Atarillë
Je pensais sincèrement que les discussions avaient calmé mon esprit. Le simple fait de respirer quelque temps, sans bouger, de saison, de parfum, m’avait apaisé. N’importe qui aurait perdu pied face à autant de changements, tant de nouvelles têtes croisées, rencontrées. Je devais donc vivre dans un palais reconstruit, similaire à celui d’Eleysia, pour retrouver ma mémoire. Je serais en présence d’Aphrodite, déesse de l’amour, de l’esprit incarné d’une plante, d’un mage et de la gardienne de ces lieux, Hine-nui-te-po. J’aurais sans doute de la visite. Ryuko me manquait un peu, cette vive demoiselle n’avait plus paru depuis l’attaque. Et je devais bien l’avouer, mais le Roi me manquait encore plus.
Au bout de trois heures, un nouveau portail s’ouvrit, au-dessus des eaux. Une franche lumière trancha avec le crépuscule dormant, qui laissait place à la nuit sur ces îles.
Les dieux apparurent les uns après les autres. Je reconnus Hadès, suivi de Perséphone, de la terrible Ereshkigal à leur suite, fixant tout le monde d’un air sombre. Tous dégageaient d’une aura de majesté, affichant un port altier et droit. Ils se dirigèrent vers Hine, marchant sur l’eau le plus naturellement du monde.
J’avais envie de me dire que j’étais en train de rêver, mais les événements avaient martelé mon esprit, me faisant comprendre que ce que je vivais était réel, du moins pour moi.
Hadès s’adressa le premier à notre hôte.
— Nous avons fait le plus rapidement possible, les Architectes sont venus avec nous.
Plusieurs ombres surgirent de nulle part à leurs côtés. Je ne pouvais m’empêcher de sursauter. Il s’agissait de silhouettes vaporeuses, uniquement constituées d’ombres et d’un fin squelette luminescent à peine perceptible en cette nuit étoilée. Sur un geste d’Hadès, ces êtres énigmatiques se précipitèrent sur l’île.
Ce qui se produisit dépassait l’entendement. Les cocotiers furent littéralement écartés de leur place, comme si l’on déplaçait un item dans un jeu vidéo, pour créer une carte d’une zone. Des murs lumineux jaillirent au loin, formant les prémices de ce qui deviendra sans doute un palais. J’étais captivée par le phénomène qui ressemblait vraiment à un songe de lendemain de soirée.
Je ne vis pas Perséphone s’approcher de moi, ce qui me fit à nouveau sursauter.
— Pardon petit oiseau, je ne voulais pas te faire peur.
Sa voix était une caresse, une douce sensation terriblement apaisante.
— Non, je vous en prie, j’étais dans la lune
— Hum, c’est fascinant n’est-ce pas? Cette capacité à créer, l’on pourrait presque croire que cela ne naît de rien. Et pourtant rien ne jaillit du vide. C’est de la matière modifiée, sculptée, de l’énergie utilisée pour donner ce résultat, un château sorti de nulle part.
Je ne pus qu’écouter, ce qu’elle disait était à la fois étrange et fascinant. Sa peau si pâle contrastait à merveille avec sa chevelure sombre, aux reflets rouges brillants à la lueur des astres. Elle me souriait comme une mère sourit à sa fille.
— Il faudra que tu prennes le temps de récupérer le moindre souvenir.
— Il faudra surtout qu’elle songe à trouver le sortilège pour lever la malédiction.
La voix puissante d’Ereshkigal surgit. La femme ailée me fixait de ses prunelles d’un noir intense, me sondant de part en part. C’était très malaisant.
— Le mal qui te ronge doit être levé, mais au prix d’un long rituel, c’est à toi d’en faire les recherches. Nous acceptons de t’aider si tu t’aides en retour.
