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tome 1, Chapitre 19 « Mission Administration » tome 1, Chapitre 19

La salle des archives était sans doute bien plus immense que les archives du Vatican. Les dédales de couloirs interminables étaient remplis de documents. Les lieux disposaient de plusieurs grandes salles de lectures, creusées dans la pierre noire, illuminées par des flambeaux bleus qui flottaient dans les airs. Aux comptoirs, des silhouettes grises et mornes s’affairaient de manière ordonnée. Rares étaient les visiteurs et un silence pesant dévorait chaque parcelle de l’immensité des Archives des Enfers.

Près de l’imposante porte de pierre de lave se tenaient Aphrodite, Belladona et Atarillë. Avec précaution, Belladona mit un capuchon noir sur la tête de la souveraine.

— Il faudra rentrer à mon signal, votre Majesté.

Aphrodite semblait en pleine réflexion, observant avec attention chaque recoin de la gigantesque salle. Les Zélons, ces êtres humanoïdes, aux origines diverses, avaient pour point commun une peau d’un gris anthracite. Leurs regards vous perçaient l’âme de leur vide sidéral. Ils étaient environ six, occupés à trier des dossiers avec précision. Chaque tampon était apposé de manière perpendiculaire à la feuille. Aphrodite roula des yeux.

— Il va me falloir un document, ou une requête valable. Même avec les dieux, ils sont infernaux.

La déesse se tritura une mèche de cheveux, pensive. Soudain, les yeux de Belladona s’illuminèrent.

— Vous aviez rempli un document attestant de votre présence sur Terre?

Aphrodite cligna des yeux puis pencha la tête sur le côté.

— Je l’ai fait en partie, mais j’étais pressé...

— Vous l’avez votre excuse, vous pouvez dire que vous venez régulariser votre situation. Et vu leur fanatisme du protocole, vous en aurez pour un moment.

— Oui, mais ça dépend normalement des Archives célestes, pas forcément des enfers...

— Voilà qui est gênant...

Aphrodite poussa un soupir. Belladona ouvrit à nouveau la bouche, mais la referma aussitôt, apparemment en panne d’idées. Soudain, la souveraine se manifesta.

— Et pour votre présence ici, vous avez un dossier?

— Non, en effet! Je suis sûre que je vais les faire râler pour une heure ou deux avec ça!

Esquissant un large sourire, la déesse de l’amour s’élança dans la pièce, attirant tous les regards en un instant. Marchant d’un pas chaloupé, elle adressa son sourire le plus mielleux au premier employé qui semblait le moins «occupé». Celui-ci, un elfe à la longue chevelure tressé, la fixa d’un air blasé.

— Bonjour divinité du dessus, que puis-je faire pour vous? Avez-vous un ticket pour pouvoir accéder au comptoir?

— Bonjour! Euh, un ticket? Mais il n’y a personne, enfin...

— C’est le règlement, pour venir ici, il faut un ticket.

— Excusez-moi, mais le système des tickets a été mis en place pour gérer l’afflux de population, non? Là il n’y a perso...

— C’est le règlement, aller prendre un ticket.

Affichant une mine outrée, Aphrodite repartit chercher son ticket. De leur côté, Belladona et Atarillë demeuraient pantoises de la scène qui venait de se produire.

— Ils sont sérieux? Un ticket alors qu’il n’y a personne...

— Ne cherchez pas à comprendre, sinon votre tête risque une sévère migraine.

La jeune femme posa sa main sur l’épaule d’Atarillë.

— Dès que la déesse sera à nouveau au comptoir avec son ticket, vous pourrez vous faufiler.

— Mais, comment j’arriverais à trouver mon dossier dans ce dédale sans fin?

— Suivez votre instinct, vous trouverez.

Perplexe, la jeune reine se mit aux aguets. La déesse finit par arriver au comptoir, avec son ticket qu’elle avait mis un certain temps à trouver. Rapide, la rousse s’élança, sentant un sort fuser sur elle à ce moment précis. Des picotements parcoururent son échine. Pendant un bref instant, elle crut avoir été repérée, mais elle comprit rapidement que son acolyte l’avait rendue invisible. En regardant sa main, elle paniqua quelque peu de la voir si translucide. Reprenant contenance, elle se faufila dans les rayonnages. Des milliers de classeurs, rangés à la perfection sur les étagères, lui firent face. Ses pas étaient légers comme une plume, elle se sentait à peine exister dans ces archives sans fin.

« Suivre mon instinct...»

Atarillë balaya chaque dossier du regard. Quelques éléments attirèrent son attention « Dossier sur la Seconde Guerre mondiale», « La mort de Cléopâtre», « Histoire de la chute de l’Empire aztèque». Elle crut un instant se trouver dans un cours d’Histoire. D’autres dossiers traitaient des sujets qui ne relevaient pas de la chronologie humaine. « La Guerre des Trolls» est le document qui l’interpella le plus. C’était un volumineux classeur relié de cuir, aux lettres d’or. Au moment où elle approcha sa main, un bruit la fit sursauter.

Des bruits de pas se rapprochaient dangereusement d’elle. Elle allait se cacher lorsqu’elle se souvint qu’elle demeurait toujours invisible, elle n’avait rien à craindre. Du moins, c’était ce qu’elle espérait. Une nymphe à la peau grise s’approcha. Ses yeux étaient si inexpressifs que la Reine eut un pincement au cœur en la voyant. Elle s’imaginait les nymphes rieuses, joyeuses et dansant toute la journée. Voir cette femme aux mille fleurs mourantes dans ses cheveux,l’air si terne et déconnecté du réel lui donnait des frissons. Méticuleusement, la zélon vint ranger d’autres dossiers, passant près d’Atarillë comme si elle n’existait pas.

