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tome 1, Chapitre 3 « Poursuite Onirique » tome 1, Chapitre 3

J’ai posé encore quelques questions à madame Obligay avant de la raccompagner jusqu’à la grille de mon jardin, désormais recouvert d’un épais manteau de soir blanche. Elle ne m’avait rien appris de très utile pour mon enquête et je savais qu’il me faudrait me plonger dans les arcanes de ce carnet.

Une fois seul, j’ai rangé le carnet dans mon coffre, une coffre fort bien dissimulé et surtout presque inviolable. En effet, ce dernier existe sur deux plans à la fois : le nôtre, celui-là même d’où je vous parle en ce moment, et dans l’Onirie. En plus de ma capacité innée à me glisser vers ce continent, je peux emporter avec moi des objets du monde « réel ». Mais cela me demande une très grande concentration et une dépense d’énergie psychique colossale, tant qu’il me faut parfois faire usage de certaines infusions. Aussi ne le fais-je que rarement et seulement pour des objets extrêmement précieux, tel ce carnet emplis de rêves. Heureusement que ce dernier ne pèse pas trop lourd sur la trame, sinon je ne serai pas ressorti aussitôt après l’avoir rangé. Une fois le carnet en sûreté, je vérifie une dernière fois que tout est en ordre, avant de me rendre à la succursale de la Banque Impériale de France. Heureusement pour moi, Clamart est une ville suffisamment développée pour en posséder une, car avec une pareille épaisseur il m’est impossible de sortir la Diabolique. Et, c’est chaussé de raquettes, emmitouflé comme l’un de ses trop nombreux pères de Noël, que j’ai vu récemment fleurir, que je sors de chez moi pour transformer ce trop gros tas de billets, en franc-or impériaux. Dehors, c’est presque une tempête de neige qui m’a cueilli, les vents sont tous justes assez impuissants pour ne pas me renverser à terre. Redoutant les engelures, je rabats ma capuche sur ma tête et, après avoir fermé porte et portail à clé, j’enfile une énorme et confortable paire de gants en laine.

La rue est déserte et l’absence de trace de pas, dans la rivière de flocons, m’incite à croire que les gens se sont calfeutrés chez eux.

Quelle heure était-il lorsque madame Obligay est partie ? Songé-je

Environs quatre, n’est-ce pas, me réponds-je en écho. Il ne s’est donc pas écoulé plus de trente minutes, quarante-cinq, tout au plus. Hum, est-ce suffisant pour faire disparaître toutes traces de pas ?

Toujours plongé dans mes réflexions temporelles et temporaires, je poursuis ma route d’un pas mécanique. Sous mes pieds, la neige crisse comme du velours soyeux et je hume à pleins poumons l’humidité de l’air, chargée de blancheur. J’aimerai aller plus vite, mais le souvenir d’une chute fondamentale se rappelle douloureusement à moi. Une chute aussi douloureuse que ridicule par ailleurs.

Cependant je préfère reporter mon attention sur mon chemin et ses paysages enneigés et immaculés. Je savoure, comme autant de présents, ces instants de silence, cadeaux de ce manteau neigeux abondant.

Hélas bientôt j’arrive devant la grande place du centre-ville, avec ses bâtiments spectaculairement de mauvais goût. Il y a de cela quelques dizaines années, après les campagnes napoléoniennes en Égypte, puis en Grèce, les architectes ont redécouvert le style antique et se sont alors pris d’une frénésie bâtisseuse, tout en voulant remettre au goût du jour un style oublié. Les résultats sont assez inégaux et la place centrale de Clamart est peut-être l’un des pires exemples en la matière : La mairie tient plus d’un Parthénon réalisé sous l’emprise de la gentiane, à moins que ce ne soit de l’absinthe, que du château du Louvre. Et tout le reste des bâtiments est à l’avenant de celui-ci. Surmontant le dégoût que m’inspire le lieu, je me dirige d’un pas lent et mesuré vers la succursale de la banque impériale.

Comme sur la mairie, le fronton est barré de la devise de l’Empire, héritée elle-même de la Révolution de 89, 1789 : Liberté, Égalité, Fraternité. Chaque fois que je lis ces trois merveilleux mots sur les bâtiments impériaux, je ne peux m’empêcher d’être dubitatif. Je me demande combien de personnes peuvent connaître le sens profond de cette devise. Peu, j’en ai bien peur.

Arrivé enfin à hauteur de l’escalier, qui a été obligeamment dégagé pour laisser le passage à ses messieurs. Je m’agrippe alors à la rampe pour me permettre de détacher les raquettes de mes chaussures. Au-dessus, un garde de faction m’observe goguenard. Je hausse les épaules et entre sans autre forme de procès. Aussitôt je repère la salle de change et m’y rends de ce pas. Le guichetier semble n’avoir jamais vu ou presque de sa carrière d’aussi grosse coupure que celles que je lui tends, et me fait alors patienter quelques instants. Je le vois qui s’éclipse un billet à la main, puis revenir avec une bourse fortement garnie.

– Pouvez-vous mettre les deux tiers de cette somme au coffre, je prendrai le reste avec moi.

– Comme il vous plaira, monsieur.

Et l’employé fit disparaître prestement les 800 francs-or, dans un cylindre expédié par circuit pneumatique, ne me laissant dans la main qu’une bourse maigrelette.

