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tome 1, Chapitre 22 « Le Pendu - Partie 2 » tome 1, Chapitre 22

En fin d’après-midi, pourtant, lorsque j’ouvris les yeux j’étais toujours en vie. Plus que cela : ces longues heures de repos m’avaient redonné une pleine forme. En me levant, je vis qu’on avait bandée ma main durant mon sommeil. Je descendis les escaliers. Feu-de-Sang était en train de dîner dans l’arrière-boutique avec Jean-Claude. Elle me vit, nous échangeâmes un regard mais ne pipèrent pas mot. Une bande était enroulée autour de son crâne pour masquer son œil manquant. Elle n’avait pas l’air de trop souffrir, et l’hémorragie semblait s’être arrêtée. Jean-Claude se leva à mon approche, avec un air où se mêlaient crainte et respect. J’inspirais les mêmes sentiments que Guillotin de son vivant.

- Je vais ajouter un couvert, dit-il avant de s’éloigner précipitamment vers le cellier.

Je tirai une chaise et m’assis en face de Feu-de-Sang. Elle continua de manger ses légumes bouillis et son pain, conservant toujours un profond silence. Nous n’avions plus rien à nous dire.

Jean-Claude revint bientôt, déposa une assiette de légume devant moi et me servi du vin blanc. J’en pris une gorgée er commençai silencieusement à manger. Il s’assit, tremblant un peu, et repris son repas dans un silence qui paraissait lui être oppressant. Il en fut ainsi tout au long du dîner, Feu-de-Sang et moi nous regardant à plusieurs reprisent. On s’était finalement compris.

Enfin, je me levai.

- Nous avons à faire, dis-je à Feu-de-Sang. Elle hocha la tête, se leva à son tour et, en s’approchant de la porte d’entrée, récupéra son sabre et ses deux dagues. Elle me lança ces dernières, je les accrochai à ma ceinture, et nous sortîmes sous les yeux étonnés de Jean-Claude.

- Vous… commença-t-il.

Mais il se ravisa et, alors que la porte se refermait derrière nous, je l’entendis commencer à débarrasser la table.

Le soleil avait disparu derrière l’horizon, le ciel étant encore pourvu d’un halo bleuté. Néanmoins, lorsqu’après une longue marche à travers les rues de Dajostur nous atteignîmes le port, il s’était dissipé, nous plongeant dans une nuit d’un noir presque complet. Le Fer Blanc était toujours amarré au port, la réparation de son mât avait débutée.

- On prend quoi ? souffla Feu-de-Sang.

- Des armes, mais aussi du pognon. Beaucoup de pognon. Tu fouilles la calle, moi les cabines. Quand tu as terminé tu vas jeter un œil chez le capitaine, il y a des babioles de valeurs.

Elle hocha la tête, et nous nous glissâmes silencieusement entre les caisses de marchandises, les tonneaux et les sacs qu’abritait le port. Piller un navire commercial aurait bien plus simple, et plus productif sans doute, que de s’attaquer au Fer Blanc. Mais elle comme moi avions une réputation à défendre. Je parcourus les quais du regard, et vis une pile de sac vide. Je m’y dirigeai silencieusement, Feu-de-Sang sur mes talons, et nous en prîmes chacun un.

Aucune passerelle ne permettait d’accéder au Fer Blanc et, comme si cela suffisait à le garantir des intrusions, personne ne le surveillait. Aussi, il faut avouer que l’armée royale ne s’attendait pas à que Feu-de-Sang et moi tentions de regagner le navire. Ce serait folie de sortir de notre cachette étant donné que nous étions recherchés aux quatre coins de la ville. Et pourtant…

Nous parvînmes à grimper à bord sans nous mouiller, en nous aidant de la corde qui maintenait le navire amarré pour atteindre sa coque, puis escalader cette dernière. Bientôt, nous fûmes de l’autre côté du bastingage. Tout était désert, c’était presque trop facile. Je restai donc sur mes gardes, Feu-de-Sang résonnant de même. Nous nous dirigeâmes vers la proue, descendîmes vers les entrailles du navire et, arrivés au pont des cabines, nous échangeâmes un bref regard avant de nous séparer.

