Au creux de la nuit, deux silhouettes s’engouffraient dans les ruelles de Glasgow. L’une, massive, déambulait à pas de velours, profitant du ciel sans lune pour se fondre dans l’obscurité. L’autre, aérienne, touchait à peine le sol de ses pieds. Elles suivaient à la trace un être qui n’avait rien d’humain. Sur son passage, des flaques d’un liquide gluant et non identifié laissaient une odeur putride.
L’homme aux épaules larges plissa ses lèvres. Même s’il était entraîné et habitué aux pires parfums des abîmes, il peinait à en supporter les relents. D’une main, il décrocha de sa ceinture une épée courte, gravée de symboles runiques. Au détour d’un immeuble, il percevait nettement la présence de sa proie. À ses côtés, la femme se positionna, prête à bondir. Ses grands yeux verts brillaient d’un feu intense, comme deux émeraudes illuminées par le soleil. Le chasseur posa ses prunelles brunes sur elle, hochant la tête.
Dans une même harmonie, ils s’élancèrent. La bête était là, étalant ses longs bras rachitiques sur le sol. C’était une masse longiligne, tel un corps humain étiré jusqu’à l’infini, dont le visage se révélait être un tube arraché, orné d’une bouche démentielle, semblable à une fosse infernale. Tournant ce qui lui faisait office de visage dans leur direction, la chose poussa un cri étouffé, aigu et insupportable à l’ouïe des chasseurs. La femme tira son compagnon en arrière, grimaçant.
— Alistair, ne fixe pas sa bouche, concentre-toi sur son ventre!
— Tu en as de bonnes, répondit-il, c’est à partir d’où, son ventre?!
Elle désigna une zone médiane de sa forme grotesque et dépassant l’entendement. Alistair serra les dents et asséna un coup violent à l’endroit indiqué.
— Azielle, maintenant!
Azielle glissa une main dans sa chevelure, faisant apparaître des filaments aquatiques, qui jaillirent en brisant les lois de la physique. Associée à la lame du combattant, cette magie devint dévastatrice et fit fondre une partie de l’anatomie de leur ennemi.
La bête cria de plus belle, se jetant à toute allure sur Alistair, qui, d'un murmure, fit apparaître un bouclier d’énergie autour de lui.
La chose d’outre monde se cogna avec virulence contre la protection magique, agitant ses griffes dans l’espoir de la briser. Alistair resta concentré, traçant des symboles dans l’air du bout de son index. À mesure qu’il s’exécutait, la bête se mit à se liquéfier, luttant misérablement pour sa vie.
Azielle lui donna le coup de grâce. Ses mains s’armèrent de griffes formées de gouttes d’eau solidifiées. Elle lacéra ce qui restait de la créature du Seuil.
Alistair poussa un long soupir. D’un geste, il replaça une mèche de cheveux noirs derrière ses oreilles. Il posa son attention sur sa compagne, tendant la main vers elle. Azielle la prit, esquissant un doux sourire. De sa main libre, elle épousseta sa veste en cuir et son pantalon noir abîmé par le combat. Il l’attira contre lui, effleurant ses lèvres des siennes.
— Mon pantalon a été abîmé, susurra-t-elle, affichant une moue boudeuse.
— Allons mon coeur, je t’en paierais un autre.
Azielle roula des yeux, mettant une pichenette sur son grand nez. Alistair se mit à rire, décontractant ses muscles. Il se frotta la nuque, essayant de se détendre.
— Rentrons mon amour, je crois que nous les avons tous éliminés pour ce soir.
Azielle hocha la tête et l’entraîna en direction de leur voiture. Ils s’étaient considérablement éloignés, mais marcher leur permettait de penser à autre chose. Chaque horreur affrontée demeurait un poids sur leur santé mentale, entretenue grâce à des sortilèges et de longues heures de méditation.
Arrivés près du bar du Millésime, Alistair et Azielle s’engouffrèrent dans leur tesla noire. Alistair alluma le contact, les emmenant loin d’ici pour rejoindre le village d’Honeyham. Azielle demeura soucieuse durant le trajet, perdant son regard sur le ciel nocturne.
Alistair glissa une main tendre sur la sienne.
— Tout va bien mon coeur ?
— Je réfléchis à notre future adoption. Je n’arrête pas d’imaginer à quoi notre enfant va ressembler, si je deviendrais une bonne mère…
Son compagnon se mordit la lèvre, caressant du pouce sa paume avec tendresse.
— Je comprends tes peurs, moi aussi j’ai peur de ne pas être à la hauteur, mais on fera de notre mieux tous les deux. Nous sommes prêts à recevoir cet enfant dans nos vies.
— Oui, cela fait un moment que j’attends ça.
Ils venaient d’arriver à la gigantesque propriété Mac’Moore. Dans l’ombre de la nuit, les vastes terres semblaient endormies. Les arbres agitaient leurs branchages à la brise vivifiante de l’Écosse. Alistair se gara tranquillement puis jeta sa tête en arrière, après avoir éteint le moteur.
— J’ai tellement peur de ne pas être à la hauteur, moi aussi.
Azielle se rapprocha délicatement de lui, posant ses lèvres contre les siennes. Alistair glissa sa main dans sa chevelure, intensifiant le baiser. Son épouse s’écarta avec douceur, plongeant son regard dans ses billes d’onyx.
— Tu es quelqu’un de bien, tu feras un excellent père.