– Merci. Au revoir, passez une excellente journée

– Vous de même, monsieur.

Arrivé sur le pas de la porte, je range la bourse dans une poche spécialement aménagée de ma veste. Oh ce n’est pas comme mon coffre-fort ! Du tout ! Disons simplement qu’elle s’étend loin dans l’espace, un univers de poche. Ainsi ma bourse passera complètement inaperçu et m’évitera des ennuis avec de possibles margoulins.

Dehors la tempête a redoublé d’intensité et c’est à peine si je distingue les formes du mobilier public. C’est un temps idéal pour ma séance de méditation enneigée, aussi me suis-je dépêché de rentrer chez moi. Cependant je dois marquer le pas, car avec une telle épaisseur et malgré mes raquettes, le chemin s’avère plus périlleux qu’à l’aller. A plusieurs reprises je crois heurter un obstacle, le plus souvent imaginaire. Alors cahin-caha je progresse, avec beaucoup de difficultés, au travers des congères, tout en m’agrippant aux murs gelés pour ne pas dégringoler. Enfin j’arrive en vue de ma rue, méconnaissable dans ce nouvel habillement. Ne souhaitant nullement pressé le pas, j’avance tel un automate détraqué vers mon pavillon, dont je franchis prestement le portail, non sans mal à cause de la neige accumulée derrière la porte. Je la referme à double tour, puis en haut des marches, je me débarrasse enfin de mes raquettes et de mes chaussures, afin de ne pas salir le couloir. Je prends bien soin, avant d’entrer, de secouer toute la neige ; je ne goûte guère les étangs intérieurs, même si cela fait fureur chez certains…. Une fois dépouillé, j’entre, mes chausses à la main que je me dépêche de déposer dans la salle de bains, d’autant qu’elle commence à dégoûter par terre. Je me débarrasse également de mes frusques et de mes frasques, qui elles aussi commencent à maculer le sol d’eau. Je récupère ensuite ma bourse et mon portefeuille, que je m’en vais ranger soigneusement dans mon coffre. Je trouverai désagréable de savoir un malandrin s’introduire chez moi et s’y livrer à son odieux trafic. Assurée de la sûreté de mon coffre, je ferme mon bureau à double tour et monte me changer dans ma chambre. A l’étage c’est dans la portion la plus sombre et la plus lugubre, sans doute, de mon pavillon que je m’enfonce. Sur les murs, les lambris brillent de mille feux, diffusant une chaleur et une douceur bienheureuse, à même de raviver la plus glaciale des âmes. A mi-hauteur des panneaux de bois sculptés, traités à l’éther fluctuant, s’animent au passage du visiteur. Bien sûr ce lieu est loin d’être un désert de lumière, contrairement à ce qu’il en paraît. Les interrupteurs camouflés dans les moulures font de moi un démiurge chaque fois que la lumière. Arrivé devant la porte de ma chambre, de nouveau ce malaise surgit. Je ne saurai vous l’expliquer, mais chaque fois que je suis là et que je tourne la poignée une sensation étrange me saisit, comme la traversée d’un miroir insubstantiel. Physiquement je traverse un voile de soie, métaphoriquement mon esprit se plonge dans un océan infini et innommable. Aucun mot, d’aucune langue passée, présente ou future ne saurait le décrire ou même n’en effleurer que la surface. Mais lorsque j’en sors, l’espace d’un infime instant, tout n’est que pesanteur et lenteur, la sensation désagréable d’être arraché vers le bas par un gouffre avide et vide, et pourtant. Passé donc cet instant où le corps le dispute à l’esprit, je franchis le palier pour me retrouver dans ce lieu familier, qu’est ma chambre. C’est une pièce à la géométrie anarchique et chaotique, que j’ai voulu comme le reflet de mon âme déstructurée et imprévisible. Cela n’a pas été sans mal, surtout que je ne pouvais pas passer par un architecte pour en dessiner les plans. Comment aurais-je fait pour lui insuffler ce grain de folie qui danse dans mon esprit. Aussi ai-je passé un temps mémorable à remettre plusieurs fois mon ouvrage, car très souvent les images se brouillaient et se perdaient.

Finalement je crois que j’ai donné des cauchemars à l’ouvrier venu faire mes travaux. Je l’entends encore :

– Mais bon sang ! Adressez-vous à monsieur Ernst ou à monsieur Duchamp, plutôt qu’à moi ! Je suis un honnête artisan, moi ! Pas l’un de ces peintres magnant l’absurde et le non-sens.