J’entrai dans la première chambre, celle qu’occupaient double O, Soûl et Cadavre dans les derniers jours de l’équipage. Elle n’abritait à présent que deux corsaires, le lit superposé étant vide. Je fis quelques pas prudents dans la pièce, et reconnus les jumeaux Iris Noir et… ben, le bleu. Je constatai avec un sourire qu’ils dormaient dans la même position, une main dans les cheveux, l’autre pendant dans le vide.

Le premier endroit où les corsaires rangeaient leurs effets était généralement sous leur lit, et pour les secrets s’était rendez-vous sous l’oreiller. Il n’y a jamais beaucoup d’espace dans une cabine. Je m’accroupis donc et jetai un coup d’œil sous le lit d’Iris Noir. Un sac en toile. Je le pris, l’ouvris silencieusement et commençai à fouiller. Je ne vis d’abord pas grand-chose de notable : un rasoir, du tabac, une bouteille presque vide, quelques vêtements d’hiver… et enfin, au fond du sac, une bourse. Je la pris avec avidité, et la soupesait. Elle avait l’air un peu maigrelet, mais il fallait encore en voir le contenu. Sans grand espoir, je l’ouvris, m’attendant à tomber sur de banales pièces de bronze, au mieux d’argent. Mon sourire s’élargit en la voyant remplie d’un collier de perle et d’une bague en diamant. Je refermai la bourse et la fourrai dans mon propre sac, avant de ranger les autres effets du corsaire et de me diriger vers son frère. Je trouvai une poignée de pièces en argent, que je mis dans ma poche et tournai les talons, avec pour intention de m’en aller. Mais en passant à nouveau devant la couche d’Iris Noir, je m’arrêtai, mon attention retenue par son visage. Derrière sa masse de cheveux foncés, je pouvais voir dépasser son cache-œil. Je me penchai légèrement en avant et écartai prudemment une mèche de sas cheveux pour examiner de plus près son accessoire. A première vue, c’était du bon cuire. Je posai silencieusement mon sac à terre, dégainai mon couteau et, d’un coup bref et précis, détachai le bandeau. Je rengainai ma lame et, délicatement, retirai le cache-œil du visage d’Iris Noir. Je ne pus m’empêcher de regarder son œil, curieux de savoir à quoi ressemblait une orbite vide. Malheureusement pour moi, sa paupière était intacte et dérobait la blessure à ma vue. Je ne pris guère le risque stupide de la soulever, et sortis de la pièce sur la pointe des bottes, non sans avoir pris les trois dagues qui reposaient sur une chaise et les deux sabres appuyés contre le mur à l’entrée. Je refermai la porte de la cabine et passai à la suivante. Je dépouillai Glacier et Grande-Dents, qui s’y trouvaient, sans plus de soucis qu’avec les jumeaux. Dans la troisième cabine, en revanche, j’eus quelques problèmes.

Il y dormait Serpent, Caboche et Gosier. Je débarrassai les deux premiers de leurs effets, mais alors que je me baissai pour regarder sous la couche de Gosier, je sentis une main m’attraper le bras. Je me redressai en sursaut. Le corsaire était éveillé et me fixait. Il n’avait l’air ni surpris ni inquiet, ni fâché de me voir, il me regardait juste d’un œil vide, comme on le ferait d’une mouette faisant trempette. Ma surprise passée, je ne perdis pas mon temps à lui rendre son regard : je dégainai ma dague et la fis fuser vers sa gorge. Il me stoppa de son autre main et sembla sortir de sa torpeur.

- Chut, dit-il. Tu vas les réveiller.

Il me lâcha, et je laissai mes bras retomber le long de mon corps, sidéré.

- Tu… soufflé-je. Tu ne cherches pas à m’arrêter ?

Il se leva silencieusement, et répondit tout en enfilant ses bottes :

- Bougre non ! Je trouve cette revanche parfaitement juste, après ce qu’on vous a fait. Au fait, je suis vraiment désolé pour tes potes… j’ai appris qu’ils avaient clamsé. Je me sens franchement mal, mais bon, voilà quoi, j’ai pas trop le choix.

Il sortit lui-même sa bourse de sa poche et me la tendit, tout comme sa dague qu’il tira de sous son lit.

- Tiens, chuchota-t-il.

Je pris ses effets, les glissai dans le sac et me dirigeai vers la porte, Gosier sur les talons.

- Tu m’aides simplement parce que tu te sens mal ?

