Le trio avait demandé l’autorisation à la directrice d’emprunter une petite salle pour leur rituel, après le diner. Amelin accepta, demandant juste à ce que Merry reste dans les parages lors de leur petite cérémonie. Avec tous les préparatifs et l’agitation actuelle, elle craignait qu’ils attirent une entité malveillante, profitant de l’effusion du moment.
La pièce était sphérique, un peu petite. Elle faisait office de petit salon cossu, meublée de canapés en velours vert émeraude, d’une petite table basse en verre et de quelques bibliothèques en acajou.
Kyoko prit en charge la protection. Doucement, elle dessina un cercle du bout de son bâton en noisetier, tout en lisant à voix haute une phrase qu’elle avait griffonnée à la hâte dans son carnet.
— Air, Feu, Eau et Terre, protégez-nous
Adara et Nazran se tinrent au centre du cercle. Ils fixèrent les éléments qu’ils avaient disposés sur le tapis turc qui jonchait le sol. Une feuille était disponible, ainsi qu’un stylo et trois mèches de cheveux soigneusement attachées par des élastiques. Dans un bol rempli d’eau trempaient trois rubans carmin. Plusieurs bougies rouges et blanches étaient plantées dans des chandeliers en argent. Lorsqu’elle eut fait le tour trois fois, Kyoko rejoint ses amies au centre. Adara attrapa les rubans, enroula le sien autour de son poignet gauche et tendit les autres à ses amis qui en firent de même. Elle hésita quelques instants, bien qu’elle pratiquait depuis un mois, la ritualisation n’était pas un acte naturel pour un enfant.
— Nos coeurs cherchent à voir nos parents, peuvent-ils être ceux que nous attendons.
Ils se prirent la main et leurs paupières se fermèrent. Une brise glissa dans la pièce, douce et délicatement parfumée.
Kyoko rouvrit les yeux et prit la feuille. Elle nota quelques mots le plus soigneusement possible, se remémorant les leçons de Merry.
— J’aimerais que ma famille soit liée à celle de mes amis.
Elle glissa son regard sur la pièce. La lumière s’éteignit d’un seul coup, ce qui la fit sursauter. Désormais, seules les bougies éclairaient les lieux.
— Euh… Merry ?
Une silhouette se mut dans l’obscurité. Adara resta silencieuse, ses doigts se contractant. Nazran poussa un soupir.
— Si ça se trouve, c’est Clarence qui nous fait une mauvaise blague.
— Tout va bien les enfants, c’est une interférence, je vais essayer de régler ça. Je reste à vos côtés.
La voix douce et rassurante de Merry fit baisser la tension palpable des lieux. Ses yeux étincelants brillaient dans l’obscurité. Adara sourit en la voyant.
— Je vais essayer d’écrire dans le noir, ça va être compliqué, haha.
L’enfant tâtonna et prit la feuille tendue par son amie. Elle essaya de griffonner avec le stylo rouge.
— Je suis une Mac’Moore et j’aimerais rester près de mes amis.
Lorsqu’elle termina tant bien que mal à noter ces mots, un souffle glacial lui arracha un gémissement. Un puissant parfum de menthe envahit les environs. Merry pencha la tête sur le côté, l’observant avec beaucoup de curiosité. Nazran se mordit la lèvre et attrapa la feuille. Peu rassuré, il griffonna rapidement.
— J’aimerais que ma famille soit proche de celle de mes amis.
Un sifflement étrange se fit entendre. Merry se meut avec une rapidité surréelle. Adara sentit sa tête tourner. Ses tempes se mirent à cuire, et elle eut l’impression qu’un liquide brûlant circulait dans ses veines. Elle ouvrit la bouche, peinant à sortir le moindre son. Une poigne la saisit par la taille, alors qu’elle sombrait dans les ténèbres.
***
L’ombre était souveraine. L’humidité omniprésente emplit ses poumons, insufflant une sensation ardente dans sa poitrine. Adara se mit à trembler, l’angoisse dévorant chaque particule de son être. Au fond de la caverne, remplie de stalactites aux formes improbables, se tenait une créature vaguement humanoïde, drapée dans un linge blanc immaculé. Elle tourna la tête, affichant un visage fin et allongé, dévoré par deux grands yeux, totalement noirs. Sa bouche démentielle s’étira en un sourire malsain.
— Oh, cette odeur de menthe ! Elle est délicieuse ! Cela fait si longtemps, longtemps, que j’attendais un être comme toi !
Adara recula vivement, terrorisée. L’être tendit ses longs bras décharnés, qui s’étirèrent dans sa direction. L’enfant se mit à courir, poussant un long cri.
Les dédales défilèrent à mesure qu’elle s’enfonçait dans les abysses. Des lianes apparurent et agrippèrent sa jambe gauche, la faisant tomber lourdement sur les fesses. Adara se débattit férocement, essayant de faire appel à ses capacités.
— Lâche-moi ! Disparais ! Tu n’existes pas !
La liane se dématérialisa sous ses yeux, comme si toutes ses molécules se désagrégeaient. Adara secoua la tête et se releva avec peine, constatant avec horreur que son assaillant était à quelques mètres d’elle.
Adara allait courir à nouveau, lorsqu’une poigne la saisit. Elle gigota furieusement, jusqu’à ce qu’une voix familière l’apaisa.
— Ma fille, c’est moi !
Elle leva les yeux, et ne put apercevoir que deux prunelles floues, intenses, brillant comme deux onyx. Sa voix était puissante, résonnant dans la caverne et faisant tout disparaître autour d’eux.
À nouveau, sa vue se troubla. La voix lointaine de Merry revint à ses oreilles.
— Adara ! Adara ! Tu m’entends ?
— Hmm, où suis-je ?
— Tu es avec nous, à Garnet’place, tu es tombée dans les pommes. Que s’est-il passé ?
— Je… J’ai eu peur, il faisait noir, un être aux grands bras m’a couru après.
Adara s’agita. Une vive douleur parcourut sa nuque et elle se crispa. Autour d’elle, Nazran et Kyoko serraient sa main, terriblement inquiets.
— On a eu si peur ! s’exclama Kyoko.
— C’est de notre faute, on n’aurait pas dû...marmonna Nazran, en reniflant.
— Non, ce n’est pas de votre faute, je veux qu’on reste ensemble !
Adara glissa un regard fiévreux vers son ruban. Il lui semblait plus rouge encore et sentait l’humus. Une douce énergie s’en émanait.
— Peut-être que ça a marché ?
— Je vais en parler à Amelin. Ce soir, je vais renforcer vos protections. Au moindre problème, venez nous voir, d’accord ?
Les enfants hochèrent vivement la tête. Merry les aida à tout ranger et à renvoyer les énergies en remerciant les éléments. Doucement, elle attrapa le poignet d’Adara et traça des runes du bout des doigts.
Elle les emmena dans leurs chambres et prit une longue heure pour renforcer toutes les protections, en murmurant des incantations et en créant des symboles qu’elle traçait sur les murs avec une craie noire.
Puis, elle s’éclipsa, les laissant seuls.
Très vite Adara se mit à pleurer, encore saisie par la peur. Mais elle sentit une douce énergie, celle qui l’avait saisie lorsqu’elle fut sauvée de cette créature cauchemardesque. Une pensée réconfortante acheva de l’apaiser : ses parents seront là demain.
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