— Je t’écoute.
J’expire profondément et me lance :
— Comment va-t-elle ?
Ses yeux céruléen plonge dans les miens et la tristesse les chargent soudainement.
— Tu veux la voir ?
Mon cœur se serre alors que ma gorge se noue et que je secoue la tête dans une réponse négative.
— Tu sais qu’elle aimerait te voir pourtant…
— Je ne peux pas.
Pour dire la vérité, c’est la première fois que je suis confrontée à la maladie. Tout mes proches sont décédés de vieillesse, jamais je ne les ai vus affaiblit ou différents de comment je les avais connus.
— Elle est très faible. Je doute qu’elle voie talvi, m’avoue-t-il.
Je me lève et vais enlacer mon ami dont le parfum boisé chatouille mes narines. Le temps se fait bien plus court que ce que j’imaginais. Talvi, la période de neige, émerge lentement dans la région et bien que ce soit une saison rapide ici, je ne réalise pas. Ses mains délicates se posent dans mon dos alors qu’il me murmure :
— Viens la voir, je t’en prie…
Sa détresse me frappe et, bien qu’elle soit diminuée grâce à mon bracelet, je devine à quel point ce geste compte pour lui.
— D’accord.
Il se détache, attrape mon poignet et m’entraîne avec lui dans les étages de la demeure. Je reconnais la porte de sa chambre, la première en haut des escaliers. Nous tournons dans le couloir, le longeons un peu pour arrivée sur la dernière pièce. La porte est entre-ouverte et nous entrons.
Le parfum de la vanille, de la cannelle et d’autres épices sont les premières odeurs qui me frappe. Roxanne m’a parlé des bienfaits des plantes sur nos corps et j’imagine que des Défenseurs viennent souvent ici afin de soulager Aurora.
La vanille agit sur le système nerveux, le point central des dons de la soixantenaire. La cannelle, elle, augmente le système immunitaire. Les autres plantes sont trop éparses pour que je les devine toutes.
À pas feutrés, j’avance dans cette pièce que j’ai l’impression de profaner par ma présence. Il n’y a pas de fioriture, la chambre est simple, douce grâce à sa couleur rose dragée, au caractère de la femme qui y passait ses nuits et ses jours à présent. Seule la grande bibliothèque marque un autre trait de sa personnalité.
Aurora par ses dons de Connaisseuse s’abreuvait de lectures, de savoirs à n’en plus finir. Elle se passionnait pour tous types de sujets, même ceux des humains qu’elle trouvait fascinants. Notre rencontre a été une révélation à mes yeux. Comme une seconde mère, elle m’a appris les codes de ce monde, afin que je l’affronte de mon mieux. Jamais elle n’a dit du mal de mes parents et du fait qu’ils m’ont gardé près d’eux, au contraire, elle m’a confié un jour vouer une grande admiration envers ma mère et son instinct maternel si protecteur.
Je crois que c’est à cet instant-là qu’Aurora a su se faire une place dans mon cœur. Pour la première fois, quelqu’un reconnaissait ma mère à sa juste valeur alors que d’autres l’ont jugé sans la connaître.
Mon cœur se serre à l’instant où mon regard se pose sur l’immense lit qu’elle occupe. La couleur est identique à celle des murs, digne de sa faction de Pédagogue. Sa silhouette me paraît tellement plus petite, chétive que dans mes souvenirs, que les larmes me montent aux yeux, ma gorge s’assèche et que mes lèvres tremblent.
— Oryne, chuchote-t-elle.
Sa voix est un coup de poignard. Elle n’a plus rien de celle claire et enjouée d’autrefois. Victor m’invite à le rejoindre à ses côtés, toutefois, le choc de la voir et l’entendre si affaibli m’enracine sur place. Même à travers mon bracelet, je ressens sa souffrance, sa peine, je perçois le sifflement de son souffle rauque entre ses lèvres. À l’intérieur de mon être, mon cœur se brise.
Je ne peux rester plus longtemps. Je croise le regard gris d’Aurora alors que sa bouche m’offre un sourire de compassion.
— Pardonne-moi, murmuré-je.
J’étouffe. Les larmes brouillent ma vue. La main posée sur le cœur, je recule et m’enfuis de la pièce. J’aimerais avoir la force de demeurer à ses côtés, entendre son rire cristallin, l’écouter me parler d’astres ou de n’importe quel sujet qui illuminerait son regard, mais, je ne sais pas mentir. Lorsque mes yeux se poseraient sur elle, Aurora saisirait la moindre de mes pensées, et je ne souhaite en rien la blesser où même ruiner les espoirs que tout le monde lui apporte au quotidien.
Les doigts de Victor enlacent mon poignet avant de me faire pivoter et heurter son torse sentant le cèdre.
