Un bruit de fond la réveilla. Dans les méandres de son sommeil, une sensation pesante planait sur son petit corps. Prisonnière entre deux mondes, elle dut secouer la tête pour chasser l’emprise de Morphée sur son esprit. Doucement, elle se frotta les yeux. Elle fut persuadée d’avoir perçu une forte odeur de poivre, ne serait-ce qu’un instant.
À mesure qu’elle émergeait, elle reconnut la voix d’Amelin et celle de Merry. Mais deux nouveaux timbres se mêlèrent aux leurs.
— Elle dort encore, je ne suis pas rassurée, et si elle était toujours prisonnière d’un autre plan ?
— Elle vous a détaillé précisément sa vision ? Peut-être a-t-elle vu la même chose que moi, répondit une voix masculine.
— Je me souviens qu’elle décrivait un être aux longs bras…
— Hmm, cela ne présage rien de bon. Dès qu’on sera au domaine, je ferais un long rituel pour mettre au clair tout ça.
— Je vais faire des recherches de mon côté, intervint une autre voix féminine, qu’Adara trouva particulièrement mélodieuse.
Soudain, elle tilla. Elle bondit hors de son lit, serrant Tidou dans ses bras. Elle glissa ses lèvres près de son oreille molletonnée et murmura.
— Tu entends Tidou, tu crois que c’est papa et maman ?
Elle s’écarta et fixa son boogie. Elle fut persuadée de capter une réponse. Elle hocha vivement la tête.
— Je suis en pyjama, mais j’ai trop envie de les voir…
Lentement, l’enfant observa sa tenue. Son ensemble de nuit était sans doute plus raffiné que ses quelques rares beaux vêtements qu’elle portait lorsqu’elle vivait aux États-Unis. C’était une longue robe en coton de bonne facture, cintrée à la taille et aux manches gigot. Des galons de dentelles légères décoraient le bord de sa jupe.
Alors qu’elle hésitait, la discussion se stoppa durant quelques secondes. Adara tourna la tête, craignant qu’ils ne soient partis.
— Je crois qu’elle est réveillée, j’ai entendu quelque chose, reprit Amelin.
Adara sautilla sur place et s’élança vivement vers la porte. Devant la poignée, l’appréhension la saisit à nouveau. Elle n’eut pas le temps de s’appesantir sur ses peurs qu’elle fût devancée par Merry qui pivota celle-ci d’un geste délicat.
Devant elle se trouvait un attroupement de grandes personnes. Amelin, tirée à quatre épingles dans son tailleur rouge carmin, décoré d’une broche représentant le blason de l’école, esquissa un sourire en la voyant. Sa belle chevelure violette était retenue en une coiffure élégante et complexe, constituée de tresses et de petits chignons. À ses côtés, Merry était lumineuse dans sa longue robe en mousseline blanche. Mais toute l’attention de l’enfant fut portée sur un homme très grand, à la stature imposante et musclée, portant un costume gris parfaitement ajusté, agrémenté d’une cravate noire. Son visage allongé et anguleux avait quelque chose d’atypique. Ses deux yeux d’onyx la firent frissonner, tant ils la troublèrent. Ses cheveux mi-longs étaient noir de jais, comme le plumage d’un corbeau. Près de lui se tenait une petite femme à la silhouette athlétique. Sa peau était blanche et semblait si douce. Ses prunelles brillaient d’un éclat similaire à celui de Merry, mais affichaient un vert intense. Elle portait une robe en tartan, présentant des motifs symétriques dans les tons rouges, noirs et marrons. La femme ne put s’empêcher de fondre en voyant Adara et vint vers elle et la pressa contre elle. L’enfant cligna des yeux, la lèvre tremblante. Elle la serra doucement, ayant l’impression de se trouver dans un rêve.
— Comme tu es jolie ma chérie, tu as bien dormi ?
Adara se contenta de hocher la tête, serrant fort Tidou contre elle. Azielle posa son attention sur la peluche et élargit son sourire.