Cette phrase tombait comme un couperet. Il était évident que je devais faire des efforts, mais cette réplique ne laissait aucun retour possible. Je devais cesser de fuir et plonger la tête la première dans cette vie étrange, mais qui était pourtant la mienne. J’avais encore peur, mais je me sentais encore plus déterminé. Elle parlait de rituel, je devrais pouvoir m’en sortir. Petite, ma grand-mère m’initiait à de petits sortilèges et en grandissant j’avais exploré moi-même les vieux grimoires. L’adolescente que j’étais aimait à dévorer les différents monuments de l’ésotérisme: le Grand et le Petit Albert, différents manuels de magies, plus ou moins récents. En devenant une jeune femme, j’avais laissé ça de côté. Mais mes souvenirs devraient m’aider, à supposer que la magie féerique fonctionnait de la même manière que dans les bouquins d’occultisme humain.
Tandis que le palais prenait doucement forme, les dieux discutaient entre eux. Hine semblait bloquer sur un sujet, qui provoquait de vives controverses.
— La laisser circuler dans les archives? Tu plaisantes, j’espère ! gronda Ereshkigal.
Ses ailes s’agitaient frénétiquement et de ses pattes d’oiseaux, elle creusa le sable. J’avoue qu’elle ne m’inspirait guère confiance.
— Si vous voulez qu’elle retrouve sa mémoire au plus vite, c’est la meilleure solution, répondit Perséphone, d’une voix posée.
Je sentais qu’elle n’appréciait guère sa comparse ailée, lui lançant un regard dur qui tranchait avec sa douceur immense.
— Il y a trop d’informations précieuses pour la laisser fouiller sans vergogne!
Persophone ouvrit la bouche. Mais Hine posa une main sur son épaule. Étrange qu’elle n’insistât pas, Hine nui-te-po s’était révélée d’un caractère fort jusqu’à présent. Je croisais ses pupilles. Une vive étincelle malicieuse brilla dans ses prunelles. Je me demandais ce qu’elle avait derrière la tête.
Je soupirais et admirais un peu plus l’endroit. Si les jardins des Hespérides offraient un paysage d’or et de feu, ces îles de minuit laissaient place à mille camaïeux de violine et de bleu sombre. Les étoiles scintillaient de mille feux dans le ciel. Mur par mur, l’édifice s’élevait dans la voûte céleste avec fierté. Les ombres s’affairaient à une vitesse telle que je peinais à les percevoir. La conversation reprit doucement, sur des sujets que j’avais du mal à saisir.
Soudain, un frisson me parcourut l'échine. La mer me captivait. Je me revoyais, sortie de mon propre corps, portant une longue robe blanche. Je fixais ce même horizon, une épée à la main, similaire à celle qui apparut à mes côtés lors du combat contre le Minotaure décomposé. Une sensation de plénitude me saisit. À nouveau, je ressentais des picotements dans mes doigts. J’observais le lointain, admirant l'éclat de lumière dans la lame d'argent. Sans comprendre ce que je faisais vraiment, je me mis à tracer un symbole dans le sable de la pointe de mon arme.
Une chanson me vint à l'esprit:
" Chaque volant de ma robe est un souvenir
Qui s'accroche à mon âme comme des pétales de rose
Que le néant s'éloigne, par le fil de la lame"
Je vis ma robe flotter autour de moi, composée de milliers de volants translucides, dansant comme des corolles blanches. La mer semblait s'illuminer à l'horizon et ma lame se mit à scintiller, son chant emplissant l'air d'un son aigu et entêtant.
Des symboles s’incrustèrent dans le sable, formant un cercle constellé de rune. Je me sentais si sereine. Pour une fois, je n’étais pas dans un endroit où tout me semblait flou et lointain.
Soudain, une vive douleur me lacéra la poitrine. Je me mis à tousser, sentant un liquide brûlant couler sur mes lèvres. Une ombre noire se mit à grignoter ma peau, dans une sensation de brûlure insupportable. Un sentiment d’échec cuisant dévorait mon âme, j’avais échoué à sauver mon monde, à sauver mon esprit...
Une force en moi refusait de se laisser envahir, mais je sentais ma conscience s’éteindre. Jusqu’à ce que je me sente secouer, dans tous les sens.
