Gabriela s’épousseta. Elle était aussi rouge qu’une pivoine, osant à peine regarder Amélia qui croisait les bras en observant les tourtereaux.
― Puis-je savoir pourquoi nous sommes à l’arrêt et qu’est-ce que vous fabriquez? persifla Amélia, qui fusillait du regard Adrian.
Gabriela allait bredouiller quelque chose quand Adrian prit la parole.
― Gabriela se sentait mal et avait besoin d’un bol d’air frais. Malheureusement elle a glissé et j’ai essayé de la rattraper, pour ne pas qu’elle se fasse mal.
Gabriela ouvrit de grands yeux, mais très vite, elle hocha vivement de la tête afin de corroborer cette version fort appropriée. Adrian avait parlé avec tant d’aplomb que cette réponse parut la plus naturelle du monde. Amélia se détendit quelque peu.
― Je vois, il est vrai que ma très chère amie peut être maladroite parfois. Te sens-tu mieux? interrogea Amélia en posant un regard adouci sur son amie.
― Oui, je me sens moins nauséeuse.
― Fort bien, nous pouvons reprendre le voyage?
La roussalka hocha la tête. Amélia lui tendit la main, anticipant Adrian qui voulait en faire de même. Le lord roula des yeux et reprit place dans le véhicule. Le voyage put reprendre sereinement. Amélia combla le vide en lançant une conversation sur les avancées industrielles. Adrian écouta d’une oreille distraite, pendant que Gabriela perdait à nouveau son attention sur le paysage urbain qui défilait tranquillement.
Le temps s’écoula lentement, comme si la distorsion perdurait malgré que tout fut rentré dans l’ordre. Après tout, les trajets en fiacre étaient toujours plus longs que le train. L’innovation gagnait progressivement le pays, mais les anciennes habitudes restaient ancrées. D’autant que son petit village n’était pas desservi par les lignes ferroviaires.
Lorsqu’ils furent enfin arrivés, la nuit noire engloutissait la ligne d’horizon depuis un long moment. À croire que les étoiles se faisaient plus timides en cette latitude plus campagnarde. Adrian aida ces dames à descendre. Amélia avait, bien entendu, décidé de rester auprès de Gabriela pour la nuit. Adrian dut se résoudre à les laisser entre femmes, pour reprendre le chemin vers son domicile.
Avant de partir, il attrapa délicatement la main de Gabriela. Amélia pesta, mais le laissa faire. Gabriela se mit à rougir à nouveau. Adrian lui sourit.
― Que la nuit vous soit favorable, chère Dame de mon cœur.
Il souffla sur sa peau. Son souffle glacial la fit frissonner. Elle sentit une vague d’énergie l’enrober avec tendresse. Il traça rapidement un symbole sur ses doigts, avant de libérer sa main, à contrecœur.
― Bonne nuitée à vous, mesdames.
Amélia le salua vaguement de la main. Adrian s’engouffra à nouveau dans son véhicule, le cocher fouetta son cheval et ils s’engouffrèrent dans l’obscurité.
***
Quelques journées s’écoulèrent depuis cette soirée pleine d’aventures. Amélia dut reprendre son travail et laisser Gabriela à sa serre pendant quelque temps. Une partie de l’installation se voyait déjà mise en place, permettant à la roussalka de commencer à planter des pommes de terre et des courges. Amélia lui promit de trouver des plants de tomates, légumes des plus inadaptés à leur temps morose, mais qui pourrait bénéficier des miracles de la serre électrique. Gabriela n’était pas sure de la manœuvre, mais laissa faire son amie, qui rêvait de ce mets depuis ses derniers voyages en Italie.
Au bout d’une semaine, Amélia revint. Elle ramena avec elle du matériel pour continuer l’installation de la serre. Elles allaient se remettre au travail lorsqu’une calèche fit irruption sur les terres de Gabriela. Les jeunes femmes reconnurent aisément la livrée d’Adrian, ainsi que ce cocher et son cheval des plus singuliers. Lorsque le véhicule se stoppa aux portes de la maisonnée, un autre serviteur descendit les marches et salua courtoisement les dames en s’inclinant fort bas. Il s’agissait d’un homme assez pâle, comme son confrère, aux traits fins, tel un sylphe incarné sur Terre.
― Dame Gabriela, Madame Schuffer, voici une invitation de la part de Lord Clemons. Il vous attend pour ce soir.
Amélia haussa les sourcils et afficha une moue boudeuse. Gabriela retint un rire. Son attitude envers Adrian virait au comique, mais elle savait qu’elle agissait ainsi pour sa protection. Amélia prit la parole.
― Pourquoi diable messire Clemons ne se montre-t-il disposé que la nuit?
― Il est très occupé en journée, répondit le serviteur d’une voix affable.
― Au moins a-t-il eu la décence de m’inviter. T’inviter seule aurait été très inconvenant.
Gabriela ne put se départir d’un large sourire. Amélia n’aimait pas les codes de cette société, mais paradoxalement, elle s’y prêtait concernant l’attitude des hommes. Cela venait probablement de son antipathie envers ceux qui se nommaient fièrement le sexe fort. Gabriela prit délicatement l’invitation, observant les courbes des lignes calligraphiées avec soin.
― Quelle belle écriture. Je pense que nous pouvons honorer cette invitation, qu’en penses-tu?
