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tome 1, Chapitre 14 tome 1, Chapitre 14

La fin d'après-midi fut riche en douceur et en émotion. Les crêpes préparées par Azielle furent grandement appréciées et rapidement englouties. Cependant, toutes les meilleures choses ont un terme, et il fallait rentrer avant la tombée de la nuit. Chaque famille reprit la route, sous le ciel rosé du crépuscule. Cette journée fut sans doute la plus belle que les locaux auront vécus jusqu’alors. Ce ciel sans orage, d'un éclat sans pareil, avait attiré l'attention. De nombreuses personnes échangeaient leurs photos de ce soleil lumineux, aux nuages chamoisés de la couleur du miel. Alistair se frotta la nuque. Il ouvrit la portière de sa voiture à sa fille, puis à son épouse, avant de s'installer sur son siège.

— Il faudra demeurer vigilant, souffla-t-il en allumant le contact.

— Je suis désolé, marmonna Adara.

— Ma belle, ce n'est pas de ta faute, mais maintenant nous savons que des phénomènes peuvent survenir quand tu te sens bien, comme lorsque tu te sens mal.

Adara baissa la tête. Elle entortilla ses doigts dans ses paumes, cherchant à détacher sa conscience de l’instant, ne serait-ce pour quelques minutes. Azielle se tourna vers elle, attrapant comme elle le pouvait sa main.

— Respire ma chérie, ça va aller, ce n’est pas de ta faute. Nous allons apprendre à nous connaître et à réagir au mieux, quoi qu’il arrive.

Adara hocha doucement du chef, et observa attentivement sa mère. Ses yeux la captivaient. Elle se souvint de ses conclusions et comprit que sa maman était sans doute une fée, comme Merry. Allait-elle devenir une princesse féerique, à la manière des contes? Peut-être qu’elle aussi en étant une, après tout. Elle brûlait de lui poser des questions sur sa nature, si elle avait un palais enchanteur quelque part sous un lac ou si elle pouvait accorder des vœux. Cependant, elle s’en garda, de peur de provoquer, par une curiosité et une joie inextinguible, un épisode similaire à celui de la plage.

Azielle sourit. La petite eut la sensation que sa mère la scrutait et ressentait ses émotions avec une facilité déconcertante. D’un geste tendre, Azielle caressa la chevelure de son enfant, avant de se réinstaller confortablement sur son siège. Durant le trajet, elle fit la conversation avec elle, essayant de lui changer les idées, pendant qu’Alistair conduisait d’un air concentré.

Le reste de la traversée fut sans histoire, bien qu’Adara peinait à se détacher de cette sensation tenace. Elle générait encore une fois des problèmes. Malgré l’insistance de ses parents pour dire qu’elle n’était guère l’origine de tous ces maux, elle ne pouvait que reproduire mentalement cette scène en boucle, pour conclure sur tout l’inverse de leur discours.

***

L’arrivée à Garnet Place fut aussi paisible que le trajet. Amelin les accueillit et leur proposa quelques rafraîchissements, qui furent acceptés avec joie. Elle évoqua brièvement ce temps fabuleux et ce ciel si bleu qu’il avait emprunté sa teinte à une rivière de turquoise. À ces mots, Alistair requit un entretien avec elle et les parents Mac’Moore s’engouffrèrent dans son bureau, laissant Adara dans sa chambre, en compagnie de Tidou. L’enfant s’enfouit sous ses couettes, repensant encore à cette après-midi, pleine de joie et de crainte. Finalement, elle avait effleuré ce bonheur sans limites, d’avoir de l’amour et de la douceur à son égard. Ce venin de mal-être avait beau pulser, il demeurait cette lumière qui se nichait dans son cœur. Il ne lui manquait plus qu’à oublier son passé. Tout effacer pour recommencer.

La nuit s’étirait à grande vitesse, se diluant dans le jour à mesure que le soleil reprenait le pouvoir. Les parents Mac’Moore avaient peu dormi. Leur conversation avec Amelin s’étant éternisé, ils peinaient à trouver le sommeil. La Main sera là demain, et s’ils estimaient qu’Adara était trop dangereuse pour la communauté, il pouvaient prendre la décision de leur enlever leur fille, voire pire, de la supprimer sans somation. Ils avaient beau se persuader qu’elle ne risquait rien, cette crainte refusait de quitter leur esprits fatigués. Ils finirent par se laisser emporter par Morphée, tous les deux enlacés, récupérant un peu d’énergie face à l’épreuve qui les attendait.