Néanmoins le résultat fut au-delà de mes espérances et j’avais pu donner vie à mes folies. Je ne saurai dire si le final est harmonieux, mais à mes yeux il n’est rien de mieux. Une voûte à la perspective inversée, des murs à la topologie faussée, un plancher en trompe-l’œil, des meubles mous et un lit qui gît dans l’ombre de la vie. Telle est ma chambre, pleines d’étrangetés et de beautés, mais non de faussetés et cardinalités. En entrant, la première chose que l’on voit est une fenêtre. Seulement en est-ce vraiment une ? A y regarder de plus près vous verrez, que ce que vous y voyez au travers vous semblera, pour le moins, peu ordinaire. Aujourd’hui tout est banal, il neige, les flocons tombent en de multiples tourbillons et les maisons sont toutes de blancs vêtues. Aucune étrangeté donc, aucune folie, aucune tromperie, aucune rêverie. Allons, regardons ensemble. Quelle est donc ce grand bonhomme avec son nez orange, qui balaye donc le vent tourbillonnant ? Hé oui, c’est ainsi. Cette fenêtre donne sur les rêves et les mélange au réel, faisant oublier l’espace d’une nuitée ou d’une durée, la tristesse de la réalité. Au-dessus, perdue dans la voûte biscornue, une lucarne, honnête, de bois et de verre, amenant la lumière dans cette pièce, qui, sans elle, serait austère. La voûte, car ce n’est plus un plafond, avec ces entrelacs de poutres, dont on ne sait où ils aboutiront. En effet, au détour d’un coude ou d’un faux coin, se mélangent fresques trompeuses et véritables portions de bois. Tous les soirs je m’amuse quelques minutes à en détricoter le tracé. Sur les murs, je peins ce qui me vient, aussi ai-je laissé de grands espaces vierges, que j’ensemence au gré de mes envies et de mes manies.

Pourquoi avoir peint ce vide, ce gouffre, cet abyme, cet abysse avide et affamé, assoiffé et morbide, grand dévoreur d’âmes, aux mâchoires qui claquent. J’ai envie de répondre pourquoi pas, seulement ce serait un aveu de mensonge. J’aime le vide, il m’attire et me fascine, ses ombres me dévorent, en même temps qu’elles me fascinent, tandis que je l’explore. Mais surtout je n’oublie jamais que derrière toute ombre se fait un jour. C’est ainsi que depuis la cité de lumière, qu’est cette pièce, je peux contempler et croquer les ombres, tout en m’imprégnant de leur luminosité. D’où me vient cette fascination ? Je crois qu’elle remonte à un jour lointain de mon passé, un passé que je n’ai pas l’impression d’avoir connu, tout en conservant des souvenirs prégnants. Alors est-ce à cause de cela que je suis devenu Chasseur d’Ombres ?

Immanquablement ! Peut-être est-ce parce que j’ai la conviction profonde, que c’est en agissant ainsi, que j’aurai des réponses à mes interrogations les plus enfouies et les plus sombres. Mais laissons cela de côté pour le moment et concentrons-nous sur ce que je suis venu chercher. Dans un recoin de lumière, une porte sur l’hiver, je l’entrouvre et y découvre un costume vert. Quelques instants plus tard, je sors de ma chambre, revêtu de pied en cape d’un costume aussi fin que la soie, mais plus chaud que n’importe quel lainage. Dehors la tempête s’est évanouie aussi vite qu’elle est venue, mais non la chute de flocons qui se fait plus drue. Je sors de la maison par la cave pour ne pas choquer mes voisins. Le jardin n’est pas très étendu, mais au moins de ce côté il n’y a aucun vis-à-vis, ce qui me permet de laisser libre cours à mes pensées et à mes fantaisies. Je m’avance doucement dans la couche satinée, prenant soin de refermer derrière moi le sillon ainsi formé. Arrivé devant le frêne, j’écarte doucement la neige, que j’agence, autour de la cavité ainsi formée, en un coupe-vent. Puis je m’assois entre les racines dévoilées de l’arbre, avant de me couvrir, jusqu’au plexus, de neige. Le silence m’imprègne de sa bienveillance et de sa quiétude, tandis que mes yeux se ferment sur ce monde de blancheur. A son tour, ce dernier m’enferme dans son cœur chapardeur. Enfermé dans ce cocon éphémère, je me retourne de l’intérieur pour m’ouvrir de l’extérieur. Dans mon plexus solaire pulse l’instinct primaire, celui de mon animal totem. Ce n’est au début qu’un point, une minuscule tête d’épingle, à peine rougeoyante, puis il grandit et forcit jusqu’à l’incandescence. Aveuglé, je le laisse s’épanouir, exploser de sa splendeur lointaine, étendre ses ailes et relever la tête. D’un cri soudain, il s’élance et s’embrase au firmament. Dans mon cœur, je m’embrase à mesure qu’il déploie ses ailes, imprimant ses marques brûlantes sur mon torse : Le Phoenix. Oiseaux des cieux, oiseau de feu, oiseau fabuleux, qui prend possession de mon corps et ainsi métamorphoser je m’envole vers l’Onirie, à la poursuite de ce masque merveilleux.

Étrangement son image surgit sans heurt, ni douleur, sans doute parce que je suis dans l’Ombre de la Blancheur. Autour de moi, je ne sais si ce sont des couleurs ou des nuances de lumière. Mais tout cela n’a que peu d’importance, car devant moi s’étale ce masque noir à droite, blanc à gauche, masque silencieux et vertueux, sentencieux. Je l’observe et en retour m’offre son regard narquois.

– Pourquoi me regardes-tu ? murmuré-je à moi-même.

Mais le masque reste muet, m’offrant toujours ce regard indolent. Un regard neutre, ne trahissant ni émotion, ni expression. À le voir ainsi, j’éprouve une peine infinie pour ce masque inexpressif et sans émotions.

– Pourquoi t’a-t-on dérobé à ta maîtresse ? Quel secret recouvres-tu, pour qu’on ose t’arracher à ton aimée. Qui es-tu, ô masque d’ébène et d’ivoire ? Qui dissimules-tu ? Qui protèges-tu ?

