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tome 1, Chapitre 25 « Feu-de-Sang - Partie 2 » tome 1, Chapitre 25

Je lui jetai un regard interrogateur, puis voyant qu’il regardait quelque chose derrière moi, je tournai la tête, juste à temps pour voir une paire de soldats s’emparer de moi. Je n’eus le temps de réagir que par un petit cri alors qu’ils m’immobilisaient. Je jetai un regard consterné à Alain, qui se changea en haine lorsque je vis son petit air satisfait.

— Lâche ! craché-je avec mépris.

— Tu m’as posé bien des questions, dit-il en se levant de son fauteuil. Mais à ton avis, pourquoi le gouverneur m’a confié cette auberge ?

Son sourire fut remplacé par une expression sérieuse lorsqu’il s’adressa aux gardes :

— Emmenez-la. Les fauteurs de trouble dans son genre n’ont de place qu’en prison.

— Mais lâchez-moi, bande de vers crasseux ! criai-je alors qu’ils me faisaient sortir par derrière. Toi, le p’tit merdeux, tu vas me le payer cher !

Il referma le battant de la porte derrière nous avec un sourire sarcastique. Je crachai par terre, me débattant toutes griffes dehors, mais ils me tenaient fermement : je m’étais laissée avoir comme une idiote.

Soudain, il y eut une éclaboussure de sang, l’homme à ma droite s’effondra, le second n’eut pas le temps de réagir qu’il se vit la gorge tranchée et s’écroula à son tour. Je fis volte-face, arme en main, prête à me battre contre un potentiel ennemi. Devant moi se tenait l’Edenté, qui me fixait d’un air dur.

— C’est ça que tu appelles être discrète ? ne pas faire de vagues ?

— C’est le gamin qui m’a attaqué en premier.

Il leva les yeux au ciel.

— Les deux autres m’ont tout raconté. Et devant le capitaine, qui plus est. On risque de ne plus être les bienvenus à bord, par ta faute !

Je pouvais voir qu’il était vraiment fâché, mais ne baissai pas les yeux.

— Je suis pas plus fautive que ce gamin ! Il a onze ans, et il tient un établissement de merde sans bon alcool, évidemment que je l’ai charrié !

— Je ne veux pas d’excuse ! Tu réalises que nous sommes à présent hors-la-loi dans deux des Trois Royaumes ? Viens, on retourne sur l’Altier, et si on essaye de nous en chasser, on s’en empare de force et on se barre, c’est clair ?

— Limpide, capitaine.

Je crachai ce dernier mot avec autant de mépris que je le pouvais. Il se contenta de lever les yeux au ciel et de tourner les talons.

— Et le mioche ? demandai-je. On va pas juste le laisser s’en tirer comme ça ?!

Il ne répondit rien, continuant d’avancer en direction du quai. Je soupirai et le suivis de près.

— Ok, t’as raison, j’ai merdé.

Je lui attrapai le bras, et il s’arrêta.

— Mais c’est pas foutu. La bande de cons sur l’Altier se laisseront avoir si tu leur fais croire que tu m’emmènes pour me mettre au fer.

Il leva un sourcil, intéressé.

— Ils sont débiles, bien-pensant, la loi leur tient à cœur. Tu m’auras juste cueillie alors que je tentais de filer après avoir attaqué le fils du gouverneur. On a besoin de ce bateau. C’est pas le moment de tout foirer en allant trop vite.

Il sourit et posa sa main ganté sur mon épaule.

— Heureux de voir que tu t’es assagie.

Je lui rendis son sourire.

— Maintenant avance ! cria-t-il en me poussant en avant.

Nous étions déjà en vue de l’Altier, il fallait jouer le jeu. Je ma laissai entraînée, me permettant quelques coups bien sentis que l’Edenté me rendait avec un plaisir non dissimulé. Lorsque nous arrivâmes à bord, Frédéric s’approcha de nous.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il de son ton niais.

