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tome 1, Chapitre 1 « La lettre » tome 1, Chapitre 1

La lettre que je tiens entre mes doigts m’arrache un frisson, les mots manuscrits s’ancrent dans mon esprit à mesure que mes yeux les lisent et relisent, laissant dans leurs sillages un goût amer. Un soupir m’échappe tandis que je me laisse tomber sur le vieux canapé en cuir et que j’attrape ma tête entre mes mains.

Moi qui pensais qu’il m’avait oubliée, que tout s’arrêtait enfin et me permettais de vivre paisiblement dans ma forêt, je me leurrai bien. Six mois sans nouvelle et je n’aurais pas refusé encore quelques mois de sérénité. Rien n’est fini et ne se finira jamais. Pas tant que je vivrai, tout du moins.

Je jette le courrier dans les flammes de la cheminée comprenant qu’il ne doit pas sombrer entre d’autres mains que les miennes et rejoins la cuisine pour me servir un teetä à la camomille dans l’espoir d’apaiser l’angoisse qui erre dans mon corps. Je déteste ma situation. Les yeux rivés sur le jardin, l’averse illustre avec beauté l’émotion qui enlace mon cœur.

Syksy, la saison des pluies est installée depuis quelques semaines dans la région de Hyvä. Les feuilles orangées et jaunes chutent des arbres pour s’amasser à leurs troncs, les averses se succèdent et la nuit tombe plus tôt à mon plus grand bonheur. La météo me permet de rester enfermée dans cette petite demeure, héritée de ma famille, et de savourer de ma solitude en toute plénitude.

D’après l’Histoire de Sydän, le Centre, Hyvä, fut accordé à Kahden et Valillä, un couple qui appréciait admirer la vie des plantes et des animaux. Ainsi, les deux Natures – une faculté à présent disparue –, ont laissé des dizaines de forêts naturelles, comme celle d’Aïti où se trouve ma maison pour en profiter au gré de leurs voyages.

Les villes et la Capitale ont été créées sur des zones vertes, toujours en respectant la nature et le climat. Ils n’ont utilisé que les matériaux disponibles sur place, c’est à dire, une pierre jaune éblouissante au soleil, ainsi que du lasi, un verre singulier qui laisse filtrer la lumière uniquement.

J’admire ces deux êtres qui ont su préserver ces lieux et permettre ainsi à des générations futures de vivre en paix avec la nature et surtout en les protégeant du reste du monde. Ou préservant le monde d’eux, tout dépend du point de vue.

Sydän n’est pas un vaste pays, toutefois, il fournit assez de ressources pour sa population. Dissimulés aux yeux des humains derrière une barrière de saule pleureur, les Défenseurs se chargent de notre sécurité.

Parfois, quelques enfants humains se perdent sur notre territoire, mais très vite, ils retrouvent leurs parents avec l’idée que ce qu’ils ont vu n’était qu’un rêve, grâce aux dons des Mnémos. Tout est très bien structuré, en fonction de nos capacités.

Deux Pääs dirigent le pays. Je ne me mêle que très peu des affaires politiques, mais, si je devais émettre un avis, je dirais que Victor et Varya, malgré leur jeune âge, se débrouillent plutôt bien. Ils ont à peine trois ans de plus que moi, soit trente ans, et, si les Anciens les ont jugés compétents pour cette tâche, personne n’oserait dire le contraire.

Pourtant, de temps à autre, certains tentent de planter une graine de discorde dans tout ce fonctionnement, sans qu’ils aient réussi à en tirer profit. Je sais de quoi je parle.

Avec une grande expiration, je rejoins le canapé, m’y installe confortablement et établis la liste des préparatifs avant mon départ du lendemain. Je vais devoir nourrir les siili, petits animaux au long museau qui possèdent des piquants sur leurs dos luisant dans la nuit, ainsi que les oiseaux et les oravia, des écureuils très mignons malgré leurs gros yeux jaunes.

Je glisse une main sur mon visage et inspire profondément. À cause de cette lettre, tout mon programme est remis en question et cela ne m’enchante pas. J’aime établir mon planning à l’avance et ne laisser que peu de place au hasard. Seulement, avec mon emploi, le cas de devoir tout chambouler se présente souvent à moi. Je sais que je ne dois pas me plaindre, ma situation pourrait être pire. Bien pire, en réalité.