- Il va bien falloir que tu t’en sortes, t’es recherché par toute la ville, t’a quand même besoin d’argent et d’armes. Mais j’ai une condition.

- Oui ?

- Retrouve la petite et aide-la.

Je souris.

- Déjà fait. Elle est là, avec moi. Elle doit fouiller la calle.

- Feu-de-Sang est ici ?!

- Ouais. T’a qu’à aller la chercher à la calle, si elle y est pas remonte jusqu’à la cabine du capitaine. J’y serais, théoriquement avec elle.

- D’accord. Bonne chance… capitaine.

Je souris et remontai vers le pont supérieur, tandis que Gosier descendait. Je traversai le pont à grandes enjambées, ouvris la porte de la cabine du capitaine. Feu-de-Sang était là.

- T’as fait vite, dit-elle.

- Je te retourne le compliment. Alors ? Il y a du beau ?

- A la calle y avait que dalle, et ici j’ai fait le tour. J’ai rien laissé, et crois-moi, ça fais un sacré butin avec toutes les merveilles qu’on a là. On peut dégager, maintenant.

J’hochai la tête.

- En effet. Mais avant, Gosier voudrait te voir.

- Gosier ? Qu’est-ce qu’il vient foutre dans cette histoire ?

- Il est de notre bord, t’inquiètes. Il voudrait savoir ce que tu deviens.

- M’en fous, pas le temps de jouer avec ce chiot. On décampe.

- Mais…

- On décampe ! Si on prend ça trop à la légère, on va se faire chopper !

- Tiens, j’ignorais que tu connaissais la notion de risque…

- Ahah, très drôle.

Elle chargea son sac sur son épaule et se dirigea vers la porte.

- Allez, magne-toi.

Je soupirai et la suivis. Nous descendîmes sur le quai et, peu avant de disparaître dans une rue, je me retournai vers le navire. Mon navire. Mon chez-moi, que je venais de piller. Sur le pont, les mains sur le bastingage, une silhouette se découpait dans la nuit. Gosier. Je lui fis un signe de la main, qu’il me retourna. Sans rancune, mon vieux.

Nous arrivâmes sans encombre à la maison de Jean-Claude, que nous trouvâmes occupé à servir derrière son comptoir. Sans lui faire connaître notre présence, nous nous assîmes sur des chaises et nous servîmes un coup à boire du whisky que Guillotin avait dans sa cabine. Après un verre, nous nous restâmes silencieux à éviter le regard l’un de l’autre. Finalement, Feu-de-Sang brisa la glace :

- Beau pillage, donc. On fait les comptes ?

J’hochai la tête et ouvris mon sac. Je sortis toutes les bourses que j’avais volées, Feu-de-Sang fis de même avec les objets de valeurs du capitaine. Résultats des comptes : perles, bagues, armes à gardes et fourreaux d’or et de pierre précieuse, objet d’art en tout genre, une généreuse poignée de pièce en or, le triple d’argent et deux bonnes centaines de pièces de bronze. Nous sortîmes ensuite les armes : une douzaine de dagues et poignards, cinq sabres et un pistolet, sans recharge de poudre.

- Pas mal, commentai-je. On vendra tout ça demain.

- Ouais.

Nous restâmes silencieux quelque temps, la gêne ne s’étant pas totalement dissipée entre nous. Après avoir jeté un regard à cette rouquine que je m’étais promis de protéger, je me penchai vers mon sac. Je sortis le cache œil, que je lançai sur la table. Elle porta la main à sa poche et en tira une paire de gants noirs finement brodés d’or. Ils appartenaient à Guillotin. Un semblant de sourire sur le visage, nous échangeâmes nos présents. Feu-de-Sang ôta ses bandes pour poser le cache-œil d’Iris Noir à la place, tandis que j’enfilais la paire de gants pour masquer une blessure trop reconnaissable. Nous nous entre regardâmes. Ni amour ni haine entre nous, simplement de la compréhension et une fidélité à toute épreuve. Nous ramassâmes notre butin et, sans un mot, nous nous levâmes pour aller nous coucher. Il était inutile d’échanger pour savoir ce qui viendrait ensuite : la cavale, poings, cœurs et sangs liés.


Texte publié par RougeGorge, 4 juillet 2024 à 20h52
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