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tome 1, Prologue « Cottage Anglais » tome 1, Prologue

La pluie ne cessait de tomber. En cette après-midi au ciel d'argent, l'onde caressait la terre de ce jardin aux mille fleurs. Les roses d'un rouge grenat paraissaient fades en cette atmosphère grise. Gabriela avait perdu l'espoir d'obtenir un extérieur étincelant. Elle adorait les couleurs et les fleurs, et ce cottage en débordait. Pourtant, voilà des mois qu'il ne cessait de pleuvoir. Elle enroula une mèche de cheveux roux entre ses doigts effilés. Plus le temps passait, et plus elle réfléchissait à construire une serre, avec des plantes exotiques. Le bon point dans toute cette histoire demeurait le fait qu'elle disposait de ce cottage pour elle toute seule. Elle n'avait plus à partager son espace avec ses innombrables soeurs. Même si elle devait l'admettre, leur cacophonie lui manquait, parfois.

— À quoi bon construire une serre, quand le soleil manque à l'appel chaque jour?

Elle soupira et dégusta sa tasse de thé.

En vérité, pour assouvir son envie de verdure, elle aurait pu s'installer dans le sud de la France, avec sa soeur Isabella. Cependant, l'appel de ce cottage, visité en présence de sa mère lors d'une excursion anglaise, fut bien plus fort. Il y avait en cette bâtisse quelque chose de touchant et de personnel. Cette maison de pierre et de bois ancien éveillait en elle le souvenir d'un songe, qu'elle avait fait, il y a de cela bien longtemps.

Encore une fois, elle pouvait se remémorer cette vision nébuleuse qui la hantait autrefois. Les papillons d'un bleu azur dansaient dans ce même jardin, se posant sur les roseaux près de la mare. En levant les yeux, elle pouvait voir cette douce figure qui l'enchantait, d'un bel homme aux traits flous et au regard de jais. Depuis cette nuit, elle ne cessait de griffonner, dans ses carnets de dessin, cet être qui s'égarait près de chez elle d'un pas aérien.

L'air froid s'insinua dans la pièce. Elle se leva et ferma les volets, afin de préserver le peu de chaleur qu'il lui restait. Il y avait quelque chose de réconfortant à demeurer ici, au chaud, tout en admirant la pluie tomber dehors. Les gouttes dansaient, formant des rideaux bien alignés sur les vitres, tandis que la buée lui permettait de dessiner quelques formes çà et là, pour tromper le temps.

Alors que le temps s'égrainait, il lui vint une idée. Elle savait manier l'eau avec talent, peut-être qu'une installation reliée à la marre pourrait alimenter de façon pérenne sa future serre? D'un geste vif, elle se redressa, cherchant à attraper son petit carnet à idée. Il s'agissait d'un carnet en cuir noir relié, qu'elle avait acheté dans son pays d'origine. La marque du tampon imprégné dans le cuir lui rappela cette boutique slave si charmante. Se saisissant de quoi écrire, elle y nota sa vision du projet. Ajouter de l'énergie électrique, qui fait fureur en cette ère révolutionnaire, pourrait suppléer à ce manque cruel de lumière. Elle gratta la feuille de sa plume un peu ébréchée. Voilà bien longtemps qu'elle devait en changer, mais avec l'arrivée de l'automne, elle se trouvait fort bien en sa demeure chaleureuse.

Sans doute que son amie Amélia, inventrice de renom, saura l'aider en cette construction. Gabriela eut un sourire en repensant à son amie. Amélia ne correspondait en rien à l'image de la parfaite dame élégante et pleine de vertus. Ses bras se voulaient aussi musclés que ceux d'un marin ou d'un ouvrier charbonnant chaque jour à son usine. Ses cheveux coupés courts lui valaient bien des réflexions, mais Gabriela s'en moquait. Amélia était une des seules à la connaître réellement. Elle ne la jugerait jamais et ne la traiterait jamais de sale sorcière.

Elle termina de rédiger son plan. Prenant une grande inspiration, elle se trouva fière d'elle-même. Après tout, elle désirait faire quelque chose de ses dix doigts, et faire pousser des fleurs et créer de nouveaux spécimens pourraient lui permettre de se faire un nom. Pour le moment, Gabriela demeurait une anonyme dans la belle société londonienne. Elle craignait à trop se montrer. Pourtant, elle ne pourrait rester isolée éternellement en ses terres. Ses sœurs avaient appris à se fondre dans la masse, elle devrait bien apprendre à en faire autant.

Alors qu'elle se perdait dans ses réflexions, elle se laissa balancer sur son rocking-chair, son carnet à la main. Le seigneur des songes l'emporta sans qu'elle s'en rende compte, bercée par le son mélodieux de la pluie sur la terre fraîche. Le rêve fit surface.

L'onde, l'onde nourricière et si froide de sa maison de naissance. La légende raconte qu'elle et toute sa famille venaient d'âme de pauvres demoiselles noyées. Se sont-elles donné la mort à cause d'un cœur brisé? Ont-elles glissé malencontreusement? Furent-elles assassinées? Nulle ne saurait le dire. Ce dont elle se souvenait, c'était de cette douce lueur qui illuminait l'eau de mille éclats. Sa mère était douce, ses sœurs se voulaient taquines, mais jamais méchantes, toujours prêtes à l'aider. Puis, un nouveau décor, ce jardin qu'elle entretenait avec amour. À nouveau, cette pluie qui balayait le monde, chassant toute lumière du paysage. Grisailles et automne. Les feuilles dorées tourbillonnaient, emportées par le vent. Soudain, elle le vit. Cette silhouette qui hantait ce rêve inlassablement. Sa chevelure corbeau se dessinait davantage, tout comme son regard ardent qui la fixait sans détour. Il s'approcha d'elle, lui tendant la main. Elle voulut la prendre, mais elle fut réveillée par le bruit du tonnerre, et du vent qui agitait ses terres en un vacarme terrifiant.

Elle sursauta, agrippée par cet instant hors du temps. Elle prit une grande respiration, observant son environnement attentivement. La nuit dévorait le ciel, ne laissant entrevoir aucune étoile. Son carnet se trouvait désormais au sol et son thé avait refroidi depuis un certain temps. La chaleur de l'âtre réchauffait toujours l'atmosphère, mais menaçait de se consumer entièrement. Doucement, elle se redressa et rajouter des bûches sur les braises. Un parfum étrange émana des flammes, comme une trace de bois de santal et d'épices chaudes.

— J'ai déjà perçu ce parfum quelque part...

Soudain, trois coups distincts se firent entendre. Un invité surprise fit son apparition.


Texte publié par PersephonaEdelia, 17 novembre 2023 à 21h11
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