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tome 1, Chapitre 10 « Capitaine - Partie 2 » tome 1, Chapitre 10

Renard sourit.

- Vous nous faites rentrer dans votre équipage ?

- Oui. Tous ceux que tu m’as décrits me semblent dignes de confiance. Vous êtes neuf, il me semble.

- Exact.

- Nous avons deux cabines de libres, l’une à trois lits l’autre à deux. Descartes, Courte-Jambe et moi-même avons laissés des places libres, nous réorganiseront les chambres pour pouvoir mettre trois d’entre vous ensemble.

- Il manquera toujours une place. Je peux dormir sur le pont.

- Il y a un lit dans ma cabine, mais pas très grand.

- Je m’en contenterais.

- Non, mieux vaut ne pas vous déranger, autant faire appel à quelqu’un de petite taille. Feu-de-Sang dormira ici.

- Je ne sais pas si c’est une bonne idée…

- Il n’a que quinze ans, il ne doit pas prendre beaucoup de place. Ne vous en faites pas, je veillerais sur votre fils. A moins que vous ne me fassiez pas confiance ?

- Si, bien sûr que si. C’est juste… Feu-de-Sang peut-être difficile à vivre.

- Ma décision est prise, Renard.

- Mais… Vous êtes vraiment certain que…

- Oui.

- Je… vais avertir les hommes.

- Bien. De mon côté, je vais expliquer le changement à mon propre équipage.

Renard se retira et alla parler aux marins restés sur le pont. Pour ma part je descendis dans les cabines et découvris qu’un dîner improvisé s’était organisé, avec quantité de vin.

- Eh bien ? dis-je en prenant un air sévère. Que se passe-t-il ici ?

Tous s’immobilisèrent. Ils étaient assis de part et d’autre du couloir, le verre en main, le pain à la bouche. Voyant qu’ils semblaient un peu inquiets de ma réaction, je ris.

- Pourquoi n’ai-je pas été invité ?

Les rires reprirent, et Jambon-Beurre me tendit amicalement un verre.

- On célèbre la victoire, capitaine !

- Je vois ça !

Je pris une gorgé de vin. Il était excellent et devait se trouver parmi le butin du Kotarn.

- Ecoutez-moi un instant ! criai-je par-dessus le vacarme.

Le silence se fit de nouveau, ponctué de sourires.

- On a remporté une grande bataille, et ce grâce au capitaine Guillotin qui a malheureusement succombé malgré tout. Le capitaine ennemi était un brave, aussi, vous le savez, j’ai promis la vie sauve à son équipage. Ils vont nous rejoindre à bord du Fer Blanc, aussi pour que vous soyez toujours entre connaissances dans vos cabines, et que Coule-Sang se retrouve soudainement sans compagnons de chambre, il prendra ma place auprès de Coutelas et Jambon-Beurre, laissant sa cabine de libre pour trois de nos nouveaux compagnons.

- Cap’taine, il y a un problème avec ce que t’as dit, déclara Jambon-Beurre d’un air soucieux.

- Ah oui, quoi donc ?

- Ben, t’occupais le lit du haut dans not’ cabine… Et moi j’veux pas mourir écraser dans mon sommeil !

Des rires accueillirent cette plaisanterie sur la taille imposante de Coule-Sang, et je me joignis à eux.

- Allez les gars, je dois vous laisser à la ripaille. J’ai à faire.

- Holala, dit Coutelas, déjà à moitié ivre. Monsieur capitaine à des responsabilités, c’est dur…

Je lui arrachai son verre des mains et le vidai d’une traite.

- C’est ton crâne qui sera dur demain si tu continues de boire comme ça.

Il me tira la langue et repris la bouteille. Je retournai sur le pont supérieur et trouvai les nouveaux corsaires du Fer Blanc réunis, attendant les ordres.

- Vous pouvez y aller, dis-je. Ils vous attendent dans une bonne atmosphère à l’odeur de vin, en bas.

Ils passèrent gaiement la porte, sûrement impatient de participer à la saoulerie. Seul Renard était resté sur le pont, une main sur l’épaule d’un jeune garçon aux cheveux longs lui couvrant en grande partie le visage, une vieille casquette trouée abaissée sur ses yeux.