— Elle s’est battu avec le gérant de la taverne, là, en face.

— C’est pas n’importe qui, le gérant de la taverne, capitaine, lança Camille, l’idiot qui m’avait interrompue dans ma discussion avec Liam à la taverne. C’est le fils du gouverneur.

— Ça je le sais bien ! C’est lui qui se sert de son établissement pour chopper les crapules. Les geôles de la ville n’ont jamais été aussi bien remplies !

— Je suis confus, dit l’Edenté en un souffle.

Il jouait à merveille les imbéciles, à croire qu’il avait fait ça toute sa vie.

— Et moi donc ! renchérit le capitaine. Tu comprends, avoir une criminelle à bord…

— Elle saura se racheter. Elle a le sang chaud, c’est tout. S’il vous plaît, ne la livrez pas. Si le Premier Royaume venait à la trouver…

Il ne finit pas sa phrase, ajoutant au dramatique de son jeu. Peut-être en faisait-il un peu trop. Mais manifestement, il savait y faire, car le capitaine céda :

— Soit, on va la mettre au fer quelques jours, puis on l’assignera à divers tâches sur le pont. Mais qu’elle se tienne à carreau, sinon nous n’aurons plus d’autre choix que de la faire arrêter, quelques qu’en soient les conséquences.

— Merci infiniment, capitaine. Je me porte garant de son bon comportement.

Fred hocha la tête. Sans un mot de plus, il tourna les talons et guida l’Edenté et moi jusqu’à fond de cale, où l’on m’attacha les pieds.

— Puis-je rester pour lui parler ? demanda l’Edenté.

Fred hocha sèchement la tête et s’en retourna. Lorsque l’Edenté se fut assuré qu’il soit bel et bien parti, il prit la parole.

— Le bateau quittera le port demain. On ne devrait pas avoir le temps de partir à ta recherche, dans ce genre de ville les procédures judiciaires doivent prendre du temps.

J’hochai la tête.

— Et où va-t-on ?

— Je n’ai pas eu le temps de demander des détails, mais nous partons cap à l’Est, en direction de la grande mer nous séparant d’Yzân.

J’hochai la tête.

— J’ai appris quelque chose d’étrange à propos d’Yzân. Il y a un baron apparenté au gouverneur de cette ville. Il entretient des liens étroits avec eux, c’est le garçon qui me l’a appris. Il a longtemps séjourné chez lui.

— Un baron ?

Il sembla quelques instants plongés dans ses pensées, comme trouvant l’information plus intéressante qu’elle ne l’était.

— Tu en sais quelque chose ?

Il secoua la tête.

— Je ne suis sûr de rien, mais… il n’y a pas beaucoup de baronnie en Yzân. Encore moins des qui entretiennent des liens avec l’ennemi de l’Empire. Tu te souviens de Cadavre ?

Bien sûr, comment l’oublier ? Je jetai un regard sarcastique à l’Edenté.

— Sa sœur cadette, Lysa. Elle a été mariée de force à un baron d’Yzân. Elle est la princesse du Premier Royaume, ce n’est pas rien. Le baron en question fomente une révolte contre l’autorité en place, pour soutenir les Trois Royaumes dans la guerre et vaincre l’Empire.

— Ce serait le fameux parent du gouverneur ?

— Si c’est le cas, cette ville est étroitement liée à nos ennemis. Nous sommes en plus grand danger que je le croyais, si la famille royale de Dajomaan a communiqué notre évasion au gouverneur, dès que ton affaire lui parviendra il se lancera à notre poursuite.

— Je ne le crois pas. La famille royale a beau être tenace, je ne vois pas pourquoi elle nous accorderait tant d’importance. Elle a eu ce qu’elle voulait, le Fer Blanc. On n’est plus que des pions.

