Arthur fut salement touché. Il avait en premier lieu réussi à esquiver la majeure partie des coups de la créature. Mais plus le combat continuait, plus le Minotaure semblait gagner en énergie et en fureur, là où lui commençait sévèrement à fatiguer. Il n’avait pas vu venir ce coup de griffe vers son échine. Étalé au sol, il se relevait avec peine, voyant du coin de l’œil son ennemi se rapprocher dangereusement de lui. Aasbjorn l’avait repéré. Il eut l’espoir qu’il intercepte le monstre en plein élan, mais sa route fut barrée par la cavalière décomposée qui le fit voler plus loin d’un grand coup de masse avant de s’attaquer à des soldats. Le martèlement des sabots faisait trembler la terre. Tout se déroula si vite. Il se dépêcha d’essayer de se relever, mais la douleur le clouait au sol et un bourdonnement saisissait sa tête. La sensation était insupportable. Sa vue se troublait, son cœur battait la chamade. Le temps semblait ralentir. Il avait l’impression que celui-ci se distordait. Quelques secondes qui pourraient tout changer. Sa vie s’accrochait à ces quelques graines de sable s’écoulant dans le sablier. Il était tout prêt, à peine relevait-il sa tête qu’il vit déjà les sabots de la bête non loin de son crâne.
Il eut juste la force de se protéger derrière son bras. Cette chose était trop rapide, trop puissante. C’était comme si le sol le dévorait, l’empêchant de réagir à temps.
Mais un éclat de lumière fit brusquement reculer le monstre. Un cri déchirant perça le ciel. Le Minotaure venait de voir son visage ronger par l’éclat solaire qui venait illuminer le champ de bataille. Tournant péniblement la tête, il vit une apparition miraculeuse.
Auréolée d’une lumière argentée, intervint la souveraine du royaume. Elle flottait dans les airs, vêtue d’une robe bleu nuit aux milles voiles dansant sur son corps. Une armure argentée et ciselée, aux multiples gravures symbolisant des runes et des écritures féeriques couvrant sa poitrine et ses bras. Ses jambes étaient bottées et renforcées de plaques de métal similaire au reste de sa protection. D’une main tendue, elle visa le Minotaure, qui changea brusquement de cible. Durant un court moment, Arthur, dans la douleur et la stupéfaction, crut retrouver sa femme. Elle avait sur son visage cette détermination, cette rage dans le regard qui lui était propre.
Il n’eut pas le temps de la contempler. Il se releva avec peine, ramassa son arme, tout en se tenant d’un bras au niveau de sa blessure. Atarillë fonça à toute allure sur l’imposante créature hybride, hurlant à s’en déchirer les poumons.
— Personne, je dis bien personne, ne touche à mon mari! s’écria-t-elle d’une voix tonnante, qui fit venir l’orage.
Le bruit perçant d’un éclair déchira le ciel et dans un flash lumineux, la jeune femme transfigurée dirigea la foudre pour toucher le Minotaure. Le monstre fut frappé de plein fouet, mais l’électricité s’étendit sur toute la zone.
— Bougez-vous!! cria Arthur en se jetant instinctivement sur le côté.
Hélas, certains ne réussirent pas à s’éloigner à temps. De nombreuses créatures gélatineuses s’effondrèrent, ne laissant que quelques êtres à moitié blessés. Tout comme les alliés qui furent tétanisés.
Viviane attendit que l’effet de zone s’apaisât pour venir aider les pauvres ères foudroyées. Atarillë se figea, regardant ses mains, terrorisées. Tremblante, elle parcourut des yeux les habitants touchés par la foudre.
— Je...je suis désolé!
La jeune femme ne vit pas la cavalière qui s’était élancée vers elle dans un bond prodigieux. Porté par l’adrénaline, Arthur fonça sur l’ennemi, la faisant voler plus loin d’un grand coup de marteau. Saisie par l’effroi et la rage, Atarillë perdit en altitude et se posa au sol, se jetant à son tour sur la créature.
Arthur se raidit un court instant en voyant sa femme rentrer dans la bataille, mais se concentra à nouveau sur sa cible. Elle semblait emportée par la colère, mais il craignait qu’elle n’agisse encore sous le feu de l’impulsivité. Contre toute attente, elle invoqua dans une langue ancienne une épée longue au pommeau d’argent, gravé de runes et d’arabesques. Vive comme le vent elle asséna un coup violent au niveau de la gorge du zombie, qui hurla de douleur. Cependant, le même manège reprit: la tête à moitié décollée de la femme putride commença à remonter sur son cou grâce à la nuée d’insectes. Arthur se tourna alors vers Atarillë.
