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tome 1, Chapitre 5 « Ombre matinale » tome 1, Chapitre 5

Gabriela contemplait la voûte céleste. La lune gibbeuse deviendra bientôt pleine, telle Séléné accueillant Endymion en son sein. Amélia lui avait raconté cette histoire venue de la mythologie grecque, avant de s'endormir comme une masse. Après tous ces évènements, son amie avait insisté pour dormir à ses côtés, afin d'être certaine qu'elle serait en sécurité. Malgré tout, elles avaient pu amorcer le projet de serre, pour le plus grand plaisir de Gabriela. Elle imaginait déjà ses belles fleurs aux couleurs vibrantes, protégées de la pluie perpétuelle et de la grisaille. Ce moment fut salutaire pour son bien-être. Elles avaient passé une bonne après-midi, oubliant presque toutes ces histoires de visions et de femme perdue dans la neige. Amélia réussit même à la faire rire en imitant Lady Alvina, qu'elle détestait au plus haut point. Une dame de haute lignée, prétentieuse et arrogante, selon ses dires. Apparemment, cette femme se trouvait férue d'astrologie et considérait connaître les gens à la perfection en connaissant leur ascendant et la position des planètes dans leurs maisons. Gabriela n'avait pas tout compris, mais Amélia l'avait bien amusé. Après tout, il était idiot de croire connaître quelqu'un en se basant uniquement sur son ciel de naissance.

En cette nuit, malgré la présence de son amie, Gabriela se sentait ailleurs. Elle n'avait pas vraiment réussi à l'oublier. Ses grands yeux noirs la hantaient toujours et elle ne cessait de se demander quel serait le goût de ses lèvres. Elle rougit en y repensant.

Après tout, tout ceci n'a aucun sens. Je vais rester dans mon village et je ne le reverrais jamais.

Enfouissant sa tête sous les draps, Gabriela perçut un parfum, venue de nulle part, de pain chaud et de viande grillée. Elle se redressa subitement, se demandant si son amie n'était pas partie se faire un repas de minuit, mais Amélia se trouvait toujours à ses côtés, profondément endormis.

En réalité, c'est ma vie qui n'a aucun sens, d'où vient ce parfum de nourriture?

Doucement, elle quitta sa couche. Elle alluma sa lampe à l'huile et entreprit de trouver la source de cette curieuse odeur de festin. La clarté du ciel et la vision des étoiles par la fenêtre la rassuraient. Cette nuit se voulait plus douce et moins tempétueuse que la dernière fois.

D'un pas feutré, elle marcha jusqu'à la cuisine.

Peut-être ai-je mal aéré la cuisine?

Elle esquissa une moue. Aucune odeur similaire à celle qu'elle avait perçue ne provenait de cette pièce. D'ailleurs, elle prit conscience que le fumet délicieux qui l'avait hantée venait de disparaître.

Ma pauvre, tu es bien bizarre

Elle poussa un soupir et prit la direction de sa chambre. Soudain, un bruit se fit entendre. Elle sentit son cœur s'emballer, et si c'était lui? Oubliant toutes les règles de sécurités répétées avec Amélia durant cette journée, elle se précipita vers la source du bruit. Un grattement résonnait près d'une fenêtre.

Non, je dois prévenir Améia! Je ne peux pas lui faire face seule…

Elle décida de faire demi-tour lorsqu'une voix familière résonna dans son esprit.

" S'il te plaît ma douce... Viens seule."

Elle ne pouvait plus douter, c'était bel et bien lui. Agacée, elle vint ouvrir les volets, découvrant sans surprise son grand brun qui lui faisait face. Elle put admirer la délicatesse de ses cheveux d'ombre, bien au sec cette fois. Il lui offrit un sourire et tendit sa main vers son visage. Elle eut un mouvement de recul.

— Je... que voulez-vous?

Il esquissa une moue peinée.

— Tu sais très bien ce que je désire.

— Me mordre?

