Les lotissements constituaient une particularité de la Croisée.
Ces bâtiments de quatre étage reproduisaient à leur manière les clapiers pour lapins à la différence qu’on les destinait aux humains ou plus précisément aux gueux du Cercle.
Le Cercle était la zone bordant de l’intérieur des six collines de Roanne. On surnommait aussi ce lieu le Dortoir du fait de son manque d’activité. Juste quelques vendeurs à la sauvette et des boutiques subsistaient encore.
Si bien que les résidents louaient leurs bras à l’extérieur.
Le lotissement présent était plutôt en bon état. Un peu de crasse çà et là, mais pas de véritable dégradation, et un escalier sans marche bancale. Ce dernier point arrangeait bien le trio de miliciens, l’intervention ayant lieu au dernier étage.
Là encore la vue des uniformes de la milice ne provoqua aucun remous. Seuls quelques judas se relevèrent afin de s’assurer, qu’ils ne venaient pas pour leurs utilisateurs.
Sur ce coup on ne pouvait nier l’utilité de Scribe. Francine à la fois leur guide et la personne à l’origine de leur présence, était au bord de l’hystérie, et s’exprimait par onomatopées saupoudrés de quelques mots çà et là.
Scribe à force de patience et d’attention parvint à en tirer des monceaux de phrases à peu près cohérents avec en bonus leurs sous-entendus.
« Claude mon homme est un rêveur romantique / un fainéant qui préférerait s’arracher un bras plutôt que de bosser. »
« Il a prétendu avoir dégoté une idée géniale, qui nous sortirait de la misère / encore une combine foireuse dont il a le secret. »
« Une fois mon travail fini je suis passée le voir pour le soutenir dans son projet / l’empêcher de faire trop de conneries. »
« La porte de son logement était fermée de l’intérieur avec la clé encore dedans, et ça ne répondait pas. Alors j’ai demandé de l’aide / hurlée dans la rue comme une folle jusqu’à ce que je vous croise. »
Une fois un résumé apporté par le sergent, Hazart murmura à sa collègue :
« Je te parie que le Claude s’est juste vautré avec son plan, et se cache de honte. »
« Tu crois qu’il existe encore un milicien dans la ville capable de prendre un pari avec toi ! »
La réplique était aussi cinglante qu’hypocrite. En effet Luth partageait le point de vue de Hazart. Sauf que si elle pouvait pardonner ses lacunes à Scribe du fait de sa bonne volonté, en revanche Luth ne trouvait aucune excuse à son autre coéquipier. Par conséquent elle remettait de temps à autre à sa place.
De son côté le sergent afficha un air dubitatif devant la porte en chêne, puis appela au serrurier dans le couloir. Comme s’il obtiendrait une réponse.
Luth décida alors de jouer son rôle de contrepoids.
Dans la milice quand la hiérarchie réunissait des bras cassés dans une équipe afin de les isoler le plus possible, on ajoutait toujours au moins une recrue compétente par sécurité.
Ayant connaissance de ce principe et de sa fonction dedans, Luth frappa chez un voisin tout en traînant Hazart derrière elle. La pauvre du fait de son physique enfantin avait parfois du mal à insuffler de l’autorité toute seule.
La porte s’ouvrit laissant la place à un homme uniquement vêtu d’une petite braie de couleur douteuse. La milicienne se souvint alors pourquoi elle vivait seule.
L’homme débraillé écouta à peine l’argumentation se tortillant d’impatience, comme s’il avait envie de pisser. Une fois que sa visiteuse acheva sa demande, il s’écarta non pas pour se ruer à son pot de chambre, mais sur sa paillasse. Visiblement il s’agissait d’une de ses bêtes de somme pour qui le repos était vital.
En tous cas il avait à sa façon autorisé les deux miliciens à entrer.
Malgré sa décoration disons primitive faite de restes de nourriture et d’un brasero rouillé, l’intérieur du logement combla les attentes de Luth. Car il s’y trouvait une fenêtre à côté de celle de Claude.
Il suffisait juste d’enjamber sans avoir à recourir à un serrurier ou autre. « Suffisait » n’était peut-être pas le bon terme, si on prenait en compte le sol quatre étages plus bas.
D’ailleurs Luth eut une petite hésitation. Puis Hazart se proposa.
« Écoutes t’as déjà bossé cette nuit avec la blessure étrange. Je ne veux pas, que tu risques le surmenage. » Répliqua la membre de la milicienne n’appréciant pas, qu’on la prenne par la main surtout ce branleur.
« Je ne dis pas que t’en es pas capable. Simplement j’ai une meilleure paire de jambes. Ça se sera donc plus simple pour moi. »
Luth resta sans voix de s’être fait percer à jour ainsi.
Elle laissa donc sa place se contentant de rester à l’affût en cas de complication. Hazart lui atteint l’autre fenêtre sans manifester la moindre réticence. Il était trop désespéré pour avoir encore peur. L’audace, tenter une action risquée et voir si elle passe, voilà tout ce qui lui restait comme motivation.
Une fois sur le rebord il dégaina son pistolet, et usa de son canon, afin de casser la vitre (Claude n’avait même pas fait l’effort de tirer ses volets), et de pouvoir atteindre la poignée à l’intérieur. Si le bruit avertissait un éventuel criminel encore dans le logement ? Ça rendrait le jeu plus intéressant.
