Le reste de la nuit s’était écoulé, il faisait maintenant était presque midi mais ses parties lui faisaient encore mal. Sa fierté avait également pris un coup alors il n’avait rien dit à personne sur ce qu’il s’était passé. Il ne donnerait pas une occasion supplémentaire à Marcus pour le ruer de coups.
Suite à ce qu’il s’était passé dans la nuit, Thomas était d’une humeur massacrante. Garé devant un appartement en piteux état, il surveillait, depuis sa voiture, une fenêtre bien précise. Il prit une gorgée de sa boisson énergisante, il n’avait quasiment pas dormi. Gilles avait insisté pour qu’il s’occupe du témoin de leur altercation de l’autre nuit au bar. Autrement dit, se charger de la prof de sa soeur. Luna. Trouver son adresse avait été facile. Le gang avait des contacts dans tous les domaines. Y compris les mairies ou les écoles.
Le jeune homme soupira. Quelle galère. Cela faisait plusieurs heures qu’il attendait qu’une ombre apparaisse à la fenêtre mais rien. Etait-elle déjà sortie ? Il était pourtant arrivé tôt devant chez elle, avant le lever du soleil, mais il n’avait vu personne ni entrer ni sortir. Comme pour le contredire, il fut tiré de ses pensées par le mouvement de l’un des rideaux. Elle était bien là. Peut-être venait-elle de se réveiller. C’était les vacances d’été après tout. La jeune femme avait déjà fait plusieurs allers-retours devant la fenêtre pendant que Thomas se préparait à sortir. Un simple couteau, dans son étui, caché dans son pantalon noir. Il espérait ne pas avoir besoin de l’utiliser, afin de de ne pas foutre du sang partout. Il allait probablement opter pour la strangulation.
Il quitta la fenêtre du regard un instant, le temps d’ouvrir la portière de sa voiture et d’en sortir. Lorsqu’il referma la portière, il releva la tête et vit apparaitre dans l’entrée de l’immeuble, de l’autre côté du trottoir, sa cible. En robe blanche aux manches longues, parsemée de petites fleurs rouges, lui descendant jusqu’aux chevilles et fendue le long de la jambe. Les cheveux relevés en une épaisse queue de cheval lui tombant sur les épaules. Elle avait un tote bag kaki, qui semblait bien rempli et tenait un petit carnet en cuir qu’elle serait contre sa poitrine. Elle réajusta son sac sur ses épaules et s’éloigna de son bâtiment.
- Merde, elle est déjà sortie ?
Discrètement Thomas se mit en route pour la suivre. En la voyant marcher d’un pas assuré dans la rue, il se souvint de ses épaules tremblantes et de son air terrorisé lorsqu’ils s’étaient vus au bar. Elle semblait aujourd’hui plus détendue.
- C’est clair qu’elle ne se rend pas compte de l’épée de Damoclès qu’elle a au-dessus de sa tête… Soupira le jeune homme, blasé.
Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent dans un parc. Thomas observa au loin la jeune femme s’assoir à une table de pique nique vide, à l’ombre d’un grand arbre. Il resta debout à distance. Il était frustré, il ne pouvait rien faire dans un endroit aussi bondé. Avec le beau temps et les vacances, tout le monde était de sortie : des familles nombreuses, des couples de retraités, des chiens et leur maitre. Les gens riaient, se chamaillaient, jouaient au foot ou au frisbee sur les espaces en herbe.
Pendant qu’il réfléchissait à une solution, Thomas observa sa cible sortir une trousse de son sac. Elle ouvrit son cahier et releva la tête pour observer le monde en silence. Elle n’était plus le petit chiot pathétique recroquevillé sur lui-même à qui il avait eu à faire dans le bar, elle semblait sereine, profitant de l’air chaud de l’été, s’adonnant à sa passion dont elle en avait fait son métier. Thomas esquissa un sourire pour lui-même. Sa passion à lui n’était pas de tuer les gens ou de les espionner. Sa passion ? Il prit le temps de réfléchir un instant avant d’hausser les épaules, résigné, il n’en n’avait tout simplement pas se dit-il.
Des yeux noirs, posés sur lui, l’arrachèrent à ses pensées. Elle l’avait repéré. Il se trouvait pourtant assez loin. Il souffla. Voilà qui compliquait encore les choses. Elle l’observait, un air inquiet planté sur le visage. Elle semblait se douter que la présence du jeune homme ne valait rien qui vaille pour elle. Elle rangea son téléphone, qu’elle avait en main, dans son sac avec précaution comme si elle ne voulait pas faire de gestes brusques. Il décida de s’avancer vers elle, qui ne détachait pas son regard de celui du sien.
- Salut. Lui lança-t-il d’un air nonchalant, lorsqu’il arriva à sa hauteur.
Elle ne lui répondit pas. Elle continuait de le dévisager, plus paniquée qu’inquiète maintenant.
- Revoilà l’air de petit chiot. Ricana-t-il.
Elle aurait eu tout le temps de partir en courant mais elle n’avait pas bougé d’un poil. Une véritable statue. Thomas se demanda même si elle respirait encore. Une idée lui vint en tête.
- Désolé de t’avoir fait peur la dernière fois…Commença-t-il.
S’agissant de la professeure de sa soeur, il ne pouvait s’empêcher de vouloir paraitre courtois et poli alors même qu’il n’avait que faire de la jeune femme. Il avait cependant un grand sens du devoir lorsqu’il s’agissait de paraitre un bon grand frère. Ce qu’il n’était en réalité pas du tout. La jeune professeure ne le laissa pas continuer.
