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tome 1, Chapitre 9 « Quand le Chaos va, tout va » tome 1, Chapitre 9

Le roi se crispa pendant quelques secondes, mais très vite il se ressaisit. Toute sa carrure semblait plus imposante tant il dégageait une énergie guerrière. Atarillë le fixait longuement, tandis qu’Aloysius la regarda, d’un air amusé. Mais ils n’eurent pas le temps de s’extasier trop longtemps, Aasbjorn leur secoua les puces de sa voix de tonnerre.

— Bougez-vous! On n’a pas que ça à faire!

À peine eut-il fini sa diatribe qu’il se saisit de sa hache et sortit en trombe de la pièce, en poussant un cri guttural des plus sonores.

— Aloysius, veillez, sur la Reine, je vous prie, dit le roi tout en se préparant à rejoindre le front.

— Non, je viens avec vous.

Atarillë se leva avec difficulté, serrant ses poings et fixant Arthur avec détermination. Le roi esquissa une moue.

— Mais… Tu es encore mal en point… Tu ne peux...

La jeune femme s’analysa. Plusieurs plumes noires couvraient son épaule endolorie et elle peinait à marcher. Un flot de volonté sans failles enveloppait tout son être. Elle était perdue dans un monde qui la dépassait, mais elle venait de comprendre que ce pays avait besoin d’elle.

— Quitte à devenir utile à ce peuple... Je n’ai plus envie de n’être qu’un poids amnésique qui mute en oiseau noir.

Sa voix était malgré tout tremblante. Elle ne savait pas dans quoi elle s’engageait. Cet univers lui semblait si étrange, fascinant, possédant mille et un secrets. Et, selon les dires d’Aasbjorn, elle était importante, ici. Elle voulait s’en montrer digne.

Le visage du roi se ferma. Jamais elle ne l’avait vu ainsi. Ses yeux bleus devinrent sombres, tous ses traits paraissaient plus durs, de l’arête de son nez droit jusqu’à son menton légèrement rond à l’origine. Une énergie brûlante se dégageait de tout son corps.

— Il en est hors de question, tu restes ici.

Sa voix trancha l’air comme une lame. Atarillë rentra sa tête dans ses épaules, opinant sans broncher à l’invective du souverain. Il s’adoucit quelque peu et soupira, glissant sa main vers son visage, lui caressant la joue.

De leurs côtés, Aloysius et Viviane avaient assisté à la scène, impassible. Le mage avait seulement détourné le regard tandis que la fée se contenta de lever les yeux au ciel.

— On y va, votre majesté? demanda Viviane tout en insistant sur le « Votre Majesté» sur un ton ennuyé.

Arthur hocha la tête et vint poser un baiser sur le front d’Atarillë. Celle-ci sursauta légèrement. La différence d’attitude d’Arthur l’avait perturbé. Sa voix glaciale avait à nouveau laissé place à la tendresse. La jeune femme les regarda partir avec peine et frustration. Ses crises l’avaient perturbé et prendre part à ce combat aurait pu lui permettre de définir davantage sa place dans ce royaume.

— Ne soyez pas triste majesté, ils vont revenir. Du moins, je l’espère, dit Aloysius, qui esquissa une moue inquiète.

Loin d’être rassurée, Atarillë se roula en boule sur la couchette, serrant ses poings. La frustration et la colère rongeaient sa gorge, mais elle demeurait muette pour ne pas la laisser exploser sa rage. Le mage soupira et couvrit doucement la jeune femme.

— Je vais vous laisser vous reposer.

— C’est bien la seule chose dont je suis capable, on dirait.

Atarillë serra les dents. Aloysius esquissa un sourire énigmatique, avant de lui répondre.

— Méfiez-vous, vos capacités sont plus vastes que vous ne le croyez.

Sur ces paroles, Aloysius s’éclipsa, laissant Atarillë seule dans la pièce.

***

Arthur et Viviane rejoignirent rapidement Aasbjorn et Arne à l’entrée de la ville. Des agglomérats de chairs putrides s’agglutinaient aux grandes portes. Les soldats étaient en pleine action, luttant comme ils le pouvaient face à des créatures difformes, énormes et purulentes, criblées de verrues. La population effrayée courait dans tous les sens. Certains avaient grossi les rangs des combattants, usant de magie ou de lames diverses et variées pour repousser l’assaillant.

Le Roi, qui n’avait pas eu le temps de revêtir une armure, avait tout de même emporté son marteau de guerre, imposante arme à deux mains, forgée dans un métal étrange aux couleurs de cuivre et d’argent entremêlés.

— Viviane, occupe-toi des personnes vulnérables!

