Gabriela et Amélia fixaient la scène d’un air stupéfait. Ce couple, pourtant inconnu, agissait auprès d’Adrian comme s’ils étaient des rivaux millénaires tirés d’un roman à sensation. Noah affichait un sourire des plus grinçant, tandis que la dame qui l’accompagnait dardait de ses grands yeux les deux amies. Gabriela osa briser le silence, d’une voix hésitante.
― Vous vous connaissez?
― C’est une longue histoire, marmonna Adrian.
― Mon cher Adrian, tu n’as pas changé d’une ride.
Le prénommé Noah s’approcha, offrant ses bras à Adrian pour une accolade qui n’avait rien d’amical. Adrian recula d’un pas, affichant une expression de dégoût intense. Noah se mit à pouffer.
― Toujours aussi rancunier. Tout ça, c’est du passé, n’est-ce pas?
― Tu te fiches vraiment du monde.
Adrian serra ses poings, se tenant droit comme un piquet. Il perdait, visiblement, sa politesse ainsi que sa patience. Soudain, la compagne de Noah s’approcha vivement de Gabriela. Par instinct, Amélia et Adrian s’élancèrent pour lui barrer la route, cherchant à protéger de leur corps la jeune femme. Ils manquèrent de se percuter. Le risque de collision passé, ils firent front commun contre l’assaut des yeux globuleux. La femme se mit à rire.
― Tant de dévouement pour une seule dame! Je ne me suis pas présentée, dit-elle d’une voix mielleuse, je me nomme Pétronille de la Chaussay, comtesse d’Aumale, en voyage à Londres auprès de mon cher Noah de la Richevaudie. Dites-moi, vous êtes du signe du Cancer, n’est-ce pas? interrogea-t-elle Gabriela, en essayant de la voir à travers sa muraille humaine.
― Enchantée...je suis Gabriela Petrona, de Roumanie... Et euh, non, mon signe du zodiaque vous voulez dire?
Adrian roula des yeux. Pourquoi diable cette femme avait-elle manqué de se jeter sur Gabriela, si c’était pour parler astrologie? Pétronille sortit son éventail, le secouant d’un geste frénétique, tandis que son regard se fit inquisiteur.
― Oui, je vois dans votre attitude, vous avez tout de la femme Cancer.
― Je suis Vierge, enfin, le signe de la Vierge.
― Oh, s’interrogea Pétronille, vous en êtes sûre? Vous aviez tout de l’émotive et mélodramatique de la femme Cancer.
― Allons, ma chère Pétronille, gardons ces conversations astrales pour plus tard, nous nous sommes à peine introduits auprès d’eux, intervint Noah, d’un air taquin.
― Introduits de façon violente, s’insurgea Amélia, qui ne lâchait pas le couple du regard.
― Et vous êtes? s’enquit Gabriela, en tournant la tête vers le dénommé Noah.
Il se pencha en une courbette bien basse, faisant un geste ample de ses bras pour mimer le respect et la courtoisie. Lorsqu’il se redressa, il darda son regard perçant sur Adrian, avant de se présenter avec davantage de formalités.
― Je suis Noah de la Richevaudie, comte originaire de France également. C’est toujours un plaisir de venir en vos terres pluvieuses, my lady Petrona. Je suppose que, quant à vous, vous êtes la fameuse Madame « Fée de l’électricité», Madame Amélia?
Amélia posa ses poings sur ses hanches, affrontant du regard l’impertinent.
― Vous supposez bien, messire. J’aimerais comprendre, comment aviez-vous réussi à foncer droit sur eux avec autant de panache?
Noah lui offrit, pour première réponse, un sourire mesquin.
― Veuillez nous excuser, nous étions simplement enchantés par tant de prestance. Une danse si majestueuse se devait d’être observée de plus près.
Adrian fit un pas en avant. Une vague d’énergie semblait bouillir tout autour de lui. Gabriela posa une main douce sur ses épaules, et il se détendit rapidement. Il riva ses prunelles dans les siennes, revivant pour quelques secondes ce lien intense. Une douce chaleur envahit la gorge de Gabriela.
Noah se mit à tousser bruyamment.
― Veuillez nous excuser, dame Pétronille et moi-même avions quelque chose d’important à glisser au baron Langlade, bonne soirée à vous.
Sans donner son reste, il attrapa le bras de Pétronille et quitta l’alcôve en l’emportant avec lui. Amélia attendit qu’ils soient assez éloignés pour pester.
― Quels grossiers personnages! Vous le connaissez on dirait, siffla-t-elle à Adrian, d’un ton agacé.
― Malheureusement, j’osais espérer ne pas voir son retour.
― Son retour? demanda Gabriela.
Adrian lui offrit un doux sourire. Il attrapa sa main et la serra délicatement.
― Je vous expliquerais tout, ma chère.
Amélia tapota du pied.
― Ne dépassez pas les limites, Adrian... Mais au fait, quel est votre pedigree?
Adrian se mit à rire. La verve d’Amélia le surprenait. Il secoua la tête et exécuta une révérence bien plus élégante que celle de Noah.
― Mille excuses, je suis Adrian Clemons, baron de Blackwood.
Lorsque son nom complet fut prononcé, Gabriela tomba brutalement sur le sol. Elle fut fauchée par un souvenir.
