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tome 1, Chapitre 11 « Dansons entre les plans » tome 1, Chapitre 11

La nuit s’enveloppait des ombres de Nyx. Peu d’étoiles transperçaient le ciel, dissimulées sous d’épaisses couvertures de nuages. Gabriela égarait son attention par la petite fenêtre du fiacre, où les brumes nocturnes étiolaient la toile de minuit. Adrian, quant à lui, semblait sur ses gardes.Il gardait Gabriela à l’œil, pendant qu’Amélia commençait à piquer du nez.

Une ombre fugace se faufila dans le ciel. Adrian se tendit, penchant sa tête par la fenêtre. Un parfum lourd de mousse et de châtaignes flotta dans l’air. Gabriela cligna des paupières. Elle eut la sensation de se trouver en pleine forêt, ou l’humus gagnait l’atmosphère humide d’une soirée pluvieuse. Le souci, c’était qu’il n’y avait pas de pluie, encore moins de forêts sur la première partie du chemin. Ils devaient se trouver encore en ville à cette étape du voyage. Amélia fut définitivement endormie, lorsque le duo agit de concert. Adrian fit signe au cocher de s’arrêter et descendit du fiacre. Lorsqu’il ouvrit la porte, le paysage parut déformé le temps d’un court instant, d’un battement de cil. Il perçut un tourbillon de noirceur qui s’entortillait sur lui-même.

Adrian s’entretint avec son employé, qui ne parlait qu’en murmurant à son oreille. Gabriela vérifia qu’Amélia dormait bien, avant de murmurer une incantation. Aux yeux des initiés, une bulle aquatique se matérialisa autour de leur véhicule. Un humain qui ne possédait aucun don n'y aurait vu que du vide, si ce n’est il aurait senti un changement d’atmosphère. Là était la contrainte magique de cette planète, en cette période victorienne.

Adrian revint vers Gabriela, lui offrant un sourire.

― Merci pour la protection, mon cocher m’a expliqué que nous avons passé un voile.

― Nous sommes dans un autre plan?

Adrian balaya les environs du regard. Partout, des puits de suie bourgeonnaient, faisant jaillir des fleurs noires, des arbres traversant des murets de pierre, ou des toitures de maisons aux alentours. Il plongea sa main dans sa propre chevelure, analysant davantage la situation.

― Entre deux plans. J’espère que votre amie a le sommeil lourd.

― C’est normalement le cas.

La magie sur Terre fut altérée depuis la chute des êtres féeriques. Les humains n’ont jamais su accepter de partager les lieux avec des individus aux particularités si poussées. Gabriela avait appris cette longue histoire, pleine de rebondissements. L’Histoire invisible, comme elle l’aimait à l’appeler. De ses connaissances, passer dans un autre plan sur Terre pouvait se provoquer par plusieurs évènements. Un surnombre d’êtres féeriques dans un même lieu pouvait en faire partie. Pourtant, ils n’étaient que deux, du moins en théorie.

De plus, la situation se voyait plus corsée. Se trouver entre deux mondes, c’était l’assurance de rester coincer si l’on manquait de moyens pour inverser la tendance. Gabriela essayait de repérer une fissure potentielle.

― Nous étions les seuls incarnés, en ces lieux?

― Non, ma chère.

Gabriela roula des yeux. Les visages de Noah et sa dame de compagnie lui revinrent instinctivement à sa mémoire.

― Qui sont-ils?

Adrian lui offrit un regard grave. Il se frotta la nuque, puis remit en place sa coiffure d’un geste nerveux, avant de lui répondre.

― Ceux qui te poursuivaient.

Un frisson saisit l'échine de Gabriela. Elle revit nettement cette cavalcade, cet homme qui la pourchassait en tenue du Grand Siècle, avec cette femme à ses côtés, à l’air vicieux. Elle secoua vivement la tête, afin de reprendre ses esprits. Soudain, un râle se fit entendre. À l’intérieur du véhicule, Amélia ronflait bruyamment. Adrian se rapprocha de Gabriela et souffla quelques mots en un murmure.

― Il vaut mieux éviter de la réveiller. Si elle ne sait pas tout de notre...monde.

Gabriela hocha la tête. Amélia était ouverte d’esprit, mais sans doute pas assez pour accepter que d’autres sociétés et autres peuples pouvait exister. Les humains responsables de leur chute avaient bien fait attention à modifier la trame historique aux yeux du monde. Pour le commun des mortels, ils n'étaient que des légendes, des fables pour enfants.

Délicatement, Adrian posa son index sur les lèvres de Gabriela.

Elle cligna des yeux, puis tourna sa vigilance sur les alentours.

Adrian donna quelques directives au cocher, qui demeurait immobile. Gabriela sentit une vague d’énergie émaner de cet être énigmatique. Le cheval noir de nuit se mit à gratter la terre de ses sabots. Un bouclier infranchissable s’érigeait autour d’eux, se mêlant à la première protection qu’elle venait d’installer. Gabriela fut certaine d’avoir perçu une lueur rouge sang dans le regard dévorateur de la monture.

Les environs paraissaient encore plus étranges. Comme une ligne infinie, jonchée d’anomalies, de frictions entre des éléments n’ayant aucun sens ou aucune forme cohérente. Rapidement, un mouvement se fit sentir.

Plus loin, au détour d’un buisson, sillonnant ce qui était jadis un petit parc, deux gigantesques prunelles, globes extatiques, se mirent à les fixer. Des ombres se muent par-delà les pavés, avançant vers eux silencieusement.

