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tome 1, Chapitre 23 « Cléopendre » tome 1, Chapitre 23

Chapitre 8

Cléopendre

Cléopendre reposa sa plume et massa ses poignets tourmentés. Cela faisait plusieurs jours qu’il travaillait sur ce manuscrit, et ce des heures durant. Il était vieux, Cléopendre, il regrettait ses jeunes années, et il craignait de ne pas finir son ouvrage avant l’heure de son trépas.

On frappa quelques coups à la porte de sa chambre.

- Cléo ? C’est moi.

- Entre, Fides.

Le vieil homme se leva, tandis qu’entrait une femme au visage encadré de longues mèches rousses.

- Alors ? demanda-t-elle. Ton projet avance ?

- Trop lentement, hélas. J’ai grande peur de m’éteindre avant d’avoir fini cet ouvrage.

- Ne dis pas de bêtises.

Elle le prit par les épaules et le poussa doucement vers la porte.

- Il y a un visiteur au palais, dit-elle. Il désire te parler.

- Un visiteur ? Me parler ?

Elle hocha la tête.

- Il a déjà vu ses Altesses Royales, et a demandé à s’entretenir avec toi. Il t’attend dans le jardin.

- Je ne sais pas si…

Il jette un coup d’œil à son manuscrit.

- Où en étais-tu ? demanda Fides.

- Le moment où nous réconcilions, tu sais, après…

Il tendit un doigt osseux vers le cache-œil que portait la jeune femme.

- Alors je peux raconter le reste, dit-elle. Va, te changer les idées te fera du bien.

- Je suppose… Respecte la forme, s’il te plaît, et mets des détails !

- Oui, vieux pirate sénile.

Il lui donna une tape entre les côtes.

- Je ne suis pas sénile ! Et j’ai encore toute ma tête !

- Alors prouve-le-moi et fais en sorte d’avoir une conversation intéressante avec notre visiteur.

Il grogna, mais sortit de la pièce tandis que Fides s’asseyait à son bureau et prenait sa plume. Il se retourna néanmoins, et fixa le dos de la joli femme tandis que la plume commençait à gratter le papier. Elle avait grandi, cette petite, depuis leurs aventures à travers terre et mer.

- A tout à l’heure, Feu-de-Sang, dit-il.

Elle se retourna avec un sourire.

- A tout à l’heure, l’Edenté, répondit-elle.

Il referma la porte, ses pensées voguant vers l’identité possible du visiteur. Il avait beau se creuser les méninges, il ne savait pas qui pouvait avoir envie de le rencontrer. Lorsqu’il arriva dans les jardins, il vit un homme assis sur un banc, un chapeau à la main, vêtu luxueusement aux couleurs du Premier Royaume.

Lorsque Cléopendre, jadis le redoutable l’Edenté, s’approcha, ses pas firent crisser le gravier et le visiteur se retourna. Cléo s’immobilisa en reconnaissant son visage. Il avait un peu changé, des rides s’était formé sur son front et sous ses yeux, ses cheveux grisonnaient, mais son teint pâle était toujours le même, ses yeux froids le fixèrent avec la même sans-gêne qu’auparavant. Le visiteur sourit et se leva.

- L’Edenté !

Il s’approcha de l’ancien corsaire et le serra dans ses bras, encore vigoureux. Cléo lui rendit son étreinte et souffla, ému :

- Cadavre…

- Eh bien ! T’a pris un sacré coup de vieux depuis la dernière fois !

- Sot… ça fait bien trente ans qu’on ne s’est vu.

- Vingt-huit. J’ai eu tout le temps de compter pendant ce long voyage !

- Que fais-tu ici ? Es-tu là en tant que prince de Dajomaan pour ton frère ?

- Non… Je suis venu politiquement dans le but de discuter avec le roi Claude de l’avenir de nos royaumes respectifs.

- Que veux-tu dire ?

- Stephen est mort, je suis le nouveau roi de Dajomaan. J’ai été couronné il y a trois mois, et dès que la cérémonie fut achevée, je pris la mer pour venir vous retrouver. J’ignorais que tu étais là. Sa majesté la reine me l’a appris à l’instant.

