Au mitan du 3ème millénaire le monde dit civilisé s’effondra.
Les vieilles démocraties furent remplacés par des dictatures régies par des IA devenues auto-conscientes, dirigeant le monde via le prisme du virtuel, du web et par des télé-réalités dignes des jeux du cirque de la Rome antique.
Mes parents, deux anciens enseignants, furent poussés à une retraite forcée, lorsque le système éducatif, après celui de la santé disparu.
Le gouvernement préféra investir dans le ministère des armées, le jumelant à celui de l’audio-visuel, et le baptisant “ Office de Défense et de Téléliberté National pour le Peuple “. Titre pompeux d'une stupidité crasse, qui ne servit qu'à masquer un outil de propagande, de surveillance, de maltraitance et de dictature. Ma mère, ancienne diplômé de littérature et mon père, ancien spécialiste de cultures musicales, se retrouvèrent du jour au lendemain, avec des journées vide de sens, sans but, dans le pavillon familial, hérité de mes grands-parents. En tant qu'anciens fonctionnaire ils continuèrent pourtant à percevoir une pension, versé directement en crypto-monnaie accessible sur un compte sécurisé, via sur l'ordinateur fourni par l'état, incrusté dans le mur du salon. Ce dernier trônait entre une affiche d'un concert de Fleetwood Mac et un poster sur lequel un acteur oublié, Gérard Philippe, dévorait avec gourmandise un livre. Aucun écran plasma n'ornait le salon, aucune radio n'était présente, mes parents haïssaient ces objets, jugés source d'abêtissement. Seule cette machine était utilisé, à contrecœur, pour percevoir la pension et payer les dépenses indispensables à notre survie. D'être à l'abri du besoin malgré la modicité de la somme perçue, n' empêcha pas chez mes parents une longue plongée dans une profonde dépression qui devint chronique, détruisant leur amour, qui sombra lui aussi, peu à peu, dans une haine réciproque, construite sur la lassitude de leurs vies devenues inutiles. Auparavant ils étaient l’élite intellectuelle, aujourd’hui, juste deux épaves, oubliées, dont l'existence se partageait entre crises de violences et accouplements sauvages. Je fus conçu lors d'une ces pulsions sexuelles, dans le spasme orgasmique de l'union de ces deux corps vieillissants et usés, dans ce sinistre pavillon délabré, égaré dans une non moins sinistre banlieue. Cette dernière était séparée de la capitale par un no man's land de barbelés électrifiés, érigé pour protéger les résidents de la capitale des hordes de banlieusards, qui livrés à eux-mêmes, étaient retombés dans une semi-barbarie. Pullulaient dans ces nouveaux territoires sans loi, brûlant les vestiges du vieux monde, dans des orgies dantesques, parsemés de viols, et d’actes de cannibalisme.
Notre maison, était située, dans une zone plus calme, peuplé d’anciens intellectuels et fonctionnaires d’état, dont de nombreux ex-militaires et policiers, qui mirent sur pied une micro-armée, lourdement armé, tenant à distance les zonards.
Après 9 mois d’une laborieuse gestation, ma mère me mit seule au monde, car mon père absent de tout , même de lui-même, passait ses jours et ses nuits dans une transe alcoolique, le regard fou, fixé sur un univers visible de lui seul, en écoutant à fort décibels, sur sa chaine haute-fidélité - son seul trésor avec son impressionnante collection de disques vinyls -, tout type de musique. Rock, Blues, Jazz, Progressif, Heavy Métal, Hard Rock. Tous les styles l'enchantait, à l'exception du classique, qu'il détestait pour sa capacité de faire remonter en lui des souvenirs d’un passé baigné de bonheur. Il brûla un jour au fond du jardin toutes ces œuvres, fondant Mozart avec Bach, Satie avec Verdi, Pierre Henry avec Schubert. Gigantesque partouze musicale qui eut lieu au fond d'un baril faisant auparavant office de barbecue.
Ma mère, après avoir accouché sur son lit, à la propreté douteuse, coupa le cordon ombilical avec un couteau de chasse, de type " Bowie Knife ". Arme qui lui servait à tenir mon père à distance, quand ce dernier était secoué par une crise de démence meurtrière. Ma naissance, fut un moment suspendu dans le temps, dans lequel ma mère parcourue par un rare instant de calme et d’amour, me tint à bout de bras, m'admirant, béate de bonheur. Aimante de Jules Verne, elle me baptisa “ Nemo “ en hommage au sombre capitaine du Nautilus qui hante encore les noirs fonds marins.
Je grandis seul, dans un monde fait de cris, de vociférations et d'imprécations sur fond de musique Hard, dans une masure hantée des fantômes d'une joie perdue. L'accès à l'ordinateur, seul fenêtre vers l'inconnu, m'étant systématiquement refusé, je vécus ignorant tout du monde extérieur.
Ma génitrice, ayant sombré irrémédiablement dans une mélancolie destructrice, s'obligea par je ne sais quelle force de volonté et par un sens du devoir incompréhensible à mes yeux, à me donner de l'instruction. C'était là sa seule phrase qui en devenait une litanie :...Nemo tu dois t'instruire.