— Atarillë! Réveille-toi! Qu’est-ce qui t’arrive?!
Cette voix me semblait si lointaine. En face de moi, je voyais le ciel s’effondrer, dans une chute inexorable où toutes les étoiles se suivaient jusqu’à se fracasser, laissant des tessons de porcelaines brillantes dans le sable.
— Reviens, Atarillë!
Je tressaillais brutalement. Tout mon corps tremblait, mon esprit partait dans tous les sens. J’avais l’impression d’avoir ma tête coincée dans un bocal remplie d’eau trouble. Ma vision se fit de plus en plus nette au fur et à mesure que je ressentais à nouveau mes membres. Aphrodite me regardait de ses grands yeux bleus baignés d’inquiétude. Si seulement je pouvais percevoir autre chose que de l’inquiétude dans ce monde, cela me changerait un peu...
— Que t’est-il arrivé? Tu étais en train de crier, de tousser, de te débattre...
— J’ai eu une vision...
La déesse écarquilla les yeux puis jeta un regard derrière elle. Le Palais était quasiment achevé. Les ombres avaient réalisé cet édifice si rapidement, cela m’impressionna. La déesse oiseau, Ereshkigal, me fixait avec un intérêt certain qui me rendait mal à l’aise. Perséphone et Hine se rapprochèrent de moi et d’Aphrodite qui me serra contre elle. Sa peau sentait la pommade de rose et de jasmin. Ce parfum me rassura, j’avais l’impression d’avoir déjà senti cet effluve quelque part.
— Raconte-moi donc, reprit la déesse callipyge, tout en gardant à l’œil la divinité mésopotamienne.
Les mots restèrent un moment coincés dans ma gorge. Je sentais encore le parfum de l’écume me chatouiller les narines, odeur si prenante durant la vision. J’arrivais malgré tout à marmonner quelques mots, qui sortaient de manière erratique de ma bouche.
— J’ai...vu...une épée...la plage...rituel
La déesse fronça les sourcils, et se tourna vers Ereshkigal.
— Vous voyez toujours un inconvénient à ce qu’elle ait accès aux archives?
— Toujours, oui.
— Mais enfin, il devient de plus en plus évident qu’elle ait besoin d’y avoir accès!
J’avais rarement vu le doux visage de cette belle femme divine empourpré ainsi de colère.
— Débrouillez-vous autrement.
Aphrodite soupira, reprenant son sourire habituel. Ce changement brutal d’expression ne m’annonçait rien qui vaille. Je peinais également à comprendre pourquoi cette déesse refusait que j’aie droit aux archives. D’un geste de la main, Aphrodite semblait vouloir balayer tous les problèmes. Je posais mon regard sur Perséphone qui roula des yeux, tentant d’ignorer Ereshkigal qui s’éloignait à grands pas.
La plupart des divinités infernales présentent s’en allèrent, seules Hine et Perséphone restèrent. Je me tournais donc vers le nouveau palais. Mon souffle fut coupé tans il était à l’identique que celui du Pays d’Argent.
Une fragrance particulière s’en dégageait, comme une odeur de pierre mouillée, de fleur de tiaré et de belladone.
Belladona vint près de moi et me tendit la main. Hésitante, je la pris et elle m’entraîna dans la direction de l'édifice de cristal. Son parfum se mêlait à l'atmosphère ambiante. La douce fragrance de rose d'Aphrodite ajouta une touche de délicatesse à ce tableau olfactif. Des serviteurs se trouvaient déjà en faction devant les grandes portes translucides. C'étaient de massif maori, affichant un air placide et stoïque. Ils s'inclinèrent en nous voyant arriver et nous laissèrent le passage avec une facilité déconcertante.
Un flot d'images et de sensations m'envahirent. À cet instant, j'avais compris que ce Palais, même étant une copie de l'original, représentait ma véritable demeure, transposée dans le monde des enfers. Il aura fallu que je descende dans les méandres des terres chthoniennes, pour le comprendre.
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