Les terres des cauchemars étaient aussi vides que l’espace, aussi chaotique qu’une éruption volcanique et aussi absurde que l’existence même. Lorsqu’on y demeurait, l’on perdait la notion de la logique, et l’on devenait fou petit à petit, tout en voyant son âme absorbée en un millième de seconde. C’était dans cette douce folie que la souveraine des lieux vivait depuis un temps immémorial, si long que le temps lui-même n’existait plus.
— N'est point mort qui peut éternellement gésir. Au cours des âges, la mort même peut mourir. N'est point mort celui qui éternellement dort, et en d'étranges éternités, la Mort elle-même peut trépasser.
De ses lèvres à moitié cousues, elle prononçait ces paroles sibyllines, inventées par l’esprit d’un auteur terrorisé ayant marqué la littérature humaine par ses talents pour les histoires horrifiques. Lovecraft, voilà un être qui aurait pu être son prophète, tant ses lignes correspondaient à son univers.
D’un pas aérien, elle se mut à travers les dédales de la bâtisse à moitié en ruines. Sa peau blanche était si lisse et translucide, qu’elle demeurait la seule source de lumière en ce trou d’obscurité. Elle était d’une pâleur cadavérique, colorée uniquement de veines aussi bleues que le trouble d’une eau vaseuse. Son visage devait être autrefois d’une grande beauté. Une certaine finesse se conservait dans ses traits, dorénavant torturés et déchirés de cicatrices, cousus ci et là en un affreux rictus.
Des cornes ornaient le haut de sa tête, aussi torturées que des ronces entremêlées. Ses yeux n’étaient que des trous percés dans sa chair, comme si toute sa face demeurait un masque impassible.
Le reste de son corps était aussi tortueux que son expression absente.
Seuls ses pieds étaient à peu près humains. Le reste n’était que chitine, tentacule, griffe, patte de poulet. Elle changeait selon ses envies, ses émotions...
Elle se dirigea vers une vaste salle, où trônait un puits en pierre, dévoré par la mousse et la végétation. En silence, elle chassa quelques créatures difformes qui s’échappèrent en poussant des cris stridents.
— Tu es revenue, douce chérie, tu es revenue en ta demeure.
Penchant la tête par-dessus la rembarre de pierre, elle observa l’eau croupie, dans laquelle se dessinait la silhouette d’Atarillë.
— Je t’ai observé durant ces années où tu as cru pouvoir m’échapper. Mais ta chair est ma chair, désormais, je vais pouvoir te posséder et sentir à nouveau ton divin parfum.
Dans l’onde, le roi Arthur apparut aux côtés de sa souveraine, l’enlaçant tendrement. La reine des Cauchemars eut un rire froid, qui retentit dans la pièce.
— Ton amour n’est qu’un leurre, comme il l’a toujours été, il ne te sauvera pas, il t’abandonnera comme ils l’ont tous fait.
D’un geste, elle transforma son tentacule gauche en une main vaguement humaine. Elle fit remonter l’eau jusqu’à elle, la transfigurant pour qu’elle prenne la forme d’Atarillë. Elle l’approcha d’elle et caressa son visage aquatique, la serrant contre elle.
— Seule moi peux te comprendre.
***
Au petit matin, Aloysius était sur le pied de guerre. Avec les informations fournies par le roi concernant les visions d’Atarillë et Siobhan et les dossiers de la tour des Elfes, il avait passé la nuit à faire des recherches pour savoir exactement tout ce qu’il fallait pour réaliser le rituel. Il s’était donc enivré de boissons énergisantes et sautillait de partout dans le palais, réveillant tous les présents sans ménagement.
Il avait commencé par la chambre de la déesse Aphrodite, désireux de se venger pour avoir été nommé «canasson». Il obtint un râlement de protestation, le rendant entièrement satisfait. Un sourire mesquin se dessina sur son visage, tandis qu’il s’éloignait prestement, essayant d’éviter la foudre d’Aphrodite.
Alors qu’il se rapprochait de la chambre de Belladona, il sentit une vague de chaleur envahir sa poitrine. Il tiqua, tournant la tête nerveusement. Il ne vit personne et poussa un long soupir. Il venait tout de même de titiller une divinité, tout était possible, désormais. Haussant les épaules, il se prépara à crier de toute sa puissante voix lorsque la porte s’ouvrit.
Lorsqu’il la vit, il sentit sa nuque brûler atrocement. Elle était en déshabillé, sa nuisette tombant négligemment sur son corps aux courbes affirmées. Sa chevelure violine cascadait sur ses épaules de manière chaotique, lui donnant un air sauvage. Elle le fixait de ses yeux ensommeillés, brillant d’une étincelle qui sut le captiver. Ses lèvres lui devinrent subitement aussi alléchantes qu’un fruit mûr, ne demandant qu’à être croquées.
— Qu’est-ce qui t’arrive, le mage?
Même sa voix irritée était comme une mélodie à ses oreilles. Il secoua nerveusement la tête, sentant un doux parfum l’envahir. Il fut persuadé d’entendre le ricanement d’Aphrodite...
