Il était une fois, quelque part dans l’Irlande médiévale, une nuit de Nouvel An.
C’était l’époque la plus froide et humide de l’année. Le ciel était chargé d’épais nuages noirs qui masquaient la lueur de la lune. Les habitants du village s’étaient réfugiés dans la taverne pour fêter l’évènement et oublier le temps maussade l’espace d’une soirée près du feu, mais surtout autour de quelques pintes. La bourgade était isolée du reste du pays et les collines alentours étaient peu peuplées. Les quelques créatures qui y habitaient avaient elles aussi rallié la taverne pour célébrer l’arrivée des jours nouveaux. Hommes et femmes du hameau côtoyaient gobelins, demi-géants, elfes et autres loups-garous. Les festivités se déroulaient dans la convivialité et la bonne humeur.
Légèrement à l’écart de ce rassemblement fraternel, assis autour d’une table en bois, discutaient sérieusement quatre leprechauns.
- De nouveaux jours qui vont encore apporter leur catastrophe annuelle, déclara l’un d’entre eux avant d’avaler le reste de sa bière cul-sec et de s’essuyer la barbe d’un revers de manche.
- De quoi parles-tu ? interrogea son compagnon assis face lui
- Du grand foutoir dont va encore nous gratifier ce vieux fou de Braonain ! s’exclama le comparse à sa gauche. Si tu suivais les conversations aussi bien que tu descends les bières mon cher Gus, tu ne poserais pas de questions stupides.
- Ne t’acharne pas sur lui Murphy, déclara d’un ton calme le dernier compagnon. Laisse le profiter de cette soirée. Après tout, nous sommes là pour célébrer la nouvelle année. Nous avons le temps de nous soucier du reste.
- Je pense que tu as tort en ce qui concerne ta dernière affirmation Goffraih, rétorqua le premier. Le 17 mars arrivera bien plus vite que tu ne le penses.
Goffraih, Gus et Murphy fusillèrent Riagol du regard.
- Merci de gâcher l’ambiance ! s’esclaffèrent-ils de concert.
Braonain était un sorcier malfaisant qui vivait reclus dans un endroit secret à l’écart du village. Il voulait contrôler la contrée en y répandant désolation, chaos et tristesse. Il détestait la fraternité qui s’était créée entre les habitants et les autres créatures. Ce même sentiment qui atteignait son paroxysme lors de la célébration de la Saint Patrick.
Tous les ans, les villageois vivaient dans la crainte de son arrivée. Il frappait le lieu des festivités, gagnant en puissance à chaque attaque. Les cinq dernières années, il avait même fait des victimes. Certains villageois avaient suggéré d’annuler les réjouissances afin d’éviter tout nouveau drame, mais la majorité avait refusé. Malgré la peur, il était hors de question de se laisser abattre.
D’autres s’étaient désespérément opposés au magicien. Désunis et dépourvus de pouvoirs magiques, leurs tentatives avaient été écrasées sans mal par le sorcier.
Cette situation exaspérait les quatre acolytes, qui étaient des fêtards invétérés capables d’échanger leurs trésors contre un tonneau de houblon. La Saint Patrick était le moment le plus attendu de l’année.
La nouvelle tournée enfin servie, les leprechauns trinquèrent et avalèrent la moitié de leurs godets. Riagol se pencha sur la table, imité par ses compagnons.
- Cela ne peut plus durer. Nous nous devons d’agir. Nous devons vaincre ce salopard… cette année !
- Et comment comptes-tu t’y prendre ? interrogea Murphy.
- Je n’en sais encore rien. J’y réfléchis chaque jour depuis la dernière agression.
- On va tous y passer… HIPS ! grommela Gus, ivre et prêt à tomber à la renverse.
- Vous allez m’aider, et le moment venu, nous serons prêts à lui faire face.
- Il nous faudra redoubler d’efforts, intervint Goffraih.
Les compagnons avaient entendu la rumeur selon laquelle Braonain cherchait à ressusciter Meszrio, l’ancien chef du clan des cyclopes.
Sur cette même terre, des siècles plus tôt, sa race avait combattu et anéanti celle des Malacovians, gardiens de la contrée. Le dernier d’entre eux s’était sacrifié afin d’emprisonner Meszrio dans un sanctuaire magique. Cette théorie expliquait probablement pourquoi le mage augmentait sa puissance. En effet, Meszrio étant une créature mystique, sa résurrection nécessitait un immense pouvoir.
