La nuit, la nuit, longue, interminable, infinie. Où commence-t-elle ? Où finit-elle ? Existe-t-il seulement une réponse à cette interrogation ?
— Parfois il est des songes dont nous ignorons s’ils sont rêves ou fantasmes, murmure mon hôte.
Je me retourne. Accoudé au garde-fou, j’observe les péniches qui défilent avec paresse en contrebas, fendant les eaux saturées de bleues dans lesquelles se reflète une lune pleine. Dans mon verre, le liquide grenat se pare d’éclats vermeils, alors que je l’élève au-dessus de ma tête.
— Au fond, n’est-ce pas là notre nature profonde ? poursuit-il
Je sens peser sur ma personne son regard, mélange de surprise et de mépris ; plutôt d’ironie. Prédateur, ou bien spectateur ? Peut-être est-il les deux à la fois…
— La nature de tout être humain, alors, rétorqué-je.
Assis dans son large fauteuil, je le devine, la figure tournée vers les cieux, son verre au bord de ses lèvres savourant la liqueur amère. Jaloux, envieux, moqueur, je le sens qui savoure l’instant, le déguste comme le ferait un gourmet d’un met fin.
— Pourquoi es-tu venu ? susurre-t-il d’une voix contrefaite.
— Je te retourne la question. Pourquoi as-tu accepté de me recevoir ?
Un immense éclat de rire se répand alors dans la nuit jusqu’à en faire trembler le sommet de la demoiselle de fer. J’entends le bruit d’un liquide qui s’écoule, le bruit d’un cœur qui bat, le bruit d’un pas qui se rapproche, le souffle d’une respiration, rauque et profonde, le murmure d’une ombre qui se détache et qui marche ; j’entends tout cela. Son verre à la main, il s’appuie à son tour sur le garde-fou. Le bras tendu, il lâche sa tulipe dans le vide, où elle demeure suspendue par d’invisibles fils. À mon tour, j’éclate de rire et soulève le verre avant de faire glisser la toile de velours noir dissimulant le plateau installé dans le prolongement du balcon.
— Ai-je besoin de t’apporter une réponse, Alvaro ?
Mes yeux plongés dans les siens, je secoue la tête en signe de dénégation ; les mots sont superflus. En contrebas, des silhouettes marchent, certaines s’enlacent, d’autres se détachent.
— Que deviendrons-nous ensuite ?
— Que deviendrons-nous ? répète-t-il en écho.
Les paumes écartées, il s’en échappe une nuée, fragments de vérités et de songes esseulés.
— Les ombres d’un songe sans doute. Alvaro, nous sommes les enfants d’un songe qui ignore qui le rêve.
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