- Sa majesté est une formidable reine.

- Je suis fier d’elle. Et heureux de sa bonne fortune.

Il passa un bras autour des épaules de son vieux compagnon, et ils commencèrent à marcher dans les jardins.

- Ecoute, l’Edenté…

- C’est Cléopendre, maintenant. Je ne suis plus corsaire.

- Peu importe, tu restes ce capitaine redoutable à mes yeux. Bref, je voudrais te remercier. Que dirais-tu d’une contrée de Dajomaan à diriger ?

- Euh… eh bien, à vrai dire…

- Je plaisante, mon vieux !

Il lui donna une claque sur la poitrine.

- Je sais bien que ce gars-là n’est pas intéressé par le pouvoir. Non, mon cadeau pour toi est tout autre. Je sais que tu as toujours aimé la piraterie, que la navigation est ta passion. Si tu le veux, je vais t’offrir un navire, mais évidemment, pas pour piller les marchandises du continent. Non, j’aimerais que tu combattes les pirates qui envahissent notre commerce. Il y en a de plus en plus et…

Cléopendre l’interrompit d’un geste.

- Ecoute, Laurence… je te remercie pour ton offre, mais… regarde-moi !

Il écarta les bras pour illustrer son propos.

- Je n’ai plus l’âge ni la force de naviguer. Les combats, les abordages, tout ça c’est fini pour moi. Je n’ai plus devant moi qu’une mort misérable dans le palais d’un grand homme.

- L’Edenté…

- Cléo.

- Arrête un peu de dire des sornettes, il ne dépend que de toi de faire quelque chose de la vie qui te reste !

Il stoppa sa marche et pris son compagnon par les épaules.

- Je t’en prie. Je tiens à ce que tu meures avec une voile plus éclatante que jamais. Embarque à nouveau. Je sais que tu en es capable. Et puis, tu ne dois pas être le seul à qui la piraterie manque.

- Tu veux parler de Feu-de-Sang ?

- Bien sûr ! Elle, elle a encore toute sa vigueur, et une longue vie devant elle ! Tu n’oserais pas la priver d’autres aventures ?

L’Edenté soupira.

- J’y réfléchirai, je te le promets. Mais en attendant, parlons un peu. Que t’est-il arrivé ces dernières années ?

- Et si on discutait de tout ça autour d’un bon verre, hein ?

Cléo hocha la tête avec un sourire.

- Je t’invite, dit-il, il y a une bonne taverne, plus bas en ville.

- Pas question ! Par ordre de sa Majesté le roi de Dajomaan, c’est moi qui paye !

Ils s’en allèrent bras-dessus, bras-dessous en riant, pour aller se rincer le gosier et faire rejaillir les ombres du passé.

Le soir, ils rentrèrent : le roi Laurence était ivre, Cléo avait bu tout autant mais avait toujours les idées claires. Il soutint le roi jusqu’à sa chambre, puis se rendit dans ses appartements, habité d’une bonne humeur qui lui rappelais le bon vieux temps. Il fut surpris de trouver Fides toujours penchée sur son bureau, la plume à la main.

- Toujours là ? Il est tard tu sais, la nuit tombe.

Elle se redressa.

- Je sais, mais c’est vraiment très prenant de raconter ainsi le passé. Je suis heureuse de nous voir nous côtoyer à nouveau sur le papier.

Elle grata encore quelques mots, rangea la plume à regret, et tendis son travail à Cléopendre.

- Tu me diras ce que tu en penses.

Il hocha la tête en prenant les feuilles.

- Tu sais, si tu aimes ça, tu pourras rédiger la suite toi-même également.

- Nous verrons ça.

Elle se leva, bougie en main, et sortit de la pièce. Cléopendre repensa à la proposition de Laurence, de la faire réembarquer à ses côtés. Peut-être en saurait-il plus sur les désirs de la fougueuse rouquine en lisant son œuvre, en observant le passé de ses yeux à elle.

Il prit place dans son fauteuil, au coin de la cheminé, un chandelier allumé éclairant le parchemin par-dessus son épaule, et entama sa lecture.


Texte publié par RougeGorge, 10 juillet 2024 à 10h14
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