière à les protéger des agressions extérieures et sont remplacés régulièrement pour limiter leur usure. De plus, soulignons-le, la réaction de fusion est infiniment rapide, un éventuel saboteur n’aura physiquement pas le temps de se protéger et sera immédiatement vaporisé.
Néanmoins malgré les réserves que nous pouvons émettre sur la possibilité d’un éventuel sabotage d’une chambre à réaction. Il semble alors que l’hypothèse d’une présence d’une centrale à fusion éthérique, sous la Sorbonne, devienne très vraisemblable. L’énergie nécessaire pour la formation du cratère est compatible avec le potentiel énergétique d’une chambre miniaturisée. Ensuite la fulgurance de l’explosion et l’absence caractéristique d’une odeur de gaz de ville, sont un second indice. Cependant l’argument le plus décisif reste l’émission de particules neutres. Si elles sont freinées ou absorbés relativement facilement par l’eau ou certains métaux comme le bore ou le cadmium, l’air ne les arrête presque pas. En fait une distance de 300 mètres d’air est nécessaire. Or souvenons-nous qu’un périmètre de 400 mètres fut instauré autour des lieux du drame. Faut-il y voir une coïncidence ? Nous n’y croyons guère. Bien sûr il reste en suspend l’identité d’un éventuel saboteur, mais cela n’est nullement de notre ressort.
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