***

La matinée fut étrangement douce, comme suspendue de toutes les affres de la nuit. Plusieurs tables furent installées dans la salle de restauration, chacune attitrée à une famille spirite. Alistair avait préparé sa fille avec beaucoup d’attention, nouant dans ses cheveux tressés des nœuds aux couleurs de leurs terres. Sa robe rouge s’accordait parfaitement à celle de sa mère, dans des lignes droites,aux inspirations vintage. Adara salua ses amis, qui se précipitèrent vers elle.

Malgré leur excitation, le bonheur des familles nouvellement créées, il demeurait dans le réfectoire une tension des plus palpable. La présence des émissaires de la Main rendait tout le monde nerveux et chaque heure qui se perdait rapprochait inexorablement leur venue en ces lieux.

Adara se sentait de plus en plus oppressée par ces murmures, ces regards emplis d’inquiétude. Les enfants furent vaguement informés par Amelin de cet examen à passer, afin de déterminer s’ils possédaient le potentiel d’être des anomalies. Elle n’osait pas tourner son regard vers Clarence, qui devait sans doute clamer à qui voulait l’entendre qu’elle allait faire exploser les compteurs du détecteur à bête étrange.

Alors qu’elle mangeait un croissant des plus savoureux, Adara tourna son attention vers sa mère. Azielle lui offrit un sourire.

- Tout va bien, ma chérie?

- Dit, maman? bafouilla-t-elle, pourquoi tout le monde a peur de la Main? Ils vont nous faire du mal?

Alistair leva son nez de son bol de céréales. Il croisa le regard de son épouse et prit la parole.

- Tu vois, ma chérie, les membres de la Main ne sont pas méchants, juste... Ils administrent notre monde selon des lois, parfois archaïques.

- Cela veut dire quoi archaïque? l’interrogea sa fille.

Instinctivement, elle eut la sensation que Clarence la dévisageait et la jugeait depuis son siège. Elle osa jeter un coup d’œil vers sa table, voyant que celui-ci était fortement occupé à impressionner son nouveau père. Elle soupira de soulagement, reportant son attention sur son père.

- Il ne t’entendra pas de là, tu sais, répliqua Alistair dans un sourire contrit, et il n’a rien à te dire. Archaïque, cela veut dire ancien, voir un peu arriéré. Cela suit un ensemble de règles mises en place il y a très très longtemps, pour «protéger» les spirites. Mais en réalité, la situation est plus compliquée. Les spirites vivent depuis toujours avec les êtres non humains, qui les aident et les protègent.

- Ce que ton père essaye de dire, c’est certains spirites ne sont pas friands des enfants métisses, ou de petits spirites trop, différents...

Adara se frotta la nuque. Les Spirites se voulaient profondément différents des humains sans magie, comme leur avait expliqué Amelin lors des cours, pourquoi n’appréciaient-ils guère, eux aussi, la différence?

- Mais, si nous vivons avec des protecteurs non humains, pourquoi ces spirites n’aiment pas les mélanges?

Alistair sourit. Il poqua délicatement le nez de sa petite.

- Certains sont fermés d’esprit et ont peur de ce qui ne leur ressemble pas. Maintenant, tu n’as rien à craindre, quelle que soit ton origine, tu seras notre enfant.

Le visage d’Adara s’illumina, effaçant quelque peu ses angoisses. Alistair retint un soupir. Si seulement ces certitudes pouvaient faire fuir leurs appréhensions, ce petit déjeuner n’en serait que plus appréciable.

***

L’arrivée des membres de la Main se fit en grande pompe. Un tapis rouge fut déroulé à leurs pieds, et tous les serviteurs se tenaient en rang d’oignons, à la manière des domestiques du XIXe siècle. Cinq individus aussi différents et fascinants débarquèrent en compagnie de leurs gardiens. Ils furent annoncés par un chambellan, un être longiligne à la peau bleuté.

― Le Pouce, Antonio Grimoldie de la maison Grimoldie du Mexique, ainsi que sa gardienne.

