Atarillë
Je pense qu’en termes de chaos, on était largement servi. Dehors c’était la guerre, à l’intérieur c’était le bazar. Il y avait trop de monde dans cette pièce. Au moins, me voilà attendrie par le visage adorable de ma fille. C’était plutôt un bon point. Je ne m’étais jamais réellement posé la question de la maternité. J’étais une étudiante, du moins dans cette vie qui semblait fausse, je me préoccupais davantage de mes études que des garçons et encore moins des bambins. Mais ici, je m’avérais être mère. À vrai dire, entre ça, le fait que je me retrouvais reine, mariée et que j’avais une licorne, ce n’était pas ce qui me choquait le plus. D’autant que maintenant, j'étais cernée par trois femmes désireuses de me montrer mon destin.
— Excusez-moi, vous pouvez répéter? demandai-je alors, encore éberluée par toute cette situation loufoque. Décidément, on ne pouvait pas faire plus insensé.
— Tu as très bien entendu, me répondit la Polynésienne à l’allure chthonienne.
Toute sa figure se trouvait digne d’une divinité des enfers. Ses jambes étaient à moitié recouvertes de terre noire, comme de la lave refroidie. Son regard me perçait de part en part. Des trois, elle était la plus sérieuse, la plus incisive dans ses propos.
— Oui enfin, j’aimerais juste comprendre, tout est arrivé si vite...
— Je comprends que tu as du mal à te remettre de ce retour fracassant, mais ce monde a besoin de toi, répondit Aphrodite, qui esquissa un sourire qui se voulait rassurant.
Je la fixais avec attention. Ses traits harmonieux, son regard semblable à un ciel d’été...Elle avait vraiment le physique idyllique que l’on attendrait de la célèbre déesse de l’amour. Je peinais à y croire. Elle était là, en face de moi. Pourtant son visage, étrangement, avait quelque chose de familier. Je secouais la tête nerveusement, essayant de trouver du sens à tout ceci.
— Je sais, mais le roi a refusé que je les aide... En même temps, je ne saurais pas comment j’aurais pu les aider.
— Arthur...Il est toujours aussi mère poule, dit alors la brune, en esquissant un sourire qui me paraissait teinté de cynisme.
— Je suis navré mes dames, mais le roi m’a ordonné formellement de veiller sur elle, intervint Aloysius, qui se plaça devant moi dans un geste qui se voulait protecteur.
Je rougis de tant d’attention à mon égard. Catapulté d’étudiante à reine, cela ne se faisait pas tous les jours.
— Tu n’auras qu’à venir avec nous, répondit alors la jeune demoiselle à la longue chevelure violette.
— Vous êtes nouvelle vous? Je ne vous ai jamais vu dans la région?
Aloysius fixait la jeune demoiselle qui esquissa un sourire mutin.
— Vous connaissez tout le monde dans la région?! Je suis impressionnée! Et oui je suis nouvelle, on m’a envoyé exprès pour protéger la reine.
Je peinais à tout comprendre. Je baissais alors mon regard sur ma fille. La petite me dévisagea longuement. Elle finit par parler. Elle fut tellement silencieuse jusque là que j’avais presque cru qu’elle était muette.
— Vous allez m’enlever ma mère? Je viens à peine de lui faire un câlin.
— On vous a laissé nous suivre, mais nous avons à faire, les enfants. La voix d’Aphrodite était douce et mielleuse, elle regarda ma fille avec beaucoup de tendresse.
— Dis maman, tu vas revenir, n’est-ce pas? me demanda-t-elle.
Elle était touchante, peut-être un peu trop. Je sentais bien qu’elle profitait de ses grands yeux verts aux longs cils de biche et de sa bouille angélique pour que je fonde comme neige au soleil.
— Je vais faire mon possible.
Comment ne pas fondre, en même temps ?
La petite esquissa un large sourire satisfait et accepta de se détacher de moi. Ses frères la fixaient d’un air envieux et franchement jaloux.
— Allez, fini de jouer, il est temps de partir. Clama l’imposante femme polynésienne.
Elle murmura quelque chose d’incompréhensible à mes oreilles et fit apparaître une sphère lumineuse entre ses mains. Elle me pointa de son index, transfigurant la boule de lumière en sorte de portail d’ombre.
— Où est-ce que tu comptes l’emmener Hine!? s’exclama Aloysius, visiblement peu rassuré.
Ladite Hine esquissa un sourire énigmatique.
— Tu n’as qu’à nous suivre pour le savoir.
La porte se mit à grossir progressivement. La petite et les deux adolescents voulurent y plonger la tête la première, mais Aphrodite les retint vivement.
— Vous, vous restez là, votre père va être fou d’inquiétude si vous disparaissez subitement.
— Mais, si maman disparaît, il va être fou d’inquiétude aussi! s’exclama le jeune homme à la chevelure brune.
— Ne t’en fais pas.
Je n’arrivais plus à comprendre qui parlait, à cet instant. Je me sentais happé dans un monde parallèle. Des volutes de fumée envahirent la pièce. Ma vue se troubla, je me sentais mal, j’avais envie de m’enfuir, loin d’ici.
J’eus à peine le temps de voir Aloysius me tendre la main. J’essayais d’attraper ses doigts blancs, mais ils m’échappèrent et il finit par disparaître. L’ombre m’engloutit entièrement.
Je clignais des yeux, reprenant conscience de mon environnement. Je me retrouvais face à un miroir. Autour de moi, des parois rocheuses, noires comme le jais, m’encerclaient. Un frisson m’envahit. D’autant que je me trouvais nue. Je pris un peu plus le temps de me détailler. Mon visage était toujours aussi rond et éclairé par mes grands yeux verts. Mais je me trouvais plus pâle, ma peau étant devenue presque translucide. Et mes cheveux flottaient, animés d’une force qui leur était propre. J’entendais des murmures autour de moi. Comme des échos venus des limbes.
