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tome 1, Chapitre 6 « Shérazade - Partie 2 » tome 1, Chapitre 6

Jambon-Beurre ne faisait pas encore partie de l’équipage, comme Cadavre et d’autres encore, aussi la disposition des cabines était-elle différente et je m’étais retrouvé, juste après l’arrivé de Coule-sang, à partager la mienne avec Descartes. Le premier soir de ce nouvel aménagement, après un dîner généreusement arrosé d’alcool, à peine fut on entrer dans la chambre qu’il me posa cette question :

- Eh, Bleusaille… t’es puceau ?

J’en fus si perturbé que je ne répondis rien. Bien sûr, en me travestissant en homme, je m’étais attendu à devoir répondre un jour à ce genre de question. Mais elle était alors si inattendue que j’en étais resté muet, et les brumes que l’alcool avait étendues dans mon esprit ne m’aidaient en rien.

- Alors, le Bleu ?

Je n’avais pas encore acquis mon surnom de l’Edenté, à l’époque.

- Ben, heu… ouais.

- Ah !

Il commença à ôter ses habits puis, nu, s’assit sur sa couche.

- Tu fais quoi ? dis-je, un peu inquiet.

Percevant mon trouble, il éclata d’un rire sonore.

- T’en fait pas, j’aime pas les mecs.

Je lâchai un léger soupir de soulagement.

- Mais je peux te donner des tuyaux, j’ai déjà séduit pas mal de meuf.

- Merci, mais je crois que ce ne sera pas possible.

- Pourquoi ?

- J’ai plus de boules.

Ce fut son tour de paraître surpris.

- Comment ça ?!

- Ben… zuip.

Je tranchai l’air du plat de ma main, et il sembla comprendre.

- Mais… pourquoi ?

- J’ai tenté de rouler une vieille prostituée, sauf qu’elle a compris que j’avais pas un rond.

Il eut un petit rire.

- C’est drôle, l’alcool te fait parler normal. Dis donc, elle devait être douée la prostit’, pour t’avoir coupé le poireau.

- J’étais bourré.

- Fallait quand même qu’elle ait de l’audace.

Ce fut mon tour de rire.

- Toi c’est l’inverse. L’ivresse te fait parler mieux.

- Tu peux pas donner des détails ?

- Si. Je voulais faire ma première fois, comme tous les gamins du quartier. J’avais presque vingt ans quand c’est arrivé. Eh, j’ai eu chaud n’empêche, quelques années plus tôt et j’aurais pas muer !

Nous rîmes tous deux de cette blague de mauvais gout.

- Les copains m’avaient conseillé cette bonne femme. Elle était plus toute jeune, mais elle se maquillait et surtout, elle était bon marché. Mais bon marché ou non, j’étais fauché. En arrivant, elle me fit boire, puis m’emmena sur le lit. Mais avant de commencer, elle alla fouiller dans mes affaires sans que j’me rende compte de rien. Quand elle a vu que je ne pourrais pas payer, elle m’a drogué et ma coupé l’engin. Avec ça, qu’elle avait passé dans la flamme de bougies.

Je tendis ma dague.

- Je sais pas ce qu’elle a fait de mon organe, mais en me réveillant, j’étais dehors avec l’outil de ma souffrance à mes côtés. Peut-être voulait-elle compenser. Ce devait être la monnaie sur ce que j’ai payé pour quelques gouttes d’alcool et pincés de drogue.

Encore une fois, un rire raisonna dans la cabine.

- N’empêche, j’ai du mal à te croire.

- Tu veux une preuve ?

- Vas-y.

J’ôtai ma ceinture et baissai mon pantalon. Bien sûr, Descartes ne vit rien, sinon ma pilosité.

- La vache ! s’écria-t-il.

- Ouaip. La vache, voire le bœuf.

Je m’empressai de gagner mon lit avant que Descartes ne demande à voir la cicatrice. Nous éteignîmes nos lampes à huile, mais longtemps durant la nuit nous échangeâmes des blagues sur le sexe qui, lorsque j’y repense, ne me font plus du tout rire. Mais cette nuit-là, on avait passé un bon moment, et une solide amitié s’était nouée entre nous. Je commençais à me sentir homme sous d’autres aspects. En me réveillant le lendemain, j’avais une gueule de bois horrible, et j’ai été de corvée de lessive une semaine. Mais ça en valait la peine.

- Ca va, l’Edenté ?

Descartes venait justement de sortir sur le pont. Il vint s’asseoir à côté de moi et m’aida à éplucher mon sac de pomme de terre.

- Je pensais justement à toi, dis-je en riant.

- Je sais, madame rêve de mon lit.

Nous gloussâmes. Descartes aimaient bien me charrier en m’appelant "madame", depuis cette fameuse nuit.

- Faudra que t’arrête avec ça, les autres se douteront de quelque chose.

- Pourquoi tu leur dit rien ?

- C’est un peu gênant.

Descartes haussa les épaules.

- Moi je trouve ça cool. Faudra amener ça à qui ?

- Je crois que c’est Coutelas qui cuisine aujourd’hui.

- Le pauvre gars ! Il déteste ça !

- Il en a plus pour longtemps, la punition du capitaine pour avoir percé un tonneau de bon vin prend fin après-demain.

- Ah oui, cette histoire de vin ! Qu’est-ce qu’elle nous a fait marrer ! Ça nous a empêché de nous bourrer la gueule pendant un certain temps, mais c’était trop drôle !

- Oui, c’était amusant.

- Qu’est-ce que t’as aujourd’hui ?

L’Ouïe d’Or s’approcha, s’appuyant sur sa serpillère.