Mais le masque reste désespérément silencieux et continue de me fixer de son regard vide. Cependant, il serait trop dangereux d’aller plus profond, aussi redéploie-je mon rêve. Je commence par déployer mes ailes et m’élève de nouveau vers la cité de lumière. C’est alors que je remarque la subtile métamorphose. Le masque est toujours là, jouant des mêmes harmoniques vibratiles, dans une symphonie fantastique. Mais sa figure change, comme autant d’ombre qu’il revêtirait, à mesure que je m’élève. Il devient abyssinien, il devient rien, il devient africain, il devient guinéen, se travestissant, au travers des strates du temps, au fur et à mesure que je me rapproche de la surface de l’Onirie. J’admire les divers avatars de ce masque, tels qu’il les a revêtus dans les rêves de madame Obligay. Je comprends à présent, pourquoi à ils ne me sont pas ainsi apparus dans son carnet : ce masque est un rêve vivant.

Je ne pensais pas descendre aussi profondément, mais encore une fois j’y suis allé. Malgré moi, je ne peux m’empêcher de plonger au cœur des choses, qu’elles soient vivantes ou non. Ainsi, alors que je voulais simplement méditer et observer depuis la cité cet étrange masque, ai-je levé les voiles d’ombre qui obscurcissaient les rêves de madame Obligay.

Que voulez-vous, appelons ça une déformation professionnelle. Mais mettons cela de côté, que je puisse désormais contempler et flâner sur ce continent oublié, juste guidé par un inconscient puissant et bienveillant. Je serai cependant bien incapable de vous narrer ce que j’y ai vu en revenant, tant tout y est fluctuant, sauvage, chaotique, instable et mouvant. Cela est d’autant plus vrai que je n’ai, cette fois, aucun ancrage, aucun objet physique auquel me raccrocher. Dans cette jungle arborescente et foisonnante, tout fuse sans cesse d’un point à l’autre, comme un arbre dont la ramure et la frondaison ne cesserait jamais de se nouer et de s’entremêler. Ainsi s’en vont mêler mes pensées et mes rêves. Combien de temps y suis-je resté ? Aucune idée ! Sûrement fort longtemps, car lorsque enfin j’ouvre les yeux, il fait nuit, ou du moins l’ai-je deviné au travers de la couche floconné qui me recouvre. Néanmoins, je ne dois pas traîner, car une fois éveillé et sorti de ma transe, il me sera excessivement difficile de maîtriser le froid qui essaie de s’insinuer. Tant pis pour le trouble que je vais répandre autour de moi, mais je dois me dépêcher de rentrer pour me couler dans un bain chaud et accueillant. De plus, j’ai maintenant une énigme à résoudre et le soir est souvent propice à ma réflectivité intérieure.

Dix minutes plus tard, ma grenouillère d’hiver est suspendue au-dessus d’un radiateur en fonte et je suis en train de me délasser dans une baignoire emplie d’une eau brûlante, d’où s’échappent les volutes d’un brouillard blanc. Je n’ai pas encore regardé ma pendule, cependant l’absence de gargouillis, en provenance de mon estomac, me dit que la faim ne me tenaillera pas de sitôt. Ce masque hante trop mes pensées pour être troublées par la perspective d’un dîner, un thé me suffira amplement. Dans ma baignoire, je fais attention à ne pas perdre ma concentration, à trop me relaxer je pourrais m’endormir. De toute façon, je ne tarderai pas car l’eau se refroidit et il serait désagréable de signer un contrat de mariage avec le bacille de Koch. Dès le premier frisson je me précipite hors de la baignoire, éclaboussant copieusement le carrelage. J’attrape l’immense serviette dans laquelle je m’emmitoufle, tandis que je pantoufle mes pieds à peine séchés. Une fois convenablement asséché et éventé, je monte dans ma chambre revêtir mes habits du soir en soie noire et moirée.

Dans le bureau, assis au fond de mon fauteuil, je consulte, dans le reflet mordoré de ma lampe, le carnet que m’a confié madame Obligay. Dehors le vent s’est de nouveau levé et je l’entends qui s’engouffre, telle une bête affamée, dans la cheminée. Je frissonne un peu, car je sens l’air glacial me mordre les mollets, comme autant de fourmis qui viendraient me planter des aiguilles de givres. Derrière moi, j’ai fermé les volets pour ne plus sentir le froid s’infiltrer. Maintenant se pose une grave question fermé-je la trappe ou fais-je un feu ? L’un dans l’autre, j’avoue, je me tâte. Je résiste quelques instants, mais le vent, qui souffle avec rage dehors, décide pour moi : Cheminée flambée accompagné de son thé. Je repose le carnet, entre un dossier désordonné et le numéro Weird Tales que j’ai oublié de ranger, puis je pars à la cave y chercher le bois. Dans le couloir des ombres fantastiques se découpent sur les murs, réflexions des réverbères à gaz, au travers de la muraille de glace qui couvre la fenêtre de ma porte d’entrée. Sont-ce des sorcières, sont-ce des congères ? Sont-ce des chimères, sont-ce des volières ? Les ombres se détachent et me glacent de leurs griffes de givre, curieuse sensation et une vague appréhension enserrent mon cœur. Sans doute est-ce dû au froid qui s’infiltre sous la porte ?