- Voici Feu-de-Sang, dit Renard. Cet enfant est la prunelle de mes yeux, j’espère qu’il ne lui arrivera rien.

- Tout se passera bien, Renard. Ce jeune homme occupera la meilleure cabine du bateau.

Il me répondit d’un hochement de tête suivit les autres.

- Par ici, dis-je en me dirigeant vers la poupe ou se trouvaient mes nouveaux quartiers.

Il me suivit en silence, même ses pas semblaient ne faire aucun bruit. J’ouvris la porte de ma cabine et, ignorant le lit où était mort le capitaine, me dirigeai vers une pièce annexe plus petite où se trouvaient deux lits l’un sur l’autre, chacun de taille modeste.

- Prends celui du dessus, l’autre est pour moi.

Il hésita un instant, mais monta. Il tenait tout juste dans la couche. Comme il fit mine de dormir déjà, je demandai :

- Tu ne te déshabille pas ?

Il secoua la tête.

- Il est tôt encore, tu ne veux pas boire un verre ? J’ai ici un excellent rhum.

Il hésita encore une fois.

- Allez, descend de là.

Il secoua finalement la tête.

- Ne m’oblige pas à te l’ordonner.

Nouveaux hochement négatif.

- Tu as perdu ta langue ?

Il ne répondit rien. Comme il ne faisait toujours pas mine de venir boire un coup avec moi, je grimpai sur un barreau de l’échelle, le chargeai sur mon épaule comme un sac de pomme-de-terre et le forçai à descendre. Il s’agita en me frappant de ses poings, sans toutefois proférer une seule parole. L’ignorant complètement, je l’assis sur une chaise devant le bureau, sortit le rhum d’un placard et en remplis deux verres. Il prit l’un deux et sirota son alcool. Je m’assis à demi sur le bureau et, le regardant en face :

- Je bois à l’honneur de mon capitaine, le grand Guillotin, et du tien. Comment s’appelait-il ?

Il n’ouvrit pas la bouche. Je grimaçai.

- Serais-tu muet ?

Il secoua la tête.

- Regarde-moi quand je te parle.

Il se contenta de boire une autre gorgé d’alcool. Gardant mon calme, je fis de même. Après quelques minutes, je vis qu’il observait le lit de Guillotin. Sans doute se demandait-il pourquoi je n’allais pas y dormir. Je satisfis sa curiosité.

- C’est là qu’est mort Guillotin il y a quelques heures. Je ne me coucherai pas dans ce lit pendant mon deuil.

Il détourna la tête, tendu.

- De quoi as-tu peur, petit ? Je ne te ferai pas de mal.

Il reprit une gorgée d’alcool et toussa, avant de se couvrir la bouche. Je m’approchai de lui et posai une main sur sa poitrine. Il se tendit comme un arc.

- Ton cœur bat à une vitesse folle, dis-je. Tu devrais reposer ton verre.

C’est ce qu’il fit.

- Tu essayes de me cacher quelque chose.

- Non, dit-il d’un ton rauque.

- Ça y est, j’ai compris.

Je portai la main à sa casquette. Il la maintint sur sa tête.

- Tu n’es pas le fils de Renard.

De force, je lui arrachai son couvre-chef et dégageai ses cheveux. Ses traits étaient d’une féminité frappante.

- Tu es sa fille.

Feu-de-Sang soupira.

- Ouais… Mon père avait peur que vous ne vouliez pas de moi à bord, c’est pourquoi il était réticent à l’idée de me laisser dormir ici.

« Je vois, songeai-je. C’est pour cette raison que son père ne cessait d’employer son nom tout à l’heure. Il ne voulait pas avoir à mentir en employant le "il". Ainsi en cas de besoin, il pouvait me jurer à avoir dit la vérité sans compromettre son honneur. C’est un vrai renard. »

J’eus un petit rire et commençai à délacer ma chemise.

- Que faites-vous ? s’écria-t-elle.

Comme je ne répondis rien, elle se leva et recula.

- Si vous me touchez…

Elle se saisit d’un poignard à la garde ornée sur une étagère. Ignorant sa crainte, j’ôtai mon vêtement. Un long silence s’en suivit. Elle absorbait le choc.

- Vous…

- Ce poignard était à Guillotin. Remets-le où tu l’as trouvé, par respect pour lui.

