La nuit était tombée, l’air était doux, le vent ne soufflait pas. Un cri retentit dans la pénombre. Thomas venait de se garer près du hangar « abandonné » à l’écart de la grande ville, non loin d’un boisement sombre. « Abandonné » n’était pas tout à fait le bon terme puisque le gang s’en servait pour régler certains « problèmes ».
Thomas faisait partie du plus gros gang de la région, « La Maison ». Il en était l’un des quatre exécuteurs, autrement dit les bras droits direct du Maitre de La Maison. Clifford. Il était un homme discret, qui ne se montrait que rarement. Il envoyait généralement ses hommes de main gérer les affaires, que ce soit de négociation dans lesquelles Thomas excellait, d’espionnage, de meurtre ou bien de corruption. Extrêmement riche, Clifford avait mainmise sur une grande partie du territoire régional.
Son collègue, Marcus, était d’ailleurs en train de gérer une de ces nouvelles affaires dans le hangar.
Thomas soupira en verrouillant sa voiture, il enfonça la clé dans la poche de son jean délavé et se dirigea vers la porte d’un pas assuré, droit. Il fit un signe de tête aux trois hommes postés à l’entrée, ces derniers le lui rendirent en s’inclinant respectueusement puis le laissèrent passer.
Un second cri retenti.
Le hangar était abandonné depuis de nombreuses années maintenant et Clifford avait laissé un bon billet à la mairie pour qu’il le reste. Eloigné de la ville, à une dizaine de kilomètres, perdu non loin d’une route peu empruntée, il était le lieu idéal pour régler des affaires discrètement.
Seuls les rayons de lune éclairaient l’intérieur du bâtiment ainsi qu’un seul lustre délabré suspendu au plafond par un long fil d’acier, gris. Les fenêtres étaient quasiment toutes fendues ou éclatées. Certains vieux cartons n’avaient jamais été enlevés depuis la faillite de l’entreprise anciennement propriétaire du bâtiment. Eparpillés et entassés à droite à gauche, ils prenaient la poussière et l’humidité. Des tapis roulants, ceux que l’on utilisait pour faire du travail à la chaine, se trouvaient au fond du bâtiment.
Un troisième cri retentit, ce qui sortit Thomas de sa contemplation. Son attention s’attarda alors sur les deux personnes au centre de la pièce. L’un était debout, raide, musclé comme un taureau, les cheveux rasés, la parfaite représentation du militaire. Marcus, avait passé ses jeunes années dans l’armée de terre, il ne savait faire parler les gens que par la violence et n’utilisait que sa force pour arriver à ses fins. Le deuxième était au sol dans un costard gris défait, il gémissait en essayant de se relever sur les coudes. De son nez coulait une cascade de sang, dégoulinant sur sa chemise, auparavant blanche immaculée. « Voilà un spectacle bien pathétique » pensa Thomas avec nonchalance.
Plusieurs hommes de main, étaient répartis autour du spectacle, Thomas ne comprenait pas pourquoi Marcus se promenait toujours avec autant de ses gars, à son sens cela manquait cruellement de discrétion. Il s’approcha de la scène sanglante et lança à son collègue :
- Alors il a parlé ?
- Il veut rien lâcher. Ça va faire une heure que je le tabasse et ce bâtard reste silencieux. Répondit Marcus d’un ton agacé.
- Eh bien… on doit admettre qu’il est courageux.
- Courageux ou suicidaire ?
Sur ces mots, l’ancien militaire lança un coup de pied dans la mâchoire de l’homme à terre. Ce dernier cria à nouveau de douleur, il tomba sur le dos, se tenant la mâchoire dans ses mains sanguinolentes.
- Je ne sais pas… de quoi vous parlez. Je vous en prie, laissez-moi partir… parvint-il à supplier.
Clifford avait envoyé Thomas au hangar afin de s’assurer que tout se passait bien… manifestement il avait bien fait de venir puisque Marcus semblait à deux doigts d’achever le pauvre homme avant même d’avoir eu les infos qu’ils cherchaient. Thomas fronça les sourcils, Marcus manquait de patience ce qui avait tendance à exaspérer le jeune homme. Il posa sa main sur l’épaule de son collègue et le repoussa légèrement en arrière pour se placer face à leur victime.
- Tu ne connais que la violence. Laisse-moi discuter avec lui.