— Des pions dangereux. Le Fer Blanc sera bientôt à nouveau entre mes mains. S’ils nous sous-estiment, alors on ne risque rien. Mais restons tout de même sur nos gardes, on ne sait jamais ce qui peut traverser l’esprit de gens comme ceux-là.

J’haussai les épaules. Au final, que nous soyons en danger ou non ne changerait pas l’allure à laquelle iraient les choses. Surtout de mon côté. L’Edenté tira quelque chose de sa poche. Un fil de fer tordu. Il le mit dans mes mains après s’être assuré que personne ne nous regardait.

— Tiens, prends ça. En cas d’urgence, tu pourras te libérer. De mon côté, je vais faire en sorte qu’on t’oublie un peu, et dès qu’on aura pris la mer, je commencerai à essayer d’éclipser le commandant. Il te faudra être patiente.

Il me lança un regard lourd de sous-entendus, et je soufflai, exaspérée.

— Oui, oui, ça va j’ai compris.

Il me regarda encore quelques instants, puis se redressa et tourna les talons. Je me souvins alors d’autre chose.

— Attend, encore une chose.

Il se retourna à moitié.

— Liam, le vieux corsaire. Il a essayé de me dire un truc au bar. Qu’il sait des choses que les autres ignorent, et que je devais me méfier du capitaine. Que toi et moi étions de ceux qui ne font pas long-feu sur l’Altier.

Il fronça imperceptiblement les sourcils, mais hocha la tête et s’en fut pour de bon.

Commença alors l’épreuve la plus pénible de toute mon existence : attendre. Cinq minutes. Dix. Trente. Une heure. Puis… un fracas se fit entendre dans les escaliers un peu au-dessus de moi. Faiblement éclairé, je parvins à distinguer l’Edenté, un sac en toile sur l’épaule, équipé de son ceinturon d’arme. Il se précipita à grands pas vers moi et entreprit de me défaire de mes chaînes.

— L’Ed… Cléo ? Qu’est-ce que tu fais ?

Il était pâle, ses gestes étaient maladroits et tremblants, son front, malgré l’obscurité, brillait de sueur.

— On dégage, dit-il. Maintenant.

Les fers s’ouvrirent et, m’attrapant les poignets, il me tira sur mes pieds.

— Mais… Mais enfin… bafouillé-je. Qu’est-ce qui t’arrives ?

— Je ne passerai pas une minute de plus sur ce navire de fou, est-ce bien clair ? J’ai appris où nous allions. On se jette dans la mort.

Je le fixai, la bouche entrouverte, interloquée.

— Comment ça ?

Il commença à me tirer en avant, mais je refusai de bouger, attendant des explications.

— Frédéric est fou, dit-il, la colère et la peur perçant dans sa voix.

Je ne l’avait jamais vu dans un tel état, pas même à la mort de son équipage.

— Il veut aller tuer la Fièvre des océans, un monstre bien connu des légendes de l’Empire.

— Une légende ? Alors on n’a rien à craindre, ce ne sont que des bêtises.

— Merde, Feu-de-Sang, est-ce que j’ai l’air de rigoler ?

Sa prise se raffermit sur mon bras, ses ongles s’enfonçant dans ma peau. Non, il n’avait pas l’air de rigoler.

— Ce monstre, dit-il, est bien réel.

— Mais à qui ressemble-t-il ? Enfin, ça ne peut pas être…

— Terrible, si, il l’est. Tu en a un portrait gravé dans le dos.

Je me figeai de stupeur.

— Tu veux dire…

— La Fièvre des océans, C’est le poulpe à cinq tentacules. Viens maintenant.

Il me tira à nouveau, je le suivis sans y penser cette fois. Nous gravîmes les marches quatre à quatre, en arrivant face aux cabines, je l’interrogeai :

— Et nos affaires ?

Il désigna son sac d’un geste évasif de la main.

— J’ai l’essentiel.