– Hum… Devrais-je essayer de mettre un caoutchouc ou un boyau de paille ? songe-je, tout en me dirigeant vers les souterrains.

Devant les escaliers, dont les boiseries dissimulent un mécanisme d’horlogerie, j’ouvre la porte de la cave. Je ne saurai jamais pourquoi l’ancien propriétaire avait voulu les choses ainsi, mais je les trouve amusante. Aussi les ai-je conservées l’ensemble de ces rouages délicats. Seulement comme je n’emprunte que rarement ce passage, j’ai tendance à oublier où se trouve la chevillette, qui cherrera la bobinette. Je passe donc plusieurs minutes à examiner soigneusement la boiserie, où s’incruste une ferronnerie finement ciselée, jusqu’à ce qu’un déclic retentisse et la porte s’entrebâille.

Un violent courant d’air s’est alors échappé du sous-sol, accompagné d’une odeur de mousse et de bois humide. Voilà qui ne devrait guère m’inciter à l’optimiste, quant à la possibilité de faire une bonne flambée. Mais ce n’est pas ça qui entamera ma bonne humeur et vaillamment je descends dans les entrailles de mon pavillon. En bas, les murs ne sont éclairés que par les maigres watts de quelques ampoules éparses. Je n’aime guère traverser les pièces suintantes et humides. Surtout en hiver, elles me rappellent des souvenirs enfouis, qui ne cessent de m’échapper. A chaque fois, je me dis que je devrai entamer des travaux d’aménagement, mais une force m’en empêche. Je n’ai, jusqu’à présent, pas réussi à en connaître la nature et j’ai depuis renoncé et abandonné cette quête, sans jamais en avoir ressenti aussi le réel besoin. Enfin j’arrive dans la remise à bois, où baille un soupirail d’où s’échappe une ombre blanche. Je prends le panier, un peu trop poussiéreux à mon goût, et y entasse consciencieusement bûches et autres bûchettes, accompagnées d’un soupçon de brindille, ainsi qu’une larme de pétrole lampant, qui embrasera le bûcher de mes propres vanités. Le panier plein, je retourne dans le dédale humide, pestant contre moi-même, d’avoir emporté autant de bois. Seulement je sais pertinemment que je ne redescendrai pas ici-bas. Aussi ai-je jugé plus sage d’en prendre généreusement.

Une fois remonté dans mon bureau, je pose mon fardeau dans un creux aménagé à côté de la cheminée. On pourrait croire à une coquetterie ou à une fantaisie de ma part. Il n’en est rien, juste l’envie de ne salir ni la pièce, ni moi-même. Je lève alors la grille entourant le foyer, où gisent encore quelques cendres froides et j’y jette alors brindilles et bûchettes, imprégnées d’un peu de pétrole, puis une grosse bûche sèche et rugueuse. Je passe alors la main le vide, où elle disparaît tout d’un coup ; seul mon avant-bras est encore là. Je patiente quelques secondes, avant de la retirer et de la passer rapidement devant les branchages, qui prennent feu dans un crépitement joyeux. J’abaisse ensuite la grille, tant par crainte des brandons incandescents, que de ma propre maladresse. Heureusement ce jour-là, ce ne furent que quelques pages de réclame qui se transformèrent en cendre, néanmoins cela me servit d’avertissement. Je patiente quelques instants devant la grille, jusqu’à être certain n’ai pas besoin d’un coup de pouce du destin. Je le vois, il consume plus qu’il ne brûle, il déguste plus qu’il ne dévore, il se délecte plus qu’il ne bâfre. Rasséréné, je me retire et m’en vais m’enfouir dans mon fauteuil éthérique. Je baisse l’intensité du luminaire pour profiter de la couleur des flammes et de ses reflets sur la fresque fantastique. Ramassant le carnet de madame Obligay, j’en caresse doucement la couverture afin de affluer les sensations et les émotions qui l’habitent.

Tout d’abord ce n’est qu’un picotement au bout des doigts, qui se fait fourmillement, pincement sans le moindre désagrément. Il me gagne l’avant-bras, puis la totalité du bras, avant de remonter le long de mon échine, me plongeant dans un écrin de vélin et de daim. Ainsi puis-je m’imprégner du ressenti de madame Obligay, lorsqu’elle a couché ses rêves. Je ne capte pas à proprement parlé ses pensées, mais plutôt ses sentiments, encore que le mot ne soit trop concret pour quelque chose d’aussi abstrait. Pour le moment je ne sens que de la solennité et de la quiétude. Cependant à mesure que je m’étends dans le temps, c’est à peine perceptible, mais une chose apparentée à la tristesse se dévoile. Je me concentre sur ce point, trop sûrement, car je ne sens pas le courant m’emporter. Soudain je réalise, ce n’est pas de la mélancolie, mais un vide qui se fait jour et c’est lui qui m’inspire et qui m’aspire, vers ce qui ressemble à s’y méprendre au néant. Au fond de moi, je sens la main glacée de la peur se refermer sur mon cœur, tout en ressentant un profond soulagement, car je sais ce qui se cache derrière.

