Dormir est devenu une hantise. J’ignore pourquoi, mais recroiser Lyvon dans mes rêves m’effraie et m’oblige à ne m’assoupir que quelques minutes par-ci par-là en espérant qu’il ne s’y trouve pas durant ces instants. Tout en installant le drap pour le lit de Roxanne, qui arrive ce soir pour le Toimisto de demain, je me questionne sur les intentions du jeune homme et surtout sa position au sein de notre pays.
Si certaines factions sont facilement reconnaissable grâce à leurs postes ou leurs tenues officielles, il arrive que cela ne soit pas le cas et il serait imprudent de s’aventurer sur une piste tant les physiques, les caractères et les dons peuvent être trompeur. Comme pour Taner son éternelle jeunesse et sa fourberie qui dissimulent le pouvoir de disparaître aux yeux des autres et de récolter les informations dont il a besoin. Ou bien encore Roxanne que certains jugent inoffensive alors qu’elle peut tout de même modifier les souvenirs. Tant de facultés se cachent entre nous que parfois, même moi, j’en oublie certaines.
Je place la couette épaisse sur le lit puis un oreiller, éteint la bougie qui parfume l’air d’une odeur florale avant de refermer la fenêtre et de quitter la chambre. Avec le Toimisto, ma meilleure amie reviens plus tôt que prévu afin d’officier lors de la cérémonie et m’a demandé de l’héberger ce que j’ai accepté. Lyne devrait aussi nous rejoindre demain afin que nous allions ensemble dire un dernier au revoir à la Connaisseuse . J’espère que grâce à leurs présences, je parviendrai a retrouver une sérénité dans ma vie.
Je m’installe dans mon canapé en songeant à ce qu’il me reste à faire avant l’arrivée de ma meilleure amie, toutefois, à force de puiser dans mes réserves d’énergies, mes paupières peines à rester ouverte et mon corps se détends lentement. Si doucement, que c’est sans m’en rendre compte que je rejoins le sommeil réparateur dont mon corps a besoin.
L’herbe chatouille mes pieds alors que l’odeur de la pluie fraîchement tombée m’entoure. Je ne vois toujours rien et me sens protégée dans cet univers onirique créer par mon esprit. Toutefois, une autre respiration résonne à mes oreille, avant qu’un souffle chaud ne caresse ma nuque.
— Tu es plus difficile à trouver que la Mara.1
Un frisson parcourt mon échine alors que je déglutis avec difficulté. Ma voix semble s’être également fait la malle pour mon plus grand malheur.
— Tenterais-tu de m’éviter ?
Ses doigts effleurent la peau de mon épaule alors que je m’écarte d’un pas.
— Tu as peur de moi… C’est nouveau...
— Tu sais qui je suis, n’est-ce pas ? demandé-je finalement.
— Oui.
— Comment as-tu su ?
— Ta fuite, le fait que je ne te vois plus dans mes rêves… Des petits détails mis au bout des uns des autres qui m’ont fait réalisés la vérité…
Entre les arbres qui nous entourent, quelques rayons de soleil s’infiltrent et nous révèlent l’un à l’autre. Ses yeux azurs pénètrent mon âme tandis que mon souffle se bloque dans ma trachée. Il porte un costume sombre agrémenté d’une chemise orange ouverte à la limite de ses pectoraux. Mes doigts glissent sur ma robe noire à la dentelle orange et je réalise qu’ici, nos rêves ne nous permettent pas de maintenir le secret de nos factions.
— Tu es un Vaporeux, remarqué-je.
— Tout comme toi, apparemment.
Je lui tourne le dos, glisse une main sur mon visage en espérant que ce soit la seule chose qu’il puisse découvrir sur moi. Je le sens s’approcher, son torse se colle contre mon dos, ses mains caressent mes bras entraînant une réaction épidermique et incontrôlable de tout mon être. Une sensation identique à celle de nos précédents moments volés, où je ne désirai qu’une chose : que cela ne s’arrête jamais. Même en le découvrant, je ne veux pas perdre ce que nous partagions.
— Pourquoi n’avoir rien dit chez mon frère ?
— Je ne l’ai pas compris tout de suite, commencé-je. Après, j’ai paniqué.
— Tu n’es donc pas une Empathe…
— Non.
— Tu sais que mentir sur sa faculté pourrait avoir des conséquences ?
— Mais tu n’en fera rien, dis-je en me tournant.
Cette fois, la lumière de la clairière me permet de l’affronter entièrement. Je me redresse, plante mon regard dans le sien, approche ma main de son visage que je caresse lentement puis me penche pour murmurer à son oreille :
— Tu ne fera rien car je sais que cette sensation, que nos peaux qui entrent en contact, te rend aussi fou que moi.
