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tome 1, Chapitre 2 « De glace et de sens » tome 1, Chapitre 2

« Un soupir, pour tout bagage

Une image en souvenir de toi,

Moi, je m’enfuis, j’abandonne mes rêves d’autrefois »

Cécile Corbel

Eva

La torpeur est une drogue. Je la ressentais couler dans mes veines, comme un venin brûlant qui m’engourdissait progressivement. J’aimais être entre l’éveil et le sommeil, entre l’aube et le crépuscule. Je me suis toujours dit que j’étais un entre-deux, une sorte de gardienne des portes qui veillait au ballet lunaire et solaire, à la ronde des heures.

Je sentais les volutes de fumée, une vapeur parfumée, dégagée par un narguilé, nonchalamment savouré par une splendide jeune femme aux traits flous, à la bouche pulpeuse et aux cheveux entortillés de lierres en face de moi. Elle était brune et me souriait. Je ne connaissais même pas son nom, ni d’où elle venait. Elle était là, juste là, devant moi.

L’on m’enveloppait dans de doucereuses caresses. Effleurements aériens, mon amant de tous mes rêves apparut. Il me prit dans ses bras, sans aucune honte face à la demoiselle qui nous observait. Il y avait ces effleurements, ces sensations d’être enlacée dans une rose de soie, dans des draps de satin, oui c’est ça. Je sentais pourtant la douceur de mes draps, une cotonnade un peu abîmée qui avait tout à envier au satin. Mon lit était l’antre charnel d’un corps qui aimait apposer son odeur musquée sur le tissu. Je savais que l’image tranchait avec la sensualité de mes songes, mais chaque sens se devait d’être retranscrit.

Oh, et cette voix.

Cette voix caverneuse de cet homme qui m’enlaçait sans pudeur. Je tournais la tête vers son visage qui semblait si net. Ma vision ne fut plus aussi trouble lorsqu’elle se posait sur lui. Ses traits doux, éclairés par deux prunelles glacées ne me lâchaient jamais.

— Atarillë...Viens à moi douce épouse.

Moi, épouse? J’étais trop jeune pour ça, ou peut-être pas, cela dépendait des pays. En fait, j’étais célibataire, donc oui cela m’étonnait qu’on m’appelât ainsi. Serais-je mariée sans le savoir? La bonne blague...Moi qui n’avais jamais eu de vrais petits amis. Il paraît que je les faisais fuir, les hommes. Entre mon sale caractère qui ne supportait pas la moindre allusion mal placée et l’aura orageuse qui m’entourait, selon ma grand-mère, je ne risquais pas de trouver quelqu’un.

Ah, c’était le brouhaha.

Ma colocataire faisait un boucan d’enfer. Mais pourquoi vivais-je avec elle au fait? Ah oui, j’étais étudiante, du moins en fin d’études. J’avais un professeur horrible, peu d’argent, une famille dysfonctionnelle...Ah non, pas les idées noires ! Pas ça ! Je n’entendais plus sa voix, je ne sentais plus le parfum des roses...Non.

J’ouvrais les yeux...Mon esprit demeurait éternellement sur un pont reliant deux univers. Comme faisant face à un trou noir qui me ramenait inexorablement à la réalité. Cette lourdeur, le poids de mon corps sur ma conscience, et l’écho de cette voix, qui se mêlait à une musique que je croyais connaître. La musique de hipster de ma colocataire.

— Hey, Eva, bouge-toi, tu vas être en retard à ton rendez-vous !

Non, je n’avais pas envie d’y aller. Ce professeur me donnait la nausée. Cela faisait plusieurs mois, non, un an qu’il me rendait folle. Il était vieux, décrépi comme une goule qui aurait la lèpre. Il sentait le vide-grenier de ma grand-mère et encore, il y avait des choses intéressantes. Mamie vendait de beaux vêtements, des gants anciens que j’aimais lui piquer. Elle m’avait refilé plein de vêtements d’avant-guerre...Mais je m’égarais. Ce professeur était malsain. Il avait un regard de hareng qui vous fixait. Vitreux et vides, ses yeux me faisaient peur. On aurait dit qu’il voulait m’égorger au moindre mot qui ne lui convenait pas. Car si moi, j’avais toujours été polie avec lui, l’inverse n’était pas vrai. Cela faisait deux ans que je travaillais sur ce projet d’Histoire de l’Art. Jamais cette matière ne fut aussi barbante à mes yeux, à présent.