— Je...euh...Il faut se lever...parce que euh...
Belladona papillonna des yeux, retenant un bâillement. Elle peinait à comprendre l’attitude d’Aloysius, jusqu’alors si sûr de lui en sa capacité à enquiquiner le monde, devenant si hésitante en sa présence.
— Tout va bien? Tu veux un café peut-être?
— Hmpf, j’en ai déjà pris. On a une mission...Voilà.
Sans crier gare, il s’échappa, laissant la jeune femme perplexe. Elle s’étira comme un félin, remettant en place le haut de sa nuisette. Une douce fragrance de rose vint titiller ses narines. Esquissant un sourire, elle tourna la tête vers Aphrodite, qui vint se placer à ses côtés. Elle portait en tout et pour tout un voile transparent, soyeux et rosé, qui ne cachait en rien ses formes tout en rondeur.
— Bonjour, divine Aphrodite, vous savez quelle mouche a piqué Aloysius ? Il semblait bien bizarre.
Aphrodite se mit à rire. Elle plongea sa main dans sa volumineuse chevelure rousse, intensifiant le parfum ambiant d’une odeur de lys.
— Tu verras bien.
Belladona pencha la tête sur le côté, guère avancée par la réponse de la déesse. Celle-ci lui offrit son plus grand sourire avant de l’ébouriffer.
— Allons voir si les autres sont réveillés.
Belladona opina puis rentra dans sa chambre pour enfiler quelque chose de plus élaboré. Elle fut surprise de découvrir une garde-robe remplie de belles tenues en tous genres. Elle choisit une robe blanche, constellée de perles d’eau et de flocons cristallisés, qui glissa sur son corps comme une seconde peau. Puis elle rejoint la déesse, qui prit le temps d’arranger sa chevelure, d’un geste maternel.
— Tu n’as pas une tenue plus décolletée?
La demoiselle haussa les épaules. Pendant des lunes, elle avait porté la même toge blanche, alors en termes d’esthétisme, elle n’était pas la plus connaisseuse. La déesse sourit, incantant et rendant sa tenue encore plus aguicheuse qu’elle ne l’était. Belladona haussa un sourcil.
— Il y a une raison particulière?
— Oui, ennuyer Aloysius, tu vas voir, c’est très drôle.
Belladona haussa un sourcil, quelque peu perdu. Mais Aphrodite ne lui laissa pas le temps de poser d’autres questions qu’elle l’entraîna à travers les dédales de couloirs. Après quelques minutes, elles arrivèrent dans une grande cuisine, aux couleurs chaudes, meublées d’un vaste plan de travail d’un noir ébène, contrastant avec les tiroirs et rangements en bois clair et strié de rayures et de taches brutes. Une table ronde était installée, couverte d’une nappe blanche en dentelle. Divers serviteurs polynésiens faisaient le service, voir discutait avec la petite troupe confortablement installée sur des chaises sculptées de tikis. Les enfants du couple royal étaient présents, ainsi que Hine et Aloysius. Arthur et Atarillë n’étaient pas encore arrivés.
Aloysius semblait pris dans une grande discussion, détaillant l’ensemble de ses recherches. Lorsqu’il leva les yeux sur Belladona, il devint rouge comme une tomate et se stoppa net. Aphrodite éclata de rire, satisfaite de voir la tête du mage.
— Bonjour tout le monde! Tu as bonne mine mon canasson!
Aloysius grinça des dents, se retenant de dire quoi que ce soit. Loan se mit à rire de même que Morgan, les deux canailles appréciant le spectacle matinal. Hine, quant à elle, savourait son lait sans sourciller, cachant un fin sourire derrière sa tasse. Aphrodite reprit la parole, glissant un regard sur les enfants.
— Où sont nos deux monarques? J’ai cru comprendre que votre père était là, vu votre présence mes chatons.
Le jeune Loan opina du chef tout en avalant une tartine de confiture. Morgan prit la relève en répondant à la déesse.
— Selon Aloysius, ils n’étaient pas dans leur chambre, alors il suppose qu’ils ont longuement discuté de la mission durant la nuit dans un bureau. Mais bon, moi je n’y crois pas.
— Que veux-tu qu’ils fassent d’autre? répliqua Aloysius, choqué.
— La même chose qui te passe à l’esprit avec Belladona?
Aphrodite avait claqua cette phrase d’une voix douce et mielleuse. Mais la réponse eut l’effet d’une bombe. Belladona qui s’était installée et savourait une tasse de thé se mit à rougir brutalement. Aloysius, outrée, fusilla du regard Aphrodite qui se contenta de lui envoyer un baiser.
— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler! Je ne pense pas à ce genre de choses!
— Un étalon qui ne pense pas à ce genre de chose? À d’autres...
Aloysius bredouilla, évitant au maximum de regarder Belladona. La déesse jubilait, tout en savourant un petit biscuit recouvert de miel. Les deux adolescents riaient aux éclats.
C’est sur cette note d’hilarité et de malaise qu’arrivèrent Arthur et Atarillë.
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