— Elle a un boogie, vous lui en avez trouvé un ? dit-elle en interrogeant Amelin du regard.
— Non, elle l’avait avant d’arriver ici. C’est la psychologue de son ancienne école qui lui a offert.
— Il s’appelle Tidou, marmonna Adara, toujours intimidée.
— C’est mignon, garde-le précieusement, je crois qu’il t’aime beaucoup. Moi c’est Azielle, je serais ta maman.
Alistair ne pouvait détacher son regard de cette scène charmante. Sa femme rencontrant son enfant, qui ressemblait à une petite princesse descendue du ciel. Il se rapprocha doucement, se penchant vers elle. Adara eut un léger mouvement de recul, s’accrochant instinctivement à sa mère. Azielle posa une main sur son épaule.
— N’aie pas peur, c’est ton père.
Alistair écarquilla les yeux. Amelin secoua la tête.
— C’est un gentil papa, ne t’en fais pas Adara.
Adara hocha la tête. Au fond, elle s’en voulait. Elle avait attendu ce jour depuis bien longtemps, beaucoup soudainement cette peur la saisissait ? Était-ce parce que son père était grand et massif ? Progressivement, elle prit le temps de l’observer. Ses yeux marrons brillaient d’une lueur vive, miroitant un océan de douceur. Comment la peur avait-elle pu s’immiscer aussi vite dans ses veines ?
Secouant la tête, Adara s’avança timidement vers son père. Elle tendit ses mains dans sa direction. La lèvre d’Alistair trembla et il s’empressa vers elle, la prenant dans ses bras. Une douce chaleur vint envahir l’enfant. Elle eut l’impression de se plonger dans un bain de coton et de soie, tant son esprit s’apaisait à cet instant.
Alistair eut toutes les peines du monde à articuler le moindre mot. Il se sentait si heureux, pressant ce petit être contre lui et souhaitant une seule chose : lui donner tout l’amour possible.
Les trois femmes suspendirent leur respiration, happée par cet parenthèse de tendresse. Azielle retint quelques larmes et se releva. Alistair ne put s’empêcher de porter Adara dans ses bras, la soutenant par les jambes. D’abord surprise, l’enfant se laissa faire. Adara s’accrocha à son cou, baissant un peu ses paupières, vivant un rêve éveillé.
Azielle se mit à rire.
— Et voilà, il ne va pas la lâcher, désormais.
— Je vois ça ! s’exclama Amelin, en riant.
— Il va falloir qu’elle s’habille, surtout, renchérit Merry, dans un sourire amusé.
— Je peux l’aider ? demanda Azielle.
Adara pencha la tête sur le côté, peu habituée à se faire aider pour ce genre de tâche quotidienne. Mélinda lui avait proposé à mainte reprise son aide, mais elle avait refusé. D’une part, parce qu’elle savait s’habiller seule, d’autre part à cause de ses mauvais souvenirs. La seule chose qu’elle tolérait, c’était qu’on la coiffe et ce ne fut pas chose aisée. Les rares fois où sa mère l’aidait, elle le faisait mal, la griffait sans le vouloir et Adara se trouvait mal attifée et subissait encore plus de brimades. Cependant, c’était sa nouvelle mère qui proposait. Et il était vrai que les tenues qu’on lui attribuait à l’école étaient plus compliquées qu’un simple tee-shirt et un pantalon.
La veille, elle put entrevoir la tenue qui lui fut réservée : une robe en tartan, aux couleurs sombres, entremêlant habilement le rouge, le noir et le marron dans des motifs typiquement écossais. Celle-ci se complétait d’un collant élaboré dans les mêmes teintes et d’un caraco en velours rouge cramoisi. Elle ne savait absolument pas comment se coiffer pour paraître présentable dans une si jolie tenue. Amelin glissa un regard vers elle.
— Je pense qu’il n’y a aucun souci pour ça, si Adara accepte.
