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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

La Croisée connaîtrait-elle au moins une fois une nuit paisible ?

Certains faisaient des efforts dans ce sens comme les tire-laines, et les prostituées. Eux travaillaient discrètement et silencieusement (autant que possible pour la seconde catégorie). Mais des mauvaises volontés demeuraient tels ces deux hommes, qui déambulaient sur les toits de leurs pas lourds.

La discrétion n’était clairement pas leur priorité, contrairement à la vitesse.

Apparemment elle ne suffisait pas à Guillaume, celui à l’arrière.

« Qu’est-ce tu fous ? Ils gagnent du terrain. » Gueula-t-il à son complice.

Le pauvre homme avait toute même une excuse du fait du sac visiblement plein sur son épaule.

Cet argument n’empêchait pas les miliciens de réduire effectivement leur écart. Alors Guillaume décida de prendre les choses en main. « Les choses » en question se résumait un pistolet divergeant de celui de la milice.

Bien plus petit ce modèle demeurait rare. D’ailleurs Guillaume était particulièrement fier de l’avoir dégotter chez un de ces petits vendeurs louches sévissant à Roanne.

Le principe pourtant simple du tir unique semblait dépasser Guillaume. Puisqu’au lieu d’intimider ses poursuivants il préféra directement faire feu sans se soucier de leur nombre.

On pourrait croire que ce genre de personnage n’apprenait jamais rien. Pourtant son action lui fut source d’enseignement. Son type de pistolet était peu répandu à cause de sa médiocrité. Au lieu d’une balle, juste de la fumée et des crépitements en sortirent.

Lorsque les miliciens dégainèrent à leurs tours Guillaume se jeta à terre afin d’esquiver les tirs à venir. Sauf que le sol en question était penché et constitué de tuiles friables.

Sa tête fit alors connaissance avec le pavé bien plus bas. Même si ce n’était pas la partie la plus utilisée de l’anatomie de Guillaume, son enfoncement suffit largement à provoquer sa mort.

Sans doute à cause des bruits notamment celui du coup de feu avorté, le second fuyard se retourna à son tour. Il constata alors que Guillaume venait de céder la place à trois miliciens brandissant des pistolets.

Allait-il avoir une réaction plus intelligente que Guillaume ?

Tout dépendait du point de vue. Il beugla «  Liberté », et se jeta volontairement la tête la première en bas.

Sans doute trouvait-il ce geste épique ?

Les deux suspects se tuant eux-mêmes, tu parlais d’une victoire.

Les miliciens descendirent dans l’intention d’au moins constater l’ampleur des dégâts. Le sergent arriva le premier toujours son arme à la main. Pourtant les deux prévenus ne représentaient plus une menace.

N’étant résolument pas à sa place le malheureux milicien se raccrochait sans cesse à ce genre de précautions.

Désigné à présent par le sobriquet de Scribe, il était issu d’une famille de marchands de la ville. Malheureusement en tant que cadet il ne pouvait espérer reprendre l’affaire familiale. Son éducation bourgeoise comprenant des leçons d’escrime, il avait tenté sa chance au sein de la milice. Son milieu social lui avait permit de débuter sous-officier.

Bien que bretteur compétent, son ignorance des bas quartiers en faisait un boulet au sein de la milice.

Le boulet en question finit par rengainer. Il s’améliorait… l’espace d’un instant. Une fois plus près il se mit à examiner méticuleusement les cadavres, comme s’il s’agissait de l’affaire du siècle.

En fait ce n’était qu’un cambriolage ayant mal tournée sur sa fin. Les pas lourds des deux cambrioleurs ayant réveillé la victime, et même les voisins.

Afin de compenser ses lacunes Scribe s’obligeait à observer à la loupe tout acte de violence. Toujours dans cette idée il compulsait des tas de livres sur la cité, et les différents documents du quartier général de la milice.

Bibliothécaire ou lecteur aurait sans doute été plus adapté à son cas. Seulement le premier était trop long et le second sonnait mal du point de vue de ses confrères.

Pour une fois la recherche de Scribe aboutit à quelque chose.

