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tome 1, Chapitre 7 « Rencontre » tome 1, Chapitre 7

J’ignore combien de temps s’écoule avant que je ne quitte la chambre sur mes jambes encore frêles, mon corps ayant tout de même repris une meilleure contenance et avant même de m’en rendre compte, Victor m’enlace faisant de nouveau couler mes larmes.

— C’est fini, murmure une voix grave dans mon dos.

— Je suis désolée, chuchoté-je à l’oreille de mon ami.

Il embrasse le haut de mon crâne et lance :

— Oryne va passer dormir ici.

— C’est chez toi, tu fais comme tu veux, reprend l’inconnu.

— Allez viens.

Il glisse sa main dans mon dos pour me soutenir et me tourne pour que nous avancions à travers le couloir. Lorsque je relève les yeux vers l’intrus, je suis surprise de recroiser le regard azur transperçant de la veille. Il m’accorde un signe de tête respectueux alors qu’une boule ne se forme dans ma gorge.

Nous pénétrons dans la chambre où j’ai déjà eu la chance de dormir par le passé et quand la porte se ferme derrière nous, j’ose demander :

— Qui était-ce ?

— Mon frère.

Victor m’installe sur le lit alors que je cligne plusieurs fois des yeux, surprise.

— Depuis quand tu as un frère ?

— Trente ans.

Jamais en cinq ans d’amitié, il ne m’a parlé de lui. Je déglutis et comprends qu’au fond, nous avons tous une part de secret.

J’attrape sa main dans la mienne et la serre tendrement. Ses yeux bleu foncé s’accrochent aux miens alors que j’entends son soupir.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Nous ne sommes pas en bons termes…

— Et pour Aurora ?

— Ma mère… elle a très mal vécu son départ…

Je ne peux m’empêcher de l’enlacer, son parfum boisé chatouille mon nez.

— Ta mère… elle vous aimait… d’une force qui dépasse l’entendement…

— Elle t’aimait aussi comme sa fille.

Je m’écarte et baisse la tête en murmurant :

— Elle éprouvait de la reconnaissance envers mon geste…

— Et tu ne le comprends pas, c’est ça ?

J’acquiesce alors qu’il relève mon visage vers lui, un sourire tendre flottant sur les lèvres :

— Tu lui a permis de partir avec ses souvenirs, en paix et peu de monde à la chance de mourir de la sorte. Tu as fait ce qu’il fallait, Oryne.

Les larmes remontent à mes yeux, sa main caresse ma joue et replace ma frange comme il l’a toujours fait avec moi. J’ai une sœur de sang et un frère de cœur. Jamais rien ne pourra effacer ces liens.

— Ton frère… Il sait pourquoi j’étais là ?

— Non, j’ai promis de garder ton secret, je l’ai fait. Il sait que tu es une personne importante aux yeux de notre mère et qu’elle voulait te voir une dernière fois. C’est tout…

— Il ne soupçonnera rien ?

— Lyvon a d’autres préoccupations, je crois. Mais sache qu’en cas de doute, je te défendrais toujours.

— Merci.

Je m’allonge sur le lit, les yeux fixés sur le plafond blanc, le cœur encore meurtri des récents évènements. Le plus dur dans cette tâche reste de se laisser traverser par les émotions positives. Celles qui donnent l’espoir, l’amour, la tendresse. J’aimerais qu’elles restent gravées en moi à jamais, m’offrent leurs bienfaits, plutôt que de replonger dans la noirceur. Autant faire ce que je fais sous les ordres de Victor m’impacte peu, car je sais chasser la violence de mon être, plus il est complexe de se détacher du bonheur. Et puis, ceux dont je m’occupe habituellement sont des êtres cruels, des meurtriers, ce n’était pas le cas d’Aurora. Elle avait la main sur le cœur. Une larme s’échappe et fait disparaître avec elle un souvenir heureux.

— Un peu de keitto ? Je pense que tu en as besoin…

— Oui, murmuré-je.