Mais avant de sauver le village, il fallait d’abord aider le tavernier à vider ses tonneaux ! Peu avant l’aube, les quatre amis montèrent les marches menant aux chambres en chantant et se soutenant les uns les autres.
Les leprechauns passèrent les mois de janvier et février à la librairie. Ils épluchèrent toutes les légendes et tous les récits traitant de la guerre entre les Malacovians et les cyclopes, à la recherche d’indices sur la localisation du sanctuaire. Après d’interminables heures de lecture, ils découvrirent enfin que le tombeau se situait dans une caverne sous un tertre de l’autre côté de la forêt.
Il ne leur restait plus que deux semaines avant la fête, et trouver le moyen de stopper Braonain dans sa folle entreprise. C’est en contemplant la forêt depuis la fenêtre de la taverne que Riagol trouva la solution. Il commanda quatre pintes et révéla son plan à ses camarades.
Le jour fatidique était arrivé. C’était la fin d’après-midi. Le soleil amorçait sa longue descente derrière les collines. L’anxiété avait gagné peu à peu les villageois, mais cela ne les empêcha pas de terminer les derniers préparatifs.
Les quatre comparses s’étaient mis en route quelques heures plus tôt et arpentaient les bois en direction de la caverne. Ils ne mirent pas longtemps à en découvrir l’entrée.
Ils y pénétrèrent… Malheureusement, Braonain les avait devancés. Il récitait une formule magique dans une langue ancienne et obscure face à un menhir couché. Le sol trembla. Le mage leva les bras en signe de victoire, et, remarquant leur intrusion, se tourna vers eux
- Vous arrivez trop tard ! lança-t-il dans un rire démoniaque.
Une nouvelle secousse fit bouger le menhir, laissant s’échapper de l’excavation qu’il recouvrait une bulle de lumière bleue étincelante. De son bâton magique, le sorcier fit jaillir une auréole qui entoura la bulle. A leur contact, un puissant souffle projeta les leprechauns hors du sanctuaire. Gus percuta un arbre et perdit connaissance. Pendant que Murphy se portait à son secours, Braonain sortit de la caverne.
- Le jour que vous redoutiez tant est enfin arrivé ! La contrée ne connaîtra plus jamais de jours heureux. Voyez la créature qui causera votre perte. Lève-toi Ô puissant Meszrio !
Une patte pourvue de cinq griffes, dont chacune d’elles mesurait la taille d’un leprechaun, agrippa la voute de la caverne. Un corps d’apparence humaine, mais d’une envergure démesurée s’extirpa de la pénombre du sanctuaire. L’œil du cyclope était une maigre fente qui luisait d’un rouge rubis.
Tout juste tiré de son sommeil de plusieurs siècles, Meszrio n’avait rien perdu de sa puissance et de sa folie destructrice. Il déracina plusieurs arbres, dégageant un chemin en direction des quatre amis. Murphy tentait toujours de réanimer Gus, mais rien, pas même les violentes gifles qu’il lui assenait, ne lui fit reprendre connaissance. Braonain jubilait en voyant son serviteur s’approcher de ses premières victimes.
Tout espoir semblait perdu…
Riagol se précipita vers son compagnon inconscient.
- Gus, tu as promis de m’aider. Nous avons besoin de toi pour mener à bien notre plan, neutraliser cette créature et la renvoyer vers le néant. Ce n’est pas le moment de flancher.
A ces mots, Gus ouvrit lentement les yeux. Il avait le même regard que les nombreux lendemains de veillées trop arrosées en houblon.
- Tu ne croyais tout de même pas que j’allais t’abandonner. Tu peux compter sur moi, prononça-t-il avec difficulté.
Riagol se tourna alors vers Goffraih et Murphy et leur adressa un signe de tête signalant que leur plan devait être mis à exécution. Le premier s’agenouilla et posa ses mains sur le sol ; le second leva les siennes vers le ciel dissimulé par la cime verdoyante de la végétation. Tant bien que mal, Gus s’était redressé et s’appuyait contre l’arbre qu’il avait heurté. Riagol fit face à la terrible bête. Elle n’était plus qu’à quelques mètres lorsqu’il braqua ses mains dans sa direction.
- J’en appelle à toi, Esprit de la Forêt. Vois quel mal est entrain de te dévaster. Puissant Esprit, éveille-toi et défends-toi contre cet agresseur. Montre lui que l’on ne peut te malmener impunément !
L’incantation achevée, le mage noir ricana.