Viviane opina et s’élança vers les civils qui n’avaient aucun moyen de défense. Elle les appela de sa voix qui devint puissante, couvrant un instant les bruits infâmes générés par les créatures ainsi que les cris des individus apeurés. Elle incanta et une forte lumière dorée l’enveloppa et la fit flotter, afin d’être plus visible par les habitants.

De son côté, Aasbjorn et Arne avaient foncé en hurlant dans le tas, tranchant de leurs armes les Cauchemars sur leur chemin. Leurs coups violents firent valser quelques amas de chair. Le roi suivait leur exemple et se débarrassa de quelques piétailles sur son passage. Par chance, le soleil ralentissait les mouvements de ces créatures.

Une odeur dérangeante se fit sentir. Dans un halo d’insectes volants apparut une femme décharnée, les yeux à moitié dégagés de leurs orbites. Elle chevauchait un cheval zombifié. D’un geste, elle brandit une masse composée d’une gigantesque pierre sphérique. La soulevant comme si elle était aussi légère qu’une plume, elle visa le Roi tout en dévoilant ses dents pointues.

— On dirait que ta femme a ouvert le chemin.

Sa voix sifflante se répandit dans l’air. Arthur fronça les sourcils, furieux.

— Que lui avez-vous fait!

— Je n’ai fait que profiter de son retour pour réveiller la malédiction, ma maîtresse en est ravie!

Les muscles d’Arthur se tendirent. Ses pupilles bleus se métamorphosèrent, l’iris laissant place à une fente draconienne. Des écailles recouvrirent sa peau et dans un bond monstrueux, il rejoint la créature pour lui asséner un coup prodigieux au niveau de la carotide. La tête défigurée tomba sur le côté. Arthur souffla, enragé, restant sur ses gardes. Il recula de plusieurs foulées. Ces êtres étaient capables de se régénérer en un instant. Il n’eut pas longtemps à attendre pour le voir de ses propres yeux.

La nuée d’insectes fonça sur le corps décapité de la chevalière. Son cheval avança et lança de puissants coups de sabot, empêchant Arthur de revenir à la charge. Le roi se protégeait de son bras libre. Il tint en joug la monture de son marteau, essayant de trouver une faille, en vain. L’amas de mouches, d’abeilles et de guêpes noires fit remonter la tête gisant au sol sur le corps décomposé, la rassemblant dans un bruit d’os grinçant.

Arthur serra les dents, supportant à peine la vue qu’il avait en face de lui. La tête se tournait dans tous les sens, giclant du sang. Son expression faciale était absurde tant elle se tordait convulsivement. Elle finit par le fixer de ses yeux vitreux et à moitié rongés par les vers.

— C’est tout ce dont tu es capable? cracha-t-elle dans un sourire sournois

Sans crier gare, elle lança sa gigantesque masse en direction d’Arthur qui fit apparaître ses ailes écailleuses dans son dos. D’un bond, il s’éleva dans l’air, suivant du regard la trajectoire de la sphère meurtrière. Cette arme était reconnue pour être lente, mais cette femme avait une force phénoménale. C’était impressionnant de voir ce tas d’os et de chair putride manier cet objet avec tant d’aisance.

Évitant le coup qui vola vers lui, il fonça sur elle pour lui enfoncer son marteau dans sa cage thoracique. La créature cracha un liquide noirâtre qui éclaboussa l’être draconique. Il grinça des dents, encaissant la douleur, car son sang rongeait sa peau. Il recula vivement.

Crachant à nouveau une gerbe de liquide noirâtre sur le sol, ce qui fit pourrir l’herbe en quelques secondes, la femme zombie fixa droit dans les yeux le monarque. Dans un craquement d’os grinçant, elle remit en place sa cage thoracique à moitié en miette.

— Je suis la pourriture incarnée, comment crois-tu me vaincre? Tu deviendras fou avant!

Arthur fronça les sourcils. Sa tête bourdonnait et menaçait d’exploser. Le vrombissement incessant de la nuée d’insectes le rendait malade, de même que l’odeur infecte qui planait dans l’air et emplissait ses poumons. Il n’avait porté que deux coups, mais déjà, il sentait le courage s’enfuir. Pourtant il était loin d’être un lâche, mais ces créatures avaient une aura de désespoir et de ruine qui touchaient chacun des présents. Certains combattants s’échappaient en hurlant devant tant d’horreur, Viviane peinait à canaliser la population et Aasbjorn et Arne se retrouvaient encerclés.