L’arrangement proposé par Victor ne pouvait pas se refuser. Mes parents avaient fait de leur mieux pour me protéger, néanmoins échapper à son destin reste difficile. Ils avaient tant sacrifié tous les deux, surtout mon père ne suivant pas la voie de notre famille. Toutefois, jamais il n’a regretté son geste. Par amour pour moi et ma mère. Car c’est du côté maternel que j’ai principalement hérité mon don.

Parfois, je rejoue la scène de ma rencontre avec Victor, celle où je décline poliment d’entrer en contact avec lui et de voir ma vie tout autre que ce qu’elle est. Une simple poignée de main et nous voilà, aujourd’hui, dans cette situation que, quelque part, je regrette. Foutu Exauceur !

Le Pääs n’est cependant pas un être mauvais, c’est même devenu l’un de mes plus proches amis, mais la tâche qu’il me demande d’endurer reste dure à vivre quotidiennement. Mentalement, mais aussi physiquement. Sans parler des autres. 

Je secoue la tête pour chasser les pensées qui s’apprêtent à envahir mon esprit, termine ma tasse de thé et la dépose sur la table basse avant de glisser une main sur mon visage faisant tinter mes deux bracelets sur mon poignet droit. J’observe l’un d’eux profondément et maudit sa présence tout en m’en réconfortant. Dissonance émotive habituelle dans mon cas.

D’un pas traînant, je rejoins ma chambre et me change, ne pouvant pas aller au magasin en pyjama, bien que ce ne soit pas l’envie qui m’en manque. Mon frigidaire doit être plein avant de recevoir ma sœur et ma meilleure amie pour le viikonpu. Depuis le temps que nous attendons de nous réunir, il serait dommage de voir cet instant gâché.

J’attrape la liste rédigée hier pour la glisser dans mon sac et quitte la demeure en remontant ma capuche sur le haut de mon crâne. Cinq minutes de marche en pleine forêt me séparent de la ville de Kehto, où ma sœur, Lyne, travaille et où se situe un modeste magasin dans lequel je fais mes principaux achats.

En repensant à mon aînée, le regret tente de se frayer un chemin jusqu’à mon cœur, toutefois s’envole en fumée avant de l’atteindre. J’aurais aimé être comme elle, une Psy œuvrant pour le bien de notre communauté. De rejoindre la faction des Pédagogues, d’agir pour les autres. Lyne aide les plus jeunes à gérer leurs aptitudes, leurs émotions, étant elle-même extrêmement liée à celle-ci.

À la différence de notre mère qui est une Empathe et peut simplement interpréter les sentiments, Lyne a la capacité de les moduler ou encore de les affecter grâce à sa positivité.

J’admire ce qu’elle réalise au quotidien avec les petits Sydäniens pour leur permettre de se trouver et d’évoluer avec sang-froid. Toutefois, je reste consciente que, malgré tous les bons côtés, rien ne nous empêche de basculer. Chaque don peut également devenir une malédiction. Ma sœur doit prévenir les enfants de ce risque et leur apprendre à ne pas franchir la limite.

— Bonjour Oryne.

— Bonjour Mil, salué-je en entrant.

J’arpente les rayons munis de ma liste, remplis mon panier en me laissant porter par la douce odeur de menthe caractéristique des lieux. Mil est le gérant, il est dans la faction des Pédagogues comme Lyne.

Ce groupe est celui qui comporte le plus grand nombre membre, bien que depuis quelques années, certaines facultés se meurent… Comme la mienne.

Je m’approche de la table derrière laquelle se trouve Sydia et dépose mes achats dessus. La jeune demoiselle lève son index et passe au-dessus de chaque article en marmonnant :

— Deux, sept, dix, treize, moins cinq pour cent sur le poulet, ça fera un total de onze raha, s’il te plaît.

— Voilà pour toi, quand tu auras des munat, pourras-tu m’en mettre douze de côté ?

— Oui, Oryne, je le note.

— Kiitos, Sydia.

Je glisse mes achats dans un carton et regagne ma demeure, la pluie ayant cessé de tomber. Sydia est une Compteuse et j’admire la vitesse impressionnante avec laquelle elle est capable d’effectuer des calculs, tout comme son habileté à retenir chacun des prix du magasin.

Lorsque j’arrive à la maison, la nuit s’est installée, je dépose ma boîte sur la table en bois de la cuisine et me dépêche de ranimer le feu dans la cheminée. Trois coups se font entendre contre la porte, la méfiance d’une visite si tardive m’empêche d’émettre le moindre bruit ou de réaliser le moindre geste.