Je me vois, je vois, je suis sur un fleuve aux eaux noires, des eaux composées de tessons d’ombre, qui sont autant de voiles devant la vérité. Et alors que je prends conscience de leurs formes, le flot autrefois tumultueux se fait paresseux, puis doucereux. Bientôt la terre l’absorbe, l’eau s’infiltre dans le sol et il n’est plus au fond qu’une nappe de vilain tissu. Je m’en approche, le prends pour découvrir enfin ce que cette ombre a à me dire, mais voilà qu’elle se mouchette de blanc. Oh tout d’abord, ce ne sont que quelques points par-ci par-là. Mais voici que quelque chose le dévore. À la place, rien ! Rien, pas même un fil ou une fibre, le néant. Je me retire et réintègre mon corps troublé par l’expérience que je viens de vivre. Cependant je suis certain d’une chose, ce qui a dévoré le voile était aussi une ombre, mais une ombre blanche. Et même si elle a pu me dissimuler ce qui était caché, elle n’a pu m’empêcher de la toucher. Un infime instant, juste suffisant pour savoir ce qu’elle était.

J’ouvre les yeux, mais tout est presque noir autour de moi. Le feu se meurt dans la cheminée et seule ma lampe diffuse encore un peu de sa clarté lugubre. Au mur, l’horloge donne un coup. Elle indique huit heures et trente minutes. Péniblement je me lève, sur les murs les ombres dansent paresseusement. Du bout des doigts je les effleure et elles m’offrent en retour un peu de leur douceur et de leur chaleur. Je les contemple encore un moment. Toutes ces ombres que j’ai libérées, il y a bien des années, de leur prison dorée. Enfin, ce sont-elles qui me l’ont affirmé, car je n’en ai hélas gardé aucun souvenir, comme de nombres de choses en ce bas-monde. Est-ce un tort ? Est-ce une mutilation ? Est-ce un sacrifice ? Ou tout cela à la fois ? Je ne le sais pas, mais je n’en souffre pas. Laissons le hasard guider mes pas et semer à son gré les prémices de ces questions, qui m’assailliront un jour ou l’autre. Joueur à mes heures, sans heurt, je suis un joueur dans l’âme, mais dont la mise ne sera jamais ma vie, mais dont la devise est celle du chat du Cheshire : « Nous sommes tous fous, ici. » D’un regard je les embrasse, puis je m’en vais prendre une bûche pour en nourrir le feu agonisant. Qu’il soit vivant ou non, tout objet possède une âme à laquelle je ne puis causer de tort, à moins de ne lui rendre un hommage bienveillant en forme de pardon. Je dépose délicatement la bûche sur les braises incandescentes, sur lesquelles je me mets à souffler vigoureusement, les faisant rougir de plaisir. Affamées, les flammes se jettent avidement sur le bois tendre, mais d’un geste je les apaise et les contente. Leur fureur devient alors ballet chantant chaotique de flammèches. Et maintenant que la clarté est ravivée, je reprends ma place et le carnet en vélin.

Devant moi se déploie le capharnaüm à la surface de mon bureau. Je l’observe, le dissèque, intrigué. J’ai la désagréable impression qu’une main étrangère y à poser sa patte : une poussière déplacée, un dossier inversé, ma plaque décalée, quelques feuilles renversées, un livre qui n’y était pas. Rien de méchant a priori, mais la sensation d’une intrusion qui me démange l’occiput. J’ai envie de m’enfermer dans ce carnet, mais l’appel du chaos se fait plus pressant. Je me lève alors d’un bond et balaye d’un regard inquisitorial l’objet de mes soupçons. Je trace un cercle circonscrit à mon bureau, guettant le moindre désordre inhabituel. Je redresse ma plaque, j’empile maladivement les dossiers, j’examine de près ces feuilles incongrues ; ma liste de courses ? Enfin je range le numéro de Weird Tales à sa place dans la bibliothèque. Contemplant ce nouveau chaos ordonné, je sens mon nez se froncer sous les assauts l’ordre qui me nargue. Quel malheur que de vouloir toujours mélangé ordre et chaos en un équilibre trop subtil. Ah ! Quelle vanité ! Voilà que j’ai trop bien rangé ce lieu de réflexion. Allons bon ! L’heure n’est pas aux atermoiements et laissons en paix ce bureau trop parfait. Bougon je me rassois et tourne mon fauteuil vers la fresque, pour mieux m’immerger dans les écrits de madame Obligay et éviter à mes yeux de dériver vers l’objet de mon contentieux.

J’ouvre alors les premières pages, où danse une écriture fine et délicate. Cependant l’histoire n’est pas tout à fait ce qu’aurait pu laisser entrevoir son contenu. Je me contente pour le moment de survoler l’ensemble, ne cueillant que parcimonieusement les quelques mots, qui viennent d’eux-mêmes à ma rencontre. Je préfère me concentrer sur les illustrations de manière à n’en effleurer que leur surface et les voir tel que les voyait madame Obligay.

