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tome 1, Chapitre 5 « Lyvon » tome 1, Chapitre 5

Paska ! Quelle journée de merde ! Allongé sur le lit de la chambre que j’ai l’habitude de louer lors de mes venues à la Capitale, j’observe le plafond blanc et me demande quel comportement je dois adopter.

Cela fait plus de trois ans que je ne l’aie pas revue et j’ignore si elle souhaite ma présence auprès d’elle ou si elle s’en moque royalement. Je ne sais pas non plus quel est son état, la lettre de mon frère était brève et ne le mentionnait nullement.

Je ne peux pas lui en vouloir, nous n’avons pas grandit ensemble et j’imagine que sa fonction de Pääs l’oblige à avoir une conduite froide avec à peu près tout le monde, même les membres de sa famille.

Je décide de quitter le matelas et me poste près de la fenêtre pour observer l’agitation de la ville en ce début de soirée. Grâce aux lampadaires, celle-ci me paraît encore plus brillante qu’avec la lumière du soleil. Je suis toujours dépaysé lorsque je viens, tant cette couleur dépareille avec celle plus nuancée de Lukita.

Ici le jaune et or m’agresse, toute cette pierre m’étouffe, même les pavés n’offrent aucune praticité pour se déplacer. À n’en pas douter, je préfère ma région, son soleil et son sable à cette ville que beaucoup affectionne.

J’attrape ma veste de costume pour l’enfiler ainsi que mes chaussures et quitte la chambre pour rejoindre la demeure de Victor. En cette veille de wiikonpu, il y a pas mal de foule dans les rues et je fais de mon mieux pour l’éviter. Cela aussi, je ne l’apprécie qu’à petite dose.

Je grimpe les quelques marches qui me conduisent jusqu’à l’entrée, croise une jeune femme totalement bouleversée, ses yeux chocolats croisent les miens une fraction de seconde et une impression de déjà-vu s’impose à moi.

Je secoue la tête, persuadé de ne l’avoir jamais croisé et entre dans la demeure où un jeune homme scrute le dos de la demoiselle, une lueur de tristesse dans le regard. Il secoue la tête et m’accueille en baissant le buste :

— Monsieur de Oiken, avez-vous fait bon voyage ?

— Oui, merci. Vous êtes Taner, l’Intendant de mon frère, c’est ça ?

— Oui, Monsieur. Il est auprès de votre mère… Voulez-vous les rejoindre ou préférez-vous attendre ici ?

— Je vais attendre.

— Bien, je vais le prévenir de votre arrivée alors. Le salon est à droite.

Taner s’incline à nouveau et s’éloigne dans un couloir. J’avance vers la porte qu’il m’a indiquée avant de partir et entre dans la pièce agréablement silencieuse.

Taner à l’air d’être un homme tout à fait charmant, bien plus avenant qu’Önan, l’Intendant de Varya. Je suis rassuré de voir que mon frère a su s’entourer de bonnes personnes.

Je me doute que rien n’est évident dans son emploi, qu’il a lui aussi des responsabilités et de dures décisions à prendre, mais suis ravi de constater qu’il parvient à s’en sortir. Que malgré son jeune âge, il trace son chemin et que le peuple aura une bonne image de lui même après sa mort.

La porte s’ouvre et la silhouette de Victor apparaît. Les traits de son visages sont tirés, ses yeux marquer par les cernes et rougis. Sa barbe de plusieurs jours me confirme qu’il n’est pas au mieux de sa forme et je devine que l’état de ma mère est bien plus grave que ce que j’avais imaginé.

— Lyvon.

— Victor.

Il s’installe sur le canapé en soupirant, passe une main sur son visage et lance :

— Je suis heureux de te voir… Maman t’appelle depuis quelques jours…

— Comment va-t-elle ?

— Très mal pour être honnête. Personne n’est capable de nous dire la nature de sa souffrance et je doute qu’elle vive encore longtemps.

Les larmes remontent à ses yeux, pourtant, je suis incapable du moindre geste de compassion. Victor a grandit avec nos parents tandis que moi, j’ai dû rejoindre le Suljettu. Je n’a donc pas développer de lien fraternel avec lui et suis dans l’incapacité de calmer sa peine.

— Je...peux la voir ?

— Bien sûr. Des Arôma sont venus lui apporter des plantes pour l’apaiser, elle est très fatiguée donc… prends ton temps.

Il se lève et m’accompagne jusqu’à la chambre de notre mère. Dès que j’entre, seul, le parfum des plantes m’accueille et je découvre la silhouette de ma mère. À pas feutré, j’avance, son lourd souffle me parvient, sa respiration saccadée aussi.

— Lyvon, murmure-t-elle.

Je déglutis et me laisser tomber sur le siège à côté du lit en attrapant sa main.

— Maman.

— Comment vas-tu ?

