– Puis-je ? murmure une voix dans la nuit.
Un homme, assis sur une terrasse, se retourne, les yeux plongés dans le noir. Il sourit, affable, presque détaché. Il n’y a qu’un seul fauteuil autour de la table, le sien.
– Bien sûr ! rétorque-t-il.
– Un instant, ajoute-t-il, comme l’autre fait mine de s’asseoir. Je vais vous chercher un siège.
Cependant, il ne se lève pas et étire seulement le bras ; sa main se perd dans une tache noire. Une minute plus tard, l’homme en costume noir s’installe ; son sourire dévoile des dents d’ivoire.
– J’ ai appris que vous avez dû déménager précipitamment, énonce l’homme, avec nonchalance, en complet blanc.
– Ce sont des choses qui arrivent, sourit celui aux dents ivoirines. Augustin ne sera plus, Isidore non plus.
En face de lui, l’homme en blanc lui rend son sourire.
– Vous avez de la chance, vous ne l’ignorez pas, cher ami.
– Car je la tiens à distance, réplique-t-il avec négligence.
– En effet. Sinon, il y a fort longtemps que je vous aurai mis en pièces.
Malgré la menace, le ton dément toute intention meurtrière. L’homme noir se moque :
– Et lui ? Pourquoi ne pas lui avoir infligé semblable châtiment ? Après tout, il est incapable de vous libérer de son emprise, comme je le puis.
L’autre se tourne vers le ciel de vermeil.
– Il connaît mon secret et il est la clé, même s’il l’ignore encore. Est-ce que je vous sers quelque chose ?
L’homme noir fronce le front.
– Le Rouge et le Soir, je vous prie, souffle-t-il.
– Le Rouge et le Soir… murmure l’écho de l’homme blanc.
Celui-ci s’éclipse, puis revient porteur d’un plateau, sur lequel reposent deux verres en col de cygne. À l’intérieur, les liqueurs dansent une chorégraphie connue d’elles seules.
– À la vôtre, mon ami !
– À la vôtre… mon ennemi !
Les verres tintent, s’élèvent, puis se vident.
Quand nous reverrons-nous ? soupire l’homme blanc.
– Je l’ignore. L’avenir n’est écrit nulle part.
– Et cependant, nous avons tout notre temps. Oublions donc un moment nos querelles et admirons l’éternel.
Les deux hommes, leurs verres respectifs à la main, se lèvent de concert et s’assoient sur le rebord de la terrasse, pour contempler l’éternité de la Voie Lactée.
– Vous semblez triste, murmure l’homme en noir.
– Non ! sourde l’homme en blanc.
Son ton qui manque de conviction et la larme qui perle à son œil hurlent le contraire. Il n’insiste pas, non qu’il craigne sa rage, seulement il est des instants où l’on aime se retrouver seul avec son cœur. Il reporte son attention vers le ciel étoilé et reprend une gorgée de la liqueur qui lui enflamme les humeurs.
– Puissiez-vous trouver un jour la paix, docteur ? murmure ce dernier, en posant son verre sur le rebord de la terrasse. Au même instant le vent se lève et l’emporte, fragment mortel et dérisoire. Mais le verre reste suspendu dans les airs. L’homme en blanc approche la main, le saisit.
– Pourquoi ? souffle l’homme en noir.
En bas, une silhouette passe. Elle aussi est coupée dans son élan, le pied encore en l’air.
– Peut-être est-ce là mon choix ? souffle-t-il en reposant le verre sur le rebord de la terrasse. Après tout, rien n’est écrit.
– En effet, rien n’est écrit. Au revoir... Achronos.
– Au revoir, A…
Mais l’homme est déjà parti, le laissant seul avec son cœur.
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