Masques illustrés, masques grossiers, masques de toutes nationalités, à tout le moins ma cliente fut une grande aventurière. Cependant je ne cesse pour autant de m’en étonner. En effet à considérer la manière dont madame Obligay a dessiné ses masques, l’on croirait à une incrustation postérieure de ce masque noir et blanc. J’ai l’impression qu’il n’est pas de sa main, comme si elle avait été possédée par une entité, dont l’identité m’échappe encore, au moment où elle les a dessinés. Cependant que je poursuis mon investigation du carnet, ce sentiment d’artificialité ne cesse de se renforcer. Mais le plus frappant, sont ses dernières illustrations, ses derniers masques. Non seulement le masque noir et blanc a disparu, mais les visages, derrière, aussi. Tous les éléments y sont, excepté les détails faciaux, comme si la perte du masque signifiait également la perte de l’identité. Mais avant de me pencher plus en avant sur ce problème, je veux éclaircir le mystère de l’apposition de ce masque si particulier. Et pour cela il me faut un instrument très particulier, un objet pour ainsi dire unique, une loupe. Hé bien qu’y-t-il ? Est-ce parce que j’ai une loupe dans la main, qu’il me faut regarder avec des yeux aussi ronds ? Ah ! Mais tu ne me laisses pas finir mon propos, sot. Le verre de cette loupe a été traité à l’éther fluctuant et elle a la particularité de mettre en évidence la présence de dimensions cachées. Ainsi si un objet appartient à deux plans de réalité, je percevrais au travers de la lentille soit une fluctuation de l’image, soit une distance entre deux objets qui ne devraient pas l’être ; à la manière du chat de monsieur Schrödinger, qui est à la fois vivant et mort. J’ouvre le tiroir du milieu à la recherche de mon instrument, mais une désagréable surprise m’attend. Il a y si longtemps que je ne m’en suis pas servi que sa présence a contaminé tous les objets à proximité. Mais surtout je m’administre une belle gifle intérieure, car j’ai encore une fois négligé de la ranger dans son écrin plombé. Le plomb est la seule substance capable de bloquer les rayonnements éthériques, mais aussi radioactifs. Je grommelle, car désormais mon tiroir, comme la poche de ma veste, ressemble à un univers de poche, redécoré par un Lewis Carroll endiablé. Les objets flottent entre deux eaux, une tasse à thé salue un mouchoir, qui en retour éternue. Un peu plus loin, ce sont des trombones qui font une course de gomme, avec ma loupe pour arbitre. Quant à mes dossiers, ils servent de piscines olympiques à mes pointes de porte-plume. Je soupire et saisit brusquement ma loupe et son écrin. Aussitôt retiré de l’intérieur, tout l’univers s’évanouit, ne laissant s’échapper que de vagues échos de cet ancien monde. Je referme alors posément le tiroir, tout en me jurant de mettre un peu d’ordre dedans.

J’ouvre ensuite le carnet sur un portrait masqué de la Joconde et l’observe à l’aide la loupe éthérique. Sous la lumière rasante de ma lampe, je remarque l’espace entre le masque vénitien et le chef-d’œuvre de Léonard. Mon intuition s’avère juste, ma cliente n’est pas l’auteure de cette facétie, même si elle en a été la main. À chaque fois que je regarde l’un ou l’autre des portraits de madame Obligay, je retrouve, flottant à leur surface, ce masque noir et blanc. Au bout d’une dizaine de minutes, je repose la loupe dans son écrin et le referme soigneusement. Il n’y a plus rien que je ne puisse faire dans ce plan et mes yeux me font mal. Je jette un coup d’œil à la pendule qui indique presque dix heures. C’est plus qu’il ne m’en faut pour me préparer, car ce n’est pas que de concentration dont j’aurai besoin… Dehors, il me semble entendre le vent se lever et souffler avec une ardeur renouvelée qui me fait frissonner. Je me lève et lance deux grosses bûches dans la cheminée, dans un feu avide de m’octroyer sa chaleur. Devant ce spectacle, je décide m’assoupir quelque peu en attendant le milieu de la nuit.

Dans ma tête s’égrène les coups :

– Dong, Dong, Dong… Dong.