Surpris, il pencha la tête sur le côté. Il pinça l'arête de son nez, quelque peu affligé.

— Pourquoi voudrais-je te mordre? Je ne veux que ton bien.

— Vous êtes bien un vampire, vous ne démentez pas.

— Et tu es bien une fille de l'Onde, n'est-ce pas?

Gabriela se crispa. Il était évident qu'elle ne pouvait rien lui cacher. Cependant, elle sentit une légère satisfaction en sachant que l'inverse était tout aussi vrai.

— Vous n'avez pas répondu à ma question. Répliqua-t-elle, plus confiante.

— Tu as vraiment tout oublié, n'est-ce pas?

— Mais de quoi est-ce que vous parlez?

Adrian allait lui répondre lorsqu'une voix forte résonna dans la maison.

— Gabriela! Où es-tu?! Que se passe-t-il?

Gabriela sursauta et se tourna. Amélia s'approchait d'eux, ses pas lourds faisant presque trembler la maison.

— Ce n'est rien, j'ai juste…

Lorsque Amélia la rejoint, elle prit conscience qu'elle se trouvait seule. Une brise vint caresser sa joue, la laissant pantoise dans cette scène nocturne surréaliste.

***

Amélia fulminait d’apprendre qu’Adrian avait osé repointer le bout de son nez. Elle jura de nombreuses fois, promettant au ciel et à toutes les entités existantes qu’elle lui tomberait dessus un jour. Gabriela eut du mal à l’apaiser. Elle lui assura qu’il ne lui avait rien fait, ce qui finit par calmer la furie de son amie. Elles repartirent se coucher, non pas sans avoir vérifié chaque fenêtre qu’il ne se trouvait plus dans les environs.

Alors qu’elle regagnait le confort de sa couche, elle ne pouvait se défaire de cette sensation étrange, presque réconfortante. La présence d’Adrian lui grignotait ses sens, enflammant sa poitrine d’une force inconnue, et ce depuis des siècles. En fermant les yeux, elle revoyait son regard perçant, ainsi que sa chevelure d’ombre qui paraissait si douce. C’est sur son image réconfortante et mystérieuse qu’elle finit par s’endormir.

Le lendemain matin, Amélia se jeta hors du lit avec la détermination d’une lionne en chasse. Elle avait pris la décision d’annuler ses rendez-vous du jour pour s’occuper exclusivement de son amie. Ainsi, avalant à la va-vite une tartine, elle prit congé dans la foulée afin de régler ces changements soudains, promettant de revenir au plus vite. Elle serra avec tendresse ses petites mains entre les siennes, fixant intensément ses prunelles.

― Très chère, prends soin de toi le temps que je revienne. Il faut absolument comprendre ce qui t’arrive. Entre ce malotru qui toque à ta fenêtre et ces visions, je pense qu’il est grand temps de voir Sanoki.

― Très bien, ne t’en fais pas, je n’ouvrirais à personne, cette fois-ci.

― Tu as intérêt! Sinon tu vas m’entendre, à mon retour.

Gabriela lui offrit un sourire amusé. Amélia s’adoucit et lui rendit le sourire, avant de l’ébouriffer affectueusement.

Amélia s’envola, laissant le cottage sous la bonne garde de sa propriétaire. Retrouvant le calme et la solitude, Gabriela se plongea un instant dans cette atmosphère douce de la matinée, qui offrait de timides rayons derrière les épais nuages de pluie. Une nouvelle bouffée de mélancolie emplit son esprit. Elle se mit à observer les quelques gouttes qui coulaient le long de la vitre, ainsi que le vent qui faisait danser ses chardons. La simple vue de sa marre lui rappelait son enfance, et quelque part, cela l’apaisait. Alors qu’elle se releva pour ranger la table des restes du petit-déjeuner, elle perçut du coin de l’œil une forme fugace, sombre et aux contours flous, qui narguait ses fleurs d’un air orageux. Elle se crispa. Un venin vint se glisser dans ses veines, force inconnue qui la poussait à se méfier. Instinctivement, elle se colla au mur, observant à travers la fenêtre cette chose qui venait de se matérialiser sur son terrain. Il était difficile de réellement cerner ce dont il s’agissait. La bruine tombait sur une silhouette humanoïde, qui furetait autour de lui, comme cherchant une proie à déchiqueté de grande bouche béante. Était-ce une chimère? Une abomination? Par le passé, elle avait déjà fait face à des créatures nébuleuses, hantant les tombes et les mausolées, pour se repaître des chairs. Celle-ci possédait une énergie encore plus lugubre et terrifiante. Gabriela crut même apercevoir des cornes sur ce qui lui servait de tête.

