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tome 3, Chapitre 2 « Interlude - Un Aveu Brûlant » tome 3, Chapitre 2

Courrier d’Henri-Désiré Verdoux adressé à l’attention de Maître Godefroy, avocat général à la cour de Versailles.

Prison Saint-Pierre

Voici trois mois que nous nous sommes rencontrés pour la première fois avec l’accusation. Dans quelques heures, je ne serai plus. Je puis bien vous prier, Monsieur l’avocat général, de revoir avec moi les débuts où j’ai trouvé la mort, réclamée par vous, au nom de la justice. Vous êtes arrivé merveilleusement préparé. Étonné au début (chose rare chez un procureur) devant la netteté de mes réponses, il vous est venu un doute, un doute affreux pour vous, chargé de soutenir l’accusation. Le doute je l’ai vu naître et vous, qui ne me quittiez guère des yeux, vous avez senti que je vous comprenais. Comme vous tentiez alors d’obtenir un aveu, un mot, vous deveniez trop soucieux, car vous aviez le sens trop juste pour ne pas savoir ce que valaient les commérages des concierges.

Note d’Alavaro

Comme par un mystérieux caprice du hasard, je me suis vu remettre par Maître Godefroy, avocat général à la cour d’assises de Versailles, une lettre pour le moins singulière. Écrite de la main d’Henri-Désiré Verdoux, elle déroule un singulier dialogue à une personne. Alors que sa place est celle de l’accusateur public, qu’il réclame la peine de mort pour des crimes qu’il a toujours niés, Verdoux lui manifeste une profonde affection. Il n’est pas semblable à d’autres dont les silhouettes se confondent et n’offrent à son regard que mépris et cynisme. Du moins est-ce ainsi que j’envisage le sens de ses propos. Maître Godefroy, un père pour Verdoux, l’image d’un Père, incarné par le verbe et la compassion, la justesse et la sincérité de ses propos lorsqu’il rapportait les successions d’événements dans sa vie ; un père qui l’aurait touché du doigt et l’aurait rendu tangible.

Vous espériez en la seconde partie des débats. La cuisinière était l’une de vos espérances. Mais quand vous la vîtes, malingre, plus pour faire cuire une dînette de petit ménage comme vous avez dû en faire, enfant, avec votre jeune sœur, vous avez dû comprendre qu’il ne s’était, qu’il n’avait pu se passer là-dedans les épouvantables atrocités dont vous comptiez m’accuser. N’est-ce pas qu’elle vous a fait bien peur ma petite cuisinière, toute seule, dans votre grand prétoire ?

Note d’Alavaro

Que se passerait-il si je substituais cuisinière par « je, Henri-Désiré Verdoux » ?

N’est-ce pas que je vous ai fait bien peur moi, tout seul, dans votre grand prétoire ?

Encore une fois, je puis opérer la substitution, et intervertir maître Godefroy et Verdoux, à la manière d’un reflet dans un miroir.

Comme je tentais alors d’obtenir un aveu, un mot, je devenais trop soucieux, car j’avais le sens trop juste pour ne pas savoir ce que valaient les commérages des concierges.

J’espérais en la seconde partie des débats

Ainsi proche, presque dans un rapport fusionnel Verdoux se projette vers cette image factice d’un père substitutif, reflété dans un miroir d’artifice, un plein pour combler le trou qui l’habite, qu’il habite.

Vous m’aviez reproché d’être dur. L’ai-je été ce jour-là ? J’aurai pu vous demander qu’on montre le foyer, grand tout au plus comme une gamelle de poilu où vous vouliez m’avoir fait brûlé tant de victimes ; tout le monde aurait souri.

Note d’Alavaro

Qui est le « vous », qui est le « je » ? Où est Verdoux ? Encore une fois, sa nature le fait se glisser dans la peau de celui sur lequel il projette son affection ; Narcisse contemplant son reflet dans la rivière.

Vous le sentiez bien, et comme ces ficelles baroquement entrelacées autour d’elle et majestueusement cachetées de rouge vous paraissaient peu sûres ! Quand je suis entré dans la salle après que j’ai eu connaissance de leur décision, je vous ai cherché. Il me plaisait de connaître jusqu’au bout votre drame muet. Pourquoi avoir fui mon regard ? Pourquoi agité plus jamais avez-vous dit à la foule de bien vilains mots ? « Lâches ! Canailles ! » Elle pouvait bien m’insulter cette foule, du moment que vous m’aviez fait condamné comme coupable. Moi, innocent, je ne m’en étais pas indigné…

Adieu, monsieur, notre commune histoire se terminera demain, sans doute ; je meurs l’âme innocente et tranquille, que la vôtre soit de même.

Note d’Alavaro

Un adieu à la postérité, un adieu à une figure qui n’est pas nommé. J’ignore pourquoi je couche ces notes, pourquoi ai-je accepté de recueillir ce vénéneux héritage. J’ignore, mais je me moque, je me moque de moi et de ma volonté de ne pas voir, car je ne suis pas seul dans le noir. Découvrirai-je dans ces quelques mots les clés des maux qui m’accablent, qui l’accablent ? Sans doute, car si je ne nomme pas l’adversaire au moins en possédé-je un écho ; trophée dérisoire. L’ombre m’engloutit aussi sûrement que le sable qui se meut dans une baie autour des chevilles de l’infortuné pêcheur. Hélas, elle porte un nom que j’ai juré de taire. Lui pardonnerai-je ?


Texte publié par Diogene, 22 novembre 2018 à 20h02
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