Marcus pouffa de mécontentement mais laissa sa place. Thomas s’accroupit près de l’homme au sol, la mâchoire toujours dans ses mains, sa respiration devenait de plus en plus saccadée, il n’allait pas tarder à s’évanouir ou, pire, mourir. D’une voix calme, posée, Thomas prit un ton qui se voulait doux et courtois :
- Mon cher Monsieur Delart, croyez-moi bien que cela m’afflige de vous voir dans un tel état. Vous passeriez un bien meilleur moment si vous vous décidiez à nous dire qui vous a demandé de nous espionner au gala d’inauguration de l’hôtel ? Nous avons juste besoin d’un nom, rien d’autre. Dites nous puis nous vous laisserons retourner voir votre femme, qui doit être morte d’inquiétude de ne pas vous voir rentrer.
Thomas se tut, attendit un instant et observa l’homme tenter tant bien que mal de se mettre sur les genoux. Lorsque se fut fait, Delart essuya d’un revers de la main le sang qui lui coulait sous le nez. Il bégaya :
- Je vous jure, je ne sais rien.
Thomas eut un sourire, froid comme la glace, ses yeux devinrent menaçants.
- Je ne sais pas combien on vous a promis pour garder cela secret mais vous savez que « je ne sais rien » n’est pas ce que nous voulons entendre Monsieur Delart. Laissez-moi vous expliquer ce qu’il va se passer si vous vous obstinez à ne rien nous dire. J’aurais pu laisser mon cher collègue ici présent vous tabasser jusqu’à ce que mort s’en suive mais vous nous auriez été bien moins utile mort. Alors voilà comment moi je procède, j’ai en ma possession des photos plutôt compromettantes de vous… et j’adorerais voir que deviendrait votre vie si ces photos fuitaient. Je suis sûr que votre chère épouse appréciera de vous voir baiser d’autres femmes, plus jeunes, plus belles. Votre réputation en prendrait un coup… et cela serait fort dommage car il me semble que vous souhaitez devenir candidat aux prochaines municipales, n’est-ce pas ?
Thomas était un fin observateur, lorsque Delart planta son regard dans le sien il sut qu’il avait touché un point sensible. L’homme était un politicien apprécié de la ville, il avait le soutien de bon nombre d’habitants et, d’après les sondages, il était le candidat favori pour les prochaines élections municipales. Il avait beaucoup à perdre ce qui rendait la tâche de Thomas beaucoup plus simple. L’homme politique ouvrit la bouche, puis la referma. Il hésita un instant. Thomas tenait le bon bout, il continua son discours :
- Je parle de Madame Hockman, votre secrétaire, la blonde bien portante… et de Madame Jutis, votre femme de ménage, un peu jeune pour vous si je peux me permettre, tout juste sortie de ses études… Comment pensez-vous que Madame Delart réagira quand elle apprendra que son mari bien-aimé l’a trompée avec sa secrétaire ET sa femme de ménage ? Vous jouez à un jeu dangereux Delart. Dites-nous ce que nous voulons savoir et nous vous laisserons partir, sans rien dire, comme si rien n’était arrivé. Motus et bouche cousue. Vous continuerez vos multiples aventures et nous nous occuperons de nos affaires. Et cette soirée ne sera plus qu’un mauvais souvenir lorsque vous serez maire de notre belle ville.
Bien entendu, Thomas mentait bien. Il avait prévu de laisser Marcus le finir une fois passé aux aveux. Mais il s’abstint de lui préciser cette partie pour des raisons évidentes.
Delart regarda Thomas dans les yeux. A nouveau, il ouvrit la bouche mais se ravisa, il se mit à trembler et à transpirer à grosses gouttes. Thomas esquissa un léger sourire, imperceptible, il savait qu’il avait gagné. Marcus, qui à l’inverse de Thomas était loin d’être un fin stratège, ne remarqua pas le changement d’attitude du pauvre politicien. Il s’avança, menaçant, mais Thomas leva la main pour que son collègue n’intervienne pas. Il allait avoir l’info. Leur victime, fatiguée physiquement et psychologiquement, allait craquer, ce n’était qu’une question de minutes.
- Très bien. Je vais tout vous dire. Mais promettez-moi de me laisser partir après ça.
Thomas acquiesça en souriant « bien sûr » lui dit-il d’un ton rassurant, en lui tapotant l’épaule.
- Une jeune femme est venue me demander des infos sur votre gang…elle s’appelait…
Un coup de feu retentit dans le hangar vide. Du sang gicla sur le visage de Thomas, qui recula d’un bond. Que venait-il de se passer ? Delart était étendu sur le sol, sans vie, dans une mare de sang, un trou en plein milieu du front, les yeux révulsés. Le jeune homme se tourna rapidement en la direction du bruit. Il leva la tête et eut juste le temps d’apercevoir une ombre disparaitre derrière une des vitres brisées. Marcus aussi la repéra et tous deux se précipitèrent dehors, ordonnant à leurs hommes de quadriller le périmètre.
