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tome 2, Chapitre 10 « Interlude - On brûle tout » tome 2, Chapitre 10

– Qu’êtes-vous, monsieur Verdoux ? Allons, répondez-moi. Oubliez le reste ce ne sont que de vulgaires contingences, bien indignes de vous.

– Père… je suis père.

– Oui, monsieur Verdoux. Vos enfants, votre femme et cette invention.

– Ah oui, elle… soupire-t-il.

– L’on a refusé votre prototype. Et qu’avez-vous vu autour de vous ? Les mêmes, n’est-ce pas monsieur Verdoux ?

L’homme accuse le coup. Il se revoit à la foire aux inventions, place de la Concorde, à côté de son modèle, la Verdoux. Un chef-d’œuvre d’ingénierie. Fière, racée, superbe, tous les atouts pour faire d’elle le clou de cette réunion. Eh non, rien n’était advenu. Des gens étaient venus s’extasier, l’admirer, reconnaître ses qualités, le féliciter, mais tout cela avait été inutile. Une fois de plus, on le frustrait des fruits de son labeur. Pire, on lui avait volé, car à côté de lui s’alignaient des prototypes, presque en tout point semblables au sien. Pourquoi alors s’échiner à vouloir révolutionner, à désirer créer, si ce n’est pour découvrir, une fois le dos tourné, que l’on vous a dépouillé, spolié? En face de lui, l’homme sourit et hoche la tête.

– Saisissez-vous mieux les choses, monsieur Verdoux ? S’éclairent-elles sous un nouveau jour ?

Bien sûr, qu’il comprend. C’est un honnête homme, qui a toujours donné satisfaction à chacun de ses employeurs et qui n’a qu’un désir, assurer et assumer ses responsabilités de chef de famille ; être un bon père de famille.

Assis dans son bureau, face à sa plume et son encrier, il se remémore un à un les mots échangés lors de cette séance. Une paire de ciseaux à la main, il découpe avec un soin extrême la rubrique des petites annonces. Une à une, il les examine, les écarte, ou bien les place dans une petite boîte en carton. Une heure passe, puis deux et l’on entend toujours le chuintement du métal, qui tranche le papier. Puis, ouvrant la trappe de la cuisinière, il y jette les rebuts des journaux, avant de s’en retourner à ses petites affaires. Un instant, son regard erre sur le bureau.

– On y brûle tout, n’est-ce pas monsieur Verdoux ?

– Oui, on y brûle tout.

– N’oubliez pas, monsieur Verdoux, vous êtes un père, père de famille père d’une invention.

À cette pensée, ce dernier sourit en s’emparant d’un jeu de pochettes en carton, où sont inscrites diverses annotations : possession, liquidités, liens familiaux, qualités, mobiliers, etc. Son travail achevé, il s’empare d’une feuille de papier filigranée sur laquelle, d’une écriture fine et élégante, les mots suivants :

En réponse à votre annonce parue dans le 12 juin 1922, retrouvons-nous au parc Monceau le 23 de ce même mois, à l’heure de quatorze, afin, par la semblable, de prendre un premier contact.

Votre Dévoué Guillemin.

Les mots, chacun d’entre eux sont soigneusement choisis parmi la multitude. Puis, ils sont pesés, millimétrés, étalonnés, à l’aune de son esprit. Chacun est employé pour ce qu’il est, pour ce qu’il a à dire. Ainsi est le mot, déstructuré, vampirisé, vidé de sa substance mère, de sa substance rêve, sous la plume carnassière et outrancière de son exécuteur.

Dans le miroir, une ombre passe, curieuse, avide de voir comment évolue sa créature.


Texte publié par Diogene, 17 août 2016 à 21h29
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