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tome 1, Chapitre 9 « Capitaine - Partie 1 » tome 1, Chapitre 9

Chapitre 4

Capitaine

L’annonce de mon élévation au rang de capitaine s’était déroulée mieux que je ne l’espérais. Même Faucon, qui depuis la mort de Descartes était le seul corsaire naviguant depuis plus longtemps que moi sur le Fer Blanc, et qui donc aurait dû être capitaine s’il n’y avait pas eu cette lettre, accueillit bien la nouvelle. Bien sûr, il était chagriné de la mort de son vieux compagnon coléreux, mais il ne contesta pas mon autorité nouvelle. Seul Motus avait évité mon regard, sans doute parce qu’il savait que j’étais né femme. Il était d’ailleurs le seul au courant, à présent. A la mi-journée, nous nous étions réunis sur le pont et je leur avais communiqué les dernières volontés du capitaine. C’aurait été tout autre que moi, ils auraient pu avoir des soupçons : aucun d’eux ne savait lire pour s’assurer des dernières volontés du capitaine, et même si tel avait été le cas, rien ne garantissait que je n’y avais pas posé le sceau moi-même après les avoirs écrites. Mais tous savaient que j’étais un homme d’honneur, et que j’étais par mes exploits et mon dévouement un choix logique. Le soir, une fois les dégâts sommairement réparés et tout l’équipage reposé, je convoquai mes hommes et ceux du Kotarn à mon bord. Les pirates ennemis semblaient pour les plus jeunes nerveux, mais les plus forts et les plus expérimentés bombaient le torse, prêt à mourir avec honneur si tel devait être leur châtiment pour avoir perdu la bataille. En rang, ils attendaient en silence, face à face avec mon équipage qui montrait les dents. Entre eux, je pris la parole.

- Corsaires du Kotarn, équipage du vaincu ! Vous savez ce qui vous attend à présent : le châtiment pour avoir provoqué plus fort que vous. Néanmoins, je suis prêt à me montrer clément : votre capitaine fut assez brave pour provoquer le redoutable Guillotin, il est parvenu à le tuer ! Oui, Guillotin est mort de sa blessure à l’épaule, il s’est vidé de son sang dans son lit, et m’a désigné comme son successeur dans ses derniers instants. Mais surtout, il a demandé une vengeance ! Trois parmi nous sont morts durant cette bataille nocturne. Guillotin, dont le meurtrier a péri, Descartes et Courte-Jambe, dont les meurtriers périront !

Je parcouru les pirates des yeux, et repérai le grand blond que m’avait décrit le capitaine.

- Par respect pour votre capitaine, qui a vaincu celui qui ne l’avait jamais été, je suis prêt à laisser les autres en vie. Mais pour cela, vous allez devoir faire preuve d’un grand courage ! Que ceux qui ont tué se dénoncent !

Un silence me répondit.

- Peut-être que voir le visage des morts vous rafraîchira la mémoire. Coule-Sang…

Le grand gaillard s’approcha de deux longues caisses de bois prêt du bastingage. Il en prit une sur chaque épaule sans broncher et les déposa devant les pirates vaincus. Il me jeta un regard et j’hochai la tête. Il ouvrit les caisses. Entourés de leurs armes et de leurs biens les plus précieux, Descartes et Courte-Jambe gisaient.

- Alors ? dis-je. Qui se souvient avoir tiré sur cet homme ? Avoir transpercé ce brave de son épée ? Si personne ne parle, tout le monde passera par-dessus bord sans hommage ni mémoire.

Cette déclaration tendit tout le monde, sauf un pirate un peu âgé aux cheveux grisonnant, manifestement le plus vieux de l’équipage.

- Je suis l’auteur de ces meurtres, dit-il bravement. Les deux.

- Tu es un homme très courageux, le félicitai-je. Mais c’est un mensonge.

Il sembla surpris, puis baissa la tête.

- As-tu vraiment tué l’un de ces hommes ?

- Oui.

- Lequel ?

Il désigna Descartes, au hasard manifestement.

