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tome 1, Chapitre 20 « Forban - Partie 3 » tome 1, Chapitre 20

- Je suis né troisième de la fratrie. L’aînée, Annabelle, s’est mariée à un prince du troisième royaume, mes parents en sont contents. Le second, Stephen, est l’héritier du trône. Le roi et la reine prennent soin de son éducation et passent une partie de leur temps à lui enseigner comment régner. Pour moi, tu sais qu’ils désiraient me "rentabiliser" et m’ont envoyé en mission pour faire rentrer le Fer Blanc dans leur flotte. Iris, ma cadette d’une année, vit au château à leur frais, comme un fantôme. Ils l’ignorent, en attendant de trouver à qui la marier. Quant à notre plus jeune sœur, Lysa, elle avait douze ans lorsque je l’ai quittée, elle n’était qu’une enfant. Avec à présent dix-sept printemps derrière elle, elle est devenue une femme que, je le crains, je ne pourrais jamais revoir : elle est partie se marier à Grulun.

Sa déclaration me fit froncer les sourcils. Grulun était un allié de l’Empire, non des Trois Royaume. Mais l’interrompre ne fus pas nécessaire, il donna des explications de lui-même.

- Un baron de ce sultanat, à l’influence bien répandue, prévois une révolte contre le système en place. Il désirerait mettre fin à l’alliance de Grulun avec l’Empire pour basculer dans le camp adverse, et ainsi mettre fin à la guerre. Un projet louable, tu en conviendras. Mais pour sceller l’alliance prévue, lui et mes parents ont convenu d’un mariage avec l’une des princesses de Dajomaan. C’est à Iris qu’ils songèrent en premier lieu, mais elle se montra affreusement entêtée. Lorsqu’ils découvrirent une amourette entre Lysa et un jeune homme de basse condition, ils arrêtèrent leur décision sur elle, pour la punir de cette "trahison", comme ils la désignent. J’ai appris tout cela de la bouche d’Iris, peu après ton départ de la salle du trône, lorsque mes parents m’ont congédié pour recevoir un visiteur. Ce visiteur c’est avéré être Renard, qui nous a trahi…

- "Vous", corrigeai-je sèchement.

- Pardon ?

- Ne t’inclus pas dans ceux concernés par la trahison de Renard. Tu n’es plus de l’équipage du Fer Blanc. Tu en as fait couler le sang, tu es un traître autant que ce chien.

- Je…

Les mots s’étranglèrent dans sa gorge. Après quelques secondes durant lesquelles je le fusillais du regard, il baissa la tête et soupira.

- Tu as raison… C’était donc Renard, qui était venu voir mes parents pour vous trahir. Peu après, on m’a donc à nouveau convoqué, à mon grand étonnement. Ils m’ont dit qu’ils étaient au courant de ma manigance, ils m’ont demandé des détails. J’ai menti quant à ton identité véritable, j’ai cité l’Edenté comme capitaine mais ai prétendu que le Manfred Lorée qu’ils avaient vu n’était qu’un comédien engagé pour leur mentir. Au final, ça n’aura pas servi à grand-chose, je t’ai tout de même livré à eux…

- Trêve de futilités, que s’est-il passé ensuite ?

- Ils m’ont ordonné de tous vous tuer au matin, affirmant que vous croupiriez alors dans les cachots du palais. J’ai protesté, ils ont alors menacé de faire tuer Lysa. J’ai cédé en échange de l’annulation de son mariage. Comme tu l’as constaté, ils sont finalement revenus sur leur parole, elle épousera tout de même ce baron. Enfin bref, je les ai quittés la peur au ventre, je voulais faire quelque chose pour échapper à ce triste sort, mais je savais qu’une fois que vous seriez dans les geôles, je ne pourrais plus rien faire pour vous. Je devais donc vous empêcher d’y entrer. J’ai interrogé des gardes en les soûlant, ils m’ont informé du plan de Renard : droguer votre nourriture pour ensuite vous transporter jusqu’au palais. Simple et efficace. Je suis alors sorti sur les quais, avec pour intention de trouver la seule personne à qui l’équipage du Kotarn faisait confiance et qui était néanmoins susceptible de vous aider.