Adara hésita quelque peu. Elle s’entortilla les doigts et finit par hoche la tête, un peu nerveusement. Alistair la posa lentement au sol. Azielle esquissa un sourire et prit doucement la main de sa fille, l’entraînant dans la chambre pour l’aider à se changer.
Alistair posa ses prunelles sombres sur Amelin.
— Il y a des choses que je dois savoir, à son propos ?
Amelin poussa un soupir. Elle passa une main sur sa nuque, cherchant ses mots.
— Ses parents sont en prison… Son père biologique à… essayé d’abuser d’elle.
La mâchoire d’Alistair manqua de se décrocher, tant la nouvelle l’ébranla. Très vite, il reprit un visage plus stoïque, qui trahissait cependant un certain dégoût.
— Comment ? Bon sang… Il est bien emprisonné ?
— Oui, il n’en sortira pas de si tôt.
— Il vaut mieux pour lui.
Les traits du lord s’assombrirent. Son expression devint glaciale et Amelin hocha la tête, retenant avec peine un sourire entendu.
— Il aura des problèmes s’il sort, c’est certain. Toujours est-il que cette petite à bien des traumatismes. Elle n’en parle pas vraiment et je lui ai proposé de voir notre psychologue, mais jusque là, elle a refusé.
— On essayera de la convaincre et on restera à l’écoute.
— J’en suis persuadée. Elle a besoin de tant d’amour et vous en avez tant à donner.
Un léger sourire vint orner le visage d’Alistair. Il hocha la tête pour seule réponse. Lentement, il glissa son regard sur la porte de la chambre, attendant patiemment que sa femme et sa fille sortent.
De leur côté, Adara et Azielle prenaient le temps de se connaître. L’enfant eut le droit à un instant privilégié qu’elle n’avait jamais connu de sa vie. Si elle prit une douche seule, sa mère tint à l’aider à enfiler sa robe aux couleurs des Mac’Moore. Adara frissonna au contact de sa mère. La délicatesse semblait s’être incarnée dans cette fée aux gestes graciles et à la peau incroyablement douce. L’enfant n’osait pas parler, fascinée par cette femme qui pourrait sortir tout droit d’un rêve. Elle aurait aimé se pincer, pour vérifier qu’elle ne se trouvait pas dans un long et fabuleux songe. Tout contrastait avec sa vie d’avant, qui fut un véritable calvaire. De son côté, Azielle fixa longuement les cicatrices qui lézardaient sur la peau de son enfant, se mordant la lèvre, bouleversée.
Elle termina de boutonner le col de sa robe et esquissa un large sourire, chassant ses craintes et essayant de faire bonne figure.
— Là, tu ressembles à une petite lady. Je vais te coiffer si tu le veux bien.
Adara hocha timidement la tête. Sa mère se releva et chercha la brosse dans la salle de bain. Adara en profita pour se pincer la main et cligna vivement des yeux. Elle se trouvait toujours dans sa vaste chambre. Elle manqua de sursauter lorsque sa mère apparut derrière elle.
— Tout va bien ?
— Oui…
Azielle posa un tabouret et s’installa. Si Adara eut quelques appréhensions, elle fut happée à nouveau par sa douceur. Pas une seule fois, Azielle prenait soin à ne pas lui tirer les cheveux, malgré ses innombrables nœuds. La brosse glissa avec une facilité déconcertante dans sa longue chevelure blonde.
— Que tu as de beaux cheveux ma fille, souffla Azielle, subjuguée. On dirait une rivière d’or.
Les yeux d’Adara brillèrent d’un vif éclat. L’émotion la submergea. Une larme roula sur sa joue. Azielle pencha la tête sur le côté, entrouvrant ses lèvres.
— Ma chérie, qu’est-ce qui ne va pas ?
— Je… je ne pensais pas… être heureuse un jour.
Azielle écarquilla les yeux, touchée par ces mots. Elle serra fort sa fille contre elle.
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