— Je suis désolée ...
— Elle ne t’en veut pas et moi non plus.
Ses mains glissent dans mon dos et me collent plus fermement à lui.
— Elle t’aime comme sa fille et malgré tout ce que tu affirmes, tu ne fuis pas tes émotions… Tu leur fais sans arrêt face, Oryne. Ma mère l’a vue et je le vois à présent.
Il dépose un baiser sur le haut de mon crâne alors que les battements de son cœur m’apaisent.
— Quelqu’un qui ne ressent rien ne se serait pas enfui devant la douleur…
— C’est sa douleur que je fuyais…
— En es-tu certaine ?
**
Les mots de Victor tournent dans ma tête et m’angoissent. « Faire face à mes émotions », qu’a-t-il voulu dire par là ? En réalité c’est une tâche complexe quand j’ignore ce qu’elles représentent.
Lorsque je laisse mon pouvoir agir, elles filtrent à travers mon être, je les effleure du bout des sens, mais au fond, l’impossibilité de toutes les éprouver librement avec autrui m’empêche de trouver ce que je ressens, de les identifier clairement et de savoir ce dont j’ai envie.
Quand le bracelet n’orne pas mon poignet, au moment où j’ai l’occasion d’être moi-même, je ne suis qu’une coquille vide, car il n’y a personne pour me confronter, m’aider, parler.
Enfin cette situation de me sentir creuse n’arrive que si mes sentiments ne sont pas chaotique. Dans ces instants-là, tout se mélange pour me faire devenir une cocotte-minute prête à exploser. Sans le bijou, mes aptitudes sont augmentées et me rendent dangereuse pour autrui. Personne, pas même ma sœur n’est capable de faire face au torrent qui s’écoule de mon être.
La solitude s’est donc imposée à moi, forcée de vivre seule afin de protéger mes proches. Toutefois, je n’ai pas à me plaindre, je peux tout de même vivre à peu près correctement grâce au bracelet. Il limite mon absorption et surtout maintient mon second secret. Sans lui, je serai vouée à l’exil.
D’un geste délicat, je le caresse, alors que les voix de ma sœur et notre meilleure amie brisent le silence bienfaisant de la forêt qui me préserve. Je ne leur laisse pas le temps de frapper contre la porte que je l’ouvre pour les enlacer toutes les deux, la joie de les retrouver, supplantant la pointe d’inquiétude qui essayait de se loger en moi.
— Qu’est-ce que ça sent bon ! remarque Roxanne.
— J’ai préparé tout un tas de biscuit.
— On dirait notre mère, charrie Lyne.
Je ne vais pas nier, l’une des passions de notre mère est la pâtisserie, reconnue d’ailleurs comme la meilleure de notre village natal.
— Teetä ? proposé-je.
Elles retirent leurs manteaux et chaussures humides tandis que je me dirige dans la cuisine pour faire chauffer de l’eau.
— Avec plaisir ! C’est un temps de Koira ! se plaint Roxanne.
— Tu as voyagé depuis Suojaa ? questionné-je.
Suojja est une ville aussi grosse que Kehto et sert de lieu de vie aux Défenseurs. Quelques kilomètres les séparent de la porte Taika qui marque la séparation de notre monde avec celle des humains.
— Pas exactement, je suis montée à Arvot hier, voir mes parents.
— Comment vont-ils ? demande ma sœur.
— Très bien, tu sais ils vivent loin des problèmes, ricane-t-elle.
Aussitôt, je relève la tête interloquée. Les Défenseurs seraient-ils au courant de ce qu’il se passe dans le pays ? Après tout, leur rôle est de nous protéger, il n’y aurait rien d’étonnant.
— Des problèmes ? interrogé-je, en faisant mine de ne rien savoir.
— Oh, tu sais, la routine… Des Sydäniens qui reviennent du monde des humains complètement ivre ou ceux qui tentent de ramener des filles… si vous saviez tout ce que nous voyons…
— Tu vas avoir tout le wiikonpu pour nous en parler, se réjouit Lyne.
— J’ai surtout hâte que Ludwig me place dans une section…
Notre oncle connaît bien Roxanne, pourtant, il hésite sur la faction qu’elle va rejoindre. J’ignore pourquoi, son don de Mnémo est très utilise à la porte Taika. Mais peut-être que comme pour Lyne et moi, sa faculté développée pourrait la conduire vers un autre poste.
Les filles continuent leurs discussions alors qu’une pointe de soulagement m’envahit. Roxie ne sait rien et j’avoue que cela me rassure. Je n’aimerais pas la savoir en danger, même si c’est dans cette voie qu’elle évolue avec les Défenseurs.
— Et sinon comment se porte Ralphi ?
