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tome 1, Chapitre 3 « Rose de Lorée - Partie 2 » tome 1, Chapitre 3

Ma mère était furieuse contre moi. La première de ses amies était déjà là, aussi passa-t-elle sa colère en chuchotant pour ne pas se faire entendre d’elle.

- Et regarde-moi l’état de ta robe ! Va te changer, et plus vite que ça ! Je vais essayer de les faire patienter, mais je suis certaine que ce charmant jeune homme a déjà une bien mauvaise opinion de toi !

- Je n’en ai cure ! criai-je dans l’intention de me faire entendre des invités. Ils n’ont qu’à repartir d’où ils sont venus !

- Rose !

Elle me gifla, quoique moins fort que mon père avant elle. J’encaissai comme une piqure de moustique et passai la porte de ma chambre en grommelant. J’entendis ma mère s’excuser auprès des invités, son amie grogner quelque chose puis la porte d’entrer claquer. Je souris en m’asseyant sur mon lit. Une bonne chose de faite ! Mais hélas, ma mère ne s’était pas limitée à un seul garçon, et j’avais encore du pain sur la planche. J’ôtai ma robe : elle était déchirée à certains endroits et tâchée à d’autres. Plutôt que d’en enfiler une seconde, je mis un pantalon que m’avais discrètement offert mon grand frère avant de déménager avec son épouse. Je ne l’appréciais pas particulièrement, et lui non plus d’ailleurs, mais il comprenait que la vie d’une femme devait être ennuyeuse à mourir. J’espérai par cet accoutrement mettre en fuite le prochain prétendant. J’entendis les pas de ma mère dans le couloir.

- Rose ? Je te préviens, si tu recommences un coup pareil, je t’envoie en pensionnat pour jeune filles !

Je levai les yeux au ciel. Selon ma mère, c’était la pire menace de tous les temps. Mais en toute franchise, il devait être plus simple de filer d’un pensionnat que de ce bar. La seule chose qui me retenait, c’était la mer. Il n’y avait aucun pensionnat près du port, aussi devrais-je aller à l’intérieur des terres, et cela ne m’enchantait guère. Ce serait certes plus simple de partir, mais bien plus dur de se faire recruter à bord d’un équipage de corsaire ou de pirate. J’aurais d’ailleurs préféré être pirate, ne pas dépendre d’un roi. Mais peu importait, pour l’instant je devais partir et, surtout, ne pas me faire rattraper.

- D’accord, maman, soupirai-je donc.

- Tu veux que je t’aide à nouer ton corsait ?

Un corsait ! Et pourquoi pas des chaussures à talon, tant qu’on y était ?

- Non merci, maman, je vais me débrouiller !

- Comme tu veux. Mais hâte-toi ! Surtout ne mets pas de guenille !

- Oui, oui.

Elle s’éloigna. Habillée, j’attendis que les invités arrivent pour sortir de ma cambre. Lorsque j’entendis ma mère les faire entrer d’une voix résonnante de sourire, je sus qu’il était temps. J’ouvris le panneau de bois et tournai à l’angle du couloir, me laissant voir par une femme et un garçon d’une vingtaine d’années. Ma mère s’empourpra de colère, mais n’osa pas me rabrouer devant les invités. Le jeune homme me fixait d’un air ébahi, et la femme fixait ma mère l’air de dire "qu’est-ce que c’est que ça ?". Je me plantai fièrement devant eux, mains sur les hanches, jambes écartées, cheveux en bataille. Puis, à ma grande surprise, le jeune homme brisa la glace. Il fit un pas vers moi, inclina respectueusement le buste et déclara :

- Enchanté de faire votre connaissance, mademoiselle de Lorée.

Il me prit la main et allait me la baiser. Je la retirai vivement.

- Je ne peux pas t’en dire autant.

Il resta sans voix, à demi courbé, sa main devant lui comme si la mienne y était encore. Le tutoiement comme la signification de mes mots l’avait manifestement stupéfait. Mais, à ma grande surprise, il se redressa en souriant.

- Tu as du caractère.

- Encore une fois, le compliment ne peut être renvoyé.

- Et tu parles magnifiquement bien.

Nos mères étaient scandalisées. La mienne par mon manque de manière, la sienne à cause des propos de son fils malgré mon apparence. Mais manifestement, il était enclin à m’aimer ainsi. J’eus alors une idée.

- Merci, dis-je.

Je me penchai et, ce qui le fit rire, lui fit un baisemain. Il resserra ses doigts autours des miens.

- Tu es incroyable.

- Pour une fois, cela est réciproque.

Je souris malicieusement, donnant tous les signes d’un amour naissant. Je feintais, évidemment. Ce crétin de m’intéressait pas, je ne m’imaginais pas vivre avec lui pour le reste de ma vie, à jouer les ménagères. Malgré tout, je resserrai moi-même mon emprise sur sa main et son cœur fougueux.

- Pourquoi ne pas aller nous promener par cette belle journée ?

Je plongeai mon regard dans le sien, faisant mine d’ignorer nos mère.

- Main dans la main, yeux dans les yeux… Nous pourrions observer les navires et écouter le bruit des vagues, côté à côte.

Je vis la tornade de furie passer sur le visage de ma mère pour se changer en rayonnement ravi. Elle croyait m’avoir enfin casée. Elle hocha vivement la tête.

- Mais oui, allez donc faire un tour. Je vais vous faire préparer un pique-nique, prenez tout votre temps !

Elle se hâta vers la cuisine, donna quelques ordres et revint.

- Il ne va pas tarder, dit-elle d’une voix mielleuse. En attendant, asseyons-nous.

Elle désigna le canapé. Je m’assis délibérément à côté du jeune homme, qui ne parvenait pas à détacher ses yeux de moi. Je l’avais ensorcelé.

