Témoin muet d’une scène en devenir, il rabat sur son visage l’épaisse étoffe couleur nuit, alors que se lève le vent sec qui charrie avec lui les grains brûlants. A l’orée de l’oasis, les chameliers sont arrivés et les bêtes alertent. Bientôt, la horde s’en arrivera. Des hommes, des femmes, peut-être des enfants s’en viendront et marcheront ; marcheront dans les pas échos de leurs semblables, comme les morts qu’ils sont. Dures à l’ouvrage, les dromadaires s’ébrouent et râlent lorsque les hommes posent sur leur dos leurs paquetages. De leurs bouches édentées, s’échappent des flots de sables bleutés, tandis que l’humaine marée s’avance dans la nuit avancée. Dans le ciel, la lune argentée observe indifférente ces frêles créatures qui marchent en silence.

Mutique, ses yeux brillent derrière le tissu obscur. Qu’attend-il ? Que regarde-t-il ?

Dans la plaine désertique, la horde fantomatique s’ébranle bientôt et abandonne derrière elle les os blanchis par le sirocco. Bientôt ils seront recouverts de sable et tous les oublieront. Mais pas eux, car ils reviendront ; prisonniers, eux aussi, de l’éternité. Désolé, il rabat la bride de sa monture et dévale la dune. En bas, le désert cède la place à un jardin luxuriant, où s’épandent vignes et viornes, saules et faunes, sorbiers et caragagniers.

À l’ombre d’une glycine, un couple s’épie, mais un voile sombre couvre leurs visages aimables. L’homme a la tête penchée sur le côté, la femme le regard de biais ; ils s’aiment. Hélas, en leurs cœurs, couve le malheur et chacun le sait, alors ils feignent l’ignorance. La femme tient la main de l’homme, maigre et opalescente ; sa figure cachectique est celle d’un homme flétri. Il sourit.

Mais à l’image de son âme, il n’est que le reflet d’une profonde mélancolie. Heureux, il sait qu’il se meurt pour elle, elle, dont la vie se consume dans la lumière.