Elle fut mon seul pont vers un " extérieur " que pourtant j'intuitais disparu et fantasmé.
Mécaniquement, jour après jour, aux ancien horaires de son école, elle me transmit son savoir, sa passion des lettres, son amour de cet amour qui n'est beau que couché sur le papier, avec les mots comme parure nuptiale. Ce n'est que pendant ses moments qu'elle retrouvait parfois un semblant de joie.
Mon père lui était devenu fou à lier, errant de jour comme de nuit dans la maison, une batte de base-ball dans une une main, une bouteille de grand cru dans l'autre. Bouteille prise dans la réserve gigantesque de mon grand-père, qui avait engrangé dans sa cave des centaines de Bourgogne, Bordeaux, et autres trésors vinicoles. Pourtant mon père me craignait, tant j’étais son reflet physique. J'étais son miroir qui lui renvoyait un reflet, forgé dans l’innocence de l'enfance. Il n'eut jamais d'actes de violence envers moi, comme s'il craignait de briser une icône. Parfois dans rares moments de lucidité, alors emprunt d'une timide tendresse, il partageait avec moi son goût de la musique, me transmettant ses immenses connaissances en ce domaine. Un soir, pourtant, sans un mot, il disparut, dans les brumes blafardes des rues presque désertes de ce hors-monde, nous laissant seuls, ma mère et moi. Quelques habitants et anciennes amitiés du quartier qui eurent vent de cet abandon paternel nous prirent en pitié et nous aidèrent. Pour la première fois je vis d'autres personnes, qui venait de temps à autres, nous porter quelques fruits, des tartes chaudes aux odeurs entêtantes, nous donnant de tristes nouvelles sur la déliquescence du monde. Ce fut pour moi une joie profonde d'être enfin en contact avec " l'autre ".
Ma mère continua de m’élever, par devoir maternel - plus affectée que je ne l'aurais pensé par la désertion de mon père - mais sans sentiments, ni passion. Pourtant parfois, rarement, elle avait à mon égards de timides gestes de tendresse. Mais le plus souvent ses crises de violence et de mépris, pendant lesquelles elle m'insultait copieusement avec un langage ordurier, m'accusant du départ de mon père, m’obligeait à courir me cacher au grenier, dont je verrouillais la porte pour éviter le couteau avec lequel elle tentait de fendre le battant, heureusement en chêne massif. Je restais là, seul, des heures, parfois des jours, attendant la fin des crises. Je finis par m’auto-centrer, assis en tailleur, uniquement focalisé, sur ma conscience, recherchant le souvenir de la douceur intra-utérine, seul moment où je fus roi dans un noyau de protection absolu, nourri d'amour, avant l'expulsion brutale vers ma réalité.
Malgré tout, mon instinct de survie et des trésors de ruse, me permirent d’atteindre l’adolescence.
Mais je ne devins humain, que lorsque le cordon ombilical invisible, qui me liait à cette mère que j’aimais d’une haine féroce, fut brutalement coupé pars son décès.
Un matin j’entendis le bruit sourd d’une chute. Ma mère venait de subir un infarctus et gisait agonisante sur le carrelage humide de la cuisine. Elle tendit une main tremblante vers moi et pour la première fois je perçus un véritable amour en elle. Elle me fixa d’un regard déjà voilé par la mort, et me murmura : mon fils, ton nom est Nemo, c'est à dire personne. Je l’ai choisi car il te faut bâtir ta vie, pas à pas. Tracer seul ta route, vers ta destination finale, ton but ultime, le seul et unique qui nous donne à tous, l'égalité parfaite. Ce monde est devenu fou. Tu dois t’y fondre , juste y survivre, ne devenir que le spectateur de ta propre vie, même si parfois il arrive qu'on oublie d'assister au spectacle. La civilisation à basculé dans une dictature mondiale, les arts ne sont plus que de vagues souvenirs. Les écrans que j’ai toujours refusé d’intégrer à notre vie, règnent sur un troupeau de décérébrés. Les influenceurs sont les nouveaux messies, propageant leur haine et favorisant les massacres et les guerres. Ici dans nos banlieues, ceux qu’on désigne barbares, sont en fait les derniers êtres libres de l’univers. Vis mon fils, lis, écoute la musique de ton géniteur, devient libre de tes choix, refuse le prêt à penser et surtout ne te fonds jamais dans le magma visqueux du normal… Nous courrons après le temps, y laissant nôtre énergie, mais c'est un jour à la fois qu'il faut avancer, avec la conscience de ta propre durée relative dans l'univers. Évites de vivre les problèmes du lendemain. Ce demain qui n'a pas plus d'existence que hier...nous ne " sommes " qu'à travers une succession d'instants présents...Instants que tu dois vivre avant de me rejoindre un jour, dans la douceur du néant....
Après ce monologue, le premier aussi long que j’entendais de sa part, elle eut comme un long frisson et se raidit sur le sol.
Je l’enterrai la nuit même, dans le minuscule jardin du pavillon, entre ronces et détritus. Pleurant de rage, de tristesse et de haine envers ce monde indigne.
Je plantais de toutes mes forces, sur sa tombe, une édition à couverture polychrome, publié par Hetzel, du livre de Jules Verne “ L’île Mystérieuse “...
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