Serrant avec force son arme, Arthur décida de ne pas abandonner. Un ballet aérien s’exécuta alors, son ennemie faisant de bons puissants avec son cheval pour essayer de l’atteindre. Malgré le fait qu’il faisait encore jour, la nuée semblait donner plus de force aux multiples monstres aux alentours. Quant à la cavalière, le soleil ne l’affaiblissait pas, à en juger des nombreux coups qu’elle lançait vers le roi avec hargne. Fixant un instant le nuage noir d’insectes, Arthur incanta d’une voix tranchante, faisant jaillir de son marteau une pluie de flammes en direction des nuisibles volants. L’amas de ces infâmes mouches et guêpes noires fut considérablement réduit, permettant à Aasbjorn et Arne de faire une percée, les monstres voyant leurs gestes devenir plus mous à nouveau.

Imperturbable, la cavalière décomposée psalmodia à son tour, dans une voix gutturale sortie des profondeurs des limbes. Une porte noire se matérialisa alors derrière elle, faisant apparaître un être de taille colossale. C’était une gigantesque créature hybride, à la peau sombre et aux muscles saillants. Il avait le buste d’un homme, les jambes de taureaux dont les veines menaçaient d’éclater. Cependant, sa tête était un mélange de poulpes et de bétail en décomposition avancée. Arthur retint un relent de dégoût. La chose s’élança vers lui, faisant des bonds encore plus prodigieux que la cavalière. Le roi comprit que le combat était loin d’être terminé.

***

Atarillë venait de se réveiller. Dans le château, c’était l’agitation. Malgré l’état d’urgence, Aloysius restait auprès de la reine, suivant les ordres du roi à la lettre.

— Vous allez mieux ma reine?

Un mal de crâne saisissait la jeune femme encore déboussolée. Elle regarda partout autour d’elle, tendant l’oreille aux cris et aux ordres donnés dans les couloirs.

— Que se passe-t-il ? Encore cette attaque ? demanda Atarillë qui essayait de se lever. Aloysius posa une main ferme et douce sur son épaule pour la pousser à rester allongée.

— Restez allongé, je vous en prie, je dois encore vous analyser. Oui, l’attaque n’en finit pas, espérons que tout va bien pour eux.

Prise de panique, la jeune femme se débattit avec virulence. Aloysius sortit alors une seringue et lui injecta un liquide qui la figea progressivement.

— Navré, ma reine, mais il me faut vous ausculter. Je sais que cette situation est gênante pour vous, elle l’est aussi pour moi.

Atarillë grinça des dents, ne daignant pas répondre. Elle retint difficilement des larmes. Perdue, dans un royaume en guerre, loin de tout repère et pourtant gardant en son cœur une indéfectible sensation familière, elle avait envie de tout envoyer valser. Le tout bien entendu avec une malédiction qui la couvrait progressivement de plumes noires. Il avait de quoi rendre fou n’importe qui. Dépitée et sans doute parce qu’elle n’avait pas le choix, elle laissa le mage faire ses analyses.

Plusieurs pentacles lumineux flottaient au-dessus d’elle, la baignant dans une douce lueur dorée. Aloysius pianotait dans l’air, murmurant, faisant bouger les différents symboles autour de sa patiente. Durant quelques instants, elle entendit un chant plaintif à son oreille. Une voix féminine venue d’un autre monde, semblant l’appeler dans une mélodie suave et solennelle. Clignant des yeux, la jeune femme regarda partout autour d’elle, essayant de comprendre la situation.

Le mage à la chevelure onyx fronça les sourcils et intensifia ses recherches, incantant dans une langue qui sonnait comme une mélodie slave. La reine fut alors plongée dans une illusion, où elle se retrouvait dans une prairie inondée de parterres floraux. Les fleurs étaient toutes d’un rouge sang, la moitié étaient en train de flétrir. Intriguée, elle avança dans ce paysage onirique. Soudain, pendant qu’elle marchait à tâtons, un plan de belladone poussa juste devant ses pieds. De belles feuilles vertes s’entortillèrent, jaillissant du sol avec une vivacité déconcertante. De fines cloches prunes se garnirent rapidement de petites baies. Interloquée, la reine se pencha pour ramasser un de ces fruits à la jolie couleur de minuit quand une voix l’en empêcha.

— Hey ! On ne cueille pas à mon bosquet si vite!

