– Entrez donc, monsieur Verdoux. Je ne saurai faire attendre plus longtemps un homme de votre valeur.
Mon patient est toujours sur le seuil. Il n’ose le franchir, car cela lui signifierait un tout autre avenir, ou du moins le pense-t-il. Il n’est pas un sujet d’expérience, encore moins un cobaye. Non, il m’est bien trop précieux. De plus, il est venu à moi de son plein gré. J’insiste sur ce point. Il est un diamant que je taille et retaille, jusqu’à atteindre la perfection. Mais, attention à ne point le briser tant il demeure fragile. Méticuleux, perfectionniste, hélas rien n’aboutit ; prisonnier qu’il est de ce monde qui l’enchaîne à son propre réel.
Dans la pièce, sous une cloche de verre, palpite une pierre que l’on pourrait croire façonner dans la lumière. À s’en approcher de plus près, on découvre un noyau de ténèbres.
– Venez-vous, monsieur Verdoux ?
Il a revêtu ses plus beaux atours, je lui en suis reconnaissant.
– C’est un jour immense pour vous, comme pour moi, monsieur Verdoux. Je ne m’attacherai pas à vous l’expliquer, car vous seriez dépassé, malgré toute votre intelligence. Vous pourriez me rétorquer que je mens et que vous n’êtes qu’un pion sur un échiquier. Alors je répliquerai de cette manière : il est des choses, dont la sagesse nous apprend qu’il vaut mieux passer sous silence.
Un sourire étire mes lèvres. Enfin, il franchit la frontière ; la curiosité reste toujours la plus forte. Il fait face au joyau de ténèbres et sa main s’approche de la cloche. Il ne ressent aucun désagrément, moi non plus. Comment en serait-il autrement, tant nos êtres ne sont que des coquilles vides ? Nous sommes emplis de néant, rien ne saurait nous affecter.
– Monsieur Verdoux, vous l’avez mérité. Cette chose vous libérera des chaînes qui vous entravent et qui vous retiennent prisonnier de ce monde qui n’est pas le vôtre.
Je l’observe. Sa bouche s’entrouvre, mais aucune parole de ne s’en échappe. Il est bien trop ému, ou peut-être est-ce la peur qui le paralyse ainsi ?
– Sera-ce douloureux ? finit-il par articuler.
Comment le lui cacher ? Pourquoi le lui dissimuler ?
– Oh oui, monsieur Verdoux, très…
Il m’interroge du regard, comme s’il mettait ma parole en doute.
– Vous ai-je déjà trompé ?
– En aucune façon, docteur ! s’exclame-t-il.
Je place une main sur son épaule pour mieux l’accompagner.
– Ah… J’en suis le premier navré, monsieur Verdoux. Que voulez-vous, les choses sont ainsi, tout a son prix. Prenez donc le soleil. Il tire son énergie de ses grains de matières qui le composent. Atomes, je crois que c’est de cette manière que les nomment vos contemporains. Que se passera-t-il lorsqu’il n’en aura plus assez pour briller ? Il se métamorphosera et calcinera la surface de cette planète. L’ordre se paie cher, mon cher monsieur Verdoux.
Les yeux fermés, je me délecte des émotions fugitives qui s’échappent de son être. Ma main s’est déjà emparée du joyau.
– Enclosez vos yeux, monsieur Verdoux, et prenez une grande inspiration.
Il est prêt et sans l’ombre d’une hésitation mon poing s’enfonce dans son cœur, puis libère la pierre de noirceur. Bruit de suffocation, il cherche son souffle. Je me retire.
– Vous voici fort bien pourvu, monsieur Verdoux.
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