- Tu es sûr ? Je déteste les menteurs.

- Et qu’est-ce que cela change ? J’offre ma vie contre celle du meurtrier véritable !

- Tu n’as donc tué personne.

- Non ! Mais ces hommes ne méritent pas de mourir, ils sont braves !

- S’ils le sont vraiment, ils se dénonceront d’eux même.

- Vous êtes injuste !

- Mon capitaine a demandé vengeance sur son lit de mort, qui que soit les meurtriers, est-il injuste d’honorer les volontés d’un défunt ?

Il n’y trouva rien à redire.

- Tu es un homme d’honneur, ajoutai-je, quel est ton nom ?

- Renard.

J’hochai la tête sans rien ajouter.

- Alors ? repris-je. Qui a tué ?

J’ajoutai devant le silence :

- Je n’aurais aucune pitié pour des lâches !

Le grand blond prit alors la parole :

- Tuez-nous tous en ce cas ! Nous accompagnerons les braves ayant tué dans la mort !

Personne ne sembla satisfait de cette réponse.

- Personne ne prend ton parti, mon grand, raillai-je. Mais dis-moi… as-tu tué l’un de ces hommes ?

- Non, dit-il avec assurance.

- Tu en es certain ?

- Oui.

- Je te pose cette question une dernière fois… As-tu tué un de ces hommes ?

- Je vous ai dit que non !

Je dégainai mon sabre.

- Menteur ! criai-je. Livre-moi ta tête en brave ou je te tuerai, tu mourras en infâme, dans le déshonneur et la honte !

Il ne bougea pas, mais sembla un peu inquiet. Sans doute espérait-il encore me tromper. Je m’avançai vers lui. Je lui arrivai à hauteur de torse.

- Baisse immédiatement la tête, intimai-je.

Il ne s’exécuta pas. Alors que je préparai mon coup, il m’attaqua, visant mon cou de ses mains nues. Anticipant cet acte de lâcheté, je les lui tranchai toutes deux, lui arrachant un cri de douleur. Avant qu’il n’ait pu se remettre, je lui tranchai les jarrets, le forçant à s’agenouiller. Une main sur sa tête, je menaçai sa nuque de mon sabre.

- Tu as dix secondes pour avouer et récupérer le peu d’honneur qui reste à ta portée.

- Je n’ai pas tué !!!

Je lui tranchai froidement la tête, et son corps tomba sur le pont, inerte. Je brandis sa laide figure.

- En voilà un qui a refusé toute les portes que je lui ai ouvertes ! Vous vous souviendrez de lui comme étant un lâche traître, qui a voulu livrer vos vies à tous pour avoir une chance de sauver la sienne ! Que l’assassin de Courte-Jambe se dénonce sur le champ s’il ne veut pas finir comme lui !

Ce fut un jeune homme tremblant qui s’avança.

- C’est… c’est moi, gémit-il.

Il ne devait pas même avoir vingt ans.

- Depuis quand navigue-tu sur le Kotarn ?

- Cinq mois.

- Il est regrettable que tu ais à mourir si jeune.

Il retenait ses larmes à grande peine.

- Ravale ta peur, dis-je. Tu n’as pas à craindre la mort : une fois parti, tu ne ressentiras plus rien.

Voyant qu’il tremblait toujours, j’ajoutai :

- Sois fier de mourir en brave. Tes proches et amis se souviendront de ton courage face à la fin.

Le garçon se retourna. Dans le camp ennemi, quelques-uns lui firent des rictus amicaux et des discrets signes de la main. C’est avec un petit sourire qu’il s’approcha de moi et posa un genou à terre, m’offrant sa tête. Avant de la lui prendre, je demandai :

- Quel est ton nom ? Ce serait un honneur pour moi de le retenir.

Il releva la tête, visiblement heureux de la valeur que je lui donnais.

- Je n’en ai pas encore. Je suis le Blanc-bec, la Bleusaille, le Petit Nouveau, le Moussaillon…

- Alors je te baptise Brave.

- Je vous remercie, capitaine. Si les morts ont une mémoire, j’aimerais aussi me souvenir de votre nom.