Son parfum épicé chatouille mon nez et je ne me retient pas d’embrasser délicatement la peau de son cou qui frémit.
— Je préfère la Oryne des rêves, elle est plus audacieuse…
— C’est vrai et elle est aussi plus taquine…
La main jusqu’à présent posée sur sa joue glisse lentement sur son épaule musclée pour finir sa course sur son torse alors que je laisse un sourire mutin gagner mon visage.
— Adieu Lyvon.
Mes yeux s’ouvrent sur la pénombre de la maisonnée alors que je prends une grande inspiration d’air. La main posée sur la bouche, je réalise mon impertinence alors que mon cœur bat comme un dératé dans ma cage thoracique. Je cache mon visage brûlant entre mes mains et cherche désespérément une touche de fraîcheur. Lyvon possède une étrange influence sur moi, un effet que je dois fuir, autant pour ma protection que pour la sienne. Cette pensée me déchire, pourtant, je sais que c’est la seule solution.
**
Savoir qu’il y aura du monde pour faire ses adieux à Aurora réchauffe mon cœur et le meurtri en même temps. J’aurais préféré que ce soit pour un évènement plus chanceux, comme beaucoup, je suppose. J’offre un sourire contrit à ma sœur avant qu’elle ne vienne m’enlacer et m’emporter dans une bulle de bonheur grâce à son parfum floral.
— Elle va retrouver son époux et veiller sur nous. Elle sera heureuse, Oryne.
— Je sais, avoué-je en essuyant le coin de mes yeux.
— Vous savez que cela fait quatre mois pile que nous avons fêté le dernier Toimisto ? demande Roxanne.
— Vous pensez que Varya sera là ? renchéris-je.
— C’est son rôle de Pääs de montrer qu’elle soutient son homologue dans ce moment, explique Roxanne.
— Je ne peux qu’imaginer ce qu’elle endure, commente Lyne.
Notre seconde Pääs a tragiquement perdu son fiancé, Yahren.
— Vous en savez plus à ce propos ?
— Non, Onan ne cesse de faire des allers-retours entre notre monde, et celui des humains en vain.
Le prénom de l’intendant de Varya me donne un frisson. Autant Taner peut-être doux que lui, cruel. Ses yeux teintés d’une lueur rougeâtre en sont une preuve.
— Ludwig fournit des herbes à Varya pour surmonter le chagrin, reprend-elle. Tu imagines ? Perdre l’homme auquel tu es destinée ?
Non, je ne peux pas le concevoir. Tout simplement, car j’ignore ce que trouver notre véritable moitié fait. Je ne le peux pas et ne le pourrais peut-être jamais d’ailleurs. L’ambiance de la maisonnée change pour devenir lourde alors que nous soupirons en même temps.
— Nous devrions y aller, suggère Roxanne. Je n’ai pas envie de faire la queue durant des heures et je dois y être parmi les premières pour officier.
— Victor nous envoie Täner pour prendre le välittää prioritaire, dis-je. Il m’a avertie ce matin.
— Et après, il ne se passe rien entre vous, hein ? taquine mon aînée.
Immédiatement mes pensées se tournent vers l’un des fils d’Aurora, même si ce n’est pas celui dont elle parle. Je n’ai pas rêvé de lui hier soir, profitant ainsi d’un vrai sommeil réparateur, bien que mon égo en soi un peu blessé.
— Non, affirmé-je. C’est un très bon ami.
— Pour l’instant, susurre Roxanne.
Je lève les yeux au ciel et préfère ignorer cette conversation tout en enfilant ma veste sombre et mes bottes.
— Allons-y avant d’être en retard, lâché-je sous leurs sourires moqueurs.
Comme prévu, Täner nous attend devant le välittää de Kehto et officie grâce à un Endormeur de la Capitale et, plus précisément, celui de Victor. Le voyage dure une dizaine de minutes et nous mène sans détour au palais. Nous epoustons nos vêtements et nous dirigeons de la même manière que le reste de la foule vers la grande salle où a lieu le Toimisto, habituellement utilisée pour les galas de charités ou les repas festifs. Roxanne nous abandonne à l’entrée pour rejoindre les Défenseurs dans la salle adjacente.
Beaucoup de personnes sont venues lui rendre hommage et la chaleur qui règne dans la pièce me fait m’arrêter sur le seuil. Les murs dans les nuances crèmes apportent une certaine paix d’esprit. Des drapés couleur pêche et blanc de lin survolent le plafond, des tons rappelant la bonté et la joie, teintes parfaites pour Aurora, elle qui a toujours fait preuve de bienveillance envers les autres, malgré son caractère parfois autoritaire.