— Je l’espère…
Alistair esquissa un faible sourire et sortit de la voiture. Azielle le suivit et ils se dirigèrent à travers l’immense jardin. Des chardons luminescents bordaient l’allée du chemin de pierres grises. Des papillons aux grandes ailes bleutées voletaient gracieusement, virevoltant près d’Azielle qui les observait avec curiosité. Arrivé au portique du manoir, Alistair posa son regard sur le bas-relief qui trônait au-dessus de la lourde porte noire. Il représentait un corbeau majestueux, aux ailes déployées. Il allait poser sa main sur la poignée ouvragée lorsqu’il se figea.
Dans une pièce circulaire se trouvait une porte. Elle était gargantuesque, dévorant toute la hauteur de ces lieux nimbés d’ombre et de lumière. Composée de pierre noire et de marbre gris, elle s’entrouvrit légèrement, dans un bruit sourd qui résonna dans toute la salle. Une petite silhouette apparut, recouverte de sang. C’était une enfant, aux longs cheveux blancs qui cascadaient sur ses épaules, au sourire écarlate et au regard gris, encerclé de taches blanches. Elle portait une longue robe d’albâtre, brodée d’étoiles.
Alistair ouvrit de grands yeux, captivé par cette apparition, étrange mélange de pureté, d’innocence et d'effroi. Le sang perlait sur le sol à mesure qu’elle s’approchait de lui. Lentement, elle leva sa main dans sa direction, le fixant comme une enfant fixerait son père.
Alistair secoua la tête et se reprit. Il s’avança vers elle, dans l’espoir d’attraper sa main.
La vision s’évanouit, aussi vite qu’elle s’était imposée à l’esprit du spirite.
Alistair se frotta les yeux. Azielle l’observait de ses grandes prunelles, intriguée et un peu inquiète.
— Que se passe-t-il mon amour ?
— J’ai eu une étrange vision.
— Oh, c’est la lune noire, c’est sans doute lié à ça. Qu’as-tu vu ?
Alistair se frotta la nuque et ouvrit la porte d’entrée d'un geste vif.
— On sera mieux à l’intérieur.
Ils rentrèrent, appréciant la chaleur des lieux. Alistair ferma à triple tour, incantant du bout des lèvres en tenant la poignée. La porte s’illumina d’un léger halo, à peine perceptible. Satisfait, Alistair se dirigea vers le salon. La décoration du château était raffinée et luxueuse. Les murs étaient recouverts de tableaux anciens, représentant des paysages ou des portraits. Les meubles étaient massifs, en bois précieux et la décoration s’avérait être un savant mélange entre le style moderne et ancien.
Il s’installa sur un grand canapé en cuir vert, déniché dans un vieux pub irlandais. Alistair s’étira longuement, invitant Azielle à le rejoindre. Elle l’observa durant quelques secondes. Elle appréciait toujours autant son visage si singulier. Il était allongé, illuminé par deux billes d’onyx, qui semblaient vous percer de part en part. Ses lèvres charnues la mettaient régulièrement en émoi. Son nez était grand, proéminent et elle savait qu’il était complexé. Mais elle l’aimait comme il était. Son corps était massif, imposant. Il dominait beaucoup de gens de sa stature de colosse, avec son mètre quatre-vingt-dix. Il portait une veste en cuir, ainsi qu’un tee-shirt noir simple, un pantalon jean sombre et des rangers. Cela contrastait complètement avec ses costumes cravates qu’il arborait en société.
Elle se lova contre lui, posant sa tête contre son épaule. Son visage ovale s’illumina d’un sourire mielleux. Sa simple chaleur suffisait à égayer ses journées. Alistair fixa quelques secondes ses lèvres rouges, les lignes symétriques de son visage charmant et irréel. Plongeant ses doigts dans sa chevelure châtain, il prit le temps de savourer ce silence délectable avant de se confier à elle.
— J’ai vu une gigantesque porte, s’ouvrant sur une petite fille aux cheveux blancs, ensanglantée. Elle venait vers moi, elle me tendait la main. Il y avait quelque chose de tellement tendre dans cette apparition, et pourtant, elle était également terrifiante...
Azielle se frotta la nuque, perplexe. Elle prit le temps de se plonger dans ses pensées, cherchant une corrélation entre ses connaissances et la vision narrée par son époux.
— Des portes, il y en a plein. Tout dépend de la dimension dans laquelle elle se trouve. À quoi ressemblait-elle?
— Elle était immense, placée dans une pièce circulaire. Elle semblait faite de marbre gris et d’onyx.
Azielle entrouvrit la bouche, quelque peu perdue. Alistair la fixa, cherchant à déchiffrer sa réaction.
— C’est inquiétant?
— Peut-être, ce genre de portes, il n’y en a pas cinq mille. Elles sont, pour la plupart, rattachées aux profondeurs. Il faudrait creuser un peu. Je ne peux rien t’affirmer.
— Ciel, moi qui croyais que tu étais une encyclopédie vivante, plaisanta Alistair.
Azielle pouffa, roulant des yeux. Du bout des doigts, elle fit une pichenette sur le front de son époux.
— Tu sais très bien que les visions trouvent parfois leurs réponses que des jours, voir des semaines plus tard.
— Oui et la nuit porte conseil. Nous avons une réunion demain, allons nous coucher.
Azielle hocha la tête. Alistair vint déposer un baiser tendre dans son cou, lui arrachant un frisson. Puis il se leva, se dirigeant vers les appartements privatifs. Azielle le suivit, se stoppant durant quelques secondes. Son regard se glissa vers la fenêtre, observant longuement le ciel sans lune. Un étrange pressentiment lui étreint la poitrine à cet instant.
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