— Répète avec moi ces paroles! Il faut anéantir la nuée!
Éberluée, Atarillë cligna des yeux. Arthur initia l'incantation. La tête se collait progressivement sur les lambeaux de chair putride qui lui servait de nuque, dans un craquement qui vrilla les oreilles de la fée. Soudain, elle sentit le sol trembler. Le Minotaure chargeait dans leur direction. Viviane incanta et fit apparaître des chaînes autour du taureau humanoïde, ce qui laissa le champ libre pour les deux semi-géants qui engagèrent un combat contre lui. Arthur tourna la tête vers la reine.
— Atarillë, j’ai besoin de toi!
Elle sursauta, croisant le regard azur de son époux. Il reprit son incantation, tandis que la nuée grossissait autour de la cavalière. Son cheval se mit à hennir, dans un bruit rauque qui n’était pas celui d’une bête normale. Frissonnant devant le spectacle, Atarillë rejoint le roi dans son incantation. Leurs deux voix se mêlèrent en un cantique dans une langue celte. D’abord hésitante et bredouillante, sa voix devint plus ferme et assurée à mesure qu’un flot d’énergie les entourait. Elle se sentait baignée par une chaleur réconfortante. Des flashs lumineux dansèrent autour d’eux, formant des cercles incandescents. Elle avait l’impression de ne plus percevoir le champ de bataille, Aasbjorn et Arne luttant contre le Minotaure, Viviane relevant les blessés, les soldats tenant courageusement contre les quelques monstres flasques qui subsistaient. Tout avait disparu, il ne restait qu’elle et Arthur, incantant inlassablement. Il ne la quittait pas des yeux. Le cœur de la jeune femme vacilla. Elle était légèrement tremblante, elle ne savait pas si c’était ce contact prolongé qui provoquait cet effet ou tout simplement le stress de la situation.
La sphère lumineuse grossissait de plus en plus, englobant tout à mesure que les souverains scandaient les paroles. Lorsque les créatures cauchemardesques furent en contact avec ce globe éblouissant, elles hurlèrent de douleur, leur chair fondant et s’étalant sur le sol. Plusieurs mages et guerriers reculèrent vivement devant la soupe organique qui coulait sur leurs pieds. La nuée fut incendiée et disparue comme un écran de fumée, aussi vite qu’elle était apparue. La cavalière se faisait lentement dévorer par la puissance du sortilège. De ses dernières forces, elle pointa le couple royal de son doigt osseux.
— Ce n’est pas terminé! Misérables insectes ! Ma maîtresse vous écrasera comme de la vermine! Tu es toujours maudite!
Atarillë serra les dents. Elle observa l’horrible spectacle: le corps du zombie et de son cheval, tordu de douleur, fondant comme s’ils étaient plongés dans un bain d’acide. Son corps fut parcouru de frisson. Son esprit vacilla, comme si la mer avait hanté sa tête. Un va et viens incessant la faisait tanguer. Mille questions assaillaient son esprit. Qu’est-ce qui s’était vraiment passé?
***
Atarillë
Mon triste cœur bavait à la poupe, et ma pauvre tête menaçait de quitter la chaloupe. Je ne sais pas pourquoi je pensais à Rimbaud et à ses vers envolés et incisifs à cet instant précis. Une odeur de charogne à faire pâlir Baudelaire et son hommage à la puanteur planait tout autour de moi. Une vive douleur, culpabilité saisissante, me prit lorsque je vis au loin Viviane porter les blessés, qui convulsaient encore à cause de l’électricité. C’était donc elle, la Viviane de mon souvenir ? Comment j’avais pu faire ça? Je me souvenais encore du miroir, de la voix de Hine me poussant à la bataille. Puis ce fut le néant, déchiré par la foudre. Je m’étais sentie si grande à cet instant. J’avais l’impression d’être devenue une déesse toute puissante, pouvant châtier le mal d’un éclair bien senti. Plus rien ne subsistait à ce moment-là, si ce n’était sauver Arthur. Il allait se faire piétiner par cette chose. Rien que de l’imaginer à nouveau...
Je m’écartais brutalement du roi pour aller vider mes tripes. C’était trop. Une main charitable vint me tenir les cheveux. Fermant les yeux, je déglutis en sentant cette horrible sensation de brûlure qui dévorait toute ma trachée.
— Je sais que ce n’est pas facile...Tu veux un peu d’eau?