- Je suis l’Edenté.

Il baissa à nouveau la tête, et je lui coupai la gorge. Je brandis fièrement son chef.

- Remerciez Brave !

Des applaudissements et des acclamations retentirent. Nos jetâmes avec la cérémonie traditionnelle les corps de Descartes, Courte-Jambe, Guillotin et Brave à la mer. Quant au gros blond, il fut découper en petits morceaux et abandonné dans la hune du Kotarn. Soit il coulerait avec lui, soit il serait dévoré par les mouettes en approchant de la terre. Quant au reste de l’équipage, je leur avais accordé la vie sauve, je tiendrais ma parole. J’invitai Renard dans ma cabine pour discuter de l’avenir des deux équipages.

- Qu’envisagerais-tu pour la suite des évènements ?

- Je l’ignore, capitaine. Tout dépendra de vous.

- Tu es un sage, je tiens à ton avis.

- Mon plus grand espoir serait que vous nous fassiez rejoindre votre équipage, ne serait-ce qu’en tant que moussaillons pour laver les ponts.

- Je vois. Crois-tu que ces hommes seraient prêts à me jurer fidélité ?

- Comment pourraient-ils ignorer vos valeurs ? Vous avez couvert d’honneur leur défunt capitaine, punis un lâche, félicité la bravoure ! Je les connais tous, ils tiennent à ces valeurs et ces principes de la piraterie. Même les plus jeunes : tous auraient été prêts à agir comme Brave. L’homme dont vous avez abandonné les restes était le seul maillon faible de notre équipage, mais nous le tolérions pour sa force brute.

- Je vois… tu m’as l’air de bien les connaître, parle-moi d’eux un à un.

- Tout d’abord, il y a Gosier. Je suis de dix ans son aîné, mais il est plus âgé que le reste de l’équipage. On l’appelle ainsi pour deux raisons : il mange comme deux et c’est lui qui crie le plus fort en cas d’accrochage. Il a tendance à faire passer les sentiments avant l’honneur, mais pas les siens : il tiendra toujours compte en premier lieu de ce que ressentiront les autres. Il est grand, avec des cheveux noirs et de bons yeux qui lui confèrent une grande précision de tir.

J’hochai la tête l’invitant à poursuivre.

- A peine plus jeune que lui, il y a Glacier, tout son contraire : pour lui, les émotions sont une perte de temps : il a toujours l’air fermé, seul Gosier arrive à le cerner. Il lit en lui comme dans un livre ouvert et est capable de dire s’il est en colère, triste ou joyeux, ce qui le fait beaucoup rire car nous autres aurions pu jurer le contraire. Il tient son nom de cette froideur, et de son imposante carrure : tout en muscle, il fonce dans le tas sans regarder, répandant plus de sang que de mort.

- On en a un comme ça aussi. On l’a appelé Coule-Sang, c’est celui qui vous a présenté les restes de nos compagnons.

- Ensuite, on a Caboche. Il vient d’une famille noble, lit beaucoup et nous sort des mots que l’on croirait étranger. D’ailleurs, on le soupçonne d’inventer parfois des trucs pour nous emmerder. Mais sinon, il nous fait bien rire avec ses blagues bien pensées. Il est très doué à l’épée, sa petite taille lui confère une grande agilité, mais il est absolument nul en tir, et je n’exagère pas. Je crois qu’il est myope, mais des lunettes ne peuvent être conservées sur un navire corsaire. Il est un peu timide avec ceux qu’il ne connait pas bien, il se cache parfois derrière sa tignasse brune, mais il devient vite un bon camarade. Puis il y a Serpent. C’est un excellent stratège militaire, même s’il ignore lire et écrire. Au cœur d’une bataille, il ne vaut pas grand-chose, il préfère se tenir en embuscade pour prendre l’ennemi par surprise s’il venait à s’approcher un peu trop des cales.