- Feu-de-Sang, soufflé-je. Tu l’as vue avant l’exécution de plan de Renard ?

- Oui, lorsqu’elle est sortie seule du navire, je l’ai suivie. Elle m’a remarqué, on s’est battus, et lorsqu’enfin elle eut le couteau sous la gorge, elle m’écouta. Je lui rappelai sa promesse envers toi, que son honneur serait entaché si elle te laissait te faire prendre. Elle m’a dit qu’elle se souvenait, qu’elle avait prévu d’opposer résistance à son père le moment venu, qu’il se doutait sûrement de quelque chose mais que tant pis, il valait mieux mourir comme ça qu’avec une voile noircie. Ah, qu’elle était brave ! J’aurais aimé être aussi fort qu’elle, mais voilà, j’ai préféré ma sœur à ma voile, je mourrais ainsi, le cœur lourd de culpabilité et de regrets. Enfin… Je lui ai dit qu’à elle seule, elle n’avait aucune chance contre toutes les troupes royales et l’équipage du Kotarn. Iris, qui était depuis longtemps passionnée de botanique, accepta de me fabriquer un puissant insomniaque, que je donnai le soir à Feu-de-Sang, dans le but qu’elle vous empêche tous de dormir. De ce que j’ai compris, elle n’a sauvé que toi. Pourquoi, je ne saurai le dire, peut-être avait-elle jugé que c’était sur toi que s’arrêtait son devoir, que le reste de l’équipage ne la concernait pas. Qu’elle que soit la raison de son geste, elle l’a fait et maintenant eux sont morts, toi tu l’es presque et elle, elle est en fuite.

- Tu n’auras pas fait grand-chose pour nous sauver, au final.

- J’aurais voulu faire plus. Vraiment. Mais j’avais trop peur pour Lysa.

- Tu n’es qu’un lâche, alors.

- Non, c’est faux. Je ne suis pas qu’un lâche, je suis aussi un traître, une ordure, un assassin. J’ai commis le pire acte qu’un corsaire puisse commettre, j’ai tué mes compagnons.

- Et c’est tout ? Tu vas t’en aller, comme ça, retrouver la tyrannie de tes parents ? Abandonner Lysa à son sort ?

- Elle retrouvera le sourire un jour ou l’autre… Ce n’est pas le premier hymen forcé de l’histoire.

- Je suis déçu de toi, Cadavre. Je ne pensais pas que tu abandonnerais si vite.

Il sourit derrière les barreaux, d’un sourire mélancolique, à peine joyeux mais un peu quand même.

- C’est mieux ainsi. Je peux rester avec Iris, voir grandir mes neveux. Sais-tu qu’Annabelle a déjà trois enfants ? Les aînés sont des jumeaux, deux beaux garçons, et la cadette une petite fille. Comme les Trois Royaume ne reconnaissent aucun droit d’aînesse entre des jumeaux, il risque d’y avoir un problème pour la succession lors de la mort du prince leur père. Surtout si celui-ci devient roi.

- Je n’en ai rien à faire, Cadavre, de la petite famille de ta sœur. Ce qui m’intéresse c’est toi. C’est ta voile. Tu l’abandonnes donc ainsi, à l’état d’épave ? Tu ne veux rien faire ?

- Il est trop tard, l’Edenté.

- Il n’est jamais trop tard pour recommencer de zéro.

Il secoua la tête, gardant ce petit sourire sur son visage.

- Je ne veux pas repartir à zéro. Oublie-moi, l’Edenté. Cela me permettra de garder blanc un dernier petit morceau de tissu.

Sur ce, il tourna les talons. Ah ça, il pouvait être sûr que j’allais l’oublier. Les pendus n’ont pas de mémoire.


Texte publié par RougeGorge, 22 juin 2024 à 19h27
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