- Guillotin lui a passé un savon, ricana-t-il.

Je lui jetai un regard noir. Si c’était ainsi qu’il entendait garder mes secrets…

- Oh ça, dit-il, devinant le fond de ma pensé. Vas pas me faire croire que t’allai lui cacher ! Vous deux, vous êtes copains comme cochon ! A croire que z’êtes frères !

Je recouvrai une partie de mon sourire. C’était vrai, Descartes était comme un frère pour moi.

- Oh, pauvre vieux ! s’écria Descartes. Qu’est-ce que t’as fait ?

- Moi, pas grand-chose… c’est lui qui a découvert mon secret le plus important, il me menace de vous le révéler.

- C’est si grave que ça ?

- Oui.

- Pire que ce dont tu m’as parlé la première nuit ?

- Bien pire.

- La vache !

- Le bœuf, repris-je.

- Dans ce cas, conseilla double O, il faut que tu te débarrasse de ce secret. Plus de secret, plus de pression !

- Ce n’est pas si simple, ris-je. Si je vous le disais, vous ne me verriez plus de la même manière. Après tout, le capitaine appréciait mes talents, maintenant il croit que j’ai assez peu de vertu pour le tuer dans son sommeil, le trahir d’un coup de couteau dans le dos !

- Il abuse ! Jamais de la vie tu fais ça !

- Merci, l’Ouïe d’Or.

Il me répondit d’un signe de tête et reprit le nettoyage du pont, sans détourner son attention de la conversation.

- Tu peux me le confier, murmura Descartes. J’en sais déjà pas mal sur ton compte.

- Non, Descartes. Je suis désolé, mais ce n’est pas possible.

- On a parlé des trucs les plus intimes !

Je jetai un coup d’œil inquiet à l’Ouïe d’Or, qui semblait encore plus intéressé, quoi qu’il fît de son mieux pour le dissimuler derrière un masque d’indifférence. Après tout, pourquoi pas ? Descartes me connaissait bien, et ma personnalité en elle-même n’était pas un mensonge.

- D’accord, soupirai-je. Mais pas ici.

Descartes compris mon sous-entendu. En termes d’oreilles indiscrètes, on ne pouvait pas faire mieux que l’Ouïe d’Or. Pour éviter le courroux du capitaine, nous prîmes tout de même notre besogne : le repas ne devait pas être en retard. Pour être sûrs de ne pas être dérangés, nous allâmes dans la cale, là où se trouvait notre butin. Le dernier navire que nous avions pillé était plein de marchandise en tout genre, des napperons de dentelle à la poudre à canon, en passant par des boîtes de conserves, des objets d’art et des fleurs en pot. On se croyait plus dans un débarras que dans la cale d’un bateau de corsaire. Nous nous assîmes sur des caisses de bois et nous remîmes silencieusement à notre ouvrage. Descartes respectait mon silence alors que je pesais mes mots. Après plusieurs minutes tendues, qui s’étirèrent horriblement longtemps, je poussai un soupire.

- Même dans les mers du sud, sous un cagnard d’enfer, je n’ai jamais retiré ma chemise.

Il sembla étonné de cette amorce mais ne fit aucun commentaire.

- Ce n’est pas parce que je suis frileux, contrairement à ce que je disais tout le temps.

Je posai mon éplucheur et commençai à défaire les lacets de mon col. J’hésitai encore quelques instants mais, devant l’air bienveillant de Descartes, fermai les yeux et ôtai mon habit.

- Je t’ai menti cette nuit-là. J’ai bel et bien été amputé par une vieille prostituée droguiste, mais c’était mon choix, et ce n’était pas pour m’ôter ma masculinité, mais pour m’en donner.

Après un long silence, durant le quelle je n’osais pas croiser le regard de Descartes, je conclus en soupirant, employant ma voix véritable :

- Je suis né sous le nom de Rose de Lorée.

Je laissai enfin mon regard se poser sur mon ami, qui peut-être ne le serait bientôt plus. Il me regardait d’un air ébahit. Je crus voir un léger sourire se dessiner sur son visage.

- Putain ! s’écria-t-il. C’est la classe ! T’es un vrai mec, mon gars !

Je souris de soulagement.

- Si tu dis ça aux autres, reprit-il, c’est pas la haine que tu vas avoir, mais le respect ! Putain ! Mais putain, quoi ! Tu t’es fait couper les nénés, t’es au top ! Mais dis… je peux savoir pourquoi ?

- Je voulais entrer dans la marine. Pour une femme, ce n’est pas aisé.

- Tu peux arrêter de cacher ta voix, tu sais, on est tous seuls.

- C’est un réflexe. Et puis, je préfère cette voix-là. J’y suis tellement habitué que, même bourré à en mourir, je continue de l’employer. Ça fait longtemps qu’en moi-même je suis devenu homme à part entière. Seul mon passé, que le capitaine à découvert, reste celui d’une femme.

- Maintenant que je sais, laisse-moi te donner un bon conseil : la prochaine fois que le capitaine te menace, ris-lui au nez ! Bon, pas littéralement, sinon il te tranche le cou. Mais crois-moi, tu peux le dire aux copains !

- Merci, Descartes. Je…

Je m’interrompis soudain, pâlissant à vue d’œil.

- L’Edenté ? Ça va ?

Je fixais un point derrière Descartes, qui se retourna.

- Eh merde, dit-il en voyant ce que j’ai vu.

Derrière lui, sa tête dépassant de derrière quelques caisses, Motus me fixait avec horreur.


Texte publié par RougeGorge, 20 mai 2024 à 09h48
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