Thomas s’essuya la joue avec dégout tout en avançant sur le parking abandonné où seules deux voitures noires, aux vitres teintées, étaient stationnées, les leurs. Alerte, il tendit l’oreille à l’affût de tout bruit suspect. C’est alors qu’il aperçut une ombre au loin, en lisière de forêt. Cette dernière vêtue d’une longue cape noire, capuche sur la tête, était immobile. Le jeune homme fronça les sourcils, que faisait-elle ? Pourquoi avait-elle arrêté sa fuite ? Il murmura, pour lui-même :
- Le type nous attend ? Qu’est-ce qu’il veut ?
Thomas se rapprocha, doucement dans un premier temps, cependant à mesure que ce dernier avançait, l’ombre reculait gardant ainsi une distance identique entre les deux. Le jeune homme entendit Marcus brailler des ordres à ses hommes plus loin, de l’autre côté du hangar. Il s’arrêta, l’ombre aussi, prit le temps de réfléchir à ce qu’il devait faire. Partir à la poursuite d’un gars armé sans savoir où est-ce que cela allait l’emmener était surement trop risqué, d’autant plus qu’il semblait préparer quelque chose… mais Thomas ne pouvait se résoudre à le laisser partir, il venait de tuer un témoin essentiel probablement devenu trop gênant pour lui. A cette dernière pensée, Thomas cria à Marcus de le suivre et, sans attendre de réponse, s’élança à la poursuite du meurtrier.
Ce dernier se retourna en vitesse et prit la fuite à vive allure. Les deux personnes s’enfoncèrent dans la pénombre du bois en courant, Thomas parvenait à esquiver de justesse les racines et les trous sur son chemin. Chacune de ses foulées le rapprochait de sa cible, ils tournèrent à droite à une intersection puis continuèrent leur course poursuite.
Thomas parvint à rattraper la personne encapuchonnée et à lui saisir le poignet. La finesse de ce dernier le surprit. Il tira sa prise en arrière, pris par leur vitesse les deux tombèrent à la renverse et roulèrent sur quelques mètres. La personne en face de Thomas, se dépêcha de remettre sa capuche en place et dans la pénombre, le jeune homme n’eut le temps que d’apercevoir les mains de sa cible. Elles étaient fines, élancées…féminines ? Thomas n’en vit pas plus, son adversaire reprit sa fuite. Il se leva en vitesse et le rattrapa à nouveau lorsqu’ils arrivèrent près de la route. Enfin leur course ralentie avant de s’arrêter à côté d’un pickup noir dont le moteur était en route et les feux allumés. La personne qu’il poursuivait lui faisait dos.
- Qui es-tu ? Demanda Thomas, essoufflé.
Lorsque son adversaire se retourna, Thomas pensait pouvoir voir son visage mais quelque chose le frappa violemment derrière la tête. Il jura et tituba un instant. Il se retourna mais un second coup le fit s’écrouler par terre. Il sentait du liquide chaud lui couler le long du cou. Sa vision commençait à se troubler, son cerveau tambourinait dans son crâne. Il posa une main sur sa tête et de l’autre se releva sur les genoux. Il cligna un instant des yeux. En levant la tête, il croisa le regard d’une femme adossée sur au pick up sombre qui jeta ce qu’il supposa être une barre en fer par la fenêtre de la voiture. Toute vêtue de noir, une casquette sur la tête, elle portait également un masque ébène, il ne discernait que ses yeux brillants, glacials, dans l’obscurité. L’ombre qu’il venait de poursuivre s’avança et se pencha au-dessus de lui. Comme il le pensait au vu de la finesse de ses mains, il s’agissait bel et bien d’une femme. Elle aussi portait un masque, mais elle le retira laissant apparaitre un sourire composé de belles dents blanches. Une lueur d’amusement dans le regard, elle s’accroupit face à lui, elle était à peine essoufflée alors que Thomas peinait à reprendre son souffle.
- Ça doit secouer un peu là-dedans. Lui murmura-t-elle en tapotant la tête du jeune homme au sol.
Maintenant qu’il la voyait plus proche, il perçut dans son regard quelque chose de plus vicieux que juste de l’amusement… c’était plus comme… le regard d’un chat jouant avec la souris qu’il venait d’attraper. Piqué au vif, Thomas voulu se relever mais la jeune femme ne lui en laissa pas le temps, elle se releva avant lui et lui assena un violent coup de pied dans la tempe. Sa tête résonna et lui fit atrocement mal. Sa vision se troubla, il eut juste le temps d’apercevoir la jeune femme à la casquette se retourner sans un bruit, impassible, monter dans la voiture. Il entendit des pas derrière lui et la voix de son collègue l’appeler puis ce fut le noir complet.
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