Des sortes de dessins faits à même la chair traînaient un peu partout sur les bras des défunts. Ainsi il s’agissait de libertiens.

Ces gens ne constituaient pas une organisation criminelle à proprement parler. C’était plutôt une sorte de mouvement de philosophique rejetant la société et surtout toute forme hiérarchie. Ils vivaient clandestinement, et subvenaient à leurs besoins par des coups occasionnels, et généralement violents.

Bref toutes ces observations n’apportaient qu’une petite précision au final.

« Les boueux ou le brancard ? » Demanda Luth ramenant ainsi son supérieur à la réalité.

Scribe eut un léger flottement avant de confirmer les décès, qui seraient donc ramassés par les responsables de la propreté de la ville, les fameux boueux. A son corps défendant il était perturbant d’entendre sa confrère sortir ses répliques crues voir sarcastiques.

Malgré ses 23 ans du fait de sa voix fluette, de sa petite taille, et de son visage rond, on donnait à peine 18 ans à cette femme.

Elle était la fille d’un petit troubadour local. Avec l’âge les mains de son père s’étaient mise à trembler. Par la force des choses elle s’était chargée de l’accompagnement musical dans des tavernes pas toujours reluisantes.

Baignée dans la violence incessante des rues, elle parvenait à prendre du recul sans être blasée, du moins pour le moment.

Même si dans les environs le portrait du milicien idéal correspondait à un gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix taillé dans l’acier, Luth compensait par sa science de la rue et sa vivacité.

Alors qu’elle recherchait intérieurement l’heure et le lieu de passage les plus proches d’une charrette de boueux à prévenir, le troisième et dernier membre du groupe s’approcha.

Pas pour mettre la main à la patte, ce n’était pas le genre de Hazart. Il se dégourdissait juste les jambes. Un mélange de désœuvrement et de curiosité le poussa finalement à agir. Il ouvrit du pied le sac du libertien décédé.

« Des outils de charpentier ! » S’exclama Hazart face à sa découverte. « Pourquoi ils sont allés piquer çà ? »

Tout comme son chef de patrouille, Hazart entrait dans la catégorie des cadeaux empoisonnés. Au départ homme d’arme, sa nébuleuse carrière était faite de renvois plus ou moins officieux dans une bonne partie de Ranlorn. Tout naturellement sa course s’était achevée au sein de la milice. Quant aux raisons d’un tel parcourt on en eut une petite idée, lorsqu’il dépouilla quelques confrères à différents jeux de dés dont principalement le hazart.

Objet d’animosité au sein de la milice depuis ses arnaques, Harzart se retrouva aux patrouilles de nuit afin d’être le plus isolé possible. A présent il glandouillait pratiquement ouvertement en attendant ? Une mutation dans la Barricade peut-être. C’était la dernière option restante dans son cas.

« Tout se revend ici. » Expliqua Luth décidément sur le qui-vive.

En bon bûcheur Scribe s’était renseigné sur les diverses bandes. Par conséquent il savait les libertiens étaient des bandits et des voleurs, mais pas des trafiquants. Cela les aurait poussés à trop se mêler à cette société si détestable à leurs yeux.

Une fois de plus Luth le tira brutalement de ses déductions.

«  Scribe t’entend çà ? Ce n’est pas très loin. »

Une cloche d’appel retentissait.

Normalement Scribe aurait sauté sur cette occasion d’assouvir même faiblement sa soif d’investigation. Sauf qu’aussi particulier soit-il, ce milicien n’était pas inhumain pour autant. Il tenait donc à assurer convenablement son rôle de sergent.

Ils ressortaient tout juste d’une course-poursuite sur les toits assez agités. Ces subordonnés méritaient bien un peu de repos.

Sauf que Luth avait raison. Le bruit était vraiment proche.

« On y va. » Annonça Scribe d’un air gêné.

Un court trajet à pied, voilà de quoi le trio disposa comme occasion de souffler un peu.

Et il allait en avoir besoin. Car une longue nuit l’attendait.


Texte publié par Uther, 28 octobre 2023 à 11h44
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