En tout, onze coups. J’émerge les yeux mi-clos, me demandant ce qu’il vient de se passer. Peu à peu, les idées me reviennent et émergent de la brume ensommeillée, tandis que dans la cheminée le feu achève de se consumer. D’un pas d’automate je me lève et me place devant la fresque, qui ce soir rougeoie doucement. Du regard je cherche la constellation d’Orphée, puis celle de la Lyre, enfin celle du Phoenix. Je place ensuite ma main au centre de gravité de ce triangle et la plonge dans le mur. Cependant si quelqu’un me voyait ainsi, il serait fort surpris de voir ma main droite s’agiter dans le vide. Un cliquetis se fait entendre et la fresque se fend alors en deux, découvrant une armoire digne des plus grands alchimistes. Une collection de flacons, cornus et joufflus, renfermant des liquides aux couleurs éclatantes et chatoyantes. Je tire alors la tablette en bois incrusté dans le mur, puis ouvre la porte vitrée encastrée. J’en sors un lourd verre en cristal de roche, ainsi qu’une cuillère en argent. Puis faisant virevolter mes doigts sur les étagères, j’attrape une dizaine de flacons, que je débouche les uns après les autres, pour en humer le contenu. Je dépose ensuite quelques gouttes de chacune des précieuses liqueurs à l’aide de la cuillère dans le verre, qui se teinte d’ambre et d’herbe verdoyante. J’essuie mon instrument à l’aide d’un chiffon de lin, non sans l’avoir rincé dans un petit bac d’eau pure. Des humeurs entêtantes s’échappent du verre et je sens les portes de mon esprit s’ouvrir. Me ressaisissant, je le dépose sur mon bureau et referme mon cabinet secret. Désormais les constellations ont pris une teinte plus orangée, où palpite ici et là de petits points dorés. Je vérifie que le circuit éthérique de mon fauteuil ne fonctionne plus. Je n’ai pas trop envie de me retrouver incruster ou transformer en siège tournant. Levant mon verre, je suis malgré tout saisi d’une vague d’appréhension. En fait, je rechigne à recourir à l’usage de substances étrangères, fussent-elles naturelles, car elles sont extrêmement puissantes et dangereuses. Seulement il est des circonstances qui ne me laissent guère le choix ; celle-ci tout particulièrement. J’observe encore un moment la liqueur dansante, oscillant entre les teintes, puis je le porte à mes lèvres et l’avale d’un trait. En même temps je ferme les yeux, tandis que je sens mon corps se dissoudre, s’ouvrir, s’étendre, se ramifier, se déployer, se métamorphoser. Ce n’est pas une sensation désagréable en soi, mais à la voir elle aurait de quoi donner le vertige, même si elle est difficilement descriptible. Comment donner un aperçu d’un corps qui se déploie dans des dimensions supplémentaires ? Cependant un papillon sortant de sa chrysalide et déployant ses ailes s’en approche. Lorsque je rouvre les yeux, le soleil reflété dans des eaux bleues me brûle. J’aperçois une lagune, un peu plus loin des fragments de bâtiments qui me rappellent le palais des Doges à Venise. Lorsque je tourne la tête, j’aperçois des tableaux sont plantés dans des dunes de sable ; des œuvres de la Renaissance dirait-on. L’un d’eux m’interpelle plus particulièrement, à cause de son attribut noir et blanc. De là où je suis, il n’y a que quelques pas qui me séparent de ma destination. Néanmoins j’ai appris à me méfier de cet environnement mouvant et fluctuant. Et je n’ai pas tout à fait tort, car je n’ai pas fait quelques foulées que je sens le paysage se déformer comme une gomme à mâcher. J’espère que madame Obligay ne s’était pas rendue à une exposition de peintres surréalistes, le jour où elle a fait ce rêve. Cependant devant moi s’étalent trompe-l’œil, mirages et autres chausse-trappes : Une arche miniature sculptée dans le sable, un faux-lac de craie dessinée dans la dune ou encore des arbres de cristal. Lentement je m’avance dans ce décor à la Dali, mesurant chacun de mes pas, me fiant à mon instinct de chasseur d’Ombres. Après un temps que je ne peux estimer, j’arrive enfin devant le tableau masqué : la Joconde aperçue précédemment. Autour volettent palettes et pinceaux se livrant à des duels d’aquarelle, pour savoir qui de l’un ou de l’autre aura le plus beau dégradé. Je m’approche alors de la toile, tout en esquissant les divers jets de peinture. Mais à mesure que je me rapproche, j’ai la désagréable sensation de voir le tableau s’éloigner. Avisant quelques pastels, je siffle un air distrait et celles-ci se précipitent vers moi. Je les flatte quelques instants et les assemble en un cheval de craie, que j’enfourche immédiatement. Je donne quelques caresses à l’encolure de ma monture, qui se cabre et se met à galoper vers la Gioconda, qui ne cesse de jouer avec moi. Elle m’emmène à travers des dunes de peintures, ou s’ébattent des pastels, des mines de plomb, des pigments faisant éclater des bouquets colorés. Donnant un coup de talon à mon cheval arc-en-ciel, nous rattrapons bientôt l’œuvre fugitive, qui s’est immobilisée voyant sa fuite inutile.

Soudainement le tableau, que j’avais estimé d’une taille démesurée, se mit à rétrécir jusqu’à atteindre la taille de son alter-ego. Descendant de ma monture, je m’approche de lui pour l’examiner. Le masque flotte devant ce que je suppose être le visage.

Heureusement je n’ai nul besoin de ma loupe ici, je puis à loisir manipuler les énergies psychiques, en contrepartie tout cela me fatigue grandement. Délicatement je place mes mains près de l’œuvre et ôte délicatement le masque. Cependant ce que je vois en dessous me glace d’effroi. A la place du mystérieux sourire de Léonard, il n’y a rien, absolument rien, le vide, nul visage. Et alors que je contemple glacé, le néant de ce portrait inanimé, je n’entends pas le masque se fêler. Hélas lorsque enfin je m’en aperçois, celui-ci vole en éclat sous mes yeux ébahis. Au même instant, un coup violent explose à l’arrière de mon crâne et me renvoie brutalement dans le plan de la réalité, où je reste immobile. Comment le sais-je ? Tout simplement parce que je lévite en ce moment même au-dessus de mon corps, et ce le temps de mon évanouissement. Heureusement que je suis bien enfermé, car alors je suis exposé à toutes les vulnérabilités.

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Non il n’y jamais eut d’émanation de gaz toxique lors de l’explosion du pavillon de recherche de Psychophysique à la Sorbonne. Le simple bon sens nous montre que, si tel avait été le cas, tous les habitants vivants autour auraient dus être blessés. Or rie de tel ne s’est produit. De plus un nuage d gaz ne connaît aucune frontière et est soumis aux caprices des vents. Dès lors, l’on peut alors légitimement s’interroger d’un périmètre de sécurité. En revanche, il en va tout autrement si l’on suppose le danger d’une toute autre nature…

Moitié de tract anonyme trouvé dans une ruelle.


Texte publié par Diogene, 2 décembre 2014 à 17h19
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