- Tu vas me tuer ?
Elle avait prononcé cette question dans un souffle. Elle continua, tout bas, comme s’il était difficile pour elle de sortir les sons de sa gorge.
- Je les ai entendu crier que je devais mourir quand je suis partie de la ruelle.
Elle leva les yeux vers lui, le regard implorant. Elle se remit à nouveau à trembler.
- Je ne veux pas mourir. Je ne peux pas mourir. Je n’ai rien fait de mal.
- Calme toi. Je te propose d’abord d’aller boire un café d’accord ?
Son ton s’était voulu rassurant. Cela eut l’effet escompté puisque la jeune professeure détendit ses épaules. Elle continuait de le dévisager avec appréhension mais elle acquiesça timidement. Elle rangea ses affaires et suivit Thomas en serrant les hanses de son sac avec fermeté.
- On va tranquillement discuter, je vais tout t’expliquer, ne t’inquiète pas.
En vérité, elle avait de quoi s’inquiéter puisque Thomas cherchait seulement à l’éloigner suffisamment du parc pour avoir une occasion de la planter. Quelques mètres plus tard, alors qu’ils s’étaient éloignés de la foule, Thomas posa sa main sur ses hanches, où le petit couteau était caché. Soudain, sans qu’il ne l’ait vue venir, la professeure détala comme un lapin. Il se lança à sa poursuite. Elle était étonnamment rapide, elle bifurqua à droite, à gauche. Mais, au grand bonheur de Thomas, fut forcée de s’arrêter dans un cul-de-sac. Tous les deux pantelants, ils regardèrent un moment. Lorsque Luna reprit son souffle, les larmes aux yeux, les joues rouges, elle supplia :
- Pitié. C’est injuste. Souffla-t-elle, la voix cassée.
- Je sais. La vie est injuste. J’aurais préféré ne pas avoir à le faire, je t’assure. Par respect pour ma soeur. Mais j’ai des ordres à suivre. Et si ce n’est pas toi qui meurs alors ce sera moi.
De chaudes larmes coulaient maintenant sur son visage. Elle sanglotait et s’agrippait fermement à son sac. Thomas était impassible. Il sortit le couteau.
- Aller, je te promets que ça sera rapide et indolore.
L’espace d’un instant il crut percevoir une étincelle de cynisme dans les yeux de sa cible lorsqu’elle murmura :
- Tuer quelqu’un avec un si petit couteau, comment ça peut être indolore ?
Il cligna des yeux, interloqué, mais la professeure avait de nouveau le regard implorant. Ses épaules tremblaient si fort que tout son corps était parcouru de spasmes. Il soupira et commença à viser la jugulaire. Mais, à sa grande surprise, sa victime donna un violent coup de sac dans l’air. Thomas recula. Le spectacle était bien triste à voir, les yeux trempés, le nez coulant, le visage rouge, la professeure n’avait plus rien de la jeune femme détendue qu’il avait suivie plus tôt.
- Je ne veux pas mourir.
Elle agita à nouveau son sac dans les airs.
- Je ferai tout ce que vous voulez. Ne me tues pas par pitié.
- Il n’y a pas d’autres solutions que ta mort… j’en suis désolé.
Il n’était pas vraiment désolé. Il voulait seulement en finir vite et rentrer chez lui. La nuit avait été longue et…
- Fais-moi entrer dans votre gang.
Un temps s’écoula en silence. Thomas fronça les sourcils et cligna à nouveau des paupières. Venait-il d’avoir une hallucination auditive ? Il dévisagea la jeune femme en face de lui. Elle tremblait toujours et semblait avoir du mal à rester debout.
- Je te demande pardon ? Demanda-t-il, interloqué.
- Je ne veux pas mourir, je ferai n’importe quoi. Je resterai silencieuse je le jure, je ne dirai rien à personne. Si je fais partie des votre, je deviens votre complice, vous serez assurés que je n’irai pas tout balancer aux policiers.
- On ne parle pas d’entrer dans un groupe de musique. Lâcha Thomas en plissant les yeux. Tu n’as pas idée du monde dans lequel nous vivons. On tue, on vole, on drogue et bien d’autres conneries immondes dans le genre. C’est loin du monde des bisounours dans lequel tu sembles vivre.
A ces mots il fit un signe de la main avec dégout, la désignant elle, ses crayons et son carnet de dessins.
- Je ne veux pas mourir. Répéta-t-elle, plus bas en mettant la main dans son sac.
Plus menaçant cette fois, il s’approcha lentement de la jeune femme. Elle commençait à sérieusement l’agacer. Son regard plongé dans celui pétillant de la professeure, il lui murmura:
- Tu te ferais dévorer en moins d’une seconde comme un agneau pathétique au milieu d’une meute de loups. Regarde toi.
Il l’empoigna au coup et la plaqua sur le mur, il était temps d’en finir avec cette conversation ridicule. Mais alors qu’une seconde auparavant la jeune femme tremblait de tous ses membres, emprise à une terreur non dissimulée. Thomas la sentit reprendre contenance, elle se tint plus droite et arrêta de trembler. Malgré les larmes qui coulaient toujours le long de ses joues, elle reprit la parole avec un ton fut plus ferme, rappelant soudainement au jeune exécuteur le ton qu’elle avait employé à cette fameuse soirée au bar.
Fais-les sortir.
Elle sortit de son sac son téléphone qui indiquait clairement que la conversation avait été enregistrée et qu’elle s’apprêtait à l’envoyer à la quelqu’un.
- Je refuse de mourir. Fais-moi entrer dans votre gang ou j’envoie ça à la police.
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