Je m’extirpais de mon lit et je fis face à ma psyché, ce grand miroir ornait à merveille ma chambre. J’avais ce visage rond et enfantin qui m’avait valu bien des problèmes. La bouche boudeuse, l’œil vert, la petite silhouette d’une fée sortie d’un conte pour enfants. Voilà mon éternel reflet, le tout avec mon indomptable chevelure rousse et bouclée. Pourquoi suis-je là moi au fait? Ah oui, mon avenir.

Je me devais d’exister, de briller, de devenir quelqu’un, mais au fond de moi je me sentais liée à autre chose. Un futur m’attendait, subsistant par un passé glorieux que j’avais entrevu en songe un millier de fois. C’était comme si j’avais un rôle important à jouer ailleurs. Quelque chose qui m’échappait, inlassablement. Longtemps je me suis dit que ces idées, ces flashs, ces visions étaient nés d’un esprit rebelle et enfumé de rêveries idiotes. Mais je ne pouvais m’en détacher. C’était fixé à mon A D-N de façon définitive.

— Eva, grouille-toi !

Mais tais-toi ! Elle aussi, je commençais à ne plus la supporter ! À m’écouter, on dirait une vraie « émo », franchement. Rien ne va. Pourtant la vie était belle quelque part. La pluie sur la vitre, la douceur de la brise au petit matin. Oui ça faisait cliché. C’était ridicule même, mais moi j’aimais ça. La nature vibrante de vie, d’exaltations étranges, de sensations imperceptibles et pourtant...

Le ciel se zébrait de taches d’ombre. Un air d’orage sous l’ensemble cotonneux des nuages agglutinés entre eux. C’était relaxant quelque part, de voir qu’en haut il y avait de l’agitation. Je voyais devant moi un palais immense, sculpté dans les nuages, un château paisible, imperturbable, qui faisait face sans broncher aux intempéries. Quand j’étais petite, ma grand-mère était persuadée que je pouvais faire venir la grêle et la tempête. À présent, pour moi, tout cela n’était que des coïncidences.

Mais il fallait que je me dépêche. J’enfilais une robe douce, en coton rouge sang, avec un corset de cuir marron, style steampunk. Avec cela, je me glissais dans un collant sombre, des bottes en cuir assorties à mon haut, ma montre à gousset, je m’arrangeais comme je pouvais...

—Tu sais que tu es belle, ma douce demoiselle?

Cette voix. Cette présence. Depuis petite, je la sentais. Une fois, alors que j’avais douze ans, j’ai vu devant moi, cet homme, grand, les cheveux en bataille, un air rebelle et doux à la fois. Mais ces yeux...Ils étaient bleus, d’un bleu limpide, comme l’eau de roche. J’en étais tombée amoureuse. Il était là, en permanence près de moi. Mais je ne voulais pas y croire.

— Je suis là, depuis toujours, tu le sais très bien...

J’allais répondre. J’entortillais mes mèches rousses autour de mon doigt...Puis voyant l’heure, j’attrapais mon sac et je sortis dans le salon.

Bon, elle était là.

Avachie sur le canapé, à moitié en train de réviser des cours. Elle n’était pas très grande, un peu sèche au niveau de la taille. Bien que je n’aie jamais été ronde, j’avais toujours apprécié les femmes aux courbes charnues. Ces images de déesses enrobées, de danseuses orientales dépeintes par Delacroix m’avaient toujours fascinée. Elle, elle n’était pas moche, ou inintéressante. Au contraire, elle avait un certain succès auprès de la gent masculine. C’était une vraie crevette, cette Fanny. Ses cheveux courts, son style un peu hipster avec ses grosses lunettes et ses chemises à carreaux. Elle était actuellement en slip et en débardeur avec un moustachu dessiné dessus et une chemise de bûcheron.

— Mais tu as encore mis ce style surchargé? C’est sympa, mais bon, tu es plus jolie en petite robe en dentelle je trouve. 

— Si tu veux, chacun son style Fanny...

— Oooh ! tu es de mauvaise humeur, je le sens ! Allez, ce soir je t’emmène en soirée ! Cela te fera du bien ! »

Fanny adorait aller en soirée. Elle traînait dans les inaugurations des premières années de psycho ou dans la soirée de Bérengère à l’autre coin de la rue. Moi je n’aimais pas ça. Je préférais passer la soirée avec Abe, une de mes meilleures amies, ou à jouer aux jeux vidéos avec Manuela, c’était beaucoup plus sympa. Déjà que je galérais à trouver un espace vital dans un bocal enfumé et que je passais mon temps à avancer mon mémoire. Je n’avais rien contre tout ça, juste ce n’était pas mon monde.

 — C’est gentil, Fanny, mais, non merci...

— Allez ! Ce n’est pas en jouant à tes jeux que tu trouveras l’amour !