Il était indéniable que lord Adrian l’attirait de plus en plus. Pourtant une pointe d’angoisse se logea dans sa gorge. Ils agissaient tous les deux comme s’ils étaient ensemble depuis une éternité. Tout lui paraissait si réel, malgré le fait qu’ils étaient censés s’être rencontrés il y a peu. Comment devait-elle réagir? Pourquoi sa simple présence faisait-elle jaillir tant d’émotions et de souvenir ? Elle secoua la tête, reprenant le fil de ses pensées.
Amélia posa une main sur son épaule.
― Tout va bien?
― Oui, tout cela me parait si soudain.
― Gabriela, si cela va trop vite pour toi, tu peux décliner son invitation.
Gabriela se figea. Imaginer ne plus voir Adrian. Rien que cette idée lui glaça le sang. Elle ne comprenait pas ses propres réactions.
― Non, allons-y, tout ira bien.
Amélia poussa un soupir. Le serviteur inclina la tête et leur promit de revenir à l’heure convenu pour passer les prendre. Gabriela s’égara encore dans ses réflexions, ne sachant pas vers quelle force se tourner pour trouver une réponse à ses interrogations. Vif et discret, le laquais prit congé, laissant les jeunes femmes à leur serre et à leur préparation.
― Nous n’aurons pas beaucoup de temps pour préparer l’installation du jour, souffla Amélia.
― On peut quand même avancer un peu.
Amélia hocha la tête. Les deux jeunes femmes se lancèrent dans leur projet, s’activant quelque peu le temps que la lumière du jour persistait. Progressivement, la serre prenait forme, promettant d’être vaste et lumineuse. Gabriela installait au milieu de celle-ci un grand bassin, qu’elle désirait remplir de jolis poissons. Au-dessus, elle espérait installer une colonne ou des courgettes pourront germer et proliférer à leur aise. Amélia insista pour conserver un peu de place pour de futurs plans de tomate.
Le temps fila à toute vitesse, et déjà elles durent se préparer pour leurs excursions dans le domaine de Clemons. Gabriela choisit une toilette aux couleurs de l’émeraude, qui flattait sa chevelure auburn. Elle prêta à nouveau une tenue à son amie, qui choisit la sobriété avec une robe à tournures dans les teintes beiges. Rapidement, le cocher de lors Clemons fut de retour avec le même serviteur. Amélia marmonna que ce cheval était plus rapide que l’éclair de Zeus lui-même.
Le véhicule s’enfonça dans la campagne endormie. Le ciel prit des teintes pourpres et bleutées, malgré les épais nuages qui s’amoncelaient. La brume s’invita pour ce début de soirée, offrant une atmosphère mystérieuse, presque fantastique. Le serviteur leur annonça une heure de trajet. Fort heureusement, il avait préparé des amuse-bouches et quelques rafraîchissements pour les faire patienter. Le bruit régulier des sabots aurait pu endormir Gabriela, mais une vague d’émotion la gagnait, à mesure qu’ils s’approchaient de leur destination.
L’heure s’étiola, laissant apparaître à l’horizon un vaste manoir, édifice imposant au style gothique, qui dressait ses tourelles fièrement au beau milieu du brouillard. Le serviteur leur expliqua que Lord Clemons possédait une imposante baronnie et que le petit village où logeait Gabriela en faisait partie. De vastes champs s’étaient offerts à leur attention, de même que plusieurs parcelles de forêts clairsemées tout le long des parcelles. Gabriela n’aurait pas imaginé qu’Adrian possédait autant de terrains, encore moins qu’elle habitait sous sa juridiction.
Ils arrivèrent aux abords du domaine. Ils durent traverser un petit ruisseau, avant de se retrouver devant un vaste portail en fer forgé. Gabriela reconnut des symboles nichés dans les moulures et les piques en métal s’élevant vers le ciel. Il était évident qu’Adrian avait protégé son lieu de vie de tous les dangers possibles.
Elles furent accueillies par une grande dame en robe austère, aux broderies étranges. Sa peau noire tranchait avec son regard lumineux, tandis qu’un grand sourire illuminait son visage fort agréable à regarder. Elle fit une révérence à la vue des invités.
― Mesdames, soyez les bienvenues à Blackwood’s Manor. Je suis Safiétou, gouvernante de ces lieux, et votre guide pour ce soir. Lord Adrian vous attend.
Gabriela inclina la tête en guise de salutation. Instantanément, Safiétou lui proposa son bras. Son geste surprit la roussalka qui l’accepta, ce qui fit tiquer Amélia qui leva les yeux aux ciels. Safiétou les mena tranquillement à l’intérieur.
Un vaste hall de pierre s’offrit à leurs yeux ébahis. La lumière tamisée des chandeliers éclairait les tableaux des ancêtres Clemons. Une atmosphère médiévale hantait les lieux. Amélia souffla du nez.
― C’est quelque peu...désuet.
― Lord Clemons dispose d’un héritage conséquent de ses ancêtres, il aime à les exposer, répondit Safiétou, d’une voix mielleuse.
Adrian fit son apparition. Tout en velours et de soie vêtue, il abhorrait un veston en brocard tissé de fils d’argent. Son allure de panthère captivait Gabriela qui devint rouge comme une tomate. Elle se ressaisit comme elle le pouvait, essayant de reprendre un air digne. Elle n’avait pas l’habitude de se perdre en contemplation pour un homme, Adrian avait un effet étrange sur elle. Il réveillait ses rêves intimes, comme une réminiscence viscérale qui la dévorait toute entière.
La soirée risquait d’être riche en émotions.
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