En rouvrant les yeux, je vis que l’âme charitable n’était autre que ma sœur. Ses yeux bleus me semblaient plus familiers qu’à mon arrivée. Elle esquissait un pâle sourire. Ses traits marqués trahissaient son épuisement. Sa robe se trouvait déchirée, pleine de poussière, tout comme ses cheveux qui continuaient de flotter malgré tout. Je toussais un peu, avant de lui répondre.
— Je veux bien, merci.
Elle murmura quelque chose dont je n’arrivais pas à saisir les mots et fit apparaître, dans un faible halo de lumière, un verre d’eau. Je le pris doucement et bus une gorgée. L’eau était étonnamment fraîche, voire même délicieuse. À part l’eau de la Lozère, j’avais rarement goûté à une eau aussi savoureuse. Je me sentais déjà mieux, physiquement j’entends. Car dans ma tête, le chaos régnait en maître. Je luttais contre mon esprit torturé pour ne pas envoyer tout valser, en arrachant mes vêtements, en chantant une chanson débile. Je me suis trouvé en pleine guerre, j’ai vu des gens tomber, mourir, électrisé par ma faute. Et le pire dans tout ça, c’était que durant cet instant, je m’étais sentie moi-même. J’en venais sincèrement à penser que j’étais atteinte de trouble de multiples personnalités.
— Viviane...tu crois que je suis folle ? Je n’arrive pas à comprendre tout ça.
Je devais avoir l’air bien misérable. Et égoïste, par-dessus le marché. Car il y avait eu des morts, de nobles gens luttant pour leur vie et leur patrie. Et moi, j’étais là, avec mes états d’âme ! Vraiment...L’on me disait souvent, quand j’appartenais au monde des humains, que je me centrais parfois trop sur mes blessures, mon mal-être. Pourtant, je suis de nature joyeuse, positive, à l’origine. J’étais rêveuse, oui, je pensais que mes songes n’étaient qu’affabulations, mais je m’étais trompée. Après tout, cela me hantait depuis toujours, ces visions. L’impression de ne pas être à ma place dans ma petite vie humaine qui se voulait bien organisée. L’impression de rater quelque chose d’important. Ma vie fut une lutte permanente et j’avais juste aimé un peu de calme. Encore une fois, je ne pensais qu’à moi. Je n’avais pas connu le pire. Le pire était devant moi. Des horreurs incarnées, tout droit sorties des plus sombres cauchemars, arrachant la vie à des pauvres habitants qui n’avaient rien demandé. Et moi, je me centrais sur moi. Je me repliais.
— Pardon, je suis égoïste.
— Perdue, tu es perdue. Laisse-toi le temps. D’ailleurs, comment es-tu arrivé ici ?
— hm, c’est une longue histoire.
Je regardais partout autour de moi, dans l’espoir d’entrevoir Hine, Aphrodite ou Aloysius. Je fus rapidement exaucée par une voix tonnante qui résonna sur l’ensemble de la plaine.
— Tukua nga tupapaku kia mau te rongo...
Cette langue était rythmée et scandée comme une mélodie, un chant funèbre. Un nuage de fumée incandescente se matérialisa non loin de l’amoncellement de cadavres qui se formait sur une petite butte. J’étais tellement obnubilé par mon propre malheur que je n’avais pas vu le triste cortège. Il y avait au moins une quarantaine de corps, ainsi que d’innombrables blessés. La bataille ne fut guère une rixe colossale, mais il y avait eu beaucoup de pertes. Dans l’écran de fumée rouge apparut Hine, qui tendit la main d’un geste solennelle vers les défunts. Elle se mit à chanter et tous ceux qui tenaient encore debout posèrent un genou à terre, affichant une grande révérence pour cette femme étrange.
Je sursautais presque en sentant arriver Arthur, près de moi.
— Tout va bien ma reine ? me demanda-t-il en murmurant.
Son état me faisait peine à voir. Il tenait fermement son échine et son torse et sa jambe droite semblaient rongés par de l’acide. Ses vêtements étaient en lambeaux. C’était plutôt lui qui était en sale état, moi, je n’avais rien, à peine des égratignures.
— Vous êtes blessé…
Je parlais doucement, pour ne pas gêner l’oraison funèbre. Il esquissa un sourire en coin avant de grimacer de douleur.
La captivante Hine termina sa litanie. Les soldats vinrent vers elle, lui offrant des lames, des pierres qu’ils sortirent de leur poche. Elle refusa d’un geste de la tête. Je peinais à comprendre ce manège. Était-elle une grande prêtresse ? Une prophétesse ? Elle en avait tout l’air. Déjà que j’avais du mal à me dire que j’ai fait face à Aphrodite, la déesse de la beauté. Peut-être était-elle une oracle portant fièrement son nom ? Je ne savais pas, ma tête me faisait trop mal pour plus d’interrogation.