Je grinçais des dents...Et puis j’allais être en retard. C’était bien beau de me secouer pour que je me lève, de brailler de sa voix sifflante, pour ensuite me prendre mon temps avec ces idioties. Non, franchement.

 — Mouais, là je dois déjà trouver un moyen d’avoir mon année, je te laisse !

Pas le temps de manger quoi que ce soit, je courais dehors. L’air lourd écrasait mes poumons, chargé de pollution, à peine filtré par les quelques arbres de la résidence. Cependant, cette sensation de liberté m’exaltait. Souvent, je marchais et j’avais l’impression d’avoir des ailes dans le dos, comme si une force m’élevait du sol. Je suis passée de l’oppression à la libération. Elle n’est pas méchante Fanny, mais il y a quelque chose chez elle qui me gêne. Pourquoi je vivais avec elle? Eh bien, c’était une amie et au départ je n’imaginais pas que cela se passerait comme ça, vraiment pas...

Pourtant de l’extérieur tout allait bien, on payait chacune nos parts de loyer, on se chamaillait un peu pour le ménage, mais rien de grave. J’aurais pu tomber sur bien pire. Elle était raisonnable, les seules fois où elle avait ramené des mecs à la maison, elle l’avait fait en mon absence, m’ayant prévenu au préalable et ayant tout rangé derrière. Non vraiment, aucune ombre au tableau...Mais c’était plus subtil que cela, plus insidieux. C’était des phrases anodines, qui me poussaient à changer, à ne plus être moi. C’était une jalousie implicite, qui se cachait derrière les meubles, derrière ses grandes lunettes carrées. C’était elle, tout simplement. Elle me sortait sans cesse des réflexions, des mots durs derrière un enrobage de bonbon Milka...

Me voilà en retard. Je courrais à travers les ruelles, j’esquivais les regards lourds qui pesaient sur ma conscience. Ils demeuraient figés dans la réalité, me dévisageant de leurs regards emplis d’envies, à me considérer comme un objet en jupette et en corset. Chaque fois que je les croisais, mes veines bouillonnaient. Je savais que je faisais une fixette, mais ils m’avaient pourris la vie sur chaque parvis de Montpellier, dans chaque ruelle, je ne pouvais avancer sans avoir l’impression d’être un gigot ambulant.

— Hey, cette pluie est glacée !

De grosses gouttes se mirent à tomber du ciel. Rien d’étonnant à tout cela pourtant. De l’eau, condensée, inondant doucement les strates de la terre. L’odeur de pluie était semblable à l’humus des terres baignées des cascades. Elle éveillait en moi des souvenirs antédiluviens. L’ombrelle de soie aux motifs colorés, un homme habillé en dandy, au sourire enjôleur, et …

 — Mais c’est froid !

Cette phrase retentit dans mon esprit « Glace, givre, frost congelant les peaux humaines. Las de votre comportement, que tombe la grêle... »

Et la grêle fut tombée. Je le vis encore devant moi. Ce visage souriant, ce regard bleu limpide qui me fixe sans défaillir. L’eau m’évitait, l’eau ne me mouillait pas. Souvent cela m’arrivait quand j’étais enfant. Des choses étranges, sans que je n’arrive à comprendre. Je fixais ce phénomène, éberluée. Était-ce une coïncidence ?

Puis je me dis que j’étais en retard et je courrais à nouveau. Tel un lapin blanc, je me ressaisissais. Je n’avais pas le temps de me poser des questions. Je franchissais le dernier passage piéton, je tournais au chemin, je rentrais dans la cour, puis le grand bâtiment au fond, je courrais sans cesse, jusqu’à arriver à cette porte.

Puis j’hésitais. Je haïssais cette porte comme je haïssais la personne qui se trouvait à l’intérieur de la pièce. Elle représentait ces individus omnipotents, qui se croyaient tout permis, même humilier une jeune femme qui n’avait rien demandé. Je tapais à la porte, sa voix impérieuse me hurlait d’entrer, je m’exécutais.

Je pénétrais dans cet antre gouverné par l’orgueil d’un homme trop centré sur sa petite personne. Il était là, les cheveux grisonnants et épars, l’air renfrogné, cette odeur d’eau de Cologne évaporée. Il s’énervait, me disant que j’étais en retard. Pour toutes les fois où j’attendais ses mails avec la peur au ventre, où il ne répondait jamais. Pour toutes les fois où il m’avait fait venir sans me demander mon avis. J’aurais pu vivre à 400 bornes qu’il m’aurait fait venir. Et sa manie de me malmener, de ne jamais trouver le moindre bon élément dans mon travail.