Nous arrivâmes sur le pont supérieur… pour trouver Frédéric encadré de l’équipage. Tous étaient rouges de colère, sauf un, que je reconnus être le vieux Liam.

— Où croyez-vous aller, comme ça ? gronda le capitaine. On n’aime pas vraiment les espions de l’Empire, à bord.

Juste à sa droite, la fille, Marguerite, je crois, affichai un sourire triomphant. Qu’elle emmerdeuse, celle-là !

— Frédéric, dit l’Edenté. Laisse-nous passer. Tu ne sais pas dans quoi tu t’engages, et je ne veux pas laisser ma peau là où tu vas.

Il ne fit pas mine de bouger, alors l’Edenté tira son sabre.

— Ecarte-toi, dit-il d’un ton plus menaçant.

Le capitaine en face de lui fit de même, je dégainai un poignard qui pendait à la ceinture de l’Edenté et le brandis. Tous derrière Frédéric dégainèrent, Liam les imitant avec réticence. Il me fixa, et je vis un "désolé" se dessiner silencieusement sur ses lèvres.

— Vous nous serez bien utiles, déclara le capitaine, si vous connaissez la Fièvre des océans. Aussi, garçons, essayez de ne pas les tuer.

Il ne m’en fallut pas plus : sans attendre le début d’une joute verbale, je bondis en avant, visant directement la tête du capitaine. D’un coup de sabre, il dévia ma lame ; c’est tout ce que je pus comprendre avant qu’il m’envoie bouler sur le pont, mon poignard glissant loin de moi. Depuis était-il si fort ?!

— Triple bourrique en cul de putois ! l’insultai-je, mais il ne m’écoutait pas.

L’Edenté avait pris ma relève. Face à face avec Frédéric, il virevoltait, sa lame fendant l’air, invisible, et pourtant habilement parée par le capitaine. Ils étaient comme deux éclairs d’argent, insaisissable, inégalables, terrifiants.

J’étais subjuguée, comme le reste de l’équipage, mais je repris mes esprits avant eux, bondissant sur mes jambes pour me précipiter sur mon coutelas. Avant que je ne l’atteigne, cependant, la semelle d’une botte noire vint le clouer au sol.

Margueritte.

Elle souriait méchamment, lame en main. D’un coup de talon, elle envoya mon arme glisser à mes pieds. Elle me provoquait. Un duel. Je me penchai pour ramasser le poignard et, par conséquent, relever son défi.

— Tu es sûre ? fanfaronna l’Irrepoise. C’est Fred qui m’a entraînée.

Je jetai un nouveau regard aux deux combattants. Aucun n’avait l’air de prendre l’avantage, le duel semblait éternel. Je souris.

— Et moi, j’ai été entraînée par celui qui lui met la pâtée.

Je saisis l’arme, elle bondit en avant à peine mes doigts refermés sur le manche, me prenant de court. J’eus tout juste le temps de me redresser et de brandir ma dague, le sabre de l’Irrepoise dérapant dessus plutôt que de me fendre le crâne. Elle ne perdit pas de temps et attaqua à nouveau, droit vers mon cœur. Mais cette fois, j’étais prête : j’esquivai et fis fuser la pointe de mon arme vers son flanc. Elle l’évita avec souplesse et se tordit dans une position déconcertante, entaillant mon bras dont s’échappa un filet de sang. Je grognai, dents serrées, et fis plusieurs pas en arrière, arrachant un sourire moquer à mon adversaire.

Je brûlais de me retourner pour voir ce qu’il se passait derrière moi, entre l’Edenté et le capitaine Frédéric, mais je devais rester concentrée : cette femme était très forte, et je n’étais pas sûre d’être meilleure.

Elle bondit en avant, m’attaquant bras tendus avec son sabre, hors de portée de ma courte lame. j’esquivai, elle ramena son arme à l’horizontale pour la faire fuser vers ma gorge. Je m’accroupis et plongeai en avant, droit sur ses jambes. Elle fit un pas sur le côté avec une réactivité surprenante, et m’a lame ne fit qu’entailler la peau de son genoux. Nous étions à égalité à présent : une touche chacune.