Un homme de taille moyenne fit irruption, portant un costume à la coupe impeccable et aux couleurs vert d’eau. Sa peau mate tranchait avec le vert étincelant de son regard. Sa coupe de cheveux bien rasée et propre sur lui, ses lunettes de soleil et sa montre suisse lui donnaient un air de commercial, ou de grand trader prêt à affronter les aléas de la bourse. À ses côtés, marchait d’un pas serpentin une femme splendide, aux courbes dignes d’un sablier et au regard étincelant. À l’image de son spirite, elle était tirée à quatre épingles et affichait un air sur et provocant.

Le chambellan reprit son annonce.

― L’Index, Angela Stuhr de Berlin et sa gardienne.

Une femme ronde à la bonhommie affirmée apparut aux côtés d’une guerrière aux airs de Valkyrie. Ses longs cheveux blonds étaient tressés et décorés de rubans et de fleurs. Son regard sérieux balayait la pièce tandis qu’elle s’avançait d’un pas militaire.

― Le Majeur, Shivansh Manda de New Delhi et son gardien.

Cette fois-ci, un homme imposant se présenta, aux épaules larges et au visage carré. Une large moustache en croc ornait ses traits sévères. Richement vêtu d’un dhoti dans les tons rouges et or, il se pavanait aux côtés d’un mastodonte musclé, aux airs de djinns. Adara réprima un frisson en observant ce duo des plus impressionnants.

― L’Annulaire Svantje Laine d’Helsinki et son gardien.

Svantje réapparut avec son guerrier nordique. Elle portait une robe fluide, aérienne, d’un bleu azur, qui glissait avec grâce sur ses jambes. Sa présence rassura grandement Adara et ses amis.

― l’Auriculaire, Hannah Rayel de Soroca et sa gardienne.

Enfin, un être androgyne et longiligne apparut aux côtés d’une demoiselle lutine et légère. Ses cheveux gris étaient coupés courts et rasés sur le côté et son regard espiègle balayait l’assemblée. Sa présence détonnait avec le reste du groupe, invitant le chaos de par son aura dévorante.

Le chambellan tapa trois fois dans ses mains.

― Famille Spirite, accueillez la Main Spirite.

Chaque parent s’inclina devant la ligne de l’Inquisition qui se formait devant leurs yeux. Adara retroussa le nez. Cette atmosphère presque monarchique ne lui inspirait pas confiance. Un silence pesant régnait alors. Soudain, elle sentit le regard acéré de Shivansh Manda sur elle. Adara retint sa respiration, comme si cet acte pourrait lui permettre de disparaître de son champ de vision. Heureusement, il détourna son attention d’elle, lui permettant de respirer à nouveau.

Svantje s’avança et prit la parole.

― Chères nouvelles familles Spirite, c’est un honneur et un plaisir d’accueillir vos enfants parmi notre civilisation. Voyez cette épreuve comme une étape essentielle à leur intégration parmi nous. Nous appellerons chaque famille dans le petit salon. Il est hors de question de faire cela aux yeux de chacun. Un peu d’intimité vous est allouée.

Alistair soupira d’aise. Il avait craint d’être exposé aux yeux de tous, notamment ceux de Lux. Tant qu’il pouvait se passer de ses commentaires, sa bonne humeur en sera préservée.

Amelin intervint pour organiser l’épreuve dans le calme et l’ordre. Chaque famille passerait par ordre alphabétique. Une salle d’attente fut préparée pour l’occasion, avec des hors-d’œuvre et des rafraîchissements mis à disposition. Une musique fut lancée afin d’apaiser l’atmosphère, toujours tendue malgré le cadre qui se voulait chaleureux. La famille Mac’Moore prit leur mal en patience. Tout ne pouvait que bien se passer. Après tout, Adara avait sans doute du sang féerique. Elle sera écartée de tout soupçon et elle pourra vivre sa meilleure vie en Écosse avec ses parents et ses amis. Pourtant, une angoisse grandissante ne quittait pas la poitrine d’Adara. Et si elle était autre chose? Qu’adviendra-t-il de son avenir? Sera-t-elle abattue sur le champ?

Adara ferma les yeux, priant tous les Dieux que ce mauvais moment passe au plus vite, sans heurts pour elle et sa famille.


Texte publié par PersephonaEdelia, 13 février 2025 à 15h29
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