- Pauvres fous ! Rien ne pourra stopper mon serviteur…
Le rictus de Braonain disparut aussitôt. Rampant sur le sol en direction du cyclope, des racines entravèrent ses jambes. Les branches des arbres s’allongèrent telles de longs bras fins et crochus, et s’enroulèrent autour de ses bras. La créature fut immobilisée et plaquée au sol par la puissance de l’Esprit de la Forêt. Sous son corps, la terre se fendit, creusant un gouffre sans fonds. Meszrio fut précipité dans la fosse. Plus il se débattait, plus la végétation resserrait son étreinte sur ses membres. Il poussa un hurlement rauque en tant d’échapper à la funeste descente. Riagol s’avança, les mains toujours dirigées vers son ennemi, accompagnant l’action de la flore, pour constater sa plongée dans les abysses. Ses trois amis ne bougèrent pas, de crainte de briser le charme.
- Esprit de la Forêt, renvoie cette immonde créature vers les entrailles de la Terre qu’elle n’aurait jamais dû quitter, et dont elle sera prisonnière pour l’éternité !
La tombe ainsi creusée se referma lentement sur sa victime. Lorsqu’elle fut scellée, il était impossible de la distinguer, parfaitement dissimulée par la nature.
Les quatre leprechauns laissèrent éclater leur joie. Meszrio était vaincu, le village sauf.
Goffraih brisa l’effusion de joie. Pendant que les compagnons se battaient, Braonain avait pris la fuite. Ce dernier ne s’avouerait pas vaincu aussi facilement. Nul doute que le sorcier accomplirait ce que n’avait pu faire sa créature. Il fallait regagner le village, et vite…
Le noble Esprit de la Forêt leur vint à nouveau en aide. Entre les buissons apparut un cerf majestueux. Il s’approcha des nains et s’inclina devant eux, les invitant à monter sur son dos. Ils se cramponnèrent fermement les uns aux autres et le cervidé entama sa course en direction de la lisière de la forêt. Il les déposa à l’orée des bois qui donnaient sur la route principale. Ils craignaient le pire car aucune musique ne résonnait dans le hameau.
Ils remontèrent rapidement la rue pour apercevoir le mage à l’œuvre. Les toits brûlaient et Braonain faisait virevolter sa canne dans tous les sens. Il lançait de puissants mauvais sorts qui ravageaient les chaumières. Murphy entra dans une colère noire et tenta de se ruer sur son adversaire pour en découdre physiquement avec lui. Heureusement, les autres l’en empêchèrent.
- Lâchez-moi ! beugla-t-il. Je vais régler son compte à ce lâche ! Rends-toi Braonain ! Tu es fini. Dépose ton arme et tu seras épargné. Si tu refuses, je rectifierais les traits de ta sale trogne !
- Je ne pense pas que tu sois en position de me menacer misérable créature insignifiante, rétorqua le mage. Vous avez vaincu Meszrio, mais mon pouvoir reste supérieur à vos pauvres dons de pacotille !
Sans attendre de réponse, il reprit son action destructrice.
Goffraih intervint alors auprès de ses camarades.
- Nous devons nous débarrasser de lui une bonne fois pour toutes. Nous n’aurons pas d’autre chance. Sans cela, nous ne célébrerons plus aucune Saint Patrick.
Il cueillit soigneusement un trèfle à quatre feuilles d’un bouquet encore intact et déposé à une fenêtre. Chaque leprechaun attrapa un pétale du bout des doigts et y déversa toute sa puissance magique. Ils relâchèrent le fragile petit trèfle qui se mit à pousser jusqu’à atteindre taille humaine. Ils le firent léviter en direction de leur ennemi qui ne put se défendre lorsque la plante l’immobilisa dans une étreinte magique semblable à un poing serré. Seul son cou pouvait encore bouger, il se tortillait tel un ver de terre. Ses jambes se raidirent et se transformèrent en pierre. La métamorphose remonta le corps du mage jusqu’à le figer définitivement dans sa dernière expression.
Les habitants et créatures du village sortirent de leurs cachettes pour acclamer les leprechauns. Tous ensembles, ils célébrèrent la plus belle Saint Patrick que le village connut. Le lendemain, la statue de Braonain fut exposée à l’entrée du fief.
Depuis ce jour, chaque 17 mars, elle est ornée de colliers de trèfles par les habitants qui honorent aujourd’hui encore la mémoire et le courage dont firent preuve Riagol, Goffraih, Gus et Murphy.
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