Je lève les yeux au ciel. J’aurais aimé que le sujet soit évité et surtout ne pas revenir vers elles à cet instant, mais le destin semble en avoir décidé autrement.
— Je le trouve étrange… D’habitude, il m’envoie toujours un message pour être sûr que je suis bien arrivée, mais depuis quelque temps, il prend de la distance…
L’envie de lancer une pique pointe à mes lèvres, toutefois, en apercevant les yeux chargés d’inquiétude de ma sœur, je la ravale immédiatement.
— Il ne devait pas voir des amis ? tenté-je.
— Si, mais…
Je m’assieds à ses côtés et penche la tête en lui offrant un sourire rassurant :
— Il a oublié, c’est tout. Je suis certaine que tu te tourmentes pour rien.
— C’est vrai, Oryne a raison, renchérit Roxie. Maintenant, levons nos teetäs à un wiikonpu de folie !
Nos tasses s’entrechoquent alors que mes lèvres s’étirent timidement. J’espère de tout cœur que ce week-end se passera bien, que durant ses deux jours nous parviendrons à nous couper du monde et nous retrouver comme autrefois. Cependant, si j’observe bien les deux jeunes femmes, je sens que ce ne sera pas si simple.
Roxanne triture la bague qui orne son petit doigt, signe qu’une angoisse sous-jacente la hante. Ses yeux errent dans le vague et je devine aisément vers qui ses pensées se tournent : le bel Adriel pour qui elle voue un amour secret depuis ses vingt ans, alors qu’il l’a simplement bousculé lors d’une de nos sorties entre filles et que ses yeux verts ont capturés son cœur.
Lyne, quant à elle, tente d’afficher un air serein, un sourire étire ses lèvres et dévoile ses dents blanches, mais je sais qu’il ne représente qu’un mensonge. Pour ma sœur, ses yeux la trahissent bien trop souvent. En eux brillent l’inquiétude, la souffrance et l’espoir. Je visualise parfaitement le responsable de son trouble et l’envie de le trouver pour lui demander des comptes grandit en moi.
Depuis que je suis petite, j’ai développé cette capacité de lire les émotions, n’ayant eu que très peu le droit de fréquenter autrui et surtout d’utiliser mon pouvoir. Il filtre à faible dose constamment, c’est vrai, toutefois, apprendre à décrypter les visages, les mimiques et reconnaître l’intensité d’un sentiment m’aide au quotidien afin de contrer ceux qui cherchent à me tester.
— Oryne ?
Je sursaute en entendant mon prénom et plonge dans le regard noisette de ma meilleure amie :
— Désolée, tu disais ?
— Vous voudrez faire un saut dans le monde des humains ?
Je grimace et lance :
— Vous pouvez y aller vous deux.
— Oh non ! râle Lyne. On passe les deux jours ensemble.
— Vous n’allez pas vous priver pour moi !
— C’était simplement une proposition, sourit Roxanne. On verra durant le wiikonpu.
Le reste de la soirée se déroule tranquillement, entre rire, souvenirs et korttipeli, un jeu de cartes qui a mis Lyne de mauvaise humeur vu qu’elle n’a pas pu gagner une seule partie.
Avant d’aller me coucher, je ranime le feu dans la cheminée. Je ferme la fenêtre de ma chambre, laisse le volet ouvert pour observer les ombres de la nuit danser sur les murs de la pièce et m’allonge dans mon lit, épuisée. J’ai à peine le temps de songer au programme de demain, que Nukkua m’attire dans mes rêves.
Son odeur me touche avant ses mains. Doucement, mon corps bascule en arrière pour trouver le sien, ma nuque se niche prêt de son cœur que j’entends battre à vive allure, alors qu’il inspire profondément le parfum de mes cheveux.
— J’aime ton parfum, c’est une fleur ?
Sa voix rauque hérisse mes poils, alors que je réponds :
— Du lilas…
— Tu viens du Nord ? Du territoire de Pesä ?
Comme toujours, je ne peux ni réagir ni répondre à ses questions concernant mon identité.
— Ce n’est pas grave, je finirai bien par te trouver…
— Et si c’est moi qui te trouve ?
— Ça me va également.
Son souffle court sur ma nuque me faisant prendre une grande inspiration alors que je frémis. Dans l’obscurité, tous mes sens sont à l’affût et surtout tout mon être réagi de manière involontaire et extrême.
J’aime ce qu’il me fait éprouver depuis des semaines, ce que je ressens et même si à l’instant où je me réveillerai, ce ne sera qu’un souvenir, je veux me perdre à l’intérieur de lui pour ne plus jamais me sentir seule.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2836 histoires publiées 1285 membres inscrits Notre membre le plus récent est Fred37 |