—  Mais pourquoi avez-vous utilisé In design pour faire votre mise en page ?! 

Pour faire ma mise en page ? Car je voulais faire un bon travail. Je sentais mes veines bouillir. Comme à chaque fois, j’osais à peine parler. J’avais une boule dans la gorge.

— Il n’y a rien dans votre travail... 

—  Rien ?

— Eh oui rien, je vous avais dit de vous calquer sur mon article sur le sujet.

J’observais cet être détestable. Quelque chose de pitoyable se dégageait de lui. C’était un misérable bougre qui passait son temps à hurler sur tout le monde: ses étudiants, sa secrétaire, les autres professeurs. Tout le monde y passait. Cela devait être une triste vie d’user ses cordes vocales pour pas grand-chose. Quelque part, je le plaignais.

— De toute façon depuis le début je vous le dis, vous n’êtes bonne à rien.

Il m’était difficile de comprendre la raison de son comportement. J’avais décortiqué ces œuvres italiennes avec minutie, analysé tous les articles de Gallica pendant des nuits entières. Lors de nos rendez-vous, les problèmes demeuraient les mêmes. Selon lui, j’étais trop vague, trop peu adroite pour représenter au mieux la quintessence de cet art. Lorsque je laissais parler ma fibre artistique, il me trouvait à côté de la plaque, pas assez cérébrale. Rien ne convenait jamais. Je le soupçonnais de reprendre mes premières versions, malgré toutes les corrections avancées sur mon travail, afin de continuer à m’humilier sur mon orthographe.

Je serrais mes poings. Depuis tout ce temps, je me retenais de hurler. À chaque entrevue, c’était l’enfer, mais je restais polie et je me soumettais à ses colères. Mais cette fois-ci, c’était trop. Je voyais sur son bureau quelques feuilles voler et la lumière devenir hésitante. Je fronçais les sourcils, fixant le néant qui clignotait étrangement.

— Mais monsieur, je travaille depuis plus d’un an, il ne peut y avoir “rien” dans mon travail.

— Rien! J’ai dit qu’il n’y avait rien! Vous êtes bouché ou quoi?!

Le néant, rien, le vide. Toutes ces années de travail intensif, de réprimandes, d’humiliation, ce n’était rien. Autour de moi, tout semblait flou. Je voyais les murs trembler, et soudain la fenêtre s’ouvrir. J’ai juste entendu un cri et senti une force terrible prendre possession de mon corps. Des flashs qui sortaient de nulle part, un parfum doux et sucré et le professeur devant moi, suppliant, criant.

—  Atarillë, je t’avais dit... 

— Que...Que se passe-t-il ?

Je le vis devant moi. Il n’y avait plus rien si ce n’est cet espace de vide. Une onde d’énergie tournoyait autour de moi et je sentais à mes pieds une douce sensation, comme si je barbotais dans l’eau fraîche d’une belle rivière. Comment pouvais-je savoir que la rivière était belle ? Pourtant je ne fumais rien, j’ai toujours refusé ce que me proposait Fanny. C’était quoi tout cela ? J’ai sans doute craqué. Oui, je me souvenais encore, de tous ces visages qui m’oppressaient, de ces paroles qui m’agressaient, voulant me réduire au néant, au rien de ce monde. Tu n’es rien, rien, rien.

— Écoute-moi ! 

Je sursautais. Il était là, c’est vrai. Mon pauvre ami, mon doux amour que j’ai longtemps aimé et refoulé, quel fléau tu as face à toi, un rien incarné en rien, c’est amusant...

— Cesse de te laisser aller à leurs mensonges, ce ne sont que de pauvres êtres, dénués d’existence, tu n’es pas rien ma douce, crois-moi... 

Je le vis s’approcher de moi, tendrement. Son étreinte me réchauffait tout doucement, là où j’étais transi de froid. Je ne m’étais pas rendu compte, ma peau devint aussi froide que les grêlons, comme si elle avait absorbé la pluie glaçante de tout à l’heure.

— Ils savent que tu es importante, ils le sentent...Tu es toi, personne ne pourra changer cela, ils sont jaloux, ne les écoute pas...

Je sentais son corps contre le mien et ses lèvres qui se glissaient dans mon cou, tendrement. Je frissonnais, j’avais peur, je ne savais plus ou j’existais, qui j’étais... Ce parfum de rose, de cette main tendre qui me coiffait doucement, tout cela résonnait en moi sans que je ne sache d’où cela venait.

Ce rêve m’emportait à nouveau.

