La brise sur le toit ranima le nouveau pour le meilleur et pour le pire.
Pour ce qui est du meilleur il était toujours en vie. Quant au pire il se résumait à un trou. Le trou, qui ornait sa tunique bleue foncée de la milice.
Les miliciens constituaient une variante récente du soldat. Ils étaient censés protéger les citoyens des hors-la-loi à l’intérieur de la grande cité de Roanne. Sauf qu’ils avaient déjà du mal à assurer leur propre sécurité. Le sang émanant du fameux trou l’illustrait parfaitement.
Bien que novice le milicien comprenant la gravité de la situation se raccrocha à ce qu’il put.
« Macchab ! » S’exclama-t-il.
« Je suis là petit. » Répondit son coéquipier de sa voix rauque.
Effectivement il pouvait difficilement être plus dans l’instant. Du bras gauche il soutenait son collègue, et de sa main libre visait la trappe d’accès du toit.
Macchab n’était pas son véritable prénom. Ses parents étaient loin d’être si originaux. Il s’agissait d’une coutume de s’attribuer des surnoms entre miliciens. Pourquoi s’emmerder à retenir le nom, le prénom, l’âge… de quelqu’un qui crèverait peut-être le lendemain ?
Parfois ces sobriquets étaient pourris, ou inappropriés. Mais dans le cas de Macchabée il collait parfaitement. Ce vieux briscard aurait dû être mort depuis longtemps. Bien des occasions et des criminels s’y étaient essayés.
« Les renforts ? » Parvint à ajouter le pauvre débutant.
« J’ai tiré la fusée de détresse. » Répondit brièvement Macchab scrutant méticuleusement l’unique entrée de leur refuge.
Il s’appliquait ainsi, car ses sens étaient de moins en moins acérés ces derniers temps. Sinon il l’aurait senti venir.
Tout avait commencé par le son d’une cloche d’appel. Ces outils étaient distribués aux commerçants afin d’avertir les patrouilles de miliciens lors d’un forfait.
Un début plutôt normal donc. Sauf que le son provenait du vieux port. Comme si quelqu’un s’intéressait à ce genre de chose dans le coin.
Dans le passé l’activité du port fluvial avait été florissante. Ce n’est pas pour rien qu’on surnommait Roanne la Croisée. Elle se situait pile au centre du pays de Ranlorn.
Puis était venue la guerre sans fin, qui vida les rangs des soldats affectés à la surveillance du réseau fluvial. Alors les actes de pirateries se multiplièrent.
Il s’y ajouta la révolution technologique avec entre autre les dirigeables. Ces engins volants ne craignaient pas le brigandage, et n’exigeaient pas non plus l’entretien de voies navigables.
Depuis la zone portuaire était inhabitée ou plutôt mal habitée.
A la défense de Macchab la maison du prétendu appel était plutôt engageante, si on se référait aux critères de l’endroit. La plupart des portes et des fenêtres étaient toujours en place.
Une fois les deux membres de la milice dedans, « ils » surgirent de part et d’autre dans la pénombre les armes à la main.
Un instant suffit à l’apprenti-milicien pour comprendre, qu’il s’agissait d’une embuscade. Un instant suffit également à un couteau de lancé pour se loger dans son ventre.
Macchab lui ne connut pas ce genre de problème. La réflexion était un luxe, qu’un milicien ne pouvait pas se permettre. Il se comportait comme dans une mêlée. On ne songeait pas à la forme de l’attaque ou à une technique quelconque. On transperçait celui, qui était en face, puis enchaînait sur le suivant.
Rodé à ce concept Macchab reprit l’initiative aux assaillants par sa vivacité. Il dégaina sa lame, et commença à ferrailler.
Comme tout les miliciens il usait d’une épée Reitschwert. Il s’agissait d’une sorte d’arme transitoire entre l’épée sur le déclin et la rapière en pleine ascension.
L’épée Reitschwert n’était pas aussi solide et lourde que la vieille épée, ni aussi légère et rapide que la jeune rapière. Quel choix stupide !
Quant à la suite des évènements personne ne fut en mesure de la décrire précisément même bien plus tard.
De l’obscurité, un agencement chaotique, des frappes de part et d’autres, une poursuite dans les couloirs…
Tout en entraînant son complice, Macchab monta sans trop savoir à l’escalier donnant accès au toit.
A présent il pouvait souffler un peu. Parce qu’il se reposait sur un précieux allié, la seconde arme des miliciens, le pistolet. Cette nouveauté issue également de la révolution technologique était en résumé une sorte de version réduite de l’arquebuse.
Face à ce dernier il perdait en puissance et en portée. En revanche on pouvait le tenir d’une seule main.
Le premier de ces salauds à soulever la trappe, comprendrait son erreur.
Ce luxe lui étant désormais accessible, Macchab s’interrogea sur les salauds en question. Qui étaient-ils ?
Les bandes criminelles n’ayant plus rien à pressuriser dans le coin, étaient parties depuis longtemps.
Il ne restait plus que des mendiants, et des personnes recherchées, bref des gens évitant d’attirer l’attention.
Conclusion : les auteurs de ce piège n’étaient pas d’ici.
Soudain on rappela à Macchab, qu’il n’était pas là pour raisonner. Des bruits se manifestèrent à partir du toit d’en face : des pas légers, du genre qui ne veulent pas être perçus.
Macchab revint à ses bases. Il se tourna, et fit feu sur le plus proche : un gamin même pas en âge de se raser. Et le pire est qu’il ne s’agissait pas d’une erreur. L’adolescent brandissait un couteau.
