Une petite ruelle mal éclairée, une impasse, une maison à l’abandon… Non rien de cela. Le cadavre sanguinolent gisait au milieu d’une rue passante.
Quelques badauds s’étaient rassemblés autour de la scène de crime sans grande conviction.
L’un d’entre eux s’était tout de même rendu à une petite auberge à proximité encore ouverte, qui s’était chargée de donner l’alarme.
Quant aux miliciens ils eurent droits comme accueil à la pire des insultes : l’indifférence.
En effet les passants leurs accordèrent à peine un regard. Ils semblaient dire :
« On n’espère plus rien de vous. »
Scribe ne se démonta pas grâce à sa bonne vieille méthode des fondamentaux. Il fit reculer les gens, et établit un périmètre de sécurité avec l’aide de ses confrères.
Il ne fallait pas que le mort soit dépouillé. La suite de la procédure consistait à emporter le cadavre jusqu’au poste de garde de la milice le plus proche. Puis le lendemain un nécromant l’examinerait.
Les nécromants étaient des médecins spécialisés dans la détermination des causes des décès. La création de ces auxiliaires de la milice était récente, et surtout utile lors des investigations.
Face à la situation le méticuleux Scribe se rajouta une tâche supplémentaire à savoir glaner d’éventuels renseignements dans l’auberge à l’origine de l’avertissement.
Les deux autres miliciens se débrouilleraient bien sans lui quelques minutes enfin surtout Luth.
Effectivement elle trouva de quoi s’occuper.
« Quelqu’un a vu le meurtre ou un type s’enfuir ? Quelqu’un connaît la victime ? Qui est allé prévenir l’auberge ? »
Elle enchaînait les questions mécaniquement sans vraiment attendre de réponse. A ce stade c’était plus une distraction qu’une procédure.
Du coté de l’attroupement il en allait de même. Ces gens étaient là juste pour ne pas être ailleurs. Seulement quelques uns se mirent à regarder vaguement la milicienne.
Soudain la routine subit une perturbation.
« Elle est bizarre sa blessure au cadavre. »
Son auteur étonna plus Luth que la phrase en elle-même,
Allait-il pleuvoir du fumier ? Hazart le fumiste intégral s’intéressait à quelque chose, et en plus le « quelque chose » faisait partie de son travail.
Luth examina à son tour le défunt, et bloqua d’abord sur un autre détail. La bourse était toujours présente et à première vue remplie.
A vue de nez cette silhouette flasque allongée par terre tenait plus du soûlard de base que du criminel. Ce qui excluait un règlement de compte. Alors s’il n’y avait pas eu vol, que restait-il ? On tuait pour pas grande chose dans le coin, mais jamais gratuitement.
Peut-être s’agissait-il d’un acte de clémence, si on se fiait à l’état de la victime ? Sauf que la générosité n’était pas très répandue dans cette ville.
Le regard de Luth remonta jusqu’à la fameuse coupure. En diagonale elle recouvrait l’ensemble du buste. C’était du travail d’orfèvre, juste une fine ligne rouge.
Le tranchant des rapières était remarquable. Toutefois la coupe présente était clairement de taille. Or avec une rapière on pratiquait l’estoc.
Il ne fallait pas compter non plus sur les épées. Leurs conceptions rustiques n’étaient pas capables d’une telle finesse.
Bien qu’absente la maîtresse d’arme de la milice se chargea d’éclaircir ce mystère . Cette experte en outils de mort avait décrit une fois l’arme probable du crime en la présence de Luth.
Vraisemblablement elle comptait parmi les épées les plus aiguisées du monde connu, celle de l’empire dorgien. A ce propos chez eux on préférait au terme d’épée celui de sabre.
De cette solution découlait un nouveau problème. Comment cette arme, s’était-elle frayée un chemin jusqu’ici ?
Cette question Luth la laissa à ses successeurs. Car elle connaissait la suite. Le lendemain matin un prévôt reprendrait l’affaire sans leur en laisser une miette. Tel était le lot des équipes de nuit.
Au moins ce meurtre l’avait un peu distrait le temps d’une soirée.
Quels genres de d’auberges étaient-elles encore ouvertes si tard ? Les louches et les fauchées.
Au vue de l’absence de réaction face à l’arrivée d’un uniforme de milicien, l’établissement entrait dans la seconde catégorie.
C’était une gargote décrépite à l’éclairage poussif. Les quelques clients disséminés çà et là, paraissaient avoir fusionnés avec leurs bancs. D’ailleurs ils paraissaient être devenus comme eux, des meubles.
Scribe se dirigea d’emblée vers la seule véritable trace de vie :une femme s’occupant du service. Cette brune quadragénaire aurait pu être ordinaire sans son incroyable minceur, à laquelle elle devait ses joues creuses et ses bras squelettiques. Sa tenue n’arrangeait rien : une robe en épais tissu visiblement de la toile de jute.
Scribe ignorait qu’on en employait pour des vêtements.
Il ne s’en formalisa pas. Il avait vu bien plus improbable depuis son enrôlement dans la milice.
Il évita le « Sergent Brognole de la milice. » trop formaliste au profit d’un simple « Bonsoir. » suivi de « J'ai des questions à propos du mort de dehors. »
« Ah oui Simon. » Dit à son tour la femme avec une familiarité désarmante dans la voix.
Le milicien décida alors de s’adapter, et fit de même.
« Ouais, c’est çà. Il venait boire chez vous ? »
« Il habitait pratiquement ici. »
En fait cette phrase s’appliquait surtout à elle. Quoiqu’il en soit la technique de rapprochement de Scribe, porta ses fruits.
La tenancière déballa tout, c’est-à-dire pas grand-chose. Il faut dire que Simon n’était pas d’un naturel causant. Entre les grognements le défunt avait précisé, qu’il vivait d’une sorte pension. Auparavant il faisait partie d’une confrérie d’artisans. Un accident lui ayant bousillé le dos, ses anciens confrères lui permettaient de survivre par des dons maigres mais réguliers.
Sinon il buvait dans son coin sans causer à personne.
Un coup d’épée dans l’eau ? En fait non. La tenancière disposait d’un fait troublant en réserve. Lors de son dernier soir exceptionnellement Simon avait eu de la compagnie. Compagnie avec laquelle il était partit juste avant de mourir.
On tenait un suspect ! Pas vraiment. Un homme, brun, au visage carré, d’une vingtaine d’année, assez musclé, et inconnu dans le quartier. La tenancière n’était pas capable de fournir plus. A sa défense le suspect ne s’était pas tellement dévoilé. Il était demeuré collé à Simon toute la soirée à enchaîner les verres.
Ce n’était pas foutu pour autant. Il était possible de rechercher sa description dans les archives de la milice. Situées dans son quartier général ces ouvrages contenaient des compte-rendus sur les criminels et leurs organisations. Il ne fallait pas oublier non plus l’autopsie, qui fournirait peut-être de nouveaux renseignements. Sauf qu’une fois encore tout cela se ferait le lendemain.
La distraction s’arrêtait bel et bien là.
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