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Des espoirs !

-Williams, sers m’en deux, une pour moi et une pour ma compagne/compagnon.

Je ne sais pas trop qui m’accompagne ce soir de spleen, un homme, une femme, les vêtements qu’il/elle porte, sont indéfinissables, gris et noirs ou peut-être gris ou noirs. L’ensemble est malgré cela seyant mais inquiétant.

Le bar où je suis entré ce soir est en quelque sorte mon deuxième bureau, j’y ai mes habitudes depuis quelques années, et le serveur, Williams est à la hauteur de ma mauvaise réputation.

Je suis ce que l’on appelle un privé, je mène des enquêtes à la demande, adultères, disparitions, concurrences. C’est devenu une vraie routine, sauf aujourd’hui, lorsque me rendant vers ce bar « Aux Deux Archers » j’ai croisé la victime d’un meurtre déjà entouré par la police et quelques badauds. Il est vrai qu’à Paname, quelle que soit l’heure, il y a toujours des badauds qui traînent avant de rentrer chez eux et d’y retrouver leur quotidien. A voir leurs têtes, il ne doit pas être très gai et on comprend qu’ils traînent leurs guêtres en attendant de glisser la clef dans la serrure de leur morosité nocturne.

Le corps allongé sur le sol ne m’est pas inconnu, il a été victime d’un professionnel, car le petit trou qui orne son front est clair, net et sans bavures. Mais où diable l’ai-je déjà croisé ?

Chaussures montantes sur lesquelles tombe un jeans, veste militaire kaki, chemise à carreaux et un chapeau style pork pie retourné à côté de lui. Bon avec ce qu’il a pris dans le crâne, le chapeau n’avait plus de raison de rester.

Des lunettes brisées sont à côté du chapeau, loi de la gravitation universelle. Une petite flaque de sang auréole sa tête, plutôt sympathique comme tête, un peu celle d’un moine ou d’un confesseur. Un charme certain émane de ce macchabée, et plus je le détaille, plus il me rappelle quelqu’un, mais qui ?

Bon, je file vers mon deuxième bureau, ce n’est pas mon job, je n’apprécie guère la vue du sang et les enképités sont déjà à l’ouvrage.

J’ai l’impression d’être suivi, je me retourne plusieurs fois, personne. Ma profession me rend un peu parano.

J’entre aux Deux Archers, les lumières tamisées offrent un halo hésitant entre glauque et cradingue qui fait oublier que les tables, banquettes et comptoir n’ont pas été rénovés depuis l’ouverture. Je me dirige vers le comptoir et me hisse sur un tabouret à l’assise élimée par les divers fessiers qui s’y sont posés.

Une paire de fesses complémentaire pour celui qui m’accueille. En fait c’est mon tabouret réservé en quelque sorte, au coin du comptoir, je peux m’adosser au velours verdâtre qui tapisse les murs et surveiller ainsi les allées et venues en dégustant mon verre.

Williams se dirige vers moi.

- Comme d’habitude, François ?

- Non un double, je viens de croiser un macchabée sur le trottoir en venant ici, et les macchabs c’est pas ma tasse de thé. Il me rappelle quelqu’un mais ma mémoire usagée ne me permet pas de le retapisser.

Toujours cette impression d’insolitude, et pourtant la porte d’entrée du bar n’a pas été poussée.

Une personne vient s’asseoir à mes côtés, il/elle pose délicatement un joli derrière sur le skaï râpé du tabouret. En ambiance sonore ce soir, Williams a fait un medley de Hadji-Lazaro, Higelin et Thiéfaine, un peu sombre mais tout à fait digne de l’endroit, en ce moment c’est « le bar tabac de la rue des Martyrs ».

Trans, Trav, Pute, Androgyne ? J’hésite à trouver un qualificatif juste pour décrire ce personnage. Et puis ces fringues sombres achèvent de semer le doute dans mon esprit déjà malmené par ma rencontre avec l’emballé croisé sur le trottoir en venant ici. Je sais qui c’est, mais qui ?

Je termine mon verre et propose à mon voisin/voisine d’en prendre un en ma compagnie, histoire de faire connaissance.

-Volontiers, merci.

Même la voix est à l’image de son/sa propriétaire. Indéfinissable…

-Williams, sers m’en deux, une pour moi, et une pour mon voisin/ine.

-Tu ne me reconnais pas, François ?

Comment sait-il/elle mon prénom ?

- A vrai dire, non, c’est vous qui m’avez suivie depuis le macchab jusqu’ici, je ne vous ai pas vue entrer (j’ai compris, c’est une femme). Vous avez quelque chose à me communiquer ? Comment me connaissez-vous ?

