Par hasard, alors que je range les documents relatifs à l’affaire Verdoux, je tombe sur une note de Jules Romain, dont j’apprécie tout particulièrement les pièces de théâtre et notamment Knock ou le triomphe de la médecine. Par un troublant hasard, je me demande si monsieur Verdoux n’aura pas été une source d’inspiration inconsciente pour la création du personnage de Knock.
Pour mémoire, je la retranscris :
Un jour donc, je franchis la porte de Châtillon et me mis à explorer l’avenue qui lui fait suite. Je remarquai tout près des fortifications un garage, peint en rouge, avec l’enseigne ; « Garage près de la porte de Châtillon ». J’y pénétrai. Le local était d’assez faible dimension et, sauf une vieille auto dans un coin, à peu près vide ; le sol et les murs forts propres d’ailleurs. Je vis un monsieur se lever de derrière un petit bureau et venir à moi. Car c’était un « monsieur ». Il portait un veston noir, un pantalon rayé, un faux col blanc, une cravate sobre. Il avait une barbe noire ; soignée, n front vaste et dégarni, des yeux noirs très perçants, mais adoucis de bienveillance ; des oreilles un peu décollées et pointues.
— « Bonjour, monsieur, qu’y a-t-il pour votre service ? »
La voix elle-même montrait une bonne éducation, et les habitudes de la courtoisie. Bref, rien de commun avec un garagiste de banlieue. Il ressemblait plutôt à un pharmacien diplômé, à un docteur, à un homme de loi. Craignant presque de faire une méprise, je lui dis que j’étais à la recherche d’un endroit où loger au mois une petite auto.
— « Malheureusement, me répondit-il d’un air navré, ici nous ne sommes guère organisés pour cela. Nous nous occupons plutôt du côté mécanique.
Et d’un geste large et poli, il me montrait l’ensemble du local, où il était difficile à vrai dire de déceler les traces d’une spécialisation quelconque. D’abord, il y avait l’aspect du garage lui-même. Toujours bien tenu, mais d’une activité à peu près inexistante. Pas de voiture en réparation. Pas de voiture d’occasion à vendre. À peine un client par hasard, pour un lavage ou plus simplement pour prendre un ou deux bidons d’essence.
À cette description minutieuse, j’ajoute les témoignages d’un voisin et d’un « employé » (J’use de guillemets, car plus qu’une recrue, cette personne sera surtout l’une de ses victimes), que je m’empresse de rapporter ici.
Celui-ci (monsieur Verdoux) s’occupait de la construction d’une voiturette automobile. Cette construction n’a jamais été achevée, ce que le fils faisait, le père le lui faisait défaire sous le prétexte que cela n’était pas à son idée.
Comme il (Monsieur Munier, « employé » de monsieur Verdoux) m’avait demandé de lui chercher un local pour l’installation de notre usine, j’en ai découvert plusieurs, mais Guillet n’était jamais satisfait et avait toujours une critique à faire portant sur un point quelconque du local.
À la manière d’un comédien, monsieur Verdoux joue une pièce dont il est à la fois l’acteur, le metteur en scène et l’auteur. Comme l’acteur, il revêt le masque du personnage qu’il incarne.
Cependant, s’il en est l’acteur, qui en est le spectateur ?
Sa famille ?
Je répondrai par la négative.
Ainsi qu’il en fut question au procès, nous avons tous pu prendre connaissance de l’ignorance de sa femme et de ses enfants quant à ses agissements. Caméléon, il coupait toujours court aux discussions ou aux conversations fâcheuses. Père et chef de famille, il donnait l’impression d’agir en tant que telle et tous le croyaient.
Les autres ?
Encore une fois, j’infirmerai cette réponse. Elle ne me convainc pas. Bien que certains esprits chagrins ou attentifs aient pu émettre quelques doutes, il n’en demeure pas moins qu’il aura su les convaincre, pour d’autres les amadouer et leur donner à voir l’illusion de sa personne.
Lui-même.
Trou dans la réalité, en retrait du monde, monsieur Verdoux ne peut être que son seul spectateur, son jeu, sa comédie, sa pièce. Forclos dans les ombres, seul le masque lui assure son existence réel. Mais le masque possède un défaut fondamental : il est un objet figé ; les masques des comédiens grecs ou nippons ne sont-ils pas l’image, l’archétype d’une émotion, d’un trait ; de la même manière qu’un poupon donné à une fillette n’est que l’image figée de la maternité. Semblable à un être polycéphale qui ignorerait la présence d’autres esprits, l’un ne peut trouver satisfaction dans le choix de l’autre. Ainsi s’explique, pour partie, cette incapacité à assumer un choix quelconque . Quand bien même il en aurait eu l’idée lui-même ; un autre de ses Soi aurait refusé.
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