Une odeur de monoï hantait les couloirs. Cette fragrance suave et exotique adoucissait les pensées de Belladona. Elle venait d’accompagner la souveraine dans sa chambre, en présence d’Aphrodite. Elles eurent besoin de temps pour l’apaiser et répondre à ses questions. Elle comprenait aisément que la pauvre Atarillë ne savait plus où donner de la tête. Mais étant arrivée assez précipitamment dans cette affaire, elle-même manquait d’informations. Belladona se demandait comment une monarque qui semblait aussi bien entourée pouvait être tombée aussi bas.
Aphrodite tourna son regard vers elle. Observant ses gestes et son attitude, elle essayait de percer sa nature. Puis, elle prit finalement la parole.
— Ces couloirs sont interminables, n’est-ce pas?
Sortie de ses pérégrinations mentales, Belladona sursauta légèrement et détailla Aphrodite. Il était évident à ses yeux que cette phrase bateau n’était là que pour amorcer la conversation.
— hm, oui, après tout, le palais originel est gigantesque.
— C’est fascinant, j’ai vu ce château pousser de mes propres yeux, répondit Aphrodite qui esquissa un sourire nostalgique.
— Vraiment?! s’exclama Belladona, surprise. Mais il n’a pas été construit il y a des millénaires? Est-ce la fée Mélusine qui est passée par là?
Aphrodite se mit à rire.
— Rien de tout ça, le pays d’Eleysia, de même que pour les Terres de Minuit, sont très jeunes. Ces pays sont nés de l’action de la pomme d’argent.
— La pomme d’argent? L’une des trois pommes légendaires?
— Oui, Atarillë en est la détentrice.
— Oh, elle est toujours en sa possession? Je veux dire...Comment en est-elle arrivée là, avec un tel pouvoir entre ses mains?
— C’est une longue histoire.
Alors qu’elles marchaient d’un pas lent, Aphrodite se stoppa. D’un regard, elle balaya la pièce. Le vaste couloir semblait capter toute la lumière du soleil. De grandes baies vitrées illuminaient l’endroit d’une lueur pâle, nimbant les lieux comme un halo venant d’un autre monde. Dehors, on pouvait voir le coucher de soleil permanent qui baignait l’archipel d’un voile carmin. Perdue dans cette contemplation, Belladona sortit la déesse de ses rêveries en effleurant sa main.
— Vous pouvez me la raconter?
Aphrodite esquissa un sourire et hocha doucement de la tête. Elle repéra un petit cabinet parmi les nombreuses pièces que desservait ce chemin d’albâtre aux moulures dorées. Elle l’invita à la suivre et s’engouffra à l’intérieur. La pièce était un petit salon rococo, aux tapisseries vert d’eau présentant des arabesques argentées en forme de roses abstraites. Une grande fenêtre offrait le doux spectacle des îles flottant sur l’onde, baignées par le ciel orangé taché d’or et de pourpre. Des canapés de style ancien régime, garnis de tissu mordoré vert et or, étaient inondés de coussins brodés. Une table basse en fer forgé et en verre complétait l’ensemble, sur laquelle trônait un vase en cristal finement sculpté, rempli de fleurs exotiques odorantes.
Aphrodite l’invita à s’installer, ne pouvant détacher son regard de la beauté des lieux durant quelques secondes.
— Cet endroit est magnifique. J’avoue que j’aurais imaginé les enfers autrement.
— Les enfers sont pleins de surprises.
— Et vous avez l’air de bien les connaître.
Un fin sourire se dessina sur les lèvres de Belladona. Alors qu’elle allait répondre, l’on tapa à la porte.
— Entrez, dit Aphrodite d’une voix claire.
La porte s’entrouvrit. Un serviteur maori apparut alors. Il était vêtu d’une tenue traditionnelle constitué d’un pagne noir et d’une riche parure en nacre et en os. Son corps musclé était tatoué quasiment de la tête aux pieds et son regard d’azur se posa sur les deux jeunes femmes.
— Excusez-moi, Déesse, demoiselle, j’ai appris votre présence dans le cabinet, je venais m'enquérir si vous aviez besoin de quelque chose.
— Oh, eh bien, j'aimerais bien un thé, avec des petits gâteaux à la rose, demanda Aphrodite, enjouée.
— Fort bien, déesse, quelle saveur désirez-vous pour le thé? Le jardin des îles vermeilles offre un large choix de fruits, dont même le jus des pommes des Hespérides, sélectionné pour les papilles les plus délicates. Des fraises, des mangues géantes et colorées, des «Graines de paradis vert», elles aussi, issues du fabuleux jardin, des grenades de Perséphone...