Mais je n’eus guère le temps de me reposer sur mes lauriers : je sentis soudainement une douleur dans mon dos : elle avait ramené sa lame en arrière, son coude tordu à faire peur, et la pointe avait déchiré ma chemise de bas en haut et écorché mon dos au passage. Je me relevai d’un bon, furieuse, pour voir sur son visage un sourire carnassier, mêlé à un semblant de surprise. Elle avait vu ma cicatrice.

— Le Fer Blanc, hein ? Fred a raison, vous nous serez bien utiles. J’éviterais de te tuer.

— Tu ne débarrasseras pas de moi autrement, chienne.

Derrière elle, je pouvais à présent voir le combat mené par l’Edenté. Rien n’avait changé : aucun d’eux n’était blessé, aucun d’eux ne semblait fatigué. Ce n’est qu’à ce moment que je réalisai à quel point mon compagnon était fort, et mon respect pour lui grandit encore. C’était le capitaine. C’était mon capitaine, et je le défendrai jusqu’à la mort si nécessaire !

Notre combat reprit, et je perdais rapidement l’avantage. De temps à autres je l’éraflai mais cela me mettait plus en colère qu’autre chose, comme si elle m’offrait moqueusement ces touches superficielles. Moi, en revanche, j’étais couverte de sang, ma chemise en lambeaux rouges humides, mes jambes tremblantes, la peau de ma articulation déchirée et douloureuse au moindre geste.

— Rends-toi, m’exhorta l’Irrepoise. Je ne veux pas avoir à te tuer.

— Je t’ai déjà dit que tu n’avais pas le choix.

Ma voix n’était ni tremblante, ni haletante, et j’en étais fière. Mon corps était durement éprouvé et douloureux, mais loin de faillir. J’étais encore d’attaque, et j’allais le lui montrer !

— Bats-toi jusqu’à la mort, putain bâtarde d’Irrepir !

Je bondis en avant, plus féroce que jamais. Je n’allais pas me laisser mourir. J’allais sortir victorieuse de ce combat, et l’Edenté aussi !

Curieusement, ses assauts se firent moins assurés, elle cessa de viser mes parties vitales. On aurait cru qu’elle avait peur de me tuer. Elle finit par ne plus jouer que sur la défense, alors que je me vidais de mon sang, et que quelques coupures bien placées auraient suffi à me priver des derniers flots de vie qui coulaient en moi.

Elle avait beau se retenir, elle se défendait bien et je ne parvenais pas à l’atteindre : elle m’aurait à l’usure si ça continuait ainsi. Je redoublai d’effort, je vis comme de la panique au fond de son regard.

« Elle a peur de tuer. »

Ce n’était guère glorieux de vaincre un adversaire ainsi restreint par la peur, mais je n’allais pas me priver de sa tête pour si peu ! J’allais la vaincre, j’allais y arriver, j’allais…

Je ressentis une douleur brûlante dans mes entrailles. En voulant hurler, je crachai un jet de sang. Je baissai les yeux. Une lame ressortait de mon ventre. Elle disparut à l’intérieur de mes entrailles avec un bruit de succion, et je tombai à genoux sur le pont dans une mare de sang. Tout n’était que douleur et colère en moi. Je vis la personne qui m’avait ainsi attaqué par derrière. C’était un bête membre de l’équipage, dont le visage m’apparaissait flou alors que ma conscience me quittait peu à peu.

— Lâche, murmurai-je d’une voix éraillée.

— Feu-de-Sang ! entendis-je une voix s’exclamer.

Un martèlement de talons sur le pont, un fracas de métal, le contact d’une main dans mes cheveux souillés de sang. Puis plus rien.