Tentant de reprendre ses esprits, elle essaya de comprendre la situation. Qu’était cette chose? D’où venait-elle? Elle fouilla sa mémoire, essayant de retrouver, parmi toutes les connaissances salvatrices sur le folklore magique, une entité pouvant ressembler à celle-ci. En vue de l’énergie qu’elle dégageait, il est peu probable qu’elle soit ici pour prendre le thé.

Perdue dans sa concentration, elle ne vit pas l’être s’approcher dangereusement de la fenêtre. Elle sursauta vivement en la voyant se coller contre la vitre, étalant sa corporalité poisseuse sans aucune gêne. Elle eut tout le loisir d’observer avec plus de précision sa bouche aux dents tordues, qui essayait de grignoter ce qui la séparait de la roussalka. Elle se positionna, prête à attaquer, murmurant entre ses dents une formule aux accents slave, quelque peu mélodieux malgré le stress intense qui portait tout son corps. Une onde cristalline apparut alors, chassant la créature plus loin, lui arrachant un cri inhumain qui lui glaça le sang.

Incantant avec plus de force, elle commença à contrôler l’eau de pluie pour devenir des projectiles acérés, qui vinrent percer de part en part son assaillant, qui tentait de se jeter à nouveau sur sa fenêtre. Malgré les vagues qu’elle lui balança sans retenue, il parvint à se faufiler, perdant des morceaux de chair flasques qui vinrent s’échouer sur ses parterres de roses. Celles-ci moisirent instantanément à ce contact morbide, rajoutant à la hargne de la jeune femme. Malheureusement, cette forme agit à la manière d’une gelée, se glissant petit à petit dans les interstices. Elle se jeta sur le premier objet à sa portée, qui s’avérait être une vieille lanterne en fonte. Ce n’était pas idéal, mais c’était mieux que rien.

Progressivement, la masse visqueuse s’engouffra à l’intérieur, déformant de manière dérangeante la réalité de son mur, de ses meubles environnants, ainsi que de la vitre qui passa du statut solide à l’état liquide, voire gazeux sur les bords. Gabriela se figea quelques secondes, décontenancé par l’horreur et l’absurde phénomène qui se produisait sous ses yeux. Elle secoua vivement la tête, tentant de reprendre contenant. La bête serait bientôt en son antre si elle la laissait faire. Une douleur lancinante vint lacérer ses veines. Elle n’était pas touchée, mais elle savait ce que cela signifiait. Sa maison disposait d’un minimum de protections énergétiques. Ce fut d’ailleurs étonnant qu’Adrian pût les franchir aisément, sans la blesser. Ce point étrange devait être pris en considération.

Mais ce n’était pas le moment.

Le stress et la douleur l’empêchaient d’incanter à nouveau. Dans un ultime effort ésotérique, elle tenta de dresser les barrières contre l’assaut, une dernière fois. Malheureusement la créature redoublait d’efforts. Il ne lui restait plus que son arme improvisée, qu’elle brandit en tâchant de ne pas trop trembler.

Soudain, un parfum vint s’immiscer dans ce plan de l’existence, renversant probablement le cours des choses.


Texte publié par PersephonaEdelia, 9 février 2024 à 22h09
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