À mesure que l'imposant maori décrivait les différents fruits des jardins fabuleux, l’esprit de Belladona vagabonda dans ces paysages. Les vallées fleuries du Jardin d'Hyperborée, inondées de paillettes de neiges tièdes, qui nimbaient de lumière les roses aux mille pétales holographiques. Les chênes massifs aux feuilles d'argent abritaient sous leurs branches sombres comme l'ébène, des fleurs gigantesques aux corolles d'orchidées transparentes, possédant un pistil rouge, doux comme du velours et exaltant d'un parfum suave et safrané. Des créatures étranges et fascinantes vivaient dans ces lieux, où la température ne chutait jamais en dessous de 20 degrés. Des wyvernes aux écailles argentées, et aux collerettes de plumes multicolores, se faufilaient dans les vergers pour dévorer les graines de paradis vert, grosses grappes de raisins vermeilles. Des chats ailés au pelage cotonneux venaient coller les jambes des nymphes s'occupant de la récolte des pommes d'albâtre.
— Demoiselle Belladona? Vous prendrez quelque chose?
— Oh...
Sursautant légèrement, la demoiselle reprit conscience du décor qui l'entourait. Elle opina doucement et prit la parole de sa voix fluette.
— Un thé de « Graines de Paradis vert », je vous prie.
Le serviteur hocha la tête et s'inclina, avant de laisser les deux dames entre elles. Aphrodite esquissa un fin sourire et posa à nouveau son attention sur sa comparse.
— Nous disions, donc, que vous semblez bien connaître les enfers.
— Et bien, je suis une voyageuse entre les plans. J'aime découvrir de nouvelles choses.
— J'ai rarement vu de jeunes plantes comme vous, pourtant j'ai pas mal bougé également.
Un sourire mutin se dessina sur le visage de Belladona. D'un geste nonchalant, elle entortilla une mèche sombre autour de son doigt. La déesse de l'amour la détailla quelque peu. La physionomie de Belladona lui échappait. Était-elle une nymphe? Son visage fin, sa peau légèrement violacée sur les tempes, ses grands yeux parme lui donnaient un côté féerique, presque enfantin. Ses lèvres rosées étaient telles des pétales de fleurs. L'innocence aurait pu la choisir comme égérie, mais elle possédait également un charme qui contrastait avec cette première impression. Une lueur espiègle brillait dans ses yeux, ses pommettes hautes et marquées lui offraient un air noble et son sourire fourbe par moment lui rappelait les malices venimeuses de Loki.
— Je viens de loin, si j’ose dire.
— Vous ne voulez pas dire d’où exactement?
— D’où l’on vient ne fait pas de nous ce que nous sommes.
— Pourtant si, c’est le départ de ce que nous sommes, le terreau de notre âme.
Aphrodite sourit d’un air étrange, fixant les prunelles de Belladona.
— Vous êtes comme ma protégée, à trop vouloir oublier d’où l’on vient, on oublie un peu qui l’on est, au fond de nous.
— L’endroit d’où je viens est une blessure, vous savez. La reine vient d’un endroit si doux, en comparaison. Malheureusement, le venin s’est infiltré dans ce beau jardin.
Aphrodite poussa un soupir. Elle allait reprendre la parole lorsque l'on toqua à nouveau à la porte. C'était le serviteur maori qui revenait avec un plateau sur lequel était disposé deux théières fumantes émanant de parfums fruités et fleuris, deux tasses décorées de symboles polynésiens et différentes pâtisseries en forme de boutons de rose.
- Comme c'est charmant, je vous remercie jeune homme.
Le serviteur s'inclina et fit le service, faisant couler délicatement le thé dans les tasses, qui exaltèrent davantage de leur fragrance sucrée. Suite à cela, il s'inclina à nouveau et prit congé une dernière fois.
De ses doigts graciles, Aphrodite se saisit de sa tasse et but une gorgée. Belladona en fit de même et posa son regard vers la fenêtre, observant le paysage, songeuse.
— Qu'est-ce qui a déclenché tout ça?
Belladona venait de briser le silence. Aphrodite pinça ses lèvres. Cette question anodine alourdit l'atmosphère.
— Le désespoir.
Sa voix fut presque tranchante, aussi troublée que l’était la situation, aussi changeante que l’était l’ambiance dans ce petit salon. La déesse prit une longue gorgée de son thé avant de reprendre la parole.
— Connaissez-vous l’histoire de la guerre des Trolls, demoiselle?
Belladona opina doucement, buvant une gorgée de thé. Aphrodite plongea ses doigts dans sa chevelure.
— Je suppose que vous connaissez ce que tout le monde connaît. Les trolls ont dérobé un objet extrêmement précieux, la pomme d’or. Notre reine possédait celle d’argent. Elle était donc leur future cible. Car les trolls, autrefois gardiens de la nature, furent dégoûtés des exactions des êtres humains sur Terre. La guerre fit rage, Eleysia fut dévasté et...
À ce moment, l’on toqua à nouveau à la porte. Aphrodite pencha la tête sur le côté.
— Entrez...
La porte s’ouvrit tout doucement. La tête d’Atarillë apparut, ce qui arracha un sourire à la déesse de l’amour.
— Tu ne te reposes pas?
— J’en ai marre de rester enfermé dans une chambre.
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