Il se lève, dépose un baiser sur mon front et sa silhouette m’abandonne dans cette chambre parfumée à la lavande avec l’impression de m’éteindre à petit feu circulant dans mon être. Je suis épuisée. Je glisse mon corps entre les draps et enlace l’oreiller comme une peluche contre mon cœur en soupirant longuement. Les émotions d’Aurora s’estompent peu à peu pour ne laisser qu’un vide en moi, un creux qui va demander du temps à combler.

C’est la première fois que je perds une personne si chère de ma vie. J’ai toujours certains de mes grands-parents, les autres étant partis avant mes trois ans et je ne me souviens pas d’eux. Je ne sais pas encaisser cela. Mes sentiments sont partagés entre le chagrin qu’elle ne soit plus à mes côtés et la joie de l’avoir côtoyée. Je resserre l’emprise sur le coussin et inspire profondément en imaginant son regard protecteur sur moi et ses lèvres s’étirant dans un sourire bienveillant. Voilà le souvenir que je dois chérir d’elle.

Trois coup retentissent contre la porte et j’imagine que Victor est de retour avec la soupe promise plus tôt. Sans me relever je l’invite à entrer, les yeux clos, le nez humant la douce odeur de la soupe à la carotte. J’entends le plateau glisser sur la table de chevet à mes côtés et ouvre un œil avant de me redresser rapidement.

Ce n’est pas Victor. Mais son frère, Lyvon. Je déglutis et dépose ma main sur mon bracelet pour m’assurer de sa présence. J’espère qu’il ne possède pas le même don que son frère, ni qu’il aura l’idée de me toucher et ainsi découvre mon secret.

— Je ne voulais pas vous effrayer, commence-t-il. Comment vous sentez-vous ?

De prime abord, sa politesse et sa sollicitude me touchent, cependant, j’ai appris grâce à son frère à me méfier de mes premières impressions.

— Mieux, avoué-je à mi-mot.

— Je vous remercie d’avoir accompagnée ma mère durant ses derniers instants… J’imagine que vous étiez proches…

— Oui.

— Vous ne vous épancher pas beaucoup, remarque-t-il.

— Elle était comme une seconde mère à mes yeux.

— Elle avait en effet, ce pouvoir étrange sur beaucoup de monde…

— Mais pas avec vous ?

Je pince mes lèvres alors que ses yeux vifs accrochent les miens.

— Désolée, j’ai cru ressentir de l’amertume dans vos paroles…

— Ils ne vous ont jamais parlé de moi, pas vrai ?

J’hésite dans ma réponse. Si je suis honnête, cela pourrait se retourner contre mon ami, si je mens, il pourrait s’en servir contre moi.

— Vu votre silence, j’en déduis que non… Nous vous en faîtes pas, je ne m’en prendrais pas à mon petit frère, ils ont toujours préféré taire mon existence…

— Je serais impolie de demander pourquoi ?

— En effet.

— C’est donc à votre tour de ne plus vous épancher, me moqué-je.

Il hausse un sourcil avant qu’un rictus ne s’installe sur ses lèvres.

— Vous êtes un personne intéressante… Je comprends que ma famille vous apprécie… Mais rien de plus normal avec une Empathe, non ?

Mes jouent doivent se teinter de rouge tant je sens la chaleur de mon corps grimper. Lentement, un frisson parcourt mon être et je réalise l’imprudence que j’ai commise plus tôt dans la soirée. Habituée à œuvrer dans la plus grande solitude, j’aurais très bien pu être surprise par quelqu’un et que celui-ci découvre mon acte, mais également mon autre facette. Et si ce quelqu’un avait été Lyvon, je doute que notre échange soit aussi taciturne que celui-ci.

J’ignore si je dois être rassurée quant au fait qu’il me croit être une Empathe. Après tout, il n’est pas très loin de la vérité et ne pas démentir ses paroles ce n’est pas mentir, enfin pas totalement. J’attrape le bol de soupe, qui ne fume plus pour en boire une gorgée. Le liquide encore tiède glisse dans ma gorge et mon estomac s’agite d’être enfin rassasié.

— Certainement, dis-je en reposant le contenant.