— Qui t’a amené sur le champ de bataille ? Arthur ramena mon attention vers lui.
Hésitante, je craignais de voir à nouveau son expression ferme et inquiétante. Mais à ma grande surprise, il affichait davantage une profonde inquiétude que de la colère.
— Et bien...trois femmes ont surgi dans la pièce et...
— C’est en partie de ma faute.
La voix puissante de Hine me fit sursauter. Alors qu’elle se tenait, il y a, à peine quelques secondes, auprès des soldats, la voilà téléportée juste à côté de moi.
— Tu devrais voir Viviane pour recevoir des soins, Alarymm.
Je vis Arthur écarquiller les yeux. Je ne comprenais pas pourquoi elle l’avait appelé ainsi. Mais étrangement, je sentis un pincement au cœur. Il serra sa mâchoire et défia du regard la Polynésienne qui restait impassible.
— Seule Atarillë peut m’appeler comme ça, fulmina-t-il. Si ses yeux pouvaient envoyer des éclairs, Hine aurait été foudroyé sur place.
— Je suis une déesse, je t’appelle par ton vrai nom.
Arthur émit un grognement bestial, qui ressemblerait à ce que mon imagination pourrait coller à une protestation draconique. Attendez, elle venait de dire qu’elle était une déesse?
— Et Viviane, tu ne l’appelles pas par son vrai prénom?
— Allons bon, elle risquerait de se fâcher. Toujours est-il que moi, Aphrodite et la nouvelle recrue, on l’a catapultée dans la bataille, mais nous avons veillé à ce que tout se passe au mieux.
Alarymm...ou Arthur je ne sais plus, trop de noms en un seul jour, se retenait de l’étrangler. Je ne comprenais plus rien. Pourquoi avait-il un autre prénom? Est-ce qu’Atarillë était mon vrai prénom?
— C’était inconscient, Grande Dame de la nuit.
Il insista bien sur son titre, à croire qu’il lui en voulait de l’avoir appelé comme ça. (Non...tu crois, Atarillë?) Mais bien sûr, c’est une évidence même qu’il fulmine...Passons.
— Elle aurait pu être gravement blessée! Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous avez fait.
— Concrètement, elle a sauvé tes fesses.
Je rougis. Je revoyais la scène. Il est vrai qu’il n’était pas passé loin. Mais après tout, je ne contrôlais pas vraiment la situation, j’étais dans une sorte d’extase, de sensation étrange de pouvoir tout contrôlé. J’aurais bien aimé qu’elle dure. Maintenant, j’avais l’impression d’avoir goûté aux substances chimiques et hallucinogènes de Fanny.
— Certes...Merci, Atarillë.
Il me regarda d’un air tout penaud et terriblement sincère. Je ne savais plus où me mettre à cet instant. Il esquissa un sourire terriblement attendrissant. Hine semblait agacée.
— Bon, quand vous aurez fini de vous regarder comme des merlans frits, je pourrais vous dire ou je compte emmener Atarillë.
— Quoi! s’écria Arthur qui fit apparaître sur sa peau plusieurs écailles colorées.
Je ne pus m’empêcher de les observer durant quelques instants. Elles étaient d’un rouge irisées, reflétant à elles seules toute la magnificence du soleil.
— Atarillë? Tu veux un portrait de lui en dragon? Non parce que, ça ira plus vite en fait.
Je sursautais et me retournais vers ladite déesse. Pour la première fois, je la vis sourire sincèrement. D’un sourire amusé, certes, mais un sourire plus agréable que ses rictus cyniques.
— Je vous écoute. Où voulez-vous m'emmener?
— Concrètement, si tu restes ici, le temps pour récupérer ta mémoire entièrement te prendra au moins 150 ans.
— Vraiment!? Mais je ne veux pas rester comme ça 150 ans!
— C’est une façon de parler. Tu es tellement couvée que cela ne va pas t’aider.
Arthur grogna, tapant nerveusement du pied. Il croisa ses bras d’un air sévère et fixait la Polynésienne, furieux.
— La couver, la couver...Je ne la brusque pas en l’envoyant la tête la première dans la bataille!
— Résultat, tu n’as pas été piétiné par une bête du chaos. C’était plutôt réussi, au final.
— Rhaa! Et tu veux l’emmener où exactement? Dans le quartier général des Cauchemars?
— Dans les enfers, mon petit dragonnet, dans les enfers.
À l’unisson, Arthur et moi fûmes pris d’une quinte de toux. Je crois que mon calvaire ne faisait que commencer.
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