Je m’abîmais lentement dans une eau glaciale. Ma poitrine était écrasée, je ne trouvais pas mon souffle. Tout ce que je savais, c’était que tout était de plus en plus noir, l’incendie au-dessus des flots se faisant de moi en moi éclatant, de moins en moins menaçant. Bientôt, il ne fut plus qu’une lueur orangé loin, très loin vers là où portait mon regard.

Une silhouette noire se dessina dans cette lueur. Elle grandit, grandit. Elle se rapprochait, main tendue vers moi. Une prise chaude se referma sur mon poignet, et je me sentis tirée en avant. Bientôt, alors que je remontais vers la surface, ce fut tout mon corps qui se réchauffait dans une étreinte protectrice. Enfin, ma tête creva les flots, et j’inspirai goulument l’ait, ou plutôt les chauds relents d’une fumée noirâtre. Sur la mer, un bâtiment brûlait. J’étais faible, j’étais mourante, et pourtant, je souris face au spectacle, dans un éclair de lucidité. C’était moi qui avais allumé ce feu. Cet immense chaos, ce braisier réchauffant l’océan, c’était mon œuvre.

Dans ce même éclair de lucidité, je réalisai que je devais la vie à celui qui me tenait dans ses bras. Je levai les yeux vers son visage. Il me tirait encore dans l’eau, en direction d’un autre navire mouillant un peu plus loin. Il était jeune, ses longs cheveux bruns trempés plaqués sur son dos, son visage rongé par l’inquiétude. Il tourna la tête, nos regards se croisèrent, il cessa d’avancer, se contentant de battre des jambes pour maintenir nos deux têtes hors de l’eau. Nous continuâmes de nous regarder quelques instants, captivés l’un par l’autre, puis un frisson lui parcourut l’échine. Je me délogeai de ses bras puissants, et nous nageâmes en silence, côte à côte, vers le Kotarn. Quelques corsaires nous attendaient derrière le bastingage, un bout lancé le long de la coque et trainant paresseusement dans l’eau. En arrivant, mon compagnon s’en saisit et me l’a tendit. Je la lui pris des mains, mais ne grimpai pas, mon regard traînant sur son visage.

— Merci, dis-je d’une voix rauque.

Il hocha la tête.

— Je m’appelle Liam.

— Liam… Moi, je suis Elle.

Il hocha la tête.

— Monte.

Je souris et escaladai la coque. A peine en haut, mon père adoptif me serra dans ses bras.

— Folle, murmura-t-il, sa voix tremblant. Tu es complètement folle.

Je crus sentir une larme couler dans mon dos, sans en être certaine.

— Je vais bien, père.

Liam arriva derrière moi, je repoussai délicatement Renard pour prendre sa main.

— Je te dois la vie, dis-je.

Il secoua la tête. Il allait parlé, avant de fixer avec frayeur un point derrière moi. Je tournai la tête. Le capitaine. Je me levai précipitamment.

— Elle, dit-il.

— Oui, capitaine ?

Il posa sa main sur mon épaule, triturant entre le pouce et l’index une mèche de mes cheveux roux trempés.

— Tu seras à présent Feu-de-Sang, corsaire du Kotarn.

Je me gonflai de fierté. Enfin, j’avais prouvé ma valeur. Me voilà corsaire.

— Merci, capitaine.

Il tourna les talons et s’en alla sans un mot de plus. Je me tournai vers Liam.

— Capitaine !

Il se retourna.

— Et lui ? demandai-je.

Il sembla le remarquer pour la première fois, et revins vers nous, l’examinant. Liam était tendu.

— Qui es-tu ?

— Je… je m’appelle, Liam, monsieur. Je… je viens du bateau ennemi.

— Ah ! Dans ce cas…

Liam, devinant le destin qu’on lui réserverait, s’empressa d’ajouter :

— J’étais prisonnier ! Enchaîné à la chiourme, et…

— Et si je faisais de toi un prisonnier ici ? Ce serait pas mieux, hein ?