— C’est étrange tout de même, reprend-il, les Empathes apprécient généralement se répandre en explications en tout genre…

— Mettons ça sur ma fatigue, ma journée a été très longue…

— Bien, alors j’espère que nous aurons la chance de converser plus longuement demain…

Dans ses yeux s’illuminent une lueur de défi. Souhaite-t-il que je réponde positivement afin qu’il puisse encore jouer avec moi ou que je le défi en osant le contredire ? J’opte pour la seconde option, jusqu’à présent c’est celle qui l’a fait le plus se dévoiler.

— Si je suis encore là…

— Ce n’est pas grave, je vous retrouverai…

C’est une claque qui me revient en pleine figure. Les yeux écarquillés, je déglutis alors que son regard cherche à comprendre ma réaction. Oui, Lyvon s’est découvert et pas n’importe comment… Cette voix, ce comportement… Comment n’ai-je pas pu comprendre avant ?! Il est l’homme dont je rêve depuis trois mois ! Paska ! Et lui, a-t-il compris qui je suis ? Depuis quand le sait-il ? Se joue-t-il de moi depuis son arrivée dans la chambre ? Il n’y a qu’un moyen pour moi de le savoir, pourtant, suis-je prête à lui avouer qui je suis ? Pas en face à face, je suis parfois directe, je l’avoue, mais le courage est loin d’être l’une de mes qualités.

— Nous verrons cela, alors, lâché-je avec un fin sourire.

— Merci pour cette conversation intrigante… J’espère vous revoir rapidement…

Il me salue poliment et quitte la pièce non sans se départir de son fin sourire. J’avale rapidement le reste de ma keitos et me lève pour rejoindre la chambre de Victor. Je dois disparaître de cette maison ce soir, avant que Lyvon ne comprenne qui je suis et que la situation ne dérape.

Victor n’est pas dans sa chambre, à mon plus grand damne. Je parcours les différents couloirs qui me mènent jusqu’à son bureau. Habituellement, de jour comme de nuit, la demeure est vivante, pourtant ce soir, je ne croise personne. J’imagine que tous son au courant du décès de la maîtresse de maison et que chacun gère sa peine, Victor leur ayant fait grâce de leur soirée.

Lorsque j’arrive devant la grande porte blanche entrouverte, je ne peux m’empêcher d’écouter la conversation entre le Pääs et son frère :

— Paska ! C’est qui cette fille ?!

— Une amie de la famille, répond posément Victor.

— Elle cache quelque chose…

— Pourquoi vois-tu toujours le mal chez les autres ?

— Elle n’est même pas capable de tenir une conversation ! Tu parles d’une Empathe !

— Lyvon ! Tu as beau être mon aîné, fais attention à tes paroles !

— Quoi, tu l’aimes ?!

— Non, imbécile ! Elle était sous le choc, c’est tout...Et puis, qu’est-ce que tu a été foutre dans sa chambre ?!

— Elle… Roh, laisses tomber !

Je me cache derrière un coin de mur et observe la silhouette rageuse de Lyvon s’évaporer dans le couloir. J’entre dans le bureau de mon ami en fermant la porte. Celui-ci se trouve de dos et lance :

— Si t’es revenu pour me faire la morale…

— C’est moi, coupé-je.

— Ory ! se tourne-t-il. Pourquoi ne dors-tu pas ?

— Ton frère…

— Je regrette qu’il t’ait dérangée, m’interrompt-il. Lyvon est… Un emmerdeur, souffle-t-il.

— Il n’a pas été méchant, mais je dois partir… Il n’a pas l’intention de me lâcher.

— Je l’avais bien compris… Je vais chercher Taner, il va te raccompagner jusqu’au välittää.

— Merci Victor.

Il s’avance, m’enlace avant de déposer un baiser sur le haut de mon crâne :

— Encore merci à toi. Je te contacterai pour le Toimisto.

J’acquiesce et quitte la pièce, le ventre serré d’appréhension de crainte de croiser le frère de mon ami. Heureusement, Taner arrive rapidement et je quitte la demeure en laissant derrière moi les derniers souvenirs d’Aurora.


Texte publié par Tynah, 19 janvier 2024 à 22h30
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