— Je vais bien.

De mon mieux, je tente de la rassurer.

Sa main quitte la mienne pour venir se poser sur mon visage qu’elle caresse lentement.

— Mon doux enfant… Je suis si heureuse que tu sois là… J’avais besoin de te dire certaines choses avant qu’il ne soit trop tard…

— Maman… Tu devrais te reposer, nous en parlerons demain.

— Non, aurinko, je…

L’utilisation de mon ancien surnom fait courir un frisson sur ma peau. Ses yeux se ferment, sa respiration s’apaise alors que sa main retombe dans un bruit sourd sur le matelas. Elle s’est endormie. Je vais pour me lever, ses doigts enlacent mon poignet et elle murmure :

— Me battre...te protéger...te retenir comme elle... Excuse-moi...mère lamentable…

Elle divague, je suppose que sa journée a été longue, tout comme je ressens le mal qui la hante et décide de ne pas tenir compte de ces dernières paroles. Cela ne changera malheureusement rien à ce qu’il s’est passé. Je me penche sur elle, dépose mes lèvres sur son front et murmure :

— Tu as fait de ton mieux maman, je ne t’en veux pas. Minaï Sinuä.

Son souffle m’indique qu’elle s’est à nouveau assoupie et je décide de quitter la chambre dans un silence religieux.

— Elle dort ? me demande Victor.

— Oui.

— Tu veux un verre ?

— Oui.

Nous redescendons l’escalier et regagnons le salon où nous étions plus tôt.

— Tu vas dormir où cette nuit ?

— J’ai une chambre à l’auberge de Herkkä.

Mon frère acquiesce et verse de l’alcool ambré dans deux verres avant de m’en tendre un, que je bois d’une seule gorgée.

Un silence étouffant nous entoure et je soupire avant de dire :

— Je vais y aller, merci pour le verre.

— Lyvon…

Il m’est facile de lire dans ses yeux les émotions qui le traversent à cet instant et pourtant, je ne peux réagir positivement à ces désirs. Je suis incapable de lui venir en aide car j’ignore comment le faire.

— Je suis désolé.

— Ouais, c’est ça.

Il bois son verre d’une traite, s’installe sur son siège qu’il retourne et me lance :

— Tu sais où est la sortie.

Je n’ajoute rien et quitte la pièce pour rejoindre l’extérieur. L’air frais me percute et m’arrache un frisson. Sensation peu connue de ma part vu la chaleur étouffante de Huono.

Même les conditions météorologiques de cette région sont exécrable. Les mains dans les poches de mon pantalon sombre, je déambule dans les rues sans savoir où je vais. L’envie de rentrer a fui mon esprit et je me retrouve à errer sans but.

L’heure avancée de la nuit a réduit le nombre de personnes présentes dans les rues sans pour autant me les rendre plus agréable. J’aimerais rentrer chez moi, mais je sais que ce serait une réaction égoïste envers ma mère que j’espère pouvoir revoir demain.

Le temps que nous avons perdus est irremplaçable, j’en suis conscient, toutefois, j’ai l’espoir de graver certains souvenirs avant qu’il ne soit réellement trop tard.

Lorsque je relève les yeux, je suis au bord du fleuve Hehku, éclairé par des dizaines de lampes solaires aux couleurs chatoyantes. L’eau calme m’apaise, les joustenias construisent des nids pour se mettre à l’abri durant la saison des neiges avec l’aide de leurs petits.

Observer un tel spectacle me permet de faire le vide et de ne plus penser à rien. J’ai besoin de ce bol de néant avant de rentrer à l’auberge, au risque de commettre une erreur si je suis submergé.

J’observe le ciel et suis déçu. Les lumières de la ville m’empêche de scruter le firmament et d’y voir une étoile briller plus que les autres, un réconfort que j’aime admirer chaque soir.

Je soupire et reprends ma marche, toujours les mains dans les poches.

J’espère qu’elle sera là, encore ce soir. Que j’aurais la possibilité de recoudre mon cœur et mon âme à quelque chose de vivant, même si c’est dans mes rêves. Car cette partie là de ma vie, me paraît bien plus authentique que ce que je vis à chaque réveils.

Il m’aura fallu énormément de temps pour parvenir à l’approcher. Au départ, elle n’était qu’une lueur parmi d’autres êtres, s’évaporant dès que je m’approchais trop d’elle. Je me souviens de chaque rencontre depuis plus de trois mois.

J’aimerais savoir qui elle est, d’où elle vient et pourquoi elle me captive autant. J’aimerais découvrir la couleur de ses yeux et de ses long cheveux. Sentir son parfum ne me suffit plus. La seule chose qui me motive à me lever, c’est de savoir qu’une nouvelle nuit va tomber et qu’enfin je la retrouverai.


Texte publié par Tynah, 17 décembre 2023 à 15h30
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