À présent, je vis une femme sublime qui se présentait à moi, aux doux traits ronds. Sa bouche paraissait pleine de douceur lorsqu’elle s’apposait sur ma joue.

Que tu es belle, ma fille ! Voilà ce qu’elle disait. Bon sang je me perds...où suis-je ?

— Tu es entre mes bras, belle Atarillë, perdue au " Lac des fées " 

Soudain, j’ouvris les yeux. Je me retrouvais près d’un lac, une musique apaisante en tête. Je ne reconnaissais pas ces lieux. Pourtant ils avaient quelque chose de familier. C’était comme si j’y avais toujours vécu. Comme une réminiscence, un souvenir trop vite oublié dans ma jeunesse. Mais ce souvenir m’échappait encore, me narguait. Tout ce que j’avais refoulé explosait littéralement en un songe extatique.

L’onde coulait doucement, suivait son sillon, et mes pieds nus caressaient l’herbe tendre. Face à moi se trouvaient le palais d’une enfance fantasmée, les jardins remplis de roses odorantes, les statues aux rondeurs sensuelles. Elle était là, me prenant dans ses bras, sa voix riante sonnant comme une douce mélodie à mes oreilles. Puis il se manifesta également, venant jouer avec moi dans ce somptueux jardin, aux mille fleurs colorées, aux pétales envolés à la brise champêtre. Ah ! Que c’était doux, cette sensation de liberté libre, de t’aimer sans contraintes, de me sentir chez moi.

Puis doucement, ce fut le déluge. Je voyais l’eau tout engloutir, tout comme je sentais les larmes glisser sur ma joue. Un frisson parcourut mon échine. Les odeurs martyrisaient mes narines tant elles étaient multiples : douces, acides, âcres et boisées. Ma peau était lovée contre de la soie tant la sensation de douceur s’avérait extasiante. Finalement, ce fut les picotements qui me lancinaient les doigts qui me ramenèrent à la raison.

Je revoyais le bureau de mon professeur. Il était, prostré en position fœtale, accroupi dans un coin sombre de la pièce. Tous les dossiers s’étaient envolés, éparpillés, le bureau à moitié brisé. J’avais déclenché un ouragan. C’était réellement moi qui avais fait ça ? Le doute revenait, comme un serpent insidieux. Que s’était-il réellement passé ?

— Vous êtes un monstre! Comment ? Mais comment ?!

On aurait dit que j’étais devenu un Grand Ancien à ses yeux. J’esquissais un sourire carnassier. Il n’avait eu que ce qu’il méritait, au fond. Je flottais entre la satisfaction personnelle et la peur de moi-même.

— Atarillë...

Cette voix. Ce murmure qui me rappelait à l’ordre...Oui, je reprenais conscience, véritablement. Je voyais cette pièce mise sens dessus dessous, ces meubles renversés, cet homme misérable et apeuré. Et je me faisais peur. Je ne savais pas ce qui m’arrivait. Je me mit donc à courir, le plus vite possible. Loin de cet enfer. Je sentais à nouveau cette oppression, cette sensation terrible de m’être mise à nue. C’était comme si mes jambes ne touchaient pas le sol. Je m’envolais loin, loin de tout..

Encore quelques mètres, des couloirs interminables. Que suis-je en ce monde? Suis-je réellement humaine? Je ne pense pas, je ne sais pas. Il y avait quelque chose en moi, comme une boîte de Pandore qui ne demandait qu’à s’ouvrir. J’entendais le professeur couiner au loin, mais moi je n’étais plus là. En face de moi, le paysage se métamorphosa. Il se tordait dans tous les sens; les trottoirs coulant comme du miel sur le béton à moitié arraché à la croûte terrestre. Le ciel était le centre de la Terre et les nuages formaient des marches, un escalier interminable que je prenais à droite, puis à gauche.

Puis j’ouvris les yeux.

Et il était clairement là, devant moi. Arthur, oui, c’était son nom. Je sentis ses mains froides sur les miennes, son souffle contre ma joue, et un baiser venant taquiner mes lèvres avec une tendresse ingénue, un air de violon tournant dans mon esprit comme un air champêtre.

— Tout va bien se passer, mon amour, ne t’en fais pas...

Puis ce fut le néant.

Jamais je ne m’étais sentie plus libre, plus envolée qu’à cet instant. Je n’existais plus. Du moins, je n’étais plus en ce monde lourd, ou la gravité nous figeait au sol de sa puissance colossale. Où le vent nous torturait de son chant mélodieux, sans jamais nous indiquer où se trouvait la porte de ce royaume que je cherchais depuis ma naissance.


Texte publié par PersephonaEdelia, 18 octobre 2023 à 23h22
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