- Intéressant…

- Mais ne vous y trompez pas : il est courageux, il sait seulement qu’en duel il ne ferait pas le poids. Il connait ses forces et ses faiblesses. Il y a aussi Grandes-Dents. Les plus jeunes croient qu’il s’appelle ainsi car il jacasse, ce qui est le cas, mais en vérité c’est parce qu’il s’est un jour blessé gravement à la hanche, mais n’en a rien laissé paraître. Quand le capitaine lui a fait des reproches pour cette négligence vis-à-vis de sa santé, il a grogné "Il faut savoir serrer les dents". Reconnaissant son courage, le capitaine lui a alors donné son nom. Il est aussi d’une fidélité sans borne, il a plus d’une fois pris des coups pour en prévenir ses compagnons. Son honnêteté est aussi à noter : il n’a jamais rien caché à son capitaine, tant parce qu’il n’en a pas envie que parce qu’il est incapable de mentir. Sous ce tas de muscle se cache un cœur d’or. Ensuite viennent les deux plus jeunes, ils ont à peu près l’âge qu’avait Brave. Ils sont jumeaux, inséparables, mais leur personnalité est très différente : l’un s’appelle Iris Noir, l’autre n’a pas encore gagné son surnom. Iris Noir avait deux yeux de couleur différente : l’un noir, l’autre vert. C’est en perdant son œil foncé au cours d’une bataille où il s’est bravement battu qu’il a obtenu ce nom. Il est très courageux, mais méprisant. Il n’estime pas ceux dont il ignore les exploits. Seules quelques personnes ont obtenu son respect, à savoir son frère, notre défunt capitaine et moi-même. Il est rusé, et préfèrera toujours les stratagèmes aux corps à corps, ce qui lui vaut l’amitié de Serpent, même s’il sait très bien qu’Iris Noir se considère au-dessus de lui. Quant à son jumeau il est, comme je l’ai dit, tout son contraire : modeste, il est amical et rieur, doué au combat quoi qu’il ne sache pas par quel bout prendre une épée. Il préfère se battre à main nu, quel que soit l’armement de son adversaire, et est prêt à défier quiconque s’en prend à ses proches, ce qui ennui parfois son frère. Tous deux sont les meilleurs amis du monde, ils se connaissent mieux que personne. Je suis bien obligé de vous le dire : ils feront passer leur fratrie avant vous, avant le Fer Blanc.

- Je comprends. Quelqu’un d’autre ?

- Eh bien… Il y a mon enfant adoptif… Je l’ai trouvé à l’âge de cinq ans, errant dans les rues d’un port. Son nom est Feu-de-Sang. Feu-de-Sang a gagné ce nom d’abord à cause de ces cheveux roux, ensuite parce que Feu-de-Sang a un jour déclenché un incendie sur un navire dont l’équipage nous mettait en difficulté. Le capitaine a failli tuer Feu-de-sang ce jour-là, car il avait été privé d’un duel d’honneur. Mais il a finalement reconnu son courage et l’a accepté comme membre de son équipage en lui donnant son nom. Feu-de-Sang était alors âgé de douze ans.

- Quel âge a-t-il aujourd’hui ?

- Quinze ans.

- Un sacré gaillard, donc.

- Oui...

Il semblait un peu gêné. La manière dont il parlait de son fils aussi était étrange : il n’avait cessé de répéter son nom. De plus, pourquoi le capitaine avait d’abord voulu le tuer pour son acte puis l’en récompenser ? Changer d’avis était possible, mais aussi radicalement ? Alors qu’il était prêt à tuer le jeune homme ? Renard voulait-il me cacher quelque chose ?

- Tu n’as rien omis ?

- J’ai nommé tous les membres de l’équipage.

- Tu m’as dit l’entière vérité ?

- Je ne vous ai pas menti.

- Encore une chose… pourquoi t’appelle-t-on Renard ?

- Pour ma ruse, mes tours et mes manipulations. Je sais me sortir des mauvais pas.

- Hm…

Je tournai la tête vers mon hublot.

- La nuit tombe, dis-je. Répartissons les nouveaux arrivants dans les cabines.


Texte publié par RougeGorge, 20 mai 2024 à 09h59
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