* Une odeur de fleur et de bougie planait dans la vaste salle de réception. Celle-ci était bien plus vaste que le salon de Lady Agatha, et possédait un air désuet, tout comme les robes qui tourbillonnaient de couleurs ternies par le manque de luminosité. Une période où les nobles n’avaient pas encore l’électricité, comme Lady Agatha qui exposait fièrement ses lustres très coûteux. Non, cette ambiance datait de plusieurs années en arrière, avant la Régence, la Révolution française, les bouleversements politiques. Avant l’ogre napoléonien et tout ce qui s’ensuivait. Elle se voyait danser, avec Adrian, qui semblait intemporel malgré les décennies. Il lui souriait et tenait sa hanche avec plus d’aplomb que la décence l’exigeait. Mais autrefois, la décence ne la touchait pas, du moins, était-ce naturel pour un couple de se témoigner autant d’affection? Sans doute que oui.*
Gabriela émergea dans une petite chambre, chichement décorée. Elle cligna des yeux, sa vision toujours floue, tandis que des murmures parvinrent à ses oreilles.
― Il est hors de question que vous restiez à son chevet, Adrian. Vous êtes un homme et certainement pas son fiancé.
Cette voix était clairement celle d’Amélia. Celle d’Adrian se manifesta rapidement.
― Vous ne comprenez pas, il faut que je sois à ses côtés, elle a besoin de comprendre.
― Vous n’avez qu’à me dire ce qu’il y a à savoir et je lui transmettrais.
Lorsque la jeune femme se redressa sur la couche, ils se turent et se précipitèrent à ses côtés.
― Comment te sens-tu? demandèrent-ils en cœur.
Pendant une fraction de seconde, ils se fixèrent, surpris, puis Adrian secoua la tête.
― Tu as eu une vision?
Gabriela hocha la tête, récupérant sa vision et ses sens. Elle fut quelque peu amusée de l’attitude d’Adrian et de son amie. Elle allait parler, mais Adrian lui prit doucement la main, ce qui fit soupirer Amélia.
― Soupirant en mousse...
― Oui, oui, si vous voulez, répliqua-t-il, avant de tourner entièrement son attention sur Gabriela.
Gabriela demanda d’abord un peu d’eau. Amélia s’en occupa, tout en essayant de garder à l’œil le prétendant qu’elle peinait à supporter. Adrian gardait tendrement les doigts de sa belle entre les siens, la laissant avaler son verre avant qu’elle ne puisse s’exprimer.
― Un bal, ancien temps, vous étiez...
Elle croisa le regard d’Amélia. Elle était à moitié initiée à son monde. Ce n’était pas pour rien qu’elle connaissait Sanoki. Cependant, elle ne savait pas jusqu’où elle pouvait dévoiler ces informations en sa présence. Amélia secoua la main d’un air agacé.
― C’est un vieux débris, vous êtes sacrément conservé!
Adrian leva les yeux au ciel.
― C’est peut-être symbolique. On en parlera plus tard si vous le voulez.
― On en parlera à Sanoki surtout. C’est elle l’experte en vision. À moins que vous ne soyez chamane, vous aussi? interrogea Amélia, d’un œil suspicion.
― C’est compliqué. Je peux vous ramener chez vous, si vous le souhaitez, dit-il à Gabriela.
Amélia poussa un long soupir. Elle allait répliquer, mais quelqu’un toqua à la porte. Amélia s’en occupa, laissant Gabriela quelques instants avec Adrian. Il se rapprocha d’elle.
― C’est difficile d’avoir un instant rien qu’avec vous, et je pense qu’elle ne vous laissera pas seule ce soir. Ceci dit ce point me rassure.
Gabriela retint un léger rire.Elle aurait pu se mettre à glousser si elle n’avait pas pris conscience de la situation à l’instant. Que lui arrivait-il? Ce n’était pas son style de flirter de la sorte. Cependant, avec lui, cela semblait naturel. Comme une part d’elle-même qui s’éveillait à son contact. Il saisit sa main avec délicatesse et la porta à ses lèvres. Son cœur fit un bond. Il avait déjà fait ce geste lorsqu’elle lui avait offert le gîte.
― N’oubliez pas, je suis votre obligé, appelez-moi et je viendrais.
Elle se mit à rougir comme une pivoine. Elle ne put répondre qu’Amélia fut de nouveau à ses côtés, près de Lady Agatha. Celle-ci vint s’enquérir de son état. Elle lui fit part des inquiétudes des convives, concernant son malaise. Certains murmuraient que c’était dû au choc de la collision lors de la danse qui l’avait mise dans cet état. Gabriela secoua la tête, soufflant qu’elle n’était pas en sucre. Lady Agatha comprit que la jeune femme avait besoin de son lit, malgré ses protestations. Ceci dit, elle s’amusait à observer tantôt Gabriela, tantôt Adrian, d’un air mutin. Gabriela ne saisit pas vraiment pourquoi , combien même sa main demeurait dans celle d’Adrian.
La jeune lady fut donc conduite sous bonne garde jusqu’au fiacre personnel d’Adrian. Le cocher paraissait étrange, tout capuchonné de noir, le visage pâle et figé. Gabriela ne put s’empêcher de l’observer, cherchant à savoir de quel peuple il pouvait venir. Elle fut surtout frappée par le cheval. Un étalon d’une grande beauté, au pelage noir comme la nuit. Une lueur rougeoyante dansait dans ses yeux. Elle frémit et resta près d’Amélia. Ils grimpèrent grâce à l’aide d’Adrian. Force était de constater qu’Adrian appréciait le noir. L’intérieur du véhicule se trouvait tapissé d’un velours bleu nuit, et de jointures noires. Amélia pouffa.
― Vous êtes bien sombre, messire de Blackwood.
Il roula des yeux, glissant une main dans sa chevelure corbeau, la remettant en place.
― C’est une teinte qui va avec tout.
― Surtout les prétendants en mousse.
Adrian ne réagit pas, préférant poser son regard sur Gabriela. Le cocher fouetta le cheval, qui emmena le véhicule à travers l’obscurité. Adrian et Gabriela se crispèrent au même moment. Une drôle de sensation commune venait de les étreindre, comme un mauvais ressentiment.
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