Une odeur d’humidité planait dans l’air. Non loin d’ici, le bruit d’une source était perceptible. J'étais donc dans une grotte, dans un recoin sombre, en face d’un miroir, étrangement éclairé. Les voix se firent opprimantes. Cela en devenait insupportable. Je serrais ma tête entre mes mains.
Soudain, mon reflet dans le miroir fut brouillé. Une image se dessina et je perçus un champ de bataille. Les soldats luttaient contre des masses informes, similaires à celles que j’avais pu percevoir dans mes visions, dégoulinantes de pue et autres joyeusetés horrifiques dignes d’un roman de Lovecraft. Un combat se détachait des autres, de la nuée d’insectes qui flottait tout autour des guerriers courageux qui affrontaient les immondices. Un être ailé, recouvert d’écailles, luttait contre un Minotaure immonde. J’eus envie de vomir en le voyant. Sa tête était recouverte de tentacules en décomposition, mêlée à un semblant de museau de taureau. Déviant mon regard de cette créature, je me concentrais davantage sur le combattant écailleux. Il évitait les bonds faramineux de la bestiole, mais il semblait exténué par cet échange brutal. En m’approchant, je me rendis compte que j’arrivais à «grossir» l’image, comme sur une vidéo. Zoomant à ma guise, je profitais de cet effet presque technologique pour détailler la scène. Plus rien ne m’étonnait dans ce bordel magique. Il ne manquait plus qu’un miroir enchanté et connecté, tout à fait.
Qu’est-ce que tout ceci? Où est-ce que j’avais encore atterri? Où étaient Aphrodite, Aloysius, Hine, la jeune femme à la chevelure aussi violine que le crépuscule? J’étais perdue. La seule chose que je voyais, c’était cette scène de combat irréaliste et pourtant si prenante. Je reconnus, à force de l’observer, le colosse qui répondait au nom d’Aasbjorn, ainsi que son suivant. C’était bien l’attaque qui faisait rage près du palais. Je cherchais alors le roi du regard.
Je repensais au moment où j’avais désiré les suivre. J’étais pleine de détermination, pourtant au fond de moi, j’étais terrorisée. J’avais apparemment fait usage de magie, mais je ne contrôlais absolument rien. Depuis toute petite, ma grand-mère m’associait à la foudre, sans que ne comprenne pourquoi. Je m’étais faite à l’idée qu’il s’agissait d’une illusion, un délire que mon cerveau générait tout seul. Mais je me trompais, je me mentais à moi-même. Comme je m’étais menti à moi-même en croyant un seul instant que je pourrais leur être utile.
Pourtant…
Pourtant la magie m’animait d’une force que je ne saurais décrire. À chaque fois que je faisais chanter l’orage, une joie indescriptible m’envahissait. Enfant, je dansais sous la pluie, transie d’extase, en connexion avec la nature. Ce lien si parfait, si extatique me manquait terriblement.
Je posais mes yeux sur mes doigts. J’essayais de me concentrer. Je pris une grande respiration, laissant l’énergie circuler dans mes veines. Mon propre souffle devint vecteur d’une force qui à la fois m’effrayait et me fascinait. Autour de ma peau, une fine pellicule de givre apparut. Des arcs électriques, jaillir de mes mains. Je me crispais, surprise. Soudain, une voix familière se fit entendre.
— Il serait temps que tu sortes de ta coquille.
Cette voix...Celle de Hine...Je crois qu’elle s’appelle Hine...Drôle de nom.
— Hine-nui-te-po, La Grande Dame de la nuit
Un parfum maritime monta dans l’air. Je perçus ses grands yeux en transparence dans le miroir. Sa longue chevelure de nuit flottait autour de moi. Je pouvais presque les sentir frôler ma peau. J’en frissonnais. L’éclat nocturne de ses prunelles était captivant et effrayant à la fois.
— Tu disais que tu en avais marre d’être inutile, je pense qu’ils ont besoin de toi.
Je serrais les poings, je fixais à nouveau la scène. Je fus saisi par l’effroi. Le combattant aux grandes ailes écailleuses avait le visage d’Arthur. Jamais je ne l’avais vu ainsi: grand, majestueux, luttant farouchement contre l’ennemi. Pourquoi avait-il des écailles? Était-il un dragon? J’étais vraiment tombé sur une histoire d’héroic fantasy. Cependant à l’instant où je le reconnus, il prit un violent coup à l’échine, l’envoyant au sol avec fracas. Sursautant, je plongeais ma main vers le miroir et la vis parée d’un fin gantelet argenté.
— Qu’attends-tu pour y aller?
Je frissonnais. La vision du miroir se troubla, alternant entre la scène de combat et mon propre reflet.
Je me voyais plus grande, à la longue robe bleu nuit, portant un haut d’armure étincelant par-dessus celle-ci. Des gantelets lunaires protégeaient mes avant-bras. Puis en un battement de cils, je me voyais en boule dans mon lit, dans mon appartement en ville, puis dans un soubresaut d’horreur, je vis le gigantesque Minotaure s’élançant à toute vitesse sur le corps au sol d’Arthur, peinant à se lever. L’image devint folle devant mes yeux. Comme dans un vieux film de suspens, je voyais le monstre foncer au ralenti sur lui, tout en me voyant en alternance, dévorée par la peur.
Une force en moi me poussait à m’élancer. C’était un vieil écho, cette sensation étouffée depuis des années. Cette certitude de savoir qui j’étais. Je ne pouvais pas rester sans rien faire. Je m’élançais à travers le miroir.
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