— Parbleu ! Je préfèrerais grandement, si ! Je viens de Dajomaan. L’Empire a ravagé mon village, violé ma mère avant de la tuer, égorgé mon père et m’a fait esclave, me forçant à faire avancer leurs maudits navires, à participer à la ruine de mon pays !

La fureur et la passion illuminaient son regard, éclipsant presque l’incendie qui sévissait derrière lui sur les flots.

— Mille fois, capitaine, oui, mille fois je préfèrerais ramer à me tuer sur ce bâtiment, que de donner un coup de plus pour ces chiens !

Le capitaine regardait Liam fixement. Le jeune homme finit par baisser les yeux, mais il restait tendu de rage. J’allais intercéder en sa faveur, argumentant qu’il m’avait sauvé la vie, lorsque finalement il prit sa décision :

— La colère est une bonne arme, mais pas une bonne conseillère. Maîtrise-toi si tu ne veux pas finir six pieds sous l’eau, le bleu.

Il fit à nouveau demi-tour et s’éloigna. Je bondis presque de joie, souriant de toute mes dents à Liam, qui me rendit mon sourire de son air tendre et de ses dents blanches.

Une main me caressa les cheveux, puis la joue du bout du doigt.

— Liam, soufflai-je.

Je me sentais brûlante, mon ventre était douloureux. J’entendis un cliquetis de métal.

— Liam, répétai-je tendrement.

Le contact cessa. Dans un réflexe, je levai la main pour saisir le poignet qui qui se détachait de moi, m’arrachant un gémissement de douleur.

— Reste, dis-je.

J’ouvris les yeux. Dans la faible lumière ambiante, il y avait un visage penché sur moi. Ce n’était pas Liam.

Une vision m’assailli soudainement : la tête de mon amant, brandie par un poing, le poing de l’homme qui se tenait devant moi. L’Edenté. Je lâchai son poignet avec déception et sentit une larme rouler sur ma joue. Liam était mort.

— Tu as mal ? demanda le corsaire.

Je ne répondis rien, détournant le regard, tentant de me remémorer ce qui s’était passé. L’Altier, le bar, le fils du gouverneur… puis l’affolement de l’Edenté, Frédéric, le combat avec Margueritte, le coup en traître. Je devrais être morte.

— Que s’est-il passé ? demandai-je, reprenant contenance. Pourquoi ne suis-je pas… ?

Il se leva. J’étais allongée sur un lit, un vrai, dont il était assis quelques instants auparavant sur le bord. Je réalisai alors qu’il avait des menottes aux poignets, et que j’étais moi-même entravée aux mains et aux chevilles. J’écarquillai les yeux.

— Tu n’as tout de même pas… ?

Il soupira, s’asseyant sur une chaise proche de la couche.

— J’ai vaincu Frédéric peu avant la fin de ton propre combat. J’ai vu le corsaire enfoncer le sabre dans ton ventre. Je n’ai pas achevé le capitaine, je me suis précipité vers toi. Fred a dit qu’il avait de quoi te guérir.

Il leva ses poignets entravés.

— J’ai promis de les mener à la Fièvre des océans en échange de ta vie.

Il jeta un regard à la porte. Fermée à clef, sans doute. Je restai longuement silencieuse, ne sachant que penser de son geste.

— Qu’est-ce que cette Fièvre, exactement ? Pourquoi est-ce le sigle du Fer Blanc ?

— La Fièvre des océans… Je l’ai croisée une fois. Elle est la seule chose qui me terrifie. Cette pieuvre à cinq tentacules porte un autre nom, connu de quelques personnes seulement. On dit que tant d’armes ont pénétré sa chair sans la tuer que sous sa peau pâle se cache une véritable carapace de fer. Cette créature, on l’appelle le Fer Blanc.


Texte publié par RougeGorge, 8 décembre 2024 à 13h39
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