Adrian se positionna devant Gabriela. Celle-ci retint une moue, mais elle le laissa faire son chevalier protecteur. Elle tenta de se souvenir des «incantations silencieuses», enseignées par sa mère. Ces méthodes pouvaient bien sauver des situations, surtout en présence de «non-initiés». Adrian était déjà à l’œuvre, agitant ses bras dans une chorégraphie erratique et pourtant, totalement sous contrôle. Pendant quelques secondes, elle se perdit sans sa contemplation. Ses épaules si larges, ses jambes si musclées. Adrian lui lança un regard interrogateur. Elle rougit et se concentra à nouveau sur la magie.

Lorsqu’elle fut sûre d’elle, elle imita son protecteur qui initia une danse plus hésitante. À leur vue, des orbes de lumières apparurent tout autour d’eux, éloignant progressivement les figures errantes qui s’avançaient dangereusement vers eux.

«Del rae aesan, Milvelidel...»

Adrian saisit délicatement sa main et la guida dans une pirouette fluide et aérienne, faisant tournoyer sa chevelure qui s’échappait de sa coiffure. Une douce énergie les enrobait. Comme une chaleur douce d’une nuit d’été. Leurs pupilles se croisèrent et un sentiment intense les saisit.

Un ballet étrange s’exécuta dans cette ruelle à la réalité déformée. Adrian et Gabriela dansaient, tout en murmurant des incantations dans un souffle, afin de ne pas perturber le sommeil d’Amélia. Celle-ci continuait de s’enivrer dans ses songes, se remuant parfois et remplissant l’espace d’un léger ronflement. Les ombres reculaient, mais persistaient. L’une d’entre-elles, plus large, se mit à absorber ses voisines, se transformant en une nuée de miasmes putrides. L’odeur se propagea jusqu’au couple, qui retroussa leurs narines. Adrian attira Gabriela contre lui.

Cette entité affichait des yeux globuleux, énormes et déliquescents, l’iris se liquéfiant sur le sol. Gabriela eut un hoquet de dégoût.

― Qu’est-ce que c’est que cette chose?

Adrian la pressa tout contre lui. Il chercha désespérément une faille dans cette bulle hors du temps, qui renfermait ses griffes sur eux.

― C’est un piège.

Il dessina dans l’air des symboles, qui se matérialisèrent en lames d’énergies. La créature fut touchée et poussa un cri proche du croassement terrible d’un corbeau à l’agonie. Satisfait de cette attaque, Adrian invoqua Hécate, sa langue roulant des sortilèges tirés des profondeurs de la terre.

«San Aeredhel, Alfhala Hekate»

Amélia gigota dans son sommeil. Gabriela riva son attention sur elle. Adrian avait sans doute appelé sa déesse un peu trop fort. Fort heureusement, Amélia ne se réveilla guère, trop emportée dans ses rêves.

Adrian demeurait concentré, faisant apparaître une ombre autour de la bête, qui finit par l’écraser de toute sa puissance. Gabriela lui prêta mainforte. Elle remarqua, cependant, le destrier qui s’agitait, toujours maintenue par la longe, d’une main de fer par le cocher. L'employé, quant à lui, était si immobile que sa figure, pale dans la nuit, lui arracha un frémissement. Heureusement, Adrian obtint à nouveau son attention. Elle se concentra sur leur assaillant, ajoutant sa voix à celle de son parèdre, en une litanie silencieuse des plus étranges. L’énergie dévorait son cœur, ses battements s’accentuèrent, à mesure que la créature se tordait de douleur. L’environnement se dilatait. Les murs de pierres dégoulinaient sur les parvis. Le ciel obscur se mêlait au sol pavé et les faibles lueurs qui subsistaient se faisaient engloutir dans l’abomination qui se ratatinait en même temps que des bras noirs de suie étouffaient son existence. Adrian attrapa la petite main de Gabriela dans la sienne. Leurs mots s’entremêlaient, leurs forces s’unirent, dans cet espace loin du temps et de la réalité.

L’oeil aguerri de Gabriela remarqua une fissure, une fenêtre vers leur réalité. Elle y lança un flot d’énergie, qui étira cette ouverture avec force et vivacité. Adrian continua d’affaiblir le monstre, qui se résumait, désormais, en une flaque visqueuse maîtrisée par les forces divines.

La fatigue commençait à poindre sur leur visage. Toute cette énergie drainée les épuisait, mais ils tinrent bon. La fissure gagna tout l’espace et la créature allait s’évaporer, quand dans un crissement insupportable, elle aboya ces mots.

― Tu ne garderas pas le soleil pour toi éternellement, Adrian!

La forme visqueuse aux yeux globuleux fut anéantie, après ces mots échappés de son orifice buccal. Ils furent happés, aspirés vers la réalité d’une façon si brutale qu’ils tombèrent en arrière, non loin du véhicule.

Ils furent de retour dans leur monde. Quelques badauds éméchés les dévisageaient. Ils avaient chu au sol sans ménagement, ce qui donnait un spectacle des plus intrigants. Elle se retrouva allongée sur lui, peinant à se redresser convenablement. Adrian réussit à se relever avec difficulté, mais offrit son assistance à sa belle. Amélia se réveilla brusquement.

― Il se passe quoi ici?!

Pile au meilleur et au pire des moments, Amélia revint sur le devant de la scène.


Texte publié par PersephonaEdelia, 8 décembre 2024 à 13h58
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