- Comment t’appelles-tu ? demanda ma mère en tendant amicalement des petits gâteaux.

- Jean-Marc, répondit-il en se servant poliment.

En plus il avait un nom débile.

- C’est ravissant, dis-je en souriant.

- Merci.

S’en suivit un long silence, où nous nous regardâmes dans les yeux. Peut-être m’y prenais-je avec trop de hâte, mais dans ce monde de fou, aucune amourette n’allait trop vite. Quelques minutes plus tard, Billy arriva avec le pique-nique. Son air affligé en me voyant au bras d’un homme me fit un peu de peine, aussi lui fis-je un clin d’œil discret. Je crois qu’il comprit puisque, en se détournant après avoir déposé sa commission, il avait un semblant de sourire aux lèvres. Je me levai et dis :

- Pouvons-nous y aller ?

Je m’adressais à ma mère, mais fixai Jean-Marc du regard.

- Bien sûr les tourtereaux, allez-y !

Il fit mine de prendre le panier mais, comme il semblait apprécier mon caractère et qu’il pourrait m’être utile, je m’empressai de le dérober à sa poigne. Nous sortîmes au bras l’un de l’autre et, lorsque nous nous fûmes un peu éloignés, il demanda :

- Alors… pourquoi tu portes un pantalon ?

- Cadeau de mon frère, répondis-je sèchement en lâchant son bras.

Surpris par ma réaction, il ajouta :

- T’aurais-je froissée ?

- Non, c’est ma mère qui m’énerve.

- Pourquoi ?

- Quand vas-tu cesser avec tes questions idiotes ? Elle veut que je me marie, et pas moi.

- Oh. Rien ne presse tu sais.

- Je crois que tu ne comprends pas : je ne t’aime pas. Tout à l’heure, c’était de la comédie. Quand j’ai vu que tu ne fuyais pas comme je l’avais prévu, je me suis dit que je pouvais t’utiliser pour quitter la maison.

- Mais… moi, je t’apprécie.

- Oh, arrête ! On se connait depuis dix minutes ! Retournes dans les jupes de ta mère !

- Mais si, tu me plais vraiment ! A peine t’ai-je aperçue, mal peignée et en pantalon que j’ai sus que tu n’étais pas comme les autres ! Tu as volé mon cœur, Rose !

Il me prit par les épaules pour me persuader. Après un long silence durant lequel il me fixa dans les yeux, il se pencha, et je compris qu’il voulait m’embrasser. Je le repoussai délicatement, faisant mine d’apprécier.

- Bon, d’accord. C’est vrai que tu ne ressembles pas aux autres. Mais ne nous embrassons pas ici, je suis gênée.

Je l’entraînai jusque dans une impasse, à l’abri des regards, et dis en portant la main au panier :

- Ferme les yeux, j’ai un cadeau pour toi.

Il obéit avec un sourire béat. Je ramassai une planche qui traînait dans un coin et le frappai à l’arrière de la tête. Il s’écroula en conservant son sourire doucereux. Je jetai la planche, ramassai le panier et sortis de la ruelle. Bon débarras. Je m’empressai de m’éloigner avant qu’on ne le découvrit. Lorsque je me fus éloignée de quelque distance, je m’autorisai enfin à profiter de mon bonheur. Inspirant profondément l’air marin, je fermai les yeux et imaginai un futur brillant, où je serais libre comme un goéland, naviguant sur les mers en compagnie d’un équipage qui serait le mien. Mais j’avais encore fort à faire avant d’y parvenir. Tout d’abord, je devais cesser d’être une fille. C’était inévitable si je voulais éviter de me faire violenter la nuit, recrutée dans un bordel ou je ne sais quelles autres choses obscènes. Deuxième chose, car même les jeunes hommes ne sont pas à l’abri de brigands, je devais apprendre à me battre. Comment pourrais-je être recrutée dans un équipage si je ne savais pas manier une arme ? Et je savais que celle-ci devrais être légère, ma musculature de femme ne me permettrait pas de soulever une épée ou une masse aussi agilement qu’un homme. Non, je songeais plus au couteau ou au sabre. Mais pour le moment je devais me couper les cheveux, m’atteler à moduler ma voix jusqu’à trouver le timbre parfait et, plus compliqué, masquer mes courbes. Heureusement, mon séant était relativement plat, pas de souci de ce côté. En revanche, et cela allait causer plus de tort, ma poitrine était à l’inverse bien développée.

- Attends, m’interrompit le capitaine. Comment ça tu avais une poitrine développée ? tu es plate comme une planche à pain !

- Oui, dis-je en reprenant à nouveaux mon timbre masculin tout en massant ma gorge douloureuse. Parce que j’ai remédié au problème.

- Par pitié, dis-moi que tu as enroulé des bandes de tissus autour de ton torse.

- Hé ! Comment aurais-je pu le cacher à Jambon-beurre et Coutelas ?

- Mais alors…

En guise de réponse, je retirai ma chemise. Je vis le capitaine se faire violence pour ne pas se masquer les yeux devant les deux imposantes cicatrices qui saillait mon torse.

- Par tous les Saints… souffla-t-il, hébété.

Quoique cela m’amusa fort, je mis fin à sa gêne en renfilant ma chemise.

- Comment as-tu… ?

- Des plantes anesthésiantes et une dague chauffée à blanc.

- Mais des plantes ne peuvent pas endormir une telle douleur !

- Pas totalement, en effet.

- Bon Dieu !

- Voulez-vous vous remettre de vos émotions ou dois-je continuer ?

- Non, non, reprends s’il te plaît.


Texte publié par RougeGorge, 5 mars 2024 à 12h36
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