- Tu es plutôt connu dans le quartier et il est très facile de connaître tes habitudes, je m’intéresse à toi depuis quelque temps déjà, je crois que le moment est venu de me présenter. Dans certains pays on me nomme Hel, dans d’autres la Faucheuse, dans d’autres encore Thanatos et même l’Ankou en Bretagne. Pour toi, je serai simplement la Mort.

Je ne suis pas méchante, c’est juste mon métier, je le fais du mieux que je puis et comme tu peux le constater avec une certaine délicatesse. Je ne t’ai pas attrapé par l’oreille pour t’amener vers ton but ultime, je préfère boire un verre avec toi et t’expliquer pourquoi aujourd’hui c’est ton tour.

Suis-je victime d’un mauvais cauchemar ? Ce ne sont pas mes amis (j’en ai peu) qui me feraient une mauvaise blague ? Je me pince, et je ne sens rien. En prime, elle me tutoie, pourtant nous ne sommes pas à tu et à toi.

Elle continue son monologue.

- Tu as déjà accompagné des personnes de ta connaissance ou de ta non connaissance vers le chemin de lumière, tu ne t’es jamais interrogé afin de savoir pourquoi tu avais été sélectionné ?

- Franchement, non. On me demande, j’exécute. Fatigant certes mais valorisant.

- Tu leur expliquais les circonstances de leur disparition, et le fait qu’ils naviguent « entre deux airs », ensuite tu leur faisais comprendre qu’ils étaient morts, n’est-ce pas ? Puis tu les accompagnais jusqu’à ce qu’ils quittent cet « entre deux ».

- Comment savez-vous cela ?

Bon sang, je la vouvoie et elle me tutoie, y a un truc qui cloche…

- Et pourquoi, me tutoyez-vous, on ne se connaît pas. Je ne vous ai jamais croisé, nous n’avons pas assisté à des soirées bien arrosées où le tutoiement devient vite de rigueur ?

- Nous sommes de même lignée, toi et moi, je me charge des exécutions et toi de l’accompagnement, ça crée des liens, n’est-ce pas ?

- J’ai de la peine avec le tutoiement, mais je vais m’adapter, si le vous apparaît encore, il ne faudra pas m’en tenir rigueur. Donc, que fais-tu assise en ma compagnie à siroter ce breuvage issu d’un alambic, que tu n’apprécies pas, puisque tu n’as pas touché ton verre ?

- Aujourd’hui c’est moi qui t’accompagne !

- Je ne comprends toujours pas, que fais-tu là ?

- Le corps que tu as vu tout à l’heure sur le trottoir et qui titillait ta mémoire ne te revient pas en tête ? Un jean, veste kaki, chaussures montantes, ça ne te rappelle rien ?

Je me regarde dans le miroir derrière le bar : lunettes rondes, chemise à carreaux, veste kaki puis je baisse les yeux, jean, Doc Martens aux pieds.

- C’était moi sur le trottoir ?

- Et oui, ton tour est venu. T’inquiètes, cela n‘a pas été douloureux, tout a été fait proprement comme tu as pu le constater. Un petit trou et l’on change de monde.

- J’ai fait quoi comme erreur pour que ça s’arrête ainsi ?

- Certains dossiers dont tu t’es occupé, étaient trop lourds pour ta carrure. Faut pas toucher aux hommes politiques, ils ont la rancune tenace et si peu de scrupules. Celui que tu as mis en cause dans une affaire de pédophilie, n’a pas oublié les quelques mois passés au placard grâce à toi.

- Tiens je l’avais oublié celui-là, pas lui si je comprends bien.

- C’est pour ça que je suis là, comme tu as été un collaborateur efficace, on t’a délégué la Mort himself, tu devrais être fier de cet insigne honneur qui t’a été offert.

- Honneur peut-être, mais je m’aimais bien en tant que vivant.

Je parle de moi au passé, c’est un signe ou quoi ?

- Ne t’affoles pas ce n’est qu’un passage à faire, il paraît que c’est difficile pour les vivants de l’admettre (tu le sais puisque tu l’as si souvent expliqué) mais voilà ce matin quand on a ouvert le livre, tes initiales et ton nom étaient en tête liste. C’est ainsi. Tu peux penser que ce n’est pas très juste, que tu n’as pas eu le temps de saluer tes rares amis, où devrais-je dire amies puisque c’est la majorité. Ah le charme discret, quel secret ! Tu verras, tu seras bien là où je t’emmène, personne ne s’occupera de faire le passage, les bons collaborateurs ont des privilèges. Allez, donne ta main, nous y allons en chœur.


Texte publié par Frankieles, 14 septembre 2023 à 19h06
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