Dans un premier temps sa coéquipière le maudit à cause de cette erreur. Dans un second elle s’apprêta à le rejoindre. Et enfin dans un troisième elle se ravisa. Si Hazart avait commis la bourde de signaler son point d’entrée à d’éventuelles personnes dangereuse, qu’il en assume les conséquences seul.
Elle n’allait pas s’exposer à cause de cet inconscient. Luth se contenta de couvrir alors la possibilité de fuite qu’offrait le balcon, tout comme Scribe avec la porte d’entrée.
Hazart pénétra dans l’habitation l’arme en avant, et tomba immédiatement sur un homme (probablement Claude) au bord de la suffocation. Il fallait vite le débarrasser de son agresseur. Hélas Hazart malgré son errance, n’avait jamais été confronté à ce genre de cible. Une bonne vieille balle dans la tête marcherait certainement. Encore fallait-il localiser la fameuse tête.
Le milicien se concentra, trouva, et tira. Claude était toujours dans un sale état. Sans doute quelques soins lui aurait été nécessaire. Pas de la part de Hazart. Il considérait en avoir assez fait. Il ouvrit donc la porte d’entrée, et laissa la suite des opérations à ses collègues.
Il n’était pas fier, ni sous le choc du spectacle. La sensation de danger étant passée comme d’habitude Hazart s’en foutait.
Ce n’était pas le cas de tout le monde.
« Oh putain ! » S’exclama Scribe devant le cadavre de l’énorme serpent abattu.
Même Luth face au spectacle en oublia d’engueuler l’indécrottable Hazart.
Puis ils reprirent leur souffle et la procédure. Après tout on était dans la Croisée
Il fallait voir les choses en face. Claude était le genre de personne à se foutre continuellement dans la merde. Les trois membres de la milice n’avaient fait que retarder l’inévitable.
Afin de ne pas s’être dérangés pour rien ils déposèrent Claude à un poste de garde. Après une nuit en cellule il donnerait probablement des informations sur le trafic d’animaux, auquel il s’était mêlé si maladroitement.
Qu’est-ce que les richards pouvaient-ils bien faire de ces créatures exotiques ? Il valait mieux ignorer la réponse.
Ce détour effectué le trio se remit à sillonner les rues en attente d’un autre cas stupide ou sordide.
Fidèle à lui-même Hazart indifférent à tout et à tout le monde, se contentait de marcher dans les pas de son supérieur
A première vue Luth l’imitait. Alors qu’en fait elle gardait l’œil ouvert.
C’était bien la seule. Car Scribe se trouvait clairement ailleurs du moins en esprit.
Cette accalmie faisait remonter des réflexions en lui.
Précédemment les découvertes de sa subordonnée à propos de Simon, s’étaient jointes aux siennes sans aboutir à un résultat probant.
Pour quelqu’un comme Simon, le crime passionnel semblait le plus évident. Qui ce pilier de comptoir pouvait bien déranger ? Une ex-compagne peut-être ?
Malheureusement dans cette construction déjà bancale une gêne persistait. Un meurtre aux motivations personnelles demeurait avant tout un acte de colère. Or il n’en transparaissait rien dans le cas de Simon.
Aucun acharnement n’était à déplorer, l’assassin s’étant juste contenter d’un coup précis et létal.
Ce qui suggérait une certaine maîtrise bien éloignée d’une personne ayant agi sous l’impulsion.
Finalement l’hypothèse du crime crapuleux correspondait peut-être mieux. Un spadassin croisant Simon seul dans la rue, avait profité de l’occasion pour le tuer et s’emparer son argent. Quoi de plus ordinaire ?
Et le fait que le cadavre disposait encore de sa bourse ? Étant un débutant le meurtrier avait paniqué, et s’était immédiatement enfui après son acte.
Tout semblait se tenir…. à un élément près : l’arme du crime. Comment une lame aussi rare avait pu atterrir dans les mains d’un brigand de seconde zone ?
Il ne fallait pas négliger le jeune homme avec lequel Simon avait passé sa dernière soirée. Ce ne pouvait pas être une simple coïncidence. Le vieil alcoolique dérogeait à ses habitudes, et pile ce soir-là se faisait tuer.
Si cet inconnu était l’assassin, pourquoi s’était-il affiché ainsi en public avec sa future victime ?
Allez trouver un mobile de meurtre dans ce néant.
« T’as une intuition sur ce coup ? » Demanda Luth se doutant de la nature des réflexions de son supérieur.
A première vue cette phrase était complètement à côté de la plaque. Dans la méthodologie purement scientifique de Scribe, le ressentit ne bénéficiait d’aucune place. Et surtout il y avait son jeu ou plutôt sa drogue.
A partir des premiers éléments d’enquête que Scribe prélevait lors de ses patrouilles nocturnes, il bâtissait des théories. Ensuite il les comparait avec les rapports. C’était un peu sa drogue de substitution en matière d’investigation.
Sauf que sur ce coup on le privait de sa dose. En effet Scribe avait beau examiner le problème sous tous les angles, il ne parvenait à rien de cohérent.
D’une certaine façon Luth en lui rappelant sa présence provoqua une sorte d’intuition.
Scribe se remémora un autre aspect de son poste plus égoïste. En tant que leader il veillait sur les membres de son équipe, mais il les commandait également.
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