Elle reposa l’arme sans y faire attention.

- Vous êtes une femme.

- Plus maintenant, mais je l’ai été. Tu n’as rien à craindre de moi, Feu-de-Sang. Mais dit moi, tout l’équipage est au courant ?

- Oui. Griffe Sanglante, mon précédent capitaine, voulait me tuer pour cela, mais lorsque j’ai brûlé un navire adverse, il m’a acceptée. Et vous, l’Edenté ? Vos hommes savent ?

- Mon ami Descartes savait, il a été tué. Le capitaine Guillotin l’a découvert, il est mort aussi. Seul Motus, un muet, le sait à présent. Il m’a entendu lorsque j’en parlais à Descartes. Il ne me regarde plus de la même manière, mais les choses n’ont pas encore été mises au clair entre nous. Malheureusement, il n’est pas aisé de communiquer avec lui, il ne sait pas écrire, et je ne comprends que quelques mots en langue des signes.

- Vous allez leur apprendre, maintenant que vous êtes capitaine ?

- Peut-être. A vrai dire, tu me donnes une idée. Que dirais-tu d’une petite combine ?

- Laissez-moi deviner. Vous voulez m’utiliser pour étudier les réactions de vos hommes envers les femmes. Ai-je tort ?

- Pas complètement… Mais on va faire plus drôle que ça. Une petite farce pour punir ton père de ne pas m’avoir pas tout dit quand je lui en ai laissé l’occasion.

Elle me regarda d’un drôle d’air, peu rassurée.

- Ne t’en fais pas. Ça va être amusant. Mais auparavant…

Je pris son verre à moitié vide et le remplis à nouveau. Pendant ce temps, elle se rassit, s’attendant à trinquer avec moi. Je le lui présentai, et lorsqu’elle tendit la main pour le recevoir, je le lui jetai à la figure.

- Voilà pour avoir cru que je voulais te violenter.

Une main sur le dos de sa chaise, je me penchai vers elle, à quelques millimètres de son visage.

- Rappelle-toi bien, si tu veux avoir ta place ici, que nous sommes tous des hommes d’honneur. D’autres que moi t’auraient passée au fil de l’épée pour un tel affront.

- Je sais me défendre. Ce n’est parce que je suis une fille que je…

- Ce n’est pas parce que tu es une fille, la coupai-je, que tu peux te permettre d’insulter qui que ce soit à bord de ce bateau. Et ne te surestime pas en combat, non pas à cause de ton sexe, mais parce que tu n’as que quinze ans.

Elle baissa la tête et frotta ses yeux irrités par quelques gouttes d’alcool les ayant atteints.

- D’accord.

- D’accord qui ?

- Vous n’allez tout de même pas jouer à ça ?

- Ton père avait raison, tu es une impertinente. Si tu veux que je traite en pirate, traite-moi en capitaine.

- D’accord… capitaine, souffla-t-elle.

- Bien. Maintenant au lit.

- Mais… et le rhum ?

- C’était le préféré de Guillotin, et tu en as déjà eu deux verres.

Je rouge lui monta aux joues.

- Et ce plan dont vous vouliez me parler ?

- Tu verras ça à l’aube. Tu n’auras qu’à te laisser faire et avoir confiance.

En voyant que je me dirigeai vers la porte, elle me demanda :

- Où allez-vous ?

- En bas, rigoler avec les copains. Mais je doute que tu veuilles participer à la saoulerie.

- Et pourquoi pas ?

- Parce que je ne pense pas que tu parviennes à dissimuler ton genre une fois ivre. Et un homme bourré peut-être dangereux avec une femme.

- Vous avez dit que vos hommes étaient d’honneur !

- Tu apprends vite.

Sur ce, je refermai la porte, un sourire aux lèvres. Elle me plaisait bien cette gamine. Je fus accueilli dans le couloir par les rires et les plaisanteries de mes compagnons. Je constatai avec plaisir qu’eux et l’ancien équipage du Kotarn était confondus comme de vieux amis. Je bus avec eux et finis par m’endormir, comme la moitié de l’équipage, assis dans le couloir, moins soûl cependant que l’on pourrait le croire.


Texte publié par RougeGorge, 20 mai 2024 à 10h02
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