— Ça va aller ? demande Lyne.
— Oui, souris-je.
À la différence des humains, nous ne pleurons pas nos morts, mais fêtons la vie qu’ils ont vécu, la chance d’avoir croisé un jour leur route et les remercier de leur présence ainsi que le temps qu’ils nous ont accordé. Nous l’encourageons à rejoindre le Kuolleiden, où leurs proches déjà partis les attendent afin qu’ils puissent encore nous bercer de leurs bienveillances.
Je déglutis, serre davantage la main de ma sœur et avance parmi la foule. Certains visages me sont familiers, Taner a rejoint ses parents, mon oncle Ludwig parle avec des employés de maison, certainement pour mettre au point les derniers détails.
Des musiciens jouent des airs poétiques et enjoués. Aucune larme ne se fait voir, tous affichent de la joie en pensant à la Connaisseuse. Mon cœur se pince de savoir que je ne pourrais plus revoir son visage ni entendre sa voix et ses paroles encourageantes. Je croise le regard de Victor, discutant avec un homme de dos, et il m’adresse un signe de tête accompagné d’un sourire chaleureux. Son interlocuteur se tourne et je suis à moitié surprise de découvrir qu’il s’agit de son frère.
Vêtu d’un costume d’une nuance cuivre et d’une chemise noire, qui relèvent si possible l’intensité de son regard, il a osé jouer sur les tons pour afficher discrètement sa faction, tout comme moi. Un sourire espiègle se place sur ses lèvres avant qu’il ne baisse galamment la tête. Je me permets une légère génuflexion, ce qui augmente son amusement.
— Qui est-ce ? demande Lyne.
— Lyvon, le frère aîné de Victor… et également l’homme qui hante mes rêves…
— Paska !
Certains regards se posent sur nous alors que je fais les gros yeux à ma sœur tout en nous mettant à l’écart :
— Moins fort !
— Désolée, chuchote-t-elle. En même temps, c’est ta faute, tu me sors ça comme ça !
— Tu aurais senti que je ne te disais pas tout, signalé-je.
— Pas faux. Alors, c’est donc lui… Il a un certain charme…
Je fais la moue et surtout pince mes joues pour ne rien dire.
— Oryne ? insiste-t-elle.
— Que veux-tu entendre ? Oui, il n’est pas mal dans son genre.
— Hin, hin, dit-elle en remuant la tête, toi tu craques complètement.
L’idée la réjouit tandis que je hausse simplement les épaules. N’ayant jamais réellement éprouvé le sentiment de l’amour, je ne saurais dire à quoi il ressemble exactement. Il y a eu Ansel, mon premier petit-ami, mais ce que je ressentais pour lui était différent de mes émotions d’aujourd’hui.
Avec Lyvon, une certaine insouciance m’envahit, l’envie de m’amuser m’anime également, tout comme le désir brûle ma chair. Est-ce réellement cela, l’amour ? Je n’ai une vision qu’étriquée de cette sensation, mes parents ayant sans doute franchi ce cap depuis longtemps et Lyne ne me parlant que peu de ses expériences avec Ralphi, vu que je ne le supporte pas.
Je soupire alors que ma sœur m’entraîne vers notre oncle Ludwig accompagné de Roxanne et Adriel.
Si le jeune Gardien faisait un peu plus attention à ma meilleure amie, il verrait que son regard ne fixe que lui, les joues teintées de rose, n’attendant qu’un geste de sa part. J’enlace ma meilleure amie et espère grâce à ce geste à chasser le supplice qui flotte dans son être. Elle m’observe avec un sourire reconnaissant et je lui renvoie le mien bienveillant.
Dans une posture droite, les mains croisées devant son ventre, Ludwig toise tous les invités. Ses yeux de jade perçant semble mémoriser chaque visage, chaque expression ou intonation de voix. Il est concentré, son profil est sévère, sa barbe grisonnante tressaute à chaque fois qu’un rire ou un haussement de ton se fait entendre.
— Je suis heureux de vous voir mes nièces, dit-il sans, toutefois, détacher son regard de la foule.
— Nous aussi, déclarons-nous.
— Avez-vous vu nos parents avant de venir ? demandé-je.
— Non, je n’ai pas eu le temps, mais ils ont tout de même envoyé un présent pour accompagner Aurora, explique-t-il.
Une pensée tendre se dirige vers eux. J’imagine qu’à travers ce geste, ils l’ont remercié d’avoir pris soin de moi et surtout l’encouragent à veiller sur sa famille avec son époux. Je reconnais bien là mes parents.
— Oryne, puis-je te parler en privé ?