L’employé repartit comme elle était venue, tel un courant d’air. Atarillë jeta un coup d’œil aux dossiers qui furent rajoutés sur l’étagère.

Rien que des dossiers sur Christophe Colomb et Jules César. Bon sang, ça va me prendre une éternité...

Elle parcourut les rayonnages durant de longues minutes, sans succès. De temps en temps, elle jeta son attention sur Aphrodite. Si elle était invisible, pourquoi diable envoyer la déesse de l’amour les occuper?

Soudain, elle se sentit observée. Tournant la tête vers une corniche, elle remarqua un oiseau, totalement gris lui aussi, la fixer d’un œil noir. Cette créature ressemblait à un mélange entre un corbeau et un perroquet sans couleur, possédant de grandes pupilles d’un noir de jais. Et aussi invisible soit-elle, elle était dans sa ligne de mire. La créature commença à brailler.

Atarillë se mit à courir, essayant de fuir son regard inquisiteur et son cri d’alarme. C’est à ce moment qu’elle entendit Aphrodite faire un scandale.

— Non, mais c’est intolérable! J’ai besoin de ce papier pour résider ici auprès de ma protégée! Vous ne pouvez pas faire ça!

Prenant sa voix la plus aiguë, elle réussit à détourner le regard de l’oiseau qui vint voler dans sa direction. La reine n’eut pas le temps de soupirer qu’elle sentit une main l’attraper. Elle retint un cri et fut entraînée plus loin.

— C’est moi, votre Majesté...

Tournant la tête, elle fut soulagée de constater qu’il s’agissait bien de Belladona. Enroulée dans une cape violine aux reflets changeants, sa figure engouffrée dans la pénombre avait un tout autre aspect. Sa peau semblait plus violette encore et ses yeux incandescents lui donnaient un air presque inquiétant.

— J’aurais dû vous prévenir, chuchota-t-elle, je suis navrée, il y a des oiseaux éclaireurs, ils surveillent les lieux en permanence, d’où votre sort d’invisibilité.

— Bon sang...Et vous êtes invisible aussi?

— Oui, mais j’ai mis un sortilège pour que vous puissiez me voir. Il va falloir faire vite, je ne doute pas des talents de la déesse de l’amour, mais elle ne tiendra pas ainsi éternellement.

— Vous avez une idée d’où peut se trouver mon document?

— Malheureusement, je ne connais pas les archives, seuls les employés les connaissent comme leur poche. Ce n’est pas une bibliothèque et les Zélons ont leur système de rangement...bien à eux.

La reine poussa un léger soupir. Elle devait écouter son instinct, mais perdue dans ce labyrinthe d’archives, la tâche s’avérait compliquée.

« Un ciseau tranchant pouvant rompre le fil de l’Univers»

Clignant des yeux, Atarillë balayait l’endroit de ses prunelles vertes. Elle était persuadée d’avoir entendu une voix sibylline prononcer ces mots.

Son regard se figea sur un fil d’argent, légèrement brillant, posé sur le sol et s’étendant plus loin dans la pièce.

— Belladona, vous voyez ça?

— Quoi donc?

— Et bien, ce fil argenté là.

— Je ne vois rien, je suis navrée.

La demoiselle rousse se mordit les lèvres. Apparemment, elle était la seule à le voir. Elle vint à se demander si ce fil n’était pas l’incarnation de son intuition. Haussant les épaules, elle attrapa la main de Belladona et l’entraîna discrètement à travers les rayons, suivant religieusement le fil.

« Un fil jusqu’au début du rêve, bien avant la chute...»

Cette voix revint tintée à son esprit. Elle semblait si lointaine et si lancinante à la fois. Plus elle suivait le chemin, plus elle sentait un poids s’appesantir sur sa poitrine. Chaque rangement, chaque pièce se ressemblait ici, sans ce fil, elle n’aurait jamais trouvé la bonne direction.

Au bout de plusieurs minutes, elles arrivèrent dans une plus grande salle. À moitié circulaire, elle comportait des milliers d’ouvrages, aux multiples couleurs.

Le fil était accroché à l’un d’entre eux.

— Je crois que j’ai trouvé.

Belladona pencha la tête sur le côté. Elle avait suivi la souveraine tout en veillant à leur furtivité. Sans relâche, elle avait surveillé les drôles d’oiseaux sentinelles qui quadrillaient chaque secteur. Fixant désormais ledit livre, qui était perché tout en haut de l’étagère. Voyant son désarroi, Belladonna incanta dans un murmure, rendant la reine plus légère qu’une plume. Celle-ci esquissa un sourire et s’élança vers le plafond.

Lorsqu’elle arriva tout en haut, elle attrapa l’imposant ouvrage relié d’or et d’argent et le ramena à la reine, redescendant avec légèreté.

« La vie d’Atarillë, souveraine des Terres d’Eleysia, dit le Pays d’Argent»

La reine haussa un sourcil. Lorsqu’elle eut l’ouvrage en main, elle le détailla avec curiosité.

— Il y a un ouvrage pour chaque individu existant?

— Oui. C’est pour ça que c’est immense ici, il y a un ouvrage pour tout. Nous n’avons vu qu’une partie infime du bâtiment.

Secouant la tête, Atarillë ouvrit délicatement le livre. Elle n’en revenait pas, elle avait entre ses mains le condensé de toute sa vie, qui fut totalement enfouie dans sa mémoire. Est-ce que sa vie humaine y était notée également? Elle voulait en savoir plus. La reine en oubliait presque l’idée qu’elles devaient rester discrète et partir dès qu’elles avaient trouvé ce qu’elle chercher. Elle voulait savoir.


Texte publié par PersephonaEdelia, 8 novembre 2023 à 22h23
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