— Oryne ?

La voix de ma sœur porte dans l’entrée et soulagée, je décide d’aller à sa rencontre :

— Lyne ! Que fais-tu ici ?

— Je m’inquiétais pour ma petite sœur, s’exclame-t-elle.

— Cela fait trois jours, soupiré-je.

— Peu importe, si je pouvais être avec toi tous les jours…

— Rien ne t’en empêche, coupé-je.

Tendrement, elle attrape mes mains et plonge son regard noisette dans le mien avec un sourire :

— Bien sûr que si, c’est ta maison, ton antre, je ne m’y sentirai pas à ma place.

— Avoue que c’est l’idée d’être loin de ton Ralphi qui t’embête, surtout.

Elle fait une moue avant de lever les yeux au plafond. Elle fréquente l’Empathe depuis presque six mois et j’admets que je ne l’apprécie pas. Il est hautain, toujours trop bien habillé avec les dents trop blanches.

Je reconnais que je possède un fort instinct protecteur envers mon aînée et que celui-ci trompe certainement mon jugement. Mais peu importe, il est au fait, tout comme elle, qu’au moindre faux pas, je lui ferai payer. Si lui doute de ma sincérité, ce n’est pas le cas de Lyne qui sait de quoi je suis capable.

— J’avoue que, vivre au milieu de la forêt, c’est pas trop pour moi, reprend-elle.

Je ricane. Lyne est une vraie citadine et pour rien au monde elle n’abandonnerait son logement à la Capitale. Elle aime la vie et l’agitation bouillonnante de Herkkä alors que, moi, j’en suis malade. L’angoisse me tiraille plusieurs jours avant de lui rendre visite à elle ou à Victor.

— Je t’ai aperçue chez Mil, tu ne devais pas t’y rendre demain normalement ?

— Si, mais j’ai reçu un ordre de mission de Victor, avoué-je.

— Oh… Tu veux en parler ?

— Non, ça va. Tu restes souper ?

— J’aurai vraiment aimé, mais Ralphi… on va manger en ville, alors…

— Je comprends, dis-je en souriant. Profites-en avant lautai, deux jours sans lui, ça va être long, me moqué-je.

— C’est ça, ris, on verra quand tu rencontreras ton kumppa, si tu fais toujours la maline…

Elle dépose un baiser sur ma joue et me souhaite une bonne soirée avant de repartir tel un coup de vent. Après avoir mangé ma Keitto, une soupe traditionnelle de Pesö, ma région natale, je décide d’aller me coucher en espérant dormir tôt, sans me torturer au sujet de la journée du lendemain.

Les rayons de la lune rousse s’éparpillent dans ma chambre. J’aime dormir les volets ouverts, admirer le ciel et la nuit tout comme voir le jour s’éveiller. Je me tourne dans mon lit.

L’odeur épicée qui le caractérise depuis plusieurs semaines m’indique sa présence. Un frisson hérisse tous mes poils quand son souffle chaud s’échoue sur ma nuque. Ses mains se perdent sur mon corps alors que les miennes glissent dans ses cheveux.

Nos joues se frôlent, la repousse de sa barbe irrite ma peau alors que mes doigts caressent sa mâchoire carrée. Mon cœur s’agite dans ma poitrine, désireux, de plus, envieux de sentir ses lèvres sur les miennes. Ma respiration erratique est le seul bruit qui brise le silence qui nous entoure. Il s’attarde sur le coin de ma bouche, l’effleure, joue avec ma patience. Je m’accroche à sa chemise, tends mon corps davantage vers lui.

L’attente me paraît durer une éternité. Mes paupières s’ouvrent sur la pénombre, mon palpitant s’agite dans ma cage thoracique, saisie par le froid soudain qui m’enveloppe. La respiration toujours rapide, les frissons désagréables qui parcourent mon être m’obligent à remonter la couette sur mes épaules. Un filet de sueur dégouline de mon front et l’odeur de transpiration qui émane de mon être me fait froncer le nez.

Paska ! C’était qu’un rêve ! Un putain de bon rêve, ceci dit. Je secoue la tête avant de replacer mes cheveux humides sur le haut de mon crâne, déçue que ce n’ait pas été réel. Ma main glisse sur mon visage alors qu’un soupir s’échappe de mes lèvres. Je me redresse tandis qu’un souvenir de mon songe s’envole dans la pièce : le parfum du mystérieux inconnu.


Texte publié par Tynah, 1er novembre 2023 à 15h23
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