Au lieu du torse initialement visé, la balle atterrit dans l’épaule droite. Pas de doute Macchab perdait la main.
Malgré l’imposant trou dans son corps, la cible resta debout l’air hébétée. Encore un de ces malandrins gavés à cette nouvelle plante étrangère, l’opium.
Son complice juste derrière ne put retenir un cri de guerre en se jetant sur son adversaire.
Une erreur, qui procura une chance à cet épéiste sur le déclin.
Faute de mieux Macchab bloqua la courte lame avec son pistolet. Quant à son assaillant du fait de son saut il ne disposait pas de point d’appui. Ce désavantage permit au vieux milicien de le pousser dans le vide.
Peut-être était-il encore en vie ? Quand bien même il mettrait du temps à revenir à la charge.
Ce qui ne serait pas le cas de tout le monde. Macchab n’aurait certainement pas le temps de recharger son pistolet en supposant, qu’il fonctionne encore. Alors il sortit de nouveau son épée, et s’approcha de la trappe ou du moins essaya. Quatre hommes venaient juste d’en sortir.
Comment ces enfoirés avaient pu être si rapides suite à la diversion ? Et qui étaient-ils d’ailleurs ?
La réponse à la seconde question ne tarda pas. Malgré l’obscurité Macchab distingua les chevelures rousses de ses ennemis et surtout leur tenue ou plutôt leur absence de tenue.
Certes les armures et autres protections lourdes étaient en voie de disparitions. Mais de là se battre torse-nu.
Ainsi il s’agissait de malvésiens.
Pour comprendre leur présence dans la ville il fallait remonter au début de la guerre sans fin.
Les seigneurs de Ranlorn avaient oublié leurs différents afin selon les versions d’envahir ou de repousser le terrible empire Dorgien.
Il fallut attendre des années et bien des morts avant que le front se stabilise. Suite à ce conflit stérile les nobles perdirent leur pouvoir au profit de l’État, c’est-à-dire une assemblée de notables.
Quant aux habitants des territoires frontaliers qu’on surnommait désormais la Barricade, ils durent migrer par la force des choses. Leurs terres déjà ravagées, vivaient en plus sous une menace constante.
On les parqua çà et là dans le reste de la contrée. Au sein de la Croisée la colline dites des Autres s’en chargea.
Roanne avait été bâti sur un ensemble circulaire de collines. Car cette formation offrait une sorte de protection naturelle.
Parmi les réfugiés de la Barricade les malvésiens étaient les moins nombreux et les plus pauvres. Ce peuple de montagnards eut beaucoup de mal à se faire à la vie citadine. Si bien qu’il engendra une bande désignée sous l’appellation de fils des montagnes. Des gamins, qui compensaient leur jeunesse et leur inexpérience par une violence extrême.
Grands adeptes du brigandage, ils égorgeaient le premier venu pour quelques pièces, et rançonnaient aussi les artisans de leurs rues.
Au moins Macchab savait pourquoi il se trouvait là. Quelques torse-poils (terme désignant les fils des montagnes) s’étaient fait tués par des miliciens dernièrement. Leurs amis les vengeaient à leur façon par le biais de ce piège.
Le nouveau émergeant encore une fois en rajouta une couche à ce drame.
« Les renforts ne vont pas tarder hein ? »
Macchab préféra ne pas répondre. Il ne voulait pas que ses dernières paroles soient un mensonge.
Chaque patrouille de miliciens bénéficiait d’une fusée de détresse destinée à rameuter des confrères en cas d’urgence. En tant que vétéran du duo Macchab la portait. Malheureusement il l’avait perdu durant les combats à l’intérieur.
Épée courte, bâton, faucille, hachette, ces torse-poils disposaient vraiment d’un arsenal primitif.
Par contre ils savaient combattre en groupe. Un lent encerclement se mettait en place sous les yeux de Macchab, qui recula en soulevant au passage son frère d’arme.
Le toit n’offrait aucun mur où s’adosser. Maintenir les adversaires à distance ? Le bâton d’un des malvésiens était plus long que l’épée Reitschwert
N’existait-il pas une alternative ?
Un souvenir remonta alors chez le vieux milicien : une patrouille dans les rues des Autres où résidaient les malvésiens.
Un message y attendait les autorités : un pauvre gars pendu à une enseigne.
Il s’agissait d’un petit boutiquier. Suite à quelques magouilles fiscales pas assez discrètes il avait été contraint de lâcher quelques renseignements à la milice à propos de la délinquance locale.
Les lacérations sur son corps révélaient, qu’il avait bien souffert avant d’être suspendu là-haut. Les fils des montagnes étaient un peu comme les chats. Si l’occasion se présentait, ils faisaient souffrir leurs proies avant de les tuer.
Alors effectivement il subsistait une alternative. Macchab regarda ce gamin paumé à qui on avait mis un uniforme de la milice sur le dos. Il n’y était pour rien après tout. Si on lui avait laissé le temps, il serait peut-être devenu une bonne recrue. Qui sait ?
Et puis merde ! Macchab avait fait tout ce qu’il pouvait au sujet de son coéquipier. L’étape des remords étaient dépassée.
« Désolé gamin. » Lui murmura-t-il à l’oreille.
Est-ce qu’il avait au moins entendu ? Il semblait de nouveau inconscient le petit veinard.
Macchab prit une grande inspiration avant de se jeter dans le vide avec son confère.
Une mort rapide, telle était son alternative.
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