J’accepte d’un signe de tête alors que nous éloignons de nos proches et de la foule pour rejoindre un balcon donnant sur l’extérieur. Le temps habituellement pluvieux a laissé sa place au soleil, comme s’il savait que cette journée avait besoin d’une touche colorée afin d’alléger les cœurs, plutôt que de les abandonner à la morosité.
— Un homme fait des recherches sur toi, m’informe mon oncle une fois seul.
— L’as-tu vu dans cette salle ?
— Il ne s’est pas directement adressé à moi, c’est un de mes Protecteurs qui me l’a dit.
— Sais-tu à quoi il ressemble ?
— Je sais seulement que c’est un homme discret et qu’il cherchait ton adresse. Pas d’identité, pas de description.
Je passe une main sur mon front, une pointe désagréable apparaît dans mon ventre et me tord l’estomac.
— Tu sais que ton dossier est protégé, il n’a rien pu apprendre, nous veillons sur toi.
— Merci mon oncle.
Il m’embrasse sur le haut de la tête, comme lorsque j’étais enfant et me laisse seule avec mes pensées en ébullition. Comme ci je n’avais pas assez de problèmes à gérer en ce moment. J’espère que c’était une simple recherche et que cette histoire prendra fin ici. Dans tous les cas, je sais que je peux avoir confiance en mon oncle qui me protège depuis toujours.
— C’est donc ici que tu te caches ?
Je sursaute en entendant sa voix, mon corps se met à trembler. Je reste dos à lui alors que le froissement de ses vêtements m’indique qu’il se rapproche. Son souffle m’effleure à peine que mon être réagi immédiatement. Les battements de mon cœur s’accélèrent. Je déglutis, n’ayant pas la force de bouger.
— Voilà de nouveau la Oryne discrète…
Ses doigts frôlent mon épaule dénudée et font apparaître un long frisson le long de ma colonne vertébrale.
— Aussi douce que dans nos rêves…
— S’il te plaît Lyvon, arrête.
— Pourquoi ? Mon apparence n’est pas aussi bien que tu te l’étais imaginé ?
— Ça n’a rien à voir, dis-je en me tournant.
Son regard cherche le mien, toutefois, je ne le laisse pas m’avoir. Ma poitrine se soulève rapidement, notre proximité me donne chaud, je vais terminer en cendres si je ne m’échappe pas.
— Alors, explique-moi…
Sa voix suppliante touche mon cœur et je ne parviens pas à maintenir ma détermination à flot. Elle coule comme mon envie de fuir.
— Je ne peux simplement pas, dis-je.
— Tu me mens, je le sens. Ton être entier me supplie de continuer.
— Mais ma raison fera barrage…
Il s’approche, son souffle chaud caresse mon oreille alors qu’il murmure :
— En es-tu certaine ?
Ses lèvres se posent délicatement sur la peau de mon cou, mon cœur rate un battement, l’impression que tous mes organes se retournent dans mon être me saisit. Ses yeux azur parviennent finalement à s’ancrer aux miens et, une fraction de seconde plus tard, mes lèvres s’emparent des siennes afin de soulager l’envie fiévreuse qui afflue dans mon être.
La sensation est encore plus brûlante que dans nos rêves. Lyvon glisse ses mains dans mon dos pour me coller à lui et augmente l’intensité de cet échange. Je ressens son envie, son désir, sa joie, sa satisfaction, toutes ses émotions me traversent pour s’ajouter aux miennes déjà vives. Un mélange addictif, enivrant. Puis, je sens certaines d’entre elles s’effacer et revenir telles des vagues dans un océan agité.
Je me détache à contrecœur et ouvre les yeux, hébétée :
— Tu es un Absorbeur ?
— Tout comme toi, bien que tu sembles refréner cela… C’est assez déstabilisant d’ailleurs, s’amuse-t-il.
Je m’écarte d’un pas et réalise que je suis plus dans le pétrin que ce que j’avais imaginé.
— Oryne ?
Lyvon sursaute en entendant la voix de ma sœur, tandis que le soulagement se glisse dans mon être.
— Nous ne pouvons pas continuer Lyvon. Je suis désolée, mais cette fois, c’est un véritable adieu.
— Attends, je ne comprends pas…
Je ne l’écoute pas et cours rejoindre ma sœur en maîtrisant mes émotions du mieux possible :
— J’ai besoin d’aller aux toilettes.
— Tu es blanche comme un linge, viens.
Je m’appuie sur son bras et nous nous dirigeons jusqu’aux sanitaires où je me jette sur un robinet pour passer de l’eau sur mon visage. Roxanne entre et demande :
— Que se passe-t-il ?
— Elle est dans tous ces états, réponds Lyne. Je perçois du désir, de la peur, des regrets, enfin c’est le bazar dans son être…
— Oryne, parle-nous…
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