Atarillë sursauta, voyant l’illusion disparaître devant ses yeux. Elle était à nouveau dans la pièce, sauf qu’il y avait cette fois-ci beaucoup plus de monde. Aloysius tentait de retenir deux adolescents tandis qu’une petite fille d’environ dix ans la serrait dans ses bras, la regardant avec la grande tendresse d’une fille envers sa mère. La jeune demoiselle n’était pas très grande. Ses grands yeux verts fixaient sans relâche sa mère, illuminant un visage rond aux fines lèvres. Sa chevelure était brune, savamment coiffée en hauteur à la manière des coiffures antiques, quelques boucles brunes retombant sur ses tempes. Plus loin une grande femme à la stature impressionnante fixait le mage avec insistance. Elle avait la peau mate, de longs cheveux bouclés d’un noir de jais. Ses deux prunelles possédaient la beauté d’un ciel étoilé, son nez était épaté, ses lèvres pulpeuses, noircies par le charbon. Elle ne portait qu’un long pagne de soie noire, décoré de motifs maoris. De ses mains jaillissait du sang et ses jambes semblaient pétries dans la roche.

À ses côtés demeuraient pensives deux autres femmes. L’une d’elle était une femme gironde aux formes marquées et voluptueuses. Son visage avait des traits harmonieux, d’une régularité sans nom. Ses grands yeux bleus illuminaient la pièce, son nez droit et petit se fondait avec grâce sur son visage, s’accordant à ses lèvres en forme de pétales de rose. Une longue chevelure flamboyante inondait ses épaules, formant des boucles parfaites. Elle était vêtue d’une toge d’or couvrant à peine ses courbes, laissant apparaître sa peau. Près d’elle, une autre demoiselle observait les lieux. Sa blancheur d’albâtre tranchait furieusement avec le décor. Elle affichait un corps plus menu, portant une longue robe blanche, retenue à ses épaules par une fibule en forme de flocon. Son visage ovale était éclairé par deux grandes prunelles violettes. Son petit nez s’effaçait presque de son visage, tant ses yeux prenaient toute la place. Ses fines lèvres étaient recouvertes de givre. Sa chevelure violette tombait allégrement dans son dos.

— Bienvenue à la réunion du thé de la journée...Non, mais sérieusement, ça va, tranquille, vous rentrez dans ma salle de travail! s’exclama Aloysius, qui tentait de calmer les deux adolescents qui voulaient s’approcher de leur mère.

— Navré, mon canasson, mais on a déjà pas mal galéré à vous retrouver, il y a je ne sais combien de pièces dans ce château. Quant aux enfants, ils se sont greffés à notre groupe, allez savoir pourquoi. S’exprima la femme rousse.

— Cessez de m’appeler ainsi, Aphrodite! Je veux bien, vous êtes une déesse, tout ça, mais ça ne vous donne pas tous les droits!

— Oh, pauvre petit, répliqua ladite Aphrodite, qui glissa son regard vers Atarillë.

— Elle a besoin de repos! Loan, Morgan, cessez de gesticuler, déjà que Siobhain lui vole son espace vital!

Atarillë regarda un instant toute la foule dans la pièce. La petite ne la lâchait pas, lui lançant des regards plaintifs réclamant encore plus d’attention. Les deux adolescents, l’un brun et l’autre blond, tentaient de passer la barrière chevaline que formait le mage devant eux. Et pour couronner le tout, les trois «parques» la fixaient d’un air curieux pour certaine, inquiet pour d’autre. Complètement paniquée, la jeune femme se releva avec peine, prenant la conscience du poids d’une enfant de dix ans étalée dans ses bras.

— S’il...s’il vous plaît? demanda la reine d’une petite voix.

— Bon alors je résume, dehors c’est un foutoir pas possible et là on ne peut même pas bosser en paix! s’écria le mage, excédé.

— Tu crois qu’on est là juste pour l’admirer? L’heure est grave et il faut que la reine vienne sur le front, répondit la femme brune à l’apparence particulière. Ses mains étaient toujours ensanglantées, pourtant aucune goutte ne s’échappait sur le sol.

— S’il...s’il vous plaît, répéta Atarillë, d’une voix plaintive.

— Tu plaisantes Hine! Elle est à peine revenue!

— Et alors? Elle a activé ses pouvoirs, sinon elle n’aurait pas pu revenir, si j’ai bien compris le topo de Viviane, répondit-elle d’une voix posée.

— Dites! s’écria finalement la reine, ce qui fit sursauter la petite.

Tous les visages se retournèrent vers elle.

— Je pourrais avoir une explication?

Aphrodite se tourna vers ses comparses. Hine et la jeune femme à la chevelure violine acquiescèrent. Les deux jeunes hommes se calmèrent un peu, fixant leur mère.

— Je suis Aphrodite et moi et mes amies sommes là pour t’aider à faire face à